Ô Besançon
238 pages
Français

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Ô Besançon , livre ebook

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Description

Le narrateur, jeune étudiant marocain, débarque à Besançon au début des années 70. Il est aussitôt pris dans le tourbillon d'une jeunesse assoiffée de liberté et en particulier de liberté sexuelle. La "vieille ville espagnole" ne sortira des chamboulements de Mai 68 que pour plonger dans le fameux confit de Lip. A partir de simples anecdotes de la vie sociale de l'époque, l'auteur nous donne à comprendre le secret d'une "intégration" réussie.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2009
Nombre de lectures 42
EAN13 9782336259802
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Lettres du monde arabe
Collection dirigée par Maguy Albet et Emmanuelle Moysan
Abubaker BAGADER, Par-delà les dunes , 2009.
Mounir FERRAM, Les racines de l’espoir , 2009.
Dernières parutions dans la collection écritures arabes
N° 232 El Hassane AÏT MOH, Le thé n’a plus la même saveur , 2009.
N° 231 Falih Mahdi, Embrasser les fleurs de l’enfer , 2008.
N° 230 Bouthaïna AZAMI, Fiction d’un deuil , 2008.
N° 229 Mohamed LAZGHAB, Le Bâton de Moïse , 2008.
N° 228 Walik RAOUF, Le prophète muet , 2008.
N° 227 Yanna DIMANE, La vallée des braves , 2008.
N° 226 Dahri HAMDAOUI, Si mon pays m’était conté , 2008.
N° 225 Falih MAHDI, Exode de lumière , 2007.
N° 224 Antonio ABAD, Quebdani , 2007.
N° 223 Raja SAKKA, La réunion de Famille , 2007.
Ô Besançon

Mustapha Kharmoudi
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296092273
EAN : 9782296092273
Sommaire
Lettres du monde arabe Page de titre Page de Copyright Ô Besançon
Ô Besançon
« Alors dans Besançon, vieille ville espagnole »
Victor Hugo
Avant tout, sache que j’ai atterri à Besançon par choix, contrairement à la plupart de mes copains de l’époque. C’était au début des années soixante-dix. Eux se retrouvaient au hasard d’un contrat ou d’une bourse, qui chez Peugeot, qui ouvrier agricole, qui encore étudiant. Moi je savais depuis longtemps, depuis très longtemps, que j’allais venir à Besançon et nulle part ailleurs.
Quand j’étais enfant, au fin fond de ma campagne marocaine, j’avais une maîtresse d’école française. Elle devait avoir vingt ans, guère plus. Aujourd’hui encore, je me demande qui avait pris la décision d’envoyer une si jeune femme dans un trou perdu où les gens vivaient encore dans des époques reculées. Imagine-toi que, dix ans après le passage de cette enseignante, l’unique imam du douar traitait d’apostat quiconque osait affirmer que l’homme, Armstrong, était allé sur la lune...
Enfin, bon. Elle n’y était pas restée longtemps d’ailleurs, en partie à cause de moi, mais c’est une autre histoire. Toujours est-il qu’elle m’avait fait aimer la langue française, et tout particulièrement Victor Hugo. Tu vois, qui dit Hugo dit Besançon puisqu’il y était né au début du dix-neuvième siècle. Je me souviens qu’elle était heureuse toutes les fois qu’elle parlait de Besançon. Si ma mémoire ne me trahit pas, elle avait vécu à Besançon, à Paris et à Bordeaux. Mais elle disait préférer Besançon.
J’avais quel âge à l’époque ? Huit ou neuf ans, je crois. Par la suite, je repensais souvent à elle quand je lisais Victor Hugo. Je veux dire les très rares fois où je tombais sur un de ses livres. Et je me promettais alors de la rejoindre à Besançon plus tard.
Tu vois, cela fait plus de quarante ans que je vis ici, mais je ne l’ai jamais retrouvée. Au début, je me suis renseigné mais on m’a ri au nez, car son nom est très répandu en Franche-Comté...
Après son départ, aucun enseignant n’avait plus jamais évoqué Besançon. Jusqu’au lycée. En seconde, je crois, nous avions au programme de français L e Rouge et le Noir de Stendhal. Je ne sais pas si tu connais cette belle histoire qui se déroule à Besançon et dans ses environs. En particulier aux Verrières, tu vois où c’est ?
Je me souviens l’avoir lu avec une infinie passion. Oui, j’étais malade, alité à l’infirmerie de l’internat, quand un camarade de classe me l’avait apporté. Je l’avais lu pendant trois jours, nuit et jour. Évidemment, je l’avais relu plus tard, plusieurs fois, afin qu’aucun détail ne m’échappe.
Et comble de bonheur, quelques mois plus tard, notre professeur nous avait emmenés voir le film au ciné-club de la Ville. Je me dois de te l’avouer : Gérard Philippe a influencé ma vie plus qu’aucun homme en chair et en os. J’étais fasciné par son cran, par son regard, par sa ténacité et son courage devant la mort dans cette scène d’anthologie où il s’adressait au tribunal. Il m’avait vengé de tous les riches de mon pays qui ne rataient jamais l’occasion de m’humilier à cause de mes origines pouilleuses. Jamais je ne m’étais identifié à un héros de film autant qu’à Julien Sorel. Julien Sorel est le nom du personnage que Gérard Philippe interprète dans le film...
Et ce jour-là, pendant la projection, le Besançon de ma maîtresse d’école avait ressurgi de ma mémoire comme un lever du jour sur ma vallée natale, comme un jaillissement d’eau d’une source inattendue. Je m’étais alors rendu compte que mon amour pour ma maîtresse d’école et pour Besançon était encore intact.
Une scène du film m’avait particulièrement marqué. Par un bel été comtois, Monsieur de Rénal, Madame de Rénal et Julien Sorel se délassaient sur la terrasse. Soudain, pour je ne sais plus quelle raison, peut-être commençait-il déjà à être jaloux, Monsieur de Rénal avait vexé Julien Sorel en lui demandant de lui rapporter quelque chose : ses lunettes, son journal ou autre chose. Humilié, le jeune Julien avait décidé de se venger sur-le-champ. Et il n’avait rien trouvé de mieux que de prendre sous la table la main de Madame de Rénal. Au risque, grands Dieux, que celle-ci fasse un geste brusque qui n’aurait pas manqué d’alerter le mari.
Pour se donner du courage, il se parlait à lui-même, et déjà mon cœur battait si fort. J’avais beau connaître l’histoire et son dénouement, mais je tremblais de peur. Je le trouvais certes courageux, mais surtout irresponsable. Je crois qu’il avait dû compter jusqu’à dix avant de passer à l’acte. On voyait en gros plan les deux mains coupables : l’une petite et blanche, l’autre grande et virile. Elles ne se touchaient pas, pas encore, chacune reposait sur son propre genou.
Je tremblais, je tremblais encore. Puis ma tête s’était mise à tourner au moment où le beau Julien s’était saisi de la petite main, tel un prédateur attrapant brusquement sa proie. Quel culot, quelle inconscience !
Je me souviens aussi d’un autre fait : à la fin de la projection, les gens avaient longuement discuté du film, avant de généraliser le débat à la condition humaine . Mon attention avait été particulièrement attirée par l’intervention d’un monsieur de grande taille, modestement habillé, mais autour duquel s’agglutinaient d’autres hommes en beaux costumes et en belles cravates. L’homme proclamait des engagements très clairs en faveur des pauvres. Je crois qu’il expliquait que les riches dressent sans cesse des barrières entre eux et les pauvres. Et que les pauvres se doivent de constamment se révolter. À vrai dire, je ne comprenais pas grand-chose de ce qu’il affirmait, mais ses propos illustraient confusément mon état d’âme...
Mon étonnement allait être grand quand, sur le chemin du retour, mon professeur m’avait expliqué que ce monsieur-là était marocain, et qu’il était l’un des directeurs des phosphates. Le Maroc était le premier exportateur mondial de phosphates, je ne sais pas si c’est encore le cas aujourd’hui. Le type en question n’était autre qu’Abraham Serfaty, le fameux opposant au roi Hassan II.
Quelque temps après, ce même professeur allait m’informer que Serfaty avait été éjecté de son poste de directeur parce qu’il avait soutenu les mineurs en grève. Plus que les révoltes tribales, les grèves des mineurs étaient terribles au Maroc. Ils étaient très résistants, et de ce fait, la police s’acharnait férocement sur eux. Les mineurs vivaient dans une misère indescriptible à cause de leurs très bas salaires, et cette misère devenait encore plus noire et plus intolérable dès lors qu’ils se mettaient en grève et qu’on ne leur versait plus leurs salaires. Je me souviens que des femmes envahissaient alors les rues pour mendier, pendant que leurs prolétaires de maris occupaient les mines en s’y terrant... Je me souviens que nous leur jetions nos restes de si peu depuis le mur du lycée, et qu’elles se battaient pour s’en saisir... Leurs enfants aussi, petits ou grands, participaient à ces lugubres mêlées, telles

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