Remords
122 pages
Français

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Description

Un frère meurt, sur le pont d'Arcole. Alors adolescent, Antoine en sort bouleversé, et va tenter d'effacer de sa mémoire la souffrance du souvenir et fuir dans l'espoir de trouver, ailleurs, un bonheur simple. Il sera emporté, malgré lui, dans une tragédie sanglante, celle d'une vie condamnée à l'errance dont le roman, tout entier, est le miroir brisé.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2010
Nombre de lectures 169
EAN13 9782296715325
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Remords
 
 
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2011
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-13770-7
EAN : 9782296137707
 
Benjamin Bœuf
 
 
Remords
 
 
Roman
 
 
L’Harmattan
 
Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,
Qui vit, s’agite et se tortille,
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chêne la chenille ?
Pouvons-nous étouffer l’implacable Remords ?
 
Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal , « L’irréparable »
 
Chapitre I
 
 
M on premier souvenir revient à ce contrôleur des chemins de fer. Je me rappelle le sourire qu’il m’adressa. Il était parvenu à extirper un instant mon regard de la vitre du train. « C’est un bien mignon garçon que vous avez là », dit-il à ma mère, alors qu’il examinait nos billets. Il me donna ensuite une petite tape sur la tête puis s’en alla contrôler nos voisins de sièges. Je pus alors me replonger vers la fenêtre sale à travers laquelle je découvrais pour la première fois la France. Il n’y avait là que des champs, des campagnes, des prairies, quelques vaches, parfois, qui dormaient ou faisaient semblant de s’occuper, quelquefois aussi de grandes usines isolées qui ne semblaient reliées à aucune civilisation. Et bien sûr, exceptionnellement, quelques habitations, que l’on pouvait de temps en temps qualifier de véritables maisons, voire – mais c’est là un fait rarissime – un lieu-dit, un bourg, un village et, pourquoi pas – étais-je alors en plein mirage ? – une ville, certes minuscule mais véritable. En tout cas, toute cette campagne m’intriguait pour l’unique raison qu’elle courait derrière la vitre, à une vitesse folle, comme si le TGV nous transportait, maman et moi, à plus de 1000km/h.
C’est là mon premier souvenir : celui d’un homme, d’un contrôleur, qui était passé presque aussi vite que les vaches sur le bas côté. Un homme qui malgré tout avait parlé avec maman. Qui l’avait regardée, m’avait complimenté, puis touché, puis qui était parti. Le premier homme en fait qui avait abordé maman alors que papa n’était plus là. Ce fut lorsque le contrôleur passa vérifier nos billets que je me rendis compte véritablement de cette absence. De l’absence de la présence de papa. Comme une révélation. Je me souvins alors que papa avait défilé, lui aussi, derrière la vitre sale. Qu’il avait fait un geste de la main, timide certes, mais un geste quand même. À mon égard. Le reste, je ne sais plus très bien. C’est aussi pour cela qu’il faut que je me dépêche, pour arrêter d’oublier, pour ne plus laisser tous ces souvenirs se faner, parce que je ne veux rien inventer pour combler les trous, parce que tout rafistolage n’est que mensonge, pure invention, et que la moindre incertitude peut faire basculer tout le reste, me faire basculer tout entier de la réalité au rêve. Alors il faut que je sois fort, et rapide, pour tout consigner là et comprendre enfin, faire la lumière sur ce qui m’arrive, étaler mon passé pour tout saisir d’un coup.
Papa est-il resté sur le quai, la main vaguement mobile, ou bien a-t-il couru, éperdu, le long de la route, pour nous suivre et nous rattraper ? A-t-il songé un seul instant qu’il pourrait courir pendant plus de six cents kilomètres pour sauver l’amour qu’il avait pour son fils et sa femme ? Est-il mort de fatigue, sur le coin de la route, dans une de ces campagnes maudites où jamais personne ne le retrouvera ? A-t-il souffert de la soif qui devait le ronger durant cette interminable course dans ces déserts verdoyants ? Quels furent ses derniers mots, Antoine, Antoine, je t’aime  ? Je peux presque l’entendre, je peux presque le voir s’écrouler de l’autre côté de la vitre, je vois son visage se cogner violemment contre la terre, et son corps s’enfouir dans un champ de maïs. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse là d’un véritable souvenir. Non, je pense plutôt que ce n’est qu’une sorte de phantasme, sans doute un vague désir, quelque chose qui me prouverait qu’au fond papa m’aimait vraiment. Tellement même qu’il aurait pu en crever. Rien que pour moi. Non, je pense plutôt qu’il est resté là, sur le quai de la gare, à regarder le train s’en aller, maman et moi à l’intérieur. Il a dû ensuite rentrer bien tranquillement chez lui, rejoindre son petit appartement bordelais, se blottir dans sa ville de merde que je déteste tant. Se cacher pour le reste de l’éternité. Jusqu’à ce que je le retrouve. Mais je ne dois pas raconter cela pour l’instant. Ce n’est pas possible. Rester concentré. Ordonné surtout. Sinon je vais encore tout mélanger, et je serai bien avancé. Non, non, raconter, oui, mais dans l’ordre. Uniquement dans l’ordre. Sinon je vais divaguer.
Donc, le contrôleur des chemins de fer est parti. J’avais la tête collée contre la vitre et je découvrais le pays où j’étais né à travers des images de cartes postales animées. Je ne sais pas si c’est à ce moment qu’est née mon aversion pour la campagne et pour le vide ou si c’est ma découverte de Paris qui, à l’opposé, m’a fait aimer la ville, celle qui grouille de personnes, celle où vous devenez tout à coup le plus grand anonyme du monde. En tout cas il me semble que je n’ai jamais pu supporter la campagne.
Maman de son côté lisait tranquillement et me laissait regarder cet étourdissant défilement de vides et d’horizons. Je me rappelle qu’elle ne m’avait encore rien expliqué de notre voyage. Pourquoi on part, maman ? Pourquoi papa n’est pas là avec nous ? On retourne quand à Bordeaux ? Maman leva la tête. Elle hésita un court instant : devait-elle me répondre et tout m’expliquer, comme à un grand garçon, ou bien pouvait-elle se contenter d’un simple regard qui m’aurait effrayé, pour me faire comprendre qu’il s’agit là de questions déplacées, que l’on ne pose pas lorsqu’on est un garçon de bonne famille et que je ferais bien, au lieu de vouloir satisfaire mon horrible curiosité – quel épouvantable péché ! aurait-elle ajouté – de m’occuper tout seul sans faire de bruit et sans la déranger – tu ne vois pas que je lis, non ?
– Pourquoi ? me répondit-elle enfin, sans fermer totalement son livre qu’elle tenait encore solidement entre ses deux mains. Tu ne veux pas connaître Paris ? Je croyais que tu étais un garçon avide de connaissances, Antoine. Si tu veux, tu peux toujours prendre un autre train et aller t’enterrer avec ton père dans cette province misérable où il ne se passe jamais rien. C’est ça que tu veux, hein, Antoine ? Réponds-moi.
– Non, bien sûr. Mais pourquoi on doit partir ?
– Ça, ce sont des affaires d’adultes, Antoine. Je ne peux pas tout t’expliquer. Tu n’es pas encore suffisamment grand pour comprendre certaines choses. Ton père et moi avons juste décidé de vivre dans deux villes différentes. J’ai pensé que pour ton bien il valait mieux que tu viennes à Paris avec moi. Tu verras, c’est la plus belle ville du monde, et il y a toujours quelque chose à faire là-bas. Ça ne te convient pas, Antoine, de venir vivre à Paris avec ta mère ?
Maman savait parfaitement rendre les situations claires, ou tout du moins indiscutables. Je partais donc pour Paris avec elle, et je n’avais pas vraiment le choix. Mais c’est vrai que si je l’avais eu, j’aurais sans nul doute pris la décision de la suivre, où qu’elle aille, à Paris, à New York, ou ailleurs.
Maman a repris sa lecture et je n’ai plus dit un mot jusqu’à notre arrivée à Paris. Elle s’est levée un peu après l’appel du contrôleur qui annonçait l’imminence de l’arrêt. Elle a demandé à un homme moins âgé qu’elle et qu’elle devait trouver attirant de lui descendre nos valises, qu’elle avait placées au-dessus de nos têtes, à l’endroit réservé. L’homme, comme flatté, lui sourit et s’exécuta, dans une fierté toute masculine, comme s’il fut le seul

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