Retour à Dori
301 pages
Français

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Retour à Dori , livre ebook

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Description

Dans un petit village du Sahel, à l'époque où la Haute-Volta ne s'appelait pas encore le Burkina Faso, un administrateur de la "France d'Outre-mer" enquête sur une série de meurtres mystérieux. Tout en lui permettant de découvrir ce pays qu'il croyait connaître, cette énigme va dès lors le contraindre à un retour sur lui-même. Cinquante ans plus tard, un géomètre, chargé de délimiter la frontière entre le Mali et le Burkina Faso, se souvient de son enfance africaine et décide de retourner sur les lieux de sa naissance. Un véritable roman des origines qui se tisse sur fond d'actualité et de récits entrelacés.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2007
Nombre de lectures 85
EAN13 9782336275185
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2007
5-7, rue de l’Ecole polytechnique; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.hamattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296039674
EAN : 9782296039674
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Dedicace I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XV XVI XVII XVIII XIX XX XXI XXII XXIII XXIV XXV XXVI XXVII XXVIII XXIX ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
Retour à Dori

Bernard Delmond
à mon père

I
Du plus loin que je me souvenais, j’avais toujours rêvé de retourner dans ce pays du Sahel où j’ai passé mon enfance. Devant ces acacias décharnés et ces tamaris, ces boules de paille roulées sur le sol par le vent d’harmattan, ces horizons arides parcourus par les troupeaux de moutons et de bœufs, je retrouvais les paysages de ma mémoire. J’avais maintenant rejoint les deux autres géomètres aux confins du pays Dogon. Après avoir quitté notre campement de Diguel avec notre groupe en direction du Nord, nous avions atteint Palol Orotingo au lever du jour. A peine étions nous arrivés, tout le monde s’était mis au travail pour terminer le repérage avant la pause déjeuner. La matinée était maintenant bien entamée et, bientôt, la chaleur de midi allait nous écraser de sa sauvagerie. Il faudrait alors nous mettre à l’abri car l’ombre serait rare. L’horizon bleuté commençait à se confondre avec le ciel. Mis à part le baobab sous lequel s’était réfugié le reste du groupe, il n’y avait pas un arbre et nous n’étions pas gênés par la couverture végétale. Nous pouvions donc effectuer tranquillement les mesures nécessaires à la détermination des distances, des altitudes et des autres coordonnées. Suivant la nature du terrain, on utilisait notre G.P.S. ou l’instrument de mesure électronique des longueurs, l’I.M.E.L. dont on nous avait doté. On pouvait envoyer nos porte-mires le plus loin possible tout en restant à vue, faire les mesures angulaires, les opérations de levés et de restitution sans être trop contraint par l’environnement Sur le tracé de la frontière, les géomètres procédaient à leurs observations azimutales et les juristes à leurs observations écrites.

J’avais avec moi le petit dossier de presse que je m’étais constitué sur la « guerre de Noël » qui avait opposé en décembre 1985 deux des pays les plus pauvres du monde, le Mali et le Burkina Faso.
Géomètre officiel chargé par la Cour Internationale de Justice de délimiter la frontière entre les deux pays, j’allais pouvoir mettre en parallèle le journal de tournée de mon père, qui avait parcouru cette région en tous sens il y a plus de quarante ans, avec les conclusions de l’arrêt de la Cour , dont je venais de relire le texte 1 .

Nous avions décidé de commencer par le début. Pourquoi pas ? Nous avons donc commencé par reconnaître le Point “A”. Sa position sur la carte avait déjà été prédéterminée par la Cour comme devant être le point de départ du tracé frontalier dans la zone litigieuse, à proximité du village de Lofou. Il fallait calculer les coordonnées géographiques dudit point, vérifier sur le terrain la conformité de la position théorique et commencer le maillage des points de densification géodésique. Je me doutais bien qu’ici ils n’auraient probablement jamais assez de crédits pour procéder à une opération de photogrammétrie de la région. Mais, s’ils le souhaitaient, ils pourraient au moins disposer du canevas que nous étions chargés de mettre en place. Il suffisait donc de regarder la carte et de suivre le tracé fixé par la Cour . Après avoir localisé le point “A” sur le terrain, du côté de Lofou, on passerait ensuite au point “B”, puis au point “C” et ainsi de suite jusqu’au point “M” sur lequel on fermerait notre parcours de reconnaissance. Comme notre groupe s’était spontanément rassemblé sous le feuillage clairsemé du gros baobab d’Orotingo, nous avions décidé que la position approchée du point “A” se trouverait juste à côté du baobab. Il était prévu qu’une borne topographique serait installée ultérieurement sur le site afin de matérialiser cette position.

Cette décision collective allait tout à fait dans le sens de mes pensées les plus intimes. Du plus loin que je remontais dans mon enfance africaine, j’avais toujours éprouvé une tendresse particulière pour le baobab. A chaque fois que je rencontrais un de ces géants de la brousse, je m’approchais de lui pour flatter son écorce rugueuse et invoquer sa puissance rassurante. J’escaladais ses énormes racines qui jaillissaient des profondeurs de la terre pour s’élancer à l’assaut du tronc ; j’essayais de mesurer l’énormité de son corps dont ne naissaient, à une altitude vertigineuse, que ces moignons de branches partant chatouiller les nuages.

Encore aujourd’hui, je me souvenais de ces jours anciens où, Le-roux, mon frère et moi, avions passé notre première nuit africaine à la belle étoile. Petits scouts confrontés à leur premier défi, nous devions décrocher notre badge de campeur-explorateur pour avoir le droit de continuer avec les autres. Besoin de reconnaissance ? En tous cas, notre épreuve initiatique nous obligeait à camper, pendant deux jours et une nuit, dans ce qui m’apparaissait alors comme le tréfonds de la brousse sénégalaise, et qui, en vérité, ne devait guère être situé qu’à une cinquantaine de kilomètres tout au plus de la vieille ville de Saint-Louis. Sitôt abandonnés sur la piste par mon père, nous nous réfugiâmes prudemment sous le baobab qui régnait sur les alentours. A cet âge incertain où l’on n’est plus un enfant sans être encore un adulte, embrasser le tronc protecteur, c’était pour nous comme Antée retrouvant ses forces en mettant pied à terre.

C’était aussi dans l’orbite tutélaire du géant que s’était blotti le village Toucouleur. Mais, nous n’avons pas osé franchir son enceinte. Ramassé sur lui-même, avec ses remparts de banco et ses cases encapuchonnées de paille, le village ne pouvait représenter pour nous qu’un refuge de dernier recours. Pendant que nous tentions d’adosser notre pauvre abri de branchages à l’énorme tronc, les femmes du village passaient à côté de nous de leur démarche chaloupée, vacant à leurs occupations ménagères. Avec le buste droit des cariatides et cet air un rien guindé que confère le port de la calebasse sur la tête, elles regardaient avec un sourire moqueur ces jeunes Blancs se battre contre les branches d’épineux dont ils espéraient couvrir leur hutte. Avec un brin de commissération amusée, la plus hardie nous lança la première pique : — Où l’est maman ? Où l’est papa ?
Puis, au fur et à mesure que tombait la nuit, elles se mirent toutes à défiler devant nous en babillant : — Où l’est maman ? Où l’est papa ? en tapant dans leurs mains en cadence tandis que, sur leurs têtes, les calebasses se mettaient à dodeliner dangereusement.
Evidemment, notre fierté d’adolescent était mise à rude épreuve. La nuit africaine nous délivra de ces luronnes tout en instillant son inquiétant mystère. Ce fut pour nous une épreuve autrement plus redoutable. Nuit noire, nuit blanche, elle fut passée à regarder tourner le ballet des constellations pour éviter d’entendre les mille bruits de la brousse : le vent dans les feuilles, le crissement des insectes, le rire lointain de l’hyène ou le pas sautillant du chacal. A l’aube, à l’heure où d’habitude le sommeil finit toujours par terrasser les peurs enfantines, le point culminant de la courbe d’adrénaline fut atteint avec l’arrivée inopinée d’un phacochère. Attila déboulant devant les portes de Paris ne dût pas provoquer plus d’effroi. Venu nous rendre une visite de voisinage, il déclencha entre nous un concert de chuchotis : — Croyez-vous qu’il nous ait vus ? — Je crains que ce soit pire, il t’a senti ! — Il eût mieux valu qu’il te voie ; il aurait eu peur !
En définitive, nous finîmes la nuit serrés les uns contre les autres et en claquant des dents. Je crois que c’est à ce moment-là que nous avons gagné notre badge de campeur-explorateur.
Instinctivement j’avais fermé les yeux, autant pour me protéger de l’intense réverbération que pour mieux retrouver mes souvenirs. Ces pensées me firent plonger à nouveau dans le carnet de voyage de mon père. Nos itinéraires n’allaient pas tarder à se croiser.

Il se retourna machinalement et il la vit. Elle était encore là, la montagne ! Il n’avait plus fait attention à elle depuis leur départ et il fut à nouveau surpris de sa présence noire et proche. Bien que la petite caravane eût quitté Hombori depuis la veille, elle continuait à

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