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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 octobre 2010 |
Nombre de lectures | 172 |
EAN13 | 9782336265230 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
© L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296125889
EAN : 9782296125889
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Quelque part dans le sud de la France, 1921 Quelque part dans le sud de l’Angleterre, 1921 Chapitre I - La première lettre CHAPITRE II - ENTRE LES LIGNES CHAPITRE III - LA DERNIÈRE LETTRE Écritures
Sweet enemies
Alexandre Bouret
Quelque part dans le sud de la France, 1921
R aoul avait été jeté seul dans la vie. Il avait sept ans, et tout ce que l’on faisait désormais pour lui n’était engendré que par la pitié et la mauvaise conscience. Raoul se contentait de ne pas trop souffrir ; moins qu’avant, lorsque le visage de sa mère avait disparu. La douleur le tenait en repos à présent. Il ne s’en souvenait plus. Le vieil abbé auquel il avait été confié provisoirement observait passivement sa croissance, comme celle du poirier qui s’étalait dans toute sa gloire contre le mur tiède du jardin. L’orphelin promettait d’avoir de belles dents et les épaules larges.
Pendant les messes, et alors qu’il était tenu enfermé dans l’entrée de la cure, il se réchauffait aux rayons filtrés par la poussière des carreaux. Et lorsque l’ennui devenait trop grand, il suivait de son doigt le contour des formes lumineuses projetées sur le sol et leur mouvement lent, presque imperceptible. Son terrain de jeu était le cadran de sa longue attente. Lassé, il s’endormait. Sournoisement, la lumière filait sur les dalles, se détournant du petit corps ; et les cloches le réveillaient dans la pénombre. Il n’avait pourtant pas bougé.
Il se levait pour guetter le vieil homme revenant par la ruelle de pavés usés qui menait de l’église au presbytère. Comme le vol lourd de l’oiseau d’hiver, la robe noire apparaissait enfin et grossissait jusqu’à la porte. Celle-ci s’ouvrait et la soutane entrait lentement, accompagnée de l’odeur moussue des poires attardées sur l’arbre, figées dans le gel prématuré.
Raoul regardait fixement le curé. Il avait peur qu’il ne le connaisse plus, que les hommes l’emmènent de nouveau. Comme le grain lancé aux poules, un coup d’œil sec lui donnait la réplique.
À l’arrière de cet abri où il semblait avoir été oublié de tous, Raoul avait entendu les grognements d’un cochon et le bruit mouillé de la boue où il s’enfonçait. Un jour, les hommes étaient venus lui tenir le museau pour lui enfoncer un couteau dans le cou. Raoul était rassuré ; ils ne venaient pas pour le prendre encore. Le cochon avait hurlé longtemps ; crié comme un enfant. Mais cela n’avait servi à rien. On le lui avait bien dit. Cela ne sert à rien de pleurer.
Le coq chantait encore. Ce serait bientôt son tour à lui aussi ; et Raoul se disait qu’il avait aussi une chance de partir après lui.
Le reste du temps passait comme un grand vide.
Quelque part dans le sud de l’Angleterre, 1921
L e jour de l’anniversaire de Lizzie était enfin arrivé. Georgina, sa mère, affectionnait particulièrement le moment du goûter, qui avait toujours été son repas favori. On le prenait où l’on voulait, sans heure fixe, et le sucré et le salé se succédaient sans ordre imposé. Les fillettes étaient réunies autour d’un buffet dressé sur la terrasse, où la bonne Polly servait du jus de pêche. En cuisine, on avait travaillé depuis la veille pour offrir un grand nombre de pâtisseries et de sucreries, dont la plupart étaient d’inspiration française : génoise roulée à la confiture, mousse glacée aux fraises, éclairs au chocolat et à la vanille, petits pains fourrés, sandwiches, et fruits au sirop. Des poules et des oisillons venaient picorer les miettes autour des invitées amusées. Amanda avait offert une jolie poupée à Lizzie. Ses cheveux étaient blonds et bouclés. Elle portait une robe de dentelle blanche qui sentait bon. Ses yeux bleus restaient toujours ouverts.
Toutes ces demoiselles menaient une vie rassurante, réglée comme une horloge, entourées de leurs parents. Leurs mères étaient arrivées avec elles, une à une, s’avançant comme des oies prêtes à pondre, et tout en parlant bas de leur voix précieuse, saluaient leur hôtesse par un usage immodéré de superlatifs, utilisant pour désigner tel ou tel enfant des surnoms divers et variés, le tout sonnant comme un langage codé que seul ce petit cercle semblait pouvoir comprendre.
La gouvernante se contentait de les surveiller discrètement, Georgina ayant donné des consignes à cet effet. « C’est la journée de Lizzie ; prenez garde à ne pas trop les ennuyer ! » Georgina se faisait pourtant une idée exagérée à la fois du sérieux et de la sévérité de Martha. Elle ignorait, ou feignait d’ignorer que les premières heures de la matinée, supposées consacrées à l’arithmétique et à la logique, étaient en réalité transformées en parties de cartes à l’initiative de la gouvernante, ce qui ennuyait d’ailleurs profondément les enfants qui détestaient ce rôle de partenaire de jeu obligatoire.
On jouait à chat, quand Lizzie eut une idée merveilleuse pour égayer ces jeux un peu convenus. Pourquoi ne pas organiser une chasse à l’enfant ? On chassait bien le renard ! Les chiens de la maison n’avaient rien de commun avec les limiers utilisés pour la chasse à courre, mais ils feraient bien l’affaire.
— Maman, pouvons-nous libérer les chiens ? Mes amis souhaitent organiser une chasse à l’enfant.
— Quelle bonne idée, ma chérie ; mais ils dorment en ce moment ; on ne réveille jamais un chien qui dort. Alors ce sera pour une autre fois.
Déçue mais obéissante, Lizzie demeura à côté de sa mère un instant. Regardant les autres filles jouer, elle sentit qu’elle commençait à s’ennuyer et rejoignit sa chambre. La fenêtre était restée ouverte, et puisqu’elle n’avait pas de barreaux comme celle de la nursery, elle se hissa sur une chaise en levant sa robe. Elle enjamba le rebord pour s’y asseoir et contempler l’immense campagne verte. Déjà l’ennui.
Martha la rattrapa quelques minutes plus tard, suant d’essoufflement et de frayeur. « Voulez-vous mourir ? cria-t-elle en l’arrachant de son perchoir par le bras. Vous ne perdez rien pour attendre ! »
Mais Martha ne répéta rien, puisque la faute était sienne. Et la journée s’acheva lentement. Couchée dans son lit, Lizzie tarda à s’endormir. Elle réfléchissait. Puisqu’on lui laissait le choix, elle décida qu’elle ne voulait pas mourir. Elle ne mourrait pas.
Chapitre I
La première lettre
Richmond, Angleterre, 4 août 1990
E lle s’assoit un moment au bord du lit avant de se lever, les yeux fixés au sol. Elle a mal dormi. Elle n’a pas reçu de lettre depuis trois semaines. Elle rassemble ses forces et se hisse enfin sur ses jambes. Les vêtements de la veille sont posés sur la chaise ; une jupe grise, un chemisier blanc, et une veste de laine. Elle s’habille et enfile ses chaussures noires. Son petit déjeuner avalé en vitesse, elle attend l’arrivée du fourgon postal derrière les vitres du bow-window. Elle est maintenant certaine qu’elle recevra quelque chose aujourd’hui. Il le faut. Le ciel est sans nuage. Elle a presque déjà trop chaud dans la lumière. Elle lisse ses cheveux blancs et rajuste ses barrettes. Le facteur ne doit pas remarquer qu’elle n’a pas fait sa toilette.
Il est presque onze heures. Dans une minute, il sera en retard. La voiture des postes arrive enfin et s’arrête. Elle ouvre la porte.
— Une lettre pour vous, Lizzie !
— Un problème avec le centre de tri, sans doute. Mais elle est quand même arrivée ! Elle sourit.
— Non, aucun problème. Regardez, elle a été postée il y a deux jours seulement. Mais on s’est rattrapé il me semble ; il y a aussi ce colis. À demain !
Ignorant le carton gris posé à ses pieds, elle vérifie le cachet postal. La lettre a été postée le 2 août. Le format de l’enveloppe est identique, et la qualité du papier aussi. Mais ce n’est pas la même écriture. Une chaleur désagréable monte dans sa poitrine. Un flot de salive envahit sa bouche. Elle arrache le cachet.
Madame,
J’ai l’immense regret de porter à votre connaissance le décès du lieutenant James Maclennan. Il a succomb