Tenez-vous droit
275 pages
Français

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Tenez-vous droit , livre ebook

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Description

"Le service de cancérologie du CHU de Nantes était énorme. J'aurais pu m'y perdre s'il n'y avait eu un contre-stéréotype d'infirmière pour m'orienter dans les méandres de ma destinée...
Je fus reçu par un médecin qui avait l'air adorable - ils existaient donc. Quand les images de mon intérieur nous parvin­rent, il les examina avec soin et me dit dans un sourire jaune : "Tout va bien, vous pouvez rentrer chez vous !"

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2010
Nombre de lectures 75
EAN13 9782336250120
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296137837
EAN : 9782296137837
Sommaire
Page de Copyright Du même auteur Page de titre Première partie
I II III IV
Deuxième partie
I II III IV
Troisième partie
I II III IV
Écritures
Du même auteur
Nouvelles
Derrière les Vagues , dans le recueil Dernières Nouvelles du Berry , L’Harmattan, Paris, 2007
Tenez-vous droit

Perrine Andrieux
La vie c’est comme les cafards; croustillant en dehors et amer en dedans.
Première partie
I
T out commença par un sourire et une poignée de main. « Bonjour monsieur, asseyez-vous. Qu’est-ce qui vous amène ? »

Le médecin était jeune et assez laid, avec des cheveux si raides qu’on aurait juré de la paille et de longues pattes comme ça n’était plus la mode depuis l’adolescence de mes aïeuls. Je lui expliquai ma petite forme, mon mal de dos, mon mal de ventre. Sur le bureau, on pouvait voir la photo d’une femme assortie au docteur. Sur le mur, un dessin d’enfant ; c’était le seul détail un peu joli de l’ensemble de la pièce. Je conclus par : « Finalement, je ne sais pas du tout ce que ça peut être. »
Ce fut à : « Il y a du sang quand je fais pipi » que le docteur fronça les sourcils. Il me fit déshabiller et je m’allongeai, nu comme un ver qui aurait gardé ses chaussettes et son caleçon, sur la fameuse chaise longue recouverte d’un papier si fin qu’il énerve tout le monde quand il se déchire. « Voyons ça d’un peu plus près ». Le docteur me toucha de partout. J’attendis avec patience qu’il diagnostiquât le mal qui était sans doute en train de me ronger.
Je me mis à l’imaginer avec sa femme, son gamin et les détails ordinaires des univers familiaux, notamment un animal de compagnie avec un nom Ridicule puisque c’était l’année des R. Je les voyais tous les quatre dans ma tête, au salon, en train de lire l’intégrale des bouquins d’Harry Potter le gentil sorcier, Ratatouille sur l’épaule de l’homme qui était en train de me toucher le corps avec un mélange de vivacité et de minutie.
Comme je l’imaginais bien… assis proprement sur un canapé aux motifs laids, avec une plante verte laide quoiqu’en pleine santé et son fils en train de manger un Kinder dans un bruit infernal, le gentil Ratafia lové à ses pieds. Une famille d’êtres gentils, qui accordaient peu d’importance au paraître mais beaucoup d’importance à l’amour et à la propreté. Oui, j’étais sûr que le Dr. Durance et sa femme triaient leurs déchets et se chauffaient au bois. J’étais sûr qu’ils laissaient enfoncée la touche Eco de leur lave-linge et que la nuit, avant de se coucher, ils vérifiaient que tous leurs appareils électriques et électroniques étaient bien éteints ; pas en veille, il faut bien les éteindre sinon c’est tricher.
Le docteur continuait à me palper. Je couinai légèrement quand il me tâta le ventre. Depuis quelques temps j’avais mal aux abdos, ou à l’abdomen, je ne sais pas faire la différence.

- « Depuis combien de temps ?
- Je ne sais pas exactement.
- Très mal ?
- Assez oui, mais je pense que c’est le stress. Enfin, j’en sais rien. »
Je couinai à nouveau et j’eus une petite toux quand il m’enfonça un bâtonnet de glace au fond de la gorge. « C’est bon, vous pouvez vous rhabiller ». Son air stoïque me rassura et je m’empressai de remettre mon gros pull sur le t-shirt Caisse d’Épargne que j’avais eu de ma belle-mère ; je me surpris à en vouloir au docteur d’avoir des vêtements bien moins publicitaires que les miens. Ça n’était tout de même pas de ma faute si ma belle-mère travaillait à la Caisse d’Épargne ! Et puis, on avait des avantages !
S’ensuivit une série de questions sur ma vie, mon passé, et celui de mes parents.

- « Y a-t-il une personne dans votre entourage qui est atteinte de la maladie de Creutzfeldt-Jacob ?
- Non.
- Vous êtes sûr ?
- Oui.
- Sûr sûr ?
- … oui oui ? »
Mon généraliste et son physique caricatural… j’avais l’impression d’être la victime d’un interrogatoire comme dans les films où le héros est suspecté de meurtre par la police de Miami ; alors que ce n’est pas lui, le meurtrier, c’est évidemment le mexicain qui vend de la drogue pour payer les frais de scolarité des six enfants qu’il a eu à droite et à gauche avec de nombreuses femmes, dont la californienne riche et indépendante qu’il a tuée par amour, jalousie et nécessité financière.
Les questions devenaient de plus en plus personnelles et finalement, comme je n’avais aucun antécédent familial, que je menais une vie saine pleine de calme et de marchés bios — ce qui le fit acquiescer de jubilation — et que je ne faisais l’amour qu’à ma femme, il jugea bon de me faire passer des examens. Je demandai :

- « Comment ? Enfin, mais pourquoi ? Vous pensez qu’il y a vraiment un problème ?
- Non, on va vérifier, voilà tout.
- Mais, je veux dire, c’est nécessaire ? Pourquoi vous voulez que je passe des examens ?
- Parce que vous fumez. »
Alors je rentrai chez moi, en roulant prudemment parce que je suis un homme bon. Et puis je passai par le bar-tabac du centre-ville, pour acheter des cigarettes et vérifier si des fois je n’avais pas gagné la super cagnotte de 120 millions d’euros.
Je n’avais pas gagné.
C’était à se demander qui pouvait bien gagner ce genre de jeu et tourner ensuite le globe pour désigner l’endroit de ses prochaines vacances avec sa femme, la pauvre Lucette.
Je pris un air déçu, pour faire comme tout le monde, ou plutôt comme les deux ou trois ratés du quartier qui fumaient au bar en tenant un verre de bière et des discussions navrantes. « Et dire que bientôt on pourra plus fumer ici », « ah ! tous des cons ! », « on n’a plus de liberté en France, y a pu qu’à partir et puis c’est tout, les arabes y nous doivent bien ssa. »
Dans le hall de mon immeuble, je croisai le vieillard du quatrième qui partait acheter une baguette de pain et une petite fouace ; il faut bien se faire plaisir. Il se courbait de plus en plus et on pouvait presque voir la mort s’approcher sournoisement et lui gratter la bosse avec sa faux. Cet homme était sans doute le plus gentil que la Seconde Guerre eût connu. Il était tellement vieux que j’avais du mal à y croire mais je l’aimais bien, même si on ne s’était jamais entendus sur autre chose que des formules de politesse.
Ma femme avait l’habitude d’être belle. Elle sortait de l’école vers cinq heures, après avoir rendu ses écoliers à leurs parents, et elle rentrait chez nous. C’était une maîtresse d’école adorable et adorée, du genre qui apprend beaucoup de choses et qui n’a pas besoin de mettre de punition, ce qui était rare à cette époque où Wikipédia et Google remplaçaient respectivement les exposés d’Histoire et les cerveaux. Les réunions de parents d’élèves se transformaient en chorale de Noël où l’on chantait les louanges de ma femme. J’étais fier comme un bar-tabac, voire comme Artaban, et je me targuais de la savoir porter mon nom ; on se flatte comme on peut.
J’étais amoureux de la tête aux pieds. J’aurais fait n’importe quoi pour elle et j’avais déjà fait n’importe quoi quand il avait fallu la séduire, au moment où l’on doit être spirituel et malin ; il y avait de ça à peine plus d’une demi-douzaine d’années mais ça me semblait une éternité dans la mesure où je ne me souvenais plus de comment j’avais été avant elle. Elle était magique, j’avais été ensorcelé et au lieu de m’en plaindre, je rendais grâce à sa mère, chaque matin, d’avoir réussi à couver la huitième merveille du monde avec autant de justesse.
Nous étions un couple ordinaire de catégorie B. La catégorie A comprend les couples qui croient s’aimer : ils sont des leurres plus vrais que nature, ils s’appâtent mutuellement et une fois que l’hameçon a transpercé la nageoire, c’est cuit, ils restent comme ça jusqu’à leur mort. Les leurres restent attachés l’un à l’autre sans savoir pourquoi, alors ils font du mieux qu’ils peuvent et finissent par trouver leur compte dans les écailles en plastique de l’autre. Ils sont heureux, dans la mesure du raisonnable, jusqu’à ce que l’un des deux se décroche, et alors celui qui reste pleure toutes les larmes de ses grands yeux de petit leurre.
Dans la catégorie B, il y a tous les couples qui s’aiment et qui le savent parce que ça fait boum boum. Nous, ça faisait boum boum à l’intérieur du cœur, du ventre, des genoux, ou encore au fond des yeux ; ça d&

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