Un cri
118 pages
Français

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Un cri , livre ebook

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Description

Tu avais trente-cinq ans et tu étais belle, belle comme une vache. Notre petit Julien te l'avait dit avec tant d'amour qu'après un moment de surprise tu l'avais remercié pour ce drôle de compliment. Mi-vexée, mi-amusée, tu étais partie avec moi dans notre dernier fou rire. J'ai pensé te rejoindre, rouler en moto à toute vitesse, prendre la route des Crètes et faire un vol plané en sautant du Cap Canaille mais Julien était là, avec ses grands yeux perdus, son corps maigre et sa confiance effrayante qui me rendait invincible.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2010
Nombre de lectures 259
EAN13 9782336261218
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Collection
Amarante
EL SHAÏR (juillet 2010) Virginie Buisson
LE GRAND CIEL (juillet 2010) Chantal Saragoni
LA POSITION DU DEMISSIONNAIRE (juillet 2010) Fabrice Gourdon
L’IMPOSTEUR (mai 2010) Amine Issa
HISTOIRES DE VIEILLIR (mai 2010) Entre fiction et témoignage Catherine Artous
AUX QUATRE VENTS (mars 2010) Roman Arnaud Freyder
L’ALIÉNÉE (mars 2010) Roman Myriam Kissel
DOUBLE TOUR (février 2010) Roman Marguerite Bourdet
LA CARPE MIROIR (février 2010) Roman Patrice Haffner
ENTRE AMOUR ET AMERTUME (juillet 2009) ... et nous quittâmes fAlgérie, meurtris Djilali Boukhari
CHASSES (FEMMES, OISEAUX, INSECTES) (décembre 2009) Récits Bruno Sibona
Un cri

Didier Tassy
Sommaire
Collection - Amarante Page de titre Page de Copyright
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296126336
EAN : 9782296126336
Un cri. Un cri qui déchire.
De sa gorge est sorti ce cri qui n’en finissait pas. C’était insupportable mais le silence qui allait suivre m’angoissait plus encore.
Son sourire lumineux m’avait accueilli puis son visage s’était assombri lorsqu’il avait croisé mes yeux. Les mots que j’avais répétés cent fois pendant le voyage étaient sortis hachés dans les soubresauts de ma voix.
Notre petit garçon de onze ans m’a écouté, s’est serré contre moi puis s’est éloigné jusqu’à la limite de la falaise et a crié. Sans pleurer. C’était un cri désespéré, interminable. Un hurlement de bête.
Depuis les premières heures du matin, lorsque le téléphone avait sonné, je savais que je devais y aller. Mon frère m’avait accompagné jusqu’à la maison de Cogolin dans laquelle vous étiez venus passer une semaine de vacances mais il n’y avait plus rien à voir.
Au téléphone, avant de partir j’avais demandé :
– C’est très grave ?
– Viens c’est terrible, ils sont…
– Ils sont ?
– Viens…
Nous avons fait, mon frère et moi, ce voyage inutile. Une heure et demie de route sans échanger une parole. J’aurais détesté qu’il parle. Dans une pièce obscure, une belle-sœur, un oncle. Je revois leurs lèvres qui bougent mais je n’écoute plus. Nous repartons. Encore une heure de route. Il faut le lui dire.
Le bonheur de me voir puis l’inquiétude dans ses yeux.

Julien, notre enfant, criait sur le flanc de cette colline. Je l’ai emmené vers une nouvelle vie dans laquelle nous n’étions plus que deux. Le regard qu’il me portait était si lourd de confiance que j’en tremblais. Un oiseau qui n’a pas encore volé, penché au bord du nid.

Le chemin du retour, une impression de flottement, la sensation de ne pas être concerné. Puis le chagrin qui s’insinue dans mes veines, lentement, inexorablement. J’ai le ventre dur, les dents serrées.
Un cri muet : non, ce n’est pas vrai.
Je conduis la voiture, j’écoute le vent qui hurle dans les arbres, je vois les gouttes de pluie qui coulent sur le pare-brise.
Non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas arrivé.
Retrouver la maison, descendre l’escalier, fouler la pelouse que tu m’avais demandé de couper, que je n’avais pas tondue. Des frères, des parents nous attendent, tous prostrés, hagards, ahuris.
Julien entouré de trop de bras et moi qui vais jusqu’à la cuisine.
Sur le Frigidaire un mot de toi que je n’ai pas vu hier soir :
« Jupe chez le teinturier, rue d’Endoume. »
Quel jour est-on ? Dimanche. J’irai demain.
Oh mais pour quoi faire ?
La nuit tombe. Je leur demande de nous laisser seuls.
Un silence épais. Julien pose sa tête sur mon bras dont je retiens les frissonnements et s’endort.

Cette première nuit, je n’ai pas fermé les yeux.
Les images déferlaient. Des souvenirs récents, des pleurs, les naissances des enfants, des pleurs.
À côté de moi, à ta place dans notre lit, un petit être frêle dormait. Il était ce qui restait de nous.
J’imaginais que tu me parlais. Tu avais confiance en moi, je n’avais pas le droit de baisser les bras.
Je m’oubliais pour ne plus penser qu’à lui, mon amour devenu unique mais aussi mon rôle, mon devoir.
En faire un homme.
Que nos fils soient des hommes mais jamais des adultes.
Je souriais dans ma tristesse au souvenir de cette phrase tombée d’une chanson. Julien portait une de mes chemises, son corps tout fin perdu au milieu de ce vêtement rassurant.
Les nuits suivantes, je dormais quelques heures et lorsque je me réveillais, pendant quelques secondes, tout était comme avant. La maison allait résonner de vos bruits mais j’ouvrais les yeux et le désespoir m’envahissait, les images de toi et des enfants m’arrivaient et chassaient le sourire inconscient de mon réveil.
Un matin, alors que je me rasais, je l’ai vu à côté de moi. Il mimait mes gestes et passait un rasoir sans lame sur ses joues angéliques couvertes de mousse. Il voulait tant s’identifier à moi que c’en était démesuré. Que mon enfant, notre enfant ait besoin de moi si fort me donnait une raison de vivre.

Mon métier me semblait dérisoire. Me lever, prendre ma moto comme les jours où vous étiez tous là, faire prospérer cette entreprise qui était ma fierté puisque je pouvais me raconter à toi, le soir, une fois les enfants couchés ?
À qui dire ces victoires devenues insignifiantes maintenant ?
Pendant les premières années de notre vie à deux, nous n’avons mangé que des pâtes. Tous les jours. Ça te faisait rire et tu me regardais avec une admiration que je ne pensais pas mériter mais qui me portait ; je me sentais sur un tapis volant. Je t’aimais quand tu me disais que j’y arriverais.

Dans mes rêves, je te voyais.
Tu étais là, à quelques mètres de moi, dans un campement aux tentes grises au milieu d’une foule de visages d’un blanc de craie. Belle, si belle. Les ombres erraient sans fin, comme une colonie de fourmis. Je criais, je t’appelais mais un mur de verre nous séparait.
Une image revenait : nous étions dans la salle de bains, ton corps sentait encore le soleil. Une grand-mère fortunée t’avait invitée en Italie avec les enfants. J’avais refusé de venir, je n’aimais pas être acheté. Indulgente pour mes caprices, tu n’avais pas insisté.
Pendant ce séjour, un jeune italien avait voulu partager avec toi une bouteille d’Orvieto dans sa chambre. Tu l’avais repoussé mais tu avais gardé dans l’œil cette étincelle qui rend les femmes magnifiques.
Je détestais ce phraseur, sa jeunesse et son teint hâlé.
Il avait du goût puisque tu lui plaisais mais il n’avait aucune chance, celui que tu aimais c’était moi, tu me l’avais dit en me demandant de te passer une serviette.

Tu avais trente-cinq ans et tu étais belle, belle comme une vache. Notre petit Julien te l’avait dit avec tant d’amour qu’après un moment de surprise tu l’avais remercié pour ce compliment qui avait fait couler des larmes sur mes joues, je ne pouvais plus m’arrêter.
Mi-vexée, mi-amusée, tu étais partie avec moi dans notre dernier fou rire. D’autres larmes ont coulé plus tard. Personne ne les a vues, celles-là. On rit à plusieurs, on pleure seul.
Les premiers jours, les premières semaines, le malheur est dissimulé dans la brume. Un océan aux vagues immenses obscurcit l’horizon, laissant un homme désorienté qui lève la tête pour ne pas boire la tasse, un malheureux qui ne connaît pas encore sa détresse. À la nuit, épuisé, je me couchais à côté de lui, je sentais sa petite main qui rampait jusqu’à moi et repartait rassurée. Puis un jour, la mer devient calme et le malheur enlève son déguisement. L’étau de l’absence, de l’irrémédiable. La mort, cette imbécile.
J’ai pensé vous rejoindre, rouler en moto à toute vitesse, prendre la route des Crêtes et faire un vol plané en sautant du cap Canaille mais Julien était là, avec ses grands yeux perdus, son corps maigre et sa confiance effrayante qui me rendait invincible.
Je l’ai aimé comme si j’avais enserré tout ce que je ressentais pour toi, pour notre garçon et nos petites filles. Je ne crois pas que l’amour s’additionne mais il était un peu chacun de vous.
Un soir, il m’a demand&

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