Tribord et Bâbord
80 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Tribord et Bâbord , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
80 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Extrait : "Vers l'année 1810, Jean Tulipeau était revenu à Rouen, sa partie, après avoir reçu, dans une des plus glorieuses batailles de l'Empire, une blessure grave qui avait mis le ministère de la guerre dans l'obligation d'accorder à ce serviteur, encore jeune, une modeste retraite de capitaine, grade immédiatement supérieur à celui qu'il avait acquis à l'armée. Les épaulettes de lieutenant de la jeune garde, trois blessures de premier ordre..." À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 16
EAN13 9782335068726
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335068726

 
©Ligaran 2015

Le roman de huit jours
I
Vers l’année 1810, Jean Tulipeau était revenu à Rouen, sa patrie, après avoir reçu, dans une des plus glorieuses batailles de l’Empire, une blessure grave qui avait mis le ministère de la guerre dans l’obligation d’accorder à ce serviteur, encore jeune, une modeste retraite de capitaine, grade immédiatement supérieur à celui qu’il avait acquis à l’armée. Les épaulettes de lieutenant de la jeune garde, trois blessures de premier ordre, une mention honorable au Moniteur , et l’espoir d’obtenir un jour la décoration de la Légion-d’Honneur, tels étaient les avantages les plus positifs qu’eût retirés Jean Tulipeau des dix-huit à vingt années qu’il avait noblement consacrées à la défense de son pays.
Une fois rendu à ses foyers et à ses pénates, notre capitaine retraité, resté presque sans famille et sans patrimoine aucun, ne prit guère d’autre peine que de dépenser le plus joyeusement possible, avec quelques amis aussi insouciants que lui, la faible rente trimestrielle que lui faisait ponctuellement la munificence rémunératrice du gouvernement. Mais comme les ressources qu’il puisait à chaque terme et avec la plus scrupuleuse exactitude dans sa pension, ne suffisaient que fort médiocrement aux besoins que lui avaient fait contracter les habitudes que l’on se crée assez ordinairement dans la vie des camps, notre officier était fort souvent conduit à faire à la bourse de ses camarades, des emprunts dont sa délicatesse ne laissait pas que de gémir fort douloureusement quelquefois. Un parent fort éloigné, un de ces cousins sans conséquence dont la race collatérale ne tarit jamais, le seul proche enfin qu’il eût conservé, le voyant réduit, par la prodigalité de ses penchants et l’oisiveté de son existence, à la situation la plus gênée, lui conseilla de prendre un parti décisif, désespéré, pour rétablir l’équilibre, un peu dérangé, de ses affaires.
– Jean, lui dit un jour ce parent, il faut te marier.
– Et à qui veux-tu que je me marie ? lui demanda Jean, qui jamais encore ne s’était imaginé que quelque femme que ce fût pût vouloir se charger de faire légitimement son bonheur et sa fortune.
– À la veuve de ce teinturier en rouge des Indes, qui vient de laisser une place vacante, répondit le parent de Tulipeau.
– Et qui me présentera à cette veuve ? dit Jean en se papillotant le bout de la moustache d’un air déjà moitié vainqueur.
– Moi ! répliqua le conseiller officieux. Madame veuve Trionnet a tout au plus trente-huit ans, quelques amis même ne lui en donnent que trente-sept. Elle n’est pas belle, il est vrai, mais elle a pour elle un caractère excellent qui rachète et au-delà ce qui peut lui manquer du côté des avantages insignifiants de la figure. C’est elle qui, du vivant de son mari, menait les affaires de sa maison, que l’on cite pour une des premières de Rouen dans la teinturerie. Pas d’enfants, un établissement tout monté et en bon train, voilà son avoir. Plus d’état, pas mal de dettes et Sainte-Pélagie en perspective, voilà le tien. Et crois-tu qu’en faisant une bourse commune de ce que tu possèdes, et des ressources que peut t’offrir madame Trionnet, tu risquasses de passer un si mauvais marché ?
– Non, reprit Tulipeau, ce n’est pas de faire un mauvais marché que j’ai peur, mais c’est de ne pas réussir à conclure celui que tu me proposes, que je tremblerais. Et puis, vois-tu, c’est que tel que je me connais, je suis si timide et si gauche avec les honnêtes femmes, que je craindrais d’être repoussé avec perte par la veuve du teinturier en question.
– Mais si je me charge de tout bâcler entre toi et madame Trionnet, excepté, s’entend, ce qui, une fois le mariage en bonne voie d’arrangement, ne regardera plus que toi ?
– Ah ! dans ce cas-là, on pourrait peut-être se hasarder à te laisser attaquer la place. Mais c’est qu’on la dit si à l’aise, cette grosse teinturière !
– Et toi si gêné dans tes comptes-courants ! Est-ce qu’une femme riche n’est pas toujours faite, d’ailleurs, pour l’homme qui n’a plus le sou ? Prépare-toi dès aujourd’hui même à être présenté à la veuve inconsolable que je vais te charger de consoler en deux temps, trois mouvements. L’établissement de l’Eau-de-Robec demande un maître, la veuve réclame un nouveau mari. Tu seras bientôt mari et maître de la veuve et de l’établissement, et après avoir teint glorieusement tes mains dans le sang des ennemis de ta patrie, il ne te restera plus qu’à les teindre dans le rouge des Indes de la femme adorée qui va faire ta félicité et ta petite fortune.
Le soir même de cette conversation, notre officier se laissa docilement présenter par son parent chez la teinturière de l’Eau-de-Robec. Tulipeau, sans être très remarquablement beau ni trop invinciblement aimable, avait à peu près dans sa figure et sa conversation tout ce qui plaît assez ordinairement aux femmes peu distinguées ; et malgré la timidité que le capitaine en retraite se flattait d’avoir conservée en face des beautés honnêtes, il se montra si galant dans cette première entrevue, que son parent lui assura que pour peu qu’il continuât à tirer parti de ses avantages personnels auprès du sexe, il réussirait à subjuguer, en moins d’une semaine, le cœur de la riche industrielle. Tulipeau, enhardi par ce pronostic flatteur, renouvela ses visites, devint de plus en plus pressant auprès de sa conquête ; et comme il y avait dans son fait beaucoup plus de calcul égoïste que de véritable entraînement, il fit ce qu’il appelait le siège de sa citadelle avec une exactitude si militaire, qu’il finit par arracher à la belle assiégée la promesse d’une reddition complète pour le moment où le temps du veuvage, strictement exigé par les lois, lui permettrait de convoler à un second hyménée. Au bout d’une année de deuil, madame Trionnet, en effet, accorda publiquement et solennellement sa main à celui qui lui avait fait oublier, en moins de trois mois, le souvenir du défunt ; et un bon contrat de mariage, dressé sous l’empire du régime communal, vint sceller le bonheur du capitaine retraité, en lui offrant le moyen de payer ses petites dettes arriérées et d’autres, en même temps que la tranquille possession d’un établissement connu, achalandé et en pleine prospérité.
L’union presque fortuite dont nous venons de retracer brièvement l’histoire fut douce et paisible, comme toutes ces sortes de mariage dans lesquels les époux mettent en commun des goûts sages et modérés, et non ces passions orageuses qui troublent si souvent la sérénité des jeunes époux. On sait assez, d’ailleurs, que de tous les maris qui font la gloire de l’hyménée, il n’en est guère qui puissent être cités avec plus d’avantage que les anciens militaires, sous le rapport de l’excellence des qualités conjugales. En voyant même quelquefois la résignation de caractère que tous nos vieux guerriers apportent généralement dans la pratique de leurs devoirs matrimoniaux, on serait tenté de supposer que la vie des camps contribue plus qu’on ne le pense à les préparer et à les initier à la stricte observation des vertus domestiques. Satisfait de trouver dans son nouvel état et auprès de sa laborieuse épouse l’aisance qui lui permettait de se livrer à son penchant assez prononcé pour une existence commode et uniforme, Tulipeau se soumettait sans peine à la domination que sa femme exerçait autour d’elle pour la prospérité de son établissement. Seulement, lorsqu’un débiteur difficile ou récalcitrant s’avisait de laisser languir une facture ou un billet déjà échu, le chef nominal de la teinturerie redevenait le belliqueux officier d’autrefois pour intervenir dans des débats dont il avait jusque-là négligé fort souvent tous les petits détails ; et c’est alors que madame Tulipeau s’applaudissait, avec un noble orgueil d’épouse, d’avoir su donner, comme elle le disait ingénument, un porte-respect à son commerce, et un ministre de la guerre aux affaires de sa maison. Mais à ça près des occasions assez rares où la présence toute virile de M. Tulipeau était invoquée pour soutenir l’honneur de la raison sociale, son rôle fictif de gérant d’établissement industriel le réduisait, sous le point de

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents