Tour de France, une belle histoire ?
206 pages
Français

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Description


« Qu'on ne s'y trompe pas. Le Tour nous trouble. D'abord parce qu'il est sans doute la plus ordinaire des aventures de l'extrême. Mais aussi parce qu'il nous parle alternativement d'un pays proche (la France) et d'un monde lointain (l'idée républicaine universelle). Prenons bien la mesure. Si le Tour ne nous racontait que des histoires de sports et de sportifs, sa légende mythologique, qui a traversé plus d'un siècle et hantée bien des cerveaux humains les plus brillants, n'aurait pas atteint de semblables sommets. Et nous ne serions pas, ici même, à nous lamenter sur la fin supposée et possible de son histoire. Autant l'avouer, l'envoûtement diabolique de la Grande Boucle a, en apparence, quelque chose d'inexplicable. Tout nous ramène aux hommes et la France dans toute leur exception à condition d'accepter qu'il y eut, dans l'idée même de l'édification de la France, une exception, et mieux encore, une exception républicaine. »


Jean-Emmanuel Ducoin est journaliste à L’Humanité depuis 1986. Longtemps
reporter, il devient chef-adjoint de la rubrique « politique et sociale » en
1997 avant d’être nommé rédacteur en chef du journal en 1999. Éditorialiste,
chroniqueur, il a obtenu le « Lalique 1992 » pour une série d’articles consacrés
aux Jeux olympiques d’hiver, et le prix Pierre-Chany, en 1997, qui récompense
chaque année le meilleur article en langue française consacré au cyclisme. Il couvrira
en 2008 son dix-neuvième Tour de France.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2008
Nombre de lectures 109
EAN13 9782876232327
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

TOUR DEFRANCE, UNE BELLE HISTOIRE?
Jean-Emmanuel Ducoin
TOUR DE UNE BELLE
FRANCE, HISTOIRE?
Photographies de Pierre Pytkowicz
MICHEL DEMAULE
Du même auteur aux éditions Michel de Maule:
Notes d’Humanité(s), Journal d’un effronté(2007).
Conception graphique LES3T STUDIO et Eleonora Marangoni
Couverture: photographies de Pierre Pytkowicz
© ÉDITIONSMICHEL DEMAULE, 2008 41,RUE DERICHELIEU– 75001 PARIS micheldemaule.com
À Jean-Baptiste et Jean-Grégoire (pour leur passion – presque – intacte).
À Émile Besson (qui ouvrit la voie).
À la mémoire d’Abel Michéa et de Pierre Chany.
PROLOGUE
« Le Tour de France est une épreuve de surface qui plonge ses racines dans les grandes profondeurs. » Antoine Blondin.
Un matin, je me suis réveillé seul au creux du lit. Aban-donné et meurtri. Machinalement, comme pour conjurer la réalité, j’ai vite refermé les yeux en quête d’inaccessibles étoiles à décrocher. Puis je les ai rouverts, clignant impercep-tiblement les paupières. C’était pourtant ça. Pas de doute. J’étais bien seul. La passion s’en était allée. Partie sans expli-cation. Sans dire si elle reviendrait ni quand. Aucun mot d’excuse. Juste la sécheresse de l’action brutale. Un grand vide. Une claque dans la gueule. Dans ce grand lit glauque, je me suis retourné. Puis j’ai véri-fié. Seul en effet. Quelle drôle d’idée. Moi, devenu anachorè-te en pleine ville, dont la rumeur me parvenait confusément derrière le volet baissé, voilà qui était grotesque, non-envisa-geable, non-pensable même. L’immense clameur de ma vie semblait se taire. Incompréhensible. Étais-je sourd ? Et pour-
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quoi soudain des frissons parcouraient mon corps à la simple évocation imaginée de ce qui se tramait et de ses consé-quences ? Je me suis redressé sur les coudes, avachi. J’ai regardé droit devant moi. Sur le mur de la chambre, deux vieilles casquettes mises sous cadres et dûment accrochées se toisaient du regard depuis quelques années, à moins de cinquante centimètres l’une de l’autre. Vestiges de générations. Sur le côté gauche trônait celle de Poulidor, donnée de la main même de l’éternel dauphin du Tour, lors d’un critérium à Bagneux, dans les Hauts-de-Seine. Je me souviens que le cir-cuit formait une boucle ridicule qui venait lécher les fenêtres du HLM où habitait ma grand-mère. Déjà chien fou, je n’avais rien manqué du spectacle et, à la fin, après avoir remporté la course, notre Poupou national avait tendu ce couvre-chef de la marque Mercier à un petit blondinet accroché aux basques du maire communiste de l’époque, Henri Ravera, grâce auquel l’offrande fut possible. Je devais avoir huit ans et, bien plus tard, lors de mes débuts comme suiveur du Tour de Fran-ce, cette anecdote qui n’avait l’air de rien ferait sourire bien des confrères journalistes. « Surtout garde-la, elle vaut de l’or, pour une fois qu’il donne quelque chose », m’avait-on dit. À l’évidence, la légendaire radinerie du Français avait vécu, ce jour-là, une défaite merveilleuse. La nuque prise dans l’oreiller, respiration haletante, j’ai de nouveau regardé droit devant, perdu dans les méandres de la genèse d’une passion. La mienne. La description de l’autre casquette, comme une visitation intemporelle, permettait un étonnant bond en avant dans le temps. Au premier regard, on sentait sur ce bout de tissu iner-te la froide modernité d’une époque récente : les couleurs
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rose cru de la Deutsche Telekom. Le précieux trophée avait été déposé directement par son propriétaire dans les mains d’un de mes fils à la fin du Tour 2005, sur les Champs-Élysées, après la traditionnelle et publicitaire parade des Géants de la Route. Vingt ans après Poulidor, c’était Jan Ullrich en per-sonne, cette fois, qui rendait heureux un blondinet moins hys-térique que son père, certes, mais pas moins heureux de ce geste si imprévisible qu’il inspirait le respect éternel. « Je vais la faire encadrer », avait annoncé le fiston, triomphal, le soir même. J’étais d’accord. Mais malicieusement j’avais proposé un voisinage illustre en la personne de Poulidor. Deux objets symboliques valaient mieux qu’un. Et un peu de références historiques n’a jamais nui à la mise en lumière d’une ferveur naissante. Je n’étais pas mécontent de mon coup, d’autant que les deux casquettes encadrées avaient finalement atterri dans la chambre parentale, pour ne pas faire de jaloux, mal-gré la désapprobation générale. Enfoncé en moi, j’avais machinalement remonté les cou-vertures, posant une main sur mon ventre pour le réchauffer. Tentative désespérée. J’ai senti ce creux dans les reins, ce froid tenace que la stupéfaction rendait plus glaçant encore. Dou-leur indescriptible. Sensation de manque. Oppression. Et impossible de chasser l’idée fixe, de la mettre à distance, ne serait-ce qu’un instant. Partie, la passion. Et avec elle une part de ma volonté. La veille encore, je conjuguais le culte à tous les temps, avec la flamme au cœur et au coin des yeux cet air rieur pour jamais charmé d’autant de diablerie. Le cyclisme m’en avait offert, des rêves et des exploits, et comme le disait Blondin, s’il était un sport qui méritait quelques « boursouflures de style », au carrefour de l’homme et de la machine, du sol et du climat, de l’individu et de la société, c’était bien celui-là.
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Un mot poétisant plus qu’un autre. Une phrase volontaire-ment décalée. Une expression philosophique en apparence inappropriée. Un néologisme de trop, encore un. Une tour-nure déplacée ou complexifiée à outrance. Et la critique tom-bait : « Ce n’est que du sport », me faisaient comprendre certains, manière de dire que, Tour de France ou pas, il fallait désormais se soumettre à la normalisation des comptes ren-dus, accepter l’essoufflement du verbe et des esprits. Seule-ment voilà, la légende des cycles tutoie des sommets sans lesquels elle ne serait rien. Et pour être perché tout là-haut, il faut vaincre la banalité, pencher la tête en tapotant le clavier, suer sang et eau jusqu’à ce que la bonne phrase, digne de décrire l’exploit ou la défaillance, se place au bon endroit : l’humanité ne se coupe pas en tranches. Aussi loin que mes souvenirs puissent me ramener en arriè-re, des hommes sur une bicyclette ont toujours hanté ma mémoire, la perforant de toute part, sans répit, sans pause ni ménagement. Tant d’images de bonheur fixées et figées en moi s’associent, d’une manière ou d’une autre, au cyclisme, que son théâtre géographique comme ses acteurs nourrissent mon imaginaire continûment et voisinent, sans honte, avec la philosophie, la littérature ou la politique. Sans hiérarchie. Alors comment moi, après dix-sept Tour de France et des milliers de mots couchés chaque année sur le papier pour livrer sans trac ni amertume mon orgueil et mon estime d’appartenir à cette « grande famille du vélo », oui, comment ai-je pu me réveiller seul un matin au creux de ce maudit lit, hébété, bouche entre-ouverte semblant hurler à la mort : « Petit-Breton, Lapébie, Vietto, Gaul, Coppi, Anquetil, Hinault, où êtes-vous, mais où êtes-vous bordel, pourquoi m’avez-vous abandonné, pourquoi moi ? »
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