Le dernier certif
178 pages
Français

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Le dernier certif , livre ebook

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Description

En cette année 1962, la guerre d'Algérie s'achève dans les pleurs. De Gaulle réclame une élection présidentielle au scrutin universel et un monde nouveau s'ouvre où le certif ne peut survivre... À cinquante ans, l'institutrice Emma Béranger retrouve le village de Saint-André, lieu de souvenirs familiaux douloureux, et s'apprête à inaugurer une nouvelle année scolaire. Belle femme sensuelle et lucide, elle essaie d'affronter son âge et son veuvage avec sérénité mais voit le temps des possibles filer entre ses doigts... Même son métier est là pour le lui rappeler : cette année sera la dernière du certificat d'études. Un examen si précieux autrefois et si dévalorisé désormais qu'elle n'y présentera qu'une seule élève. Autre signe des changements qui s'opèrent en ces débuts d'années 1960, Paul Chabert, un " pied noir " riche et mystérieux, s'installe à Saint-André, bouleversant le village de par son passé et ses différences. Dès leur première rencontre, Emma pressent qu'avec ce bel homme tourmenté, elle pourrait bien réapprendre à aimer. Chez Michel Jeury, c'est toujours l'entrelacs étroit du réel historique, des désirs et des destins qui nourrit la verve romanesque d'une tendresse et d'un charme si particuliers. Comme dans les deux épisodes précédents, nous retrouvons cette justesse affectueuse et ironique avec laquelle il entraîne ses personnages dans un drame que seules leur rigueur et leur bonté permettent de surmonter.
La Suzon Granier précéda Paul Chabert dans le couloir. Une épaisse bouffée d'obscurité entra derrière le visiteur. Le temps était couvert. À cinq heures de l'après-midi, la nuit tombait déjà. Paul Chabert serrait dans sa forte poigne un bouquet opulent, roses et œillets mêlés, de toutes les couleurs. On lisait sans entraves les pensées de la Suzon sur sa longue figure : " Crénom, que ça doit coûter bonbon, à cette époque de l'année, un bouquet comme ça ! Ah non, ça ne se fait pas chez nous, qu'un parent d'élève apporte des fleurs à la dame... " Et puis, après réflexion, son regard se radoucit : " Bah, on vous excuse puisque vous n'êtes pas du pays. C'est sans doute des coutumes d'Algérie. " Chabert esquissa une inclination du front : Mes hommages, Madame. Emma prit le bouquet. Elle fut sur le point de s'en débarrasser dans les bras de la Suzon. " Mes hommages, non, il se fiche de moi ! " Elle choisit de bouder son plaisir. Elle aurait apprécié une entrée plus discrète. Toute la commune saurait bientôt que le pied-noir avait offert une gerbe de roses à la maîtresse d'école. Elle ne pourrait plus passer la moindre peccadille à ses enfants, sous peine d'entendre les parents crier d'une seule voix à l'injustice et au favoritisme. Croyait-il éblouir par sa richesse la pauvre institutrice de campagne, plus très jeune ? Et dans quel but secret ? Bonjour, monsieur. Elle appuya sur "monsieur' aussi fort qu'elle put sans dépasser les bornes de la politesse. Mais pourquoi toutes ces fleurs ? Il répondit sur un ton gêné, maniant le bouquet avec une gaucherie presque comique. - Je les ai achetées à Marseille, à un jeune homme de mon pays, qui vient de s'installer sur le port, dans une cahute. À Oran, il avait un magasin deux fois grand comme votre salle de classe... enfin, je veux dire deux fois plus grand !
Emma rit de son embarras. La Suzon esquissa une sorte de révérence, avant de filer vers la porte à petits pas, en dandinant son maigre derrière. La Suzon, une révérence, on aura tout vu ! Paul Chabert resta figé et silencieux au milieu du couloir. Emma s'intima l'ordre d'être loyale avec lui. " Ce n'est pas parce qu'il est le premier homme depuis quinze ans à t'offrir des fleurs que tu vas lui faire la tête ! " Elle tendit enfin les mains pour prendre le bouquet. Elle le posa sur la commode du couloir, elle n'avait pas de vase en service, les dernières fleurs des champs étaient mortes et desséchées depuis longtemps. La vérité c'était que l'homme était beau, les fleurs étaient belles, l'attention était belle aussi et, comme une vieille gamine, elle avait envie de pleurer. Elle lui prit sa canadienne fourrée pour l'accrocher au portemanteau du couloir, mais ses mains tremblaient, elle lâcha le vêtement et le rattrapa de justesse. Blouson en daim, chemise de velours beige, assortie, il était toujours vêtu chic et cher. Cravate à rayures, bien nouée, pantalon rouille au pli impeccable, qui tombait exactement sur ses souliers en box noir, sans une tache de boue. Elle lui en voulait aussi de sa tenue. Elle s'en voulait à elle-même de n'avoir plus trente ans. Mais il ne devait pas s'en apercevoir. Jamais.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 septembre 2010
Nombre de lectures 308
EAN13 9782221119716
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR
Chez le même éditeur
Le Vrai Goût de la vie
Une odeur d’herbe folle
Le Soir du vent fou
La Grâce et le Venin
La Source au trésor
L’Année du certif
Le printemps viendra du ciel
Les Grandes Filles
La Gloire du certif
La Vallée de la soie – tome 1
La Soie et la Montagne – tome 2
La Charrette au clair de lune
Petite Histoire de l’enseignement de la morale à l’école
La Classe du brevet
Nounou
Angéline
La Petite École dans la montagne
Les Secrets de l’école d’autrefois
Le Jeune Amour
Les gens heureux ont une histoire
Dans la collection « Ailleurs et Demain »
Le Temps incertain
Les Singes du temps
Soleil chaud poisson des profondeurs
Utopies 75
(en collaboration avec Ph. Curval,
Ch. Renard et J.-P. Andrevon)
Le Territoire humain
Les Yeux géants
L’Orbe et la Roue
Le jeu du monde
Dans la collection « L’âge des étoiles »
Le Sablier vert
Le Monde du lignus
Aux Éditions Seghers
Les Gens du mont Pilat
(coll. « Mémoire vive »)
MICHEL JEURY
LE DERNIER CERTIF
roman
© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2008
EAN 978-2-221-11971-6
À mon conseiller et ami, Jean-Daniel Baltassat, pilote indulgent de mes derniers ouvrages, coscénariste du téléfilm Les Grandes Filles, qui a souhaité ce troisième volet de la « saga du certif » . À Jacques Renard, le talentueux réalisateur des précédents épisodes , L’Année du certif et Les Grandes Filles.
1.

Sous le préau, Alice Bonnet plia son imper et le fixa au porte-bagages de sa bicyclette par-dessus son cartable. Il pleuvait. Une pluie d’automne, drue et froide. La belle affaire, à la veille de la Toussaint ! Elle se saucerait jusqu’aux yeux, tant pis pour sa mère qui allait encore gémir. Tant pis pour elle.
Elle sortit dans la cour, poussant son vélo, couverte seulement de sa veste de laine et de sa blouse d’écolière. Sous l’ondée, elle perdit un instant la respiration. Si elle avait pu attraper une bonne bronchite, elle aurait été débarrassée de cette saleté d’école pour au moins quinze jours !
Elle supportait l’averse les dents serrées… les fesses aussi, ha, ha ! C’était un défi. Elle n’avait même pas pris son foulard. Tant mieux si elle abîmait ses cheveux !
Quelle injustice, quand même ! Au moins trois filles et deux garçons, sans compter les bébés du cours préparatoire, étaient attendus en voiture par les parents. Elle, la grande, bientôt treize ans et demi, la seule « fin d’études » de l’école de Saint-André, devait rentrer chez elle, à plus de trois kilomètres, en poussant contre le vent et la pluie sa vieille bicyclette déglinguée… Elle aurait pu partir plus tôt, avant l’averse qui menaçait, la dame l’aurait permis. Sa cadette Noémi et son petit frère Pierrot avaient profité de l’autorisation. Injuste aussi qu’elle soit encore à l’école communale, avec la marmaille du village, mal embouchée et mal lavée, alors que ses amies, Marie-France Laporte et Janine Constant, étaient en quatrième au collège de Saint-Jean !
Elle tenait bon sous les cataractes du ciel. Presque tous les autres étaient partis, maintenant, à pied, en courant pour ceux du bourg – quel bourg, à peine trois cents habitants, en comptant les tout vieux et les poupons au berceau ! Quelques-uns à vélo, surtout des garçons, emballés comme des patates dans leurs capes ou leurs cirés, et les privilégiés en auto, avec leurs parents, leur père en général, ou leur grand frère, comme Émilie Chabert, la pied-noire… Eh, non, justement, Émilie n’était pas partie, elle était là. Piquée au bord du préau, elle appelait Alice.
— Qu’est-ce que tu fais sous la pluie sans imper ? T’es folle ! Tu vas attraper une belle pneumonie, rentre vite !
Émilie Chabert n’avait pas encore onze ans, mais elle se croyait un peu parce qu’elle était riche et qu’elle allait entrer en sixième. Sans la regarder, Alice tira son vélo sous le préau, furieuse, les dents serrées, le feu aux joues. Toi, ma drôlette, occupe-toi de tes oignons ! Mais impossible de traiter Émilie Chabert en sale gosse. Ce n’était qu’une enfant gâtée, fille de riches et tout, pas méchante ni orgueilleuse, et Alice aimait bien les riches. Et c’était une rapatriée d’Algérie, des gens bizarres, d’après ce qu’on disait, il y en avait même qui voulaient tuer le général de Gaulle ! Et puis Émilie avait un grand frère de vingt ans, Luc, tellement plus beau que les gars du pays ! Il avait son permis de conduire et on le voyait souvent, l’air d’un acteur de cinéma, au volant de la belle auto de son père, une DS 19.
Alice fit semblant d’être distraite, revint tranquillement sous le préau, où Émilie, vêtue de sa cape rouge, un petit parapluie fleuri à la main, guettait le tournant de la route, au bout de la place.
— Mais tu es trempée ! Et ton imper…
— J’ai oublié de le mettre, dit Alice.
Elle posa son vélo contre le pilier du préau, releva une mèche gorgée d’eau qui tombait sur son œil.
— Je ne me suis pas rendu compte qu’il pleuvait si fort. Et puis je pensais… j’attendais…
Elle ne savait qu’inventer pour inspirer un peu d’admiration à la blondinette. Elle frissonnait sous ses vêtements durcis et alourdis qui lui froissaient la peau. Elle se força à rire.
— Je n’ai pas de grand frère avec une grosse bagnole, moi…
Elle s’approcha d’Émilie. Sa blouse et sa combinaison collées lui râpaient les cuisses. Elle se sentait glacée jusqu’au cœur, mais tâchait de faire bonne figure.
— Tu peux garder un secret ?
Émilie hocha la tête deux ou trois fois en pinçant les lèvres. Oui, oui, oui…
— Dis-le, je t’en prie.
— Là, y a cinq minutes, j’ai aperçu la maîtresse à sa fenêtre qui guettait. J’ai dit : « Tiens, on va voir, je vais me laisser saucer sous ses yeux. » Mais ça m’aurait étonnée qu’elle m’appelle ou qu’elle descende. Elle se fout bien de moi !
— C’est terrible.
— Oh ! c’est la guerre entre nous.
— S’il te plaît, ne dis pas ce mot.
Un bruit de moteur, une voiture démarrait. Émilie s’approcha au bord du préau pour observer et se pencha en avant. Une rafale renversa d’un coup sa capuche, la décoiffa et ébouriffa ses frisettes. Alice la tira en arrière, lui enfonça la capuche sur les oreilles.
— Oui, je crois que ton frère est en retard. Celui-là, c’était M. Robert, le père de Marion Robert. Un sale type ! Il reluque les filles qui ont l’âge de la sienne !
La petite dinde ouvrit la bouche jusqu’au gosier.
— Des filles comme moi… comme nous ?
— Tu l’as dit. Ne monte jamais en voiture avec lui… Enfin, toi, tu as la tienne, tu ne risques rien.
Ça, ce n’était pas un mensonge, c’était juste un peu exagéré. Alice en avait discuté avec sa mère. « Tu oserais le dire devant les gendarmes ou le juge ? – Oui et oui ! Et ce n’est pas toi ni ton bonhomme qui m’empêcherez. – Mon bonhomme, c’est ton père. – Mon beau-père. Et il ne vaut pas mieux que M. Robert ! » La baffe était tombée, la manquant aux trois quarts mais clôturant la discussion.
Est-ce qu’elle oserait ? Oui.
Et maintenant, elle se tenait là, glacée de la nuque aux genoux. Ses pieds, elle ne les sentait même plus. Elle tâchait de retenir les larmes sous ses paupières.
— Ben alors, ben alors ! répétait Émilie.
L’averse avait faibli, mais les chêneaux dégorgeaient encore. Émilie risqua un pas hors du préau, en tirant sur sa capuche.
— Je crois que j’ai entendu une voiture. Oui, c’est la DS, c’est mon frère !
Elle essaya d’ouvrir son parapluie, puis renonça à cause du vent. Elle prit le bras d’Alice.
— Viens, on t’emmène chez toi. Je ne sais pas où tu habites, mais ça ne peut pas faire plus de cinq minutes, avec une DS&

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