Philojazz
232 pages
Français

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Philojazz , livre ebook

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Description

Peut-on transmettre dans le silence et la solitude de l'écriture les turbulences propres à une musique dont la source plonge au coeur des passions humaines ? Jazz et philosophie savent croiser des forces complices dans leur démarche commune d'appréhension du monde. L'un donne à entendre la richesse singulière d'un univers sonore d'une incroyable diversité, l'autre nous propose de prendre part aux petites ritournelles de la pensée.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2012
Nombre de lectures 54
EAN13 9782296990029
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre
Jean-Marie Parent






P HILOJAZZ

Petites ritournelles entre souffle et pensée
Du même auteur

• Passions à l’œuvre , Éditions Praelego, 2010.
• Une Kumpania , photographies de Jean Luneau, Éditions Photo en Touraine, 2011.
• Esprits voyageurs , Éditions L’Harmattan, 2011.

Blog de l’auteur ; « LEGOBALADIN »
Copyright

Illustration de couverture : photographie de Jean-Marie Parent.

© L’Harmattan, 2013
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmat tan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-99002-9
EAN : 9782296990029
Dédicace

Aux penseurs du souffle
Citation

L’esprit est un instrument de musique avec une certaine gamme de tons, au-delà desquels s’étend un silence infini
John Tyndall
Préambule

Comment réconcilier la raison qui raisonne et la sensation qui résonne ? « Penser, c’est dialoguer avec soi-même » , suggère Platon, maître en philosophie. Mais la raison sait-elle quand le désir déborde ? Il faut bien entretenir un certain rapport au monde pour toucher au sentiment d’exister.
En 1778, quelques mois avant sa mort, Rousseau rêve en marchant. Entre veille et sommeil, il vit l’automne de ses Rêveries , jouissant de ce simple état d’exister qu’il a entretenu sa vie durant. C’est dans la marche qu’il pense et qu’il écrit le texte philosophique, poétique et musical qui questionne, lui qui n’a cessé de méditer pour capter la suspension du temps, explorer le fond de l’âme. Dans le clapotis des eaux d’un lac alpestre, il décèle le caractère ondulatoire de sa vie intérieure. Plaisir purement sensuel, expérience de la joie. Les oscillations sonores fines l’installent entre la quête d’un bonheur permanent et la remémoration d’un bonheur qui a vécu. Les Rêveries d’un promeneur solitaire décrivent l’état de plénitude qui continue de façonner la mémoire de l’esprit. La clé du sentiment philosophique d’exister se niche au creux de cette preuve intérieure.

A l’instar de la réflexion philosophique, la musique nous offre cette autre réalité immédiate de la conscience à même de transcender nos différences, nos codes, nos langues et nos croyances. Le jazz à son tour saura inventer des chromatismes qui déclinent à l’infini la richesse de notre sentiment d’être au monde. Le sculpté de sa phrase musicale – son « phrasé » – et les citations malicieusement empruntées au répertoire classique comme autant de clins d’œil à la musique aînée, nous font inscrire le jazz dans une expression ludique et une forme de pensée en action : ses protagonistes ne se montrent-ils pas « jouant » ? Or ce jeu des musiciens ne partage-t-il pas, justement, avec le jeu des acteurs de théâtre, la modalité de mise en scène propre à l’expression d’un langage ?... Sur cette même scène de la conscience évoquée par Rousseau le philosophe…
Là où le philosophe questionne le monde, bavarde – jase – en émettant sa petite musique dialectique, le jazz pense et énonce un récit qui bruisse de mille mesures générées depuis le lieu lointain de ses origines. Là où la pensée philosophique circule autour de questions centrales touchant à la vie, le jazz déploie des allégories sonores issues des sensations multiples que nous procure l’écoute du monde.

L’approche philosophique est traditionnellement proposée à l’issue du cursus lycéen. Mais a-t-on le cœur à philosopher quand on a dix sept ans ? Possède-t-on la matière, l’expérience nécessaire à un recul profitable ? Pour ma part – comme sans doute pour d’autres – ce fut un échec météorique, et la chute, dans les limbes de l’oubli, d’une chance unique de penser utilement ma vie. Or une musique nommée « Be-Bop » m’agrippa à ce moment précis pour ne plus me quitter pendant un demi-siècle. Ce fut la révélation d’un art tout neuf de sentir et de vivre. Et curieusement, c’est cette même musique, ajoutée à l’expérience d’une vie, qui m’a ramené, longtemps après, sur les rives cousines de la philosophie. Art de sentir et art de penser m’ont fait mener deux vies parallèles à la vie réelle, celle dont les dédales retors d’un semblant de pacotille m’ont souvent fait côtoyer sans le savoir, la déprise par l’absence et comme une forme d’impuissance muette – quoique lucide – face à l’obscénité et à l’hystérie du monde. Avoir pu opérer la fusion consciente de ces deux univers intérieurs dans ma vie réelle, c’est être enfin parvenu à penser le monde séparément du besoin que j’en ai, comme de mes racines obligées.

Selon le mot du délicieux Sempé, croqueur humoristique et tendre du quotidien, la force du jazz repose dans sa capacité à suggérer. Allégorie d’un vivant complexe et foisonnant, le « son jazz » brille, chuinte, tremble, éclate, module, tonitrue, colore, bougonne, gifle, frôle, flâne, braille, baguenaude, gémit… Entre pauses, soupirs et silences, il valse-hésite, suspend, musarde, improvise. Il vibre de la corde, claque des cuivres, ponctue des percussions, scate de la voix, dépliant un récit toujours jeune et déjà ancien (qui croirait que le jazz est un solide centenaire ?), qu’il reprend et modèle à l’infini. Un récit qui s’origine dans le cri primitif du Blues lancé depuis les champs de coton d’un état du sud de la jeune Amérique au temps de l’esclavage. Par quel mystère cet appel s’est-il amplifié en mélopée incarnant la joie d’un peuple en contrepoint de sa misère ? Toujours est-il que cette expression vocale scandée gagna peu à peu les maisons closes de la Nouvelle-Orléans, se mit en marche à travers les orchestres de rue du Mississipi, imitant en cela nos orphéons européens du début du XX e siècle. Elle gagnerait bientôt le nord du pays, les bars enfumés de Chicago, coloniserait les clubs chics de New York, envoûterait les cercles huppés de Manhattan, enchanterait les grandes tournées européennes, imprimerait sa marque originale aux bandes sonores des films, et, de nos jours, enflammerait les grands-messes des multiples festivals du monde entier. Poursuivant sa route irrésistible, il se fond aujourd’hui au creux du florilège des « musiques du monde », fidèle à sa force qui le veut toujours créole, toujours ouvert aux quatre vents, à la croisée des cultures. Afrique, Amérique, Europe, Japon, il ne brandit aucun drapeau et ne clame qu’un hymne, celui de l’universelle émotion. Le jazz, musique populaire.
Jazz et philosophie ont en commun de circuler en un flux vital qui tourne sans fin. La sensibilité, comme la conscience, apprend à se nourrir de chromatismes et de nuances en demi-teintes. A l’image du nuancier des couleurs d’un tableau, les tonalités de la musique rejoignent avec bonheur les finesses de la pensée et de la langue. Le saxophoniste Charlie Bird Parker joue sans partition une musique d’une incroyable complexité. Mais l’oiseau a-t-il besoin d’une partition pour nous enchanter de ses trilles surgis de nulle part ? Peut-on figer le jeu de l’improvisation dans une matière toujours mouvante ? Le « morceau » – fragment, pièce appartenant à un ensemble plus vaste – nous embarque sur le quai d’une fiction toujours nouvelle et nous ne savons si – ni quand – nous débarquerons, au bout d’un temps non défini (de 2 à 50 minutes) mais que l’on ne saurait oublier. Le jazz musarde dans l’oubli de lui-même et des contraintes du temps.
A travers lui, nous pouvons percevoir l’oralité ludique et intuitive propre aux civilisations d’antan. Ecriture automatique et poésie de l’instant. Derrière chaque note se profile la réalité d’une voix singulière, collective, représentative d’un groupe et d’une sensibilité donnée. La musique de jazz trouve son essence dans la notion de tribu, de famille, dans ce qui permet la transmission de la connaissance grâce à l’oralité : la « soul », c’est son âme ( « Body and soul » , morceau fétiche du jazz).
Uni à la voix et au souffle de façon immédiate, le jazz se joue comme il ne s’écrit pas : naturellement. De lui, pas de trace originelle, pas de partition unique. L’improvisation jazzistique se fonde sur l’art de l’instant, comme l’état de pleine conscience. La première musique, celle des origines, fut entendue, non écrite. Voilà pourquoi le jazz est plus proche de l’imaginaire que du langage écrit – ce qui ne l’empêche pas d’être aussi un code structuré. Restituer au sujet son lieu d’être au monde, un univers primitif antérieur au langage : ne serait-ce pas là l’ultime objectif de l’expérience jazz ? Le trompettiste Dizzy Gillespie en fait pour sa part son « bouddhisme personnel ». Tout un symbole

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