Le don ordinaire des larmes
172 pages
Français

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Le don ordinaire des larmes , livre ebook

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Description

Les larmes dont il est question ici ne sont pas celles du « don des larmes » du mystique, ni celles qui accompagnent la souffrance. Car il est aussi des larmes qui, à travers nos émotions les plus sublimes, portées par la fulgurance des oeuvres, des êtres et des choses, parviennent à faire disparaître jusqu'à la mélancolie. Puissance unique de ces larmes, ayant en elles une énergie qui se renouvelle et qui entraîne la survenue de cette joie inatteignable sans elles. La joie qu'on ne peut dire, c'est elles qui la disent.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 août 2015
Nombre de lectures 9
EAN13 9782336388991
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4ème de couverture
Copyright
























© L’Harmattan, 2015
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-73910-6
Citation


Vous êtes empereur, seigneur, et vous pleurez !
Racine, Bérénice , IV, 5.
Titre

Pierre-Paul B RACCO






Le don ordinaire
des larmes

Une voie de ressourcement
ILS N’EN SONT PAS MOINS DES HOMMES
Nevers. 4 mai 1993. Sur la place du palais ducal, devant une foule nombreuse et recueillie, face aux caméras de télévision, un homme seul parle au nom de la France. Il parle avec solennité, beaucoup de gravité dans les regards autour de lui, beaucoup de dignité. L’éloge funèbre a ses règles que chacun prend à cœur de respecter. Le suicide de Pierre Bérégovoy a ému et choqué les Français.
L’homme continue son discours, les mots succédant aux mots au fond sans surprise. Et soudain, quelque chose se produit dans la mécanique du langage, quelque chose qui se voit et qui s’entend. D’abord une obstruction momentanée, un brusque resserrement dans l’arrière-bouche ; et puis le franchissement énergique des syllabes dans un souffle où viennent mourir des saccades. Impossible de ne pas voir, impossible de ne pas entendre cette drôle d’inspiration-expiration contractée, cette amorce de sanglot dans la voix de l’homme qui parle.
Que se passe-t-il ? L’homme n’en est pourtant pas à son premier discours. Formé durement à la politique, Président de la République depuis douze ans, il a appris à se contrôler. La maîtrise de soi lui est devenue une seconde nature. Force est de reconnaître qu’en la circonstance l’émotion l’a emporté sur l’habitude acquise.
À quel moment précis ? À propos de quelle expression, évoquant la mort volontaire de Pierre Bérégovoy, François Mitterrand s’est-il très brièvement devant nous mis à nu ? Souvenons-nous du mouvement de la phrase : « … toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu jeter aux chiens l’honneur d’un homme… ». Jeter aux chiens… en a-t-on écrit sur ces chiens-là ! y en a-t-il eu des commentaires, des gloses, des polémiques aussi ! Que ces chiens fussent des journalistes sans scrupules, des juges qui s’acharnent, des adversaires politiques ou des amis trop enclins à mépriser, ce n’est pas notre affaire. Nous n’avons pas à rouvrir de vieux débats. Seul compte pour nous aujourd’hui le trouble intense quoique fugace manifesté aux yeux et aux oreilles de tous par François Mitterrand.
Deux ans plus tard, dans l’ouvrage intitulé Lettres à Béré – choix de lettres établi dans le volumineux courrier reçu par Gilberte Bérégovoy à l’occasion du drame –, était aussi publié le manuscrit du discours de Nevers. L’étude des corrections et ratures se révèle intéressante mais pas vraiment surprenante. Retournons aux mots : « Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu jeter aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie, au prix d’un double manquement aux lois fondamentales de notre république, celles qui protègent l’innocence ». Dans le manuscrit, les lois les plus sacrées sont devenues les lois fondamentales , et, dans le manuscrit toujours, ces lois ne garantissent plus l’innocence, elles la protègent … pendant que dans le discours, ce n’est plus l’innocence qui est protégée mais la dignité et la liberté de chacun d’entre nous … soit. Et, comme il fallait s’y attendre, beaucoup de biffures et surcharges quand il s’agit pour François Mitterrand d’évoquer la mort (d’ailleurs le mot, rayé et difficilement lisible, y est peut-être inscrit). Métamorphoses successives de l’écriture allant de : et par là même sa vie , passant par : et finalement attenter à sa vie, pour aboutir à la formulation la plus tranchante : et finalement sa vie … soit encore. En outre, dans le discours, il est spécifié que le double manquement est l’œuvre de ses accusateurs . Nous en aurions long à dire, plus que ce que nous en laissons entendre, mais le seul moment qui nous occupe est celui où le sanglot a surgi.
Jeter aux chiens est là, en surcharge, venu remplacer le verbe livrer sans pour autant l’annuler puisqu’il n’est pas barré. Pas de rature donc là à cet endroit tant le mot tracé déjà convient, tant il est lourd de sens. Bien qu’on puisse livrer des coupables à la police ou à la justice, on ne s’est pas privé de livrer des innocents à la vindicte populaire. Que de victimes livrées au supplice ou au bûcher au cours de l’histoire ! Mais il y a plus : sur ce verbe traîne également une odeur fétide de trahison. Durant les conflits, il en est toujours qui cherchent à livrer leur pays à l’ennemi. Et que sait-on de Judas sinon qu’il a livré Jésus ? Voilà pourquoi, François Mitterrand n’efface pas ce mot… il le garde en doublon, en réserve.
Sans doute y a-t-il plus encore. Avoir le malheur d’être livré, c’est le plus souvent être la proie des rapaces et des carnassiers. Les bêtes féroces ne sont pas loin qui fouillent les corps livrés, les déchirent et les dépècent. Images de chairs pantelantes et sanglantes. Les chiens non plus ne sont pas loin qui se partagent, grondant et jappant, les morceaux de viande rouge que leur maître leur a généreusement lancés. Ces chiens n’ont pas besoin d’être sauvages ni de s’attaquer avec leurs crocs à de vieilles carnes pour provoquer la peur. De braves chiens domestiques, comme en a eu François Mitterrand, suffisent à communiquer le trouble.
Livrer l’honneur d’un homme et par là même sa vie … perdre l’honneur, perdre la vie… ou mieux, de façon plus explicite et plus sentie… jeter aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie … les chiens déchiquetant l’honneur, déchiquetant la vie.
Puis est venu le temps de prononcer un discours. C’est à la voix maintenant d’investir les lignes écrites, au souffle d’animer les lettres et les mots couchés sur la feuille de papier. Le moment est venu de dire sans trembler comme l’exige la fonction de Président de la République. Mais l’émotion se révèle trop forte et trop profonde pour être retenue. C’est un irrépressible mouvement interne qui monte de loin et vient crisper les traits du visage, montrer la souffrance et l’indignation, déformer faiblement les sons.
De brèves contractions, une voix à peine altérée, il n’en faut pas davantage pour que le discours soit sur-le-champ transfiguré. Un homme s’emporte, un homme s’indigne. La vérité du sentiment éprouvé n’est pas diluée dans un propos trompeur et passe-partout. L’amorce d’un sanglot évite les faux-fuyants et les simulacres. La mémoire de Pierre Bérégovoy mérite au moins ce signe.
Émotion irrésistible, impérieuse quelquefois, qui d’entre nous se targue d’y échapper ?
Certainement pas Valéry Giscard d’Estaing, pour en rester un court moment encore aux têtes couronnées. Lorsqu’il se trouve sur un plateau de télévision, tout le monde sait, tout le monde sent qu’il y est particulièrement à l’aise. Cela se joue dans le regard. N’a-t-il pas déclaré au journal Le Monde , le 3 mai 1974 : « Il ne faut pas vivre à partir des reproches qu’on vous fait. L’existence personnelle en serait empoisonnée et l’orientation intellectuelle serait un zigzag permanent. »
Sur un plateau de télévision donc, comme ailleurs, il n’est pas homme à se faire des reproches. Chassant l’humilité et l’embarras, il montre volontiers une assurance consciente d’elle-même. Il a en mains la situation, il tient les rênes, il mène la danse. Avec une force de conviction exceptionnelle, il commande aux choses et aux êtres. Sens inné de l’autorité. Et surtout, sens de la mise en scène pour les autres et pour lui-même, s’informant sur la place des caméras en action, cherchant à l’occasion à modifier tel ou tel axe de prise de vues. Rien à faire contre cette aisance, cette sorte de majesté désinvolte, les téléspectateurs auront droit à son regard-caméra, les yeux dans les yeux.
En 1994, voilà des années qu’il n’est plus Président… le 14 juillet, les différentes troupes formant les premières unités de l’armée européenne défileront sur les Champs-Élysées. Évidemment, sans en exclure les soldats allemands. Pour François Mitterrand, en extrême fin de règne, il en va avec ce défilé de la construction de l’Europe, de la consolidation du couple franco-allemand et de la paix, de la volonté que se développe une véritable force militaire européenne.
Invité au journal télévisé de Bruno Masure, Valéry Giscard d’Estaing est soudain en proi

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