LE LOUP ET LE CHIEN Le Loup & le Chien.Un Loup n’avait que les os et la peau, Un Loup n’avoit que les os & la peau,Tant les Chiens faisaient bonne garde. Tant les Chiens faiſoient bonne garde.Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau ; Ce Loup rencontre un Dogue auſſi puiſſant que beau ;Gras, poli, qui s’était fourvoyé ...
Un Loup n’avait que les os et la peau, Tant les Chiens faisaient bonne garde. Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau ; Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde. L’attaquer, le mettre en quartiers, Sire Loup l’eût fait volontiers. Mais il fallait livrer bataille ; Et le Mâtin était de taille À se défendre hardiment. Le Loup donc l’aborde humblement, Entre en propos, et lui fait compliment Sur son embonpoint, qu’il admire : Il ne tiendra qu’à vous, beau Sire, D’être aussi gras que moi, lui répartit le Chien. Quittez les bois, vous ferez bien : Vos pareils y sont misérables, Cancres, haires, et pauvres diables, Dont la condition est de mourir de faim. Car quoi ? Rien d’assuré ; point de franche lippée ; Tout à la pointe de l’épée. Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin. Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ? Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens Portants bâtons, et mendiants ; Flatter ceux du logis ; à son maitre complaire ; Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons ; Os de poulets, os de pigeons : Sans parler de mainte caresse. Le Loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant il vit le col du Chien pelé. Qu’est-ce là, lui dit-il ? Rien. Quoi rien ? Peu de chose. Mais encor ? Le collier dont je suis attaché De ce que vous voyez est peut-être la cause. Attaché ? dit le Loup, vous ne courez donc pas Où vous voulez ? Pas toujours ; mais qu’importe ? Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte ; Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.
Fables de La Fontaine : Barbin & Thierry | Georges Couton
Le Loup & le Chien.
Un Loup n’avoit que les os & la peau, Tantles Chiens faiſoient bonne garde. Ce Loup rencontre un Dogue auſſi puiſſant que beau ; Gras, poli, qui s’eſtoit fourvoyé par mégarde. L’attaquer,le mettre en quartiers, SireLoup l’euſt fait volontiers. Maisil falloit livrer bataille ; Etle Mâtin eſtoit de taille Aſe défendre hardiment. LeLoup donc l’aborde humblement, Entre en propos, & luy fait compliment Surſon embonpoint qu’il admire : Ilne tiendra qu’à vous, beau Sire, D’eſtre auſſi gras que moy, luy repartit le Chien. Quittezles bois, vous ferez bien : Vospareils y ſont miſerables, Cancres,haires, & pauvres diables, Dont la condition eſt de mourir de faim. Car quoy ? Rien d’aſſuré ; point de franche lipée ; Toutà la pointe de l’épée. Suivez-moy ; vous aurez bien un meilleur deſtin. Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ? Preſque rien, dit le Chien, donner la chaſſe aux gens Portansbaſtons, & mendians ; Flater ceux du logis ; à ſon Maiſtre complaire ; Moyennantquoy voſtre ſalaire Sera force reliefs de toutes les façons ; Osde poulets, os de pigeons : Sansparler de mainte careſſe. Le Loup déja ſe forge une felicité Quile fait pleurer de tendreſſe. Chemin faiſant il vid le col du Chien pelé. Qu’eſt-ce là, luy dit-il ? Rien. Quoy rien ? Peu de choſe. Mais encor ? Le collier dont je ſuis attaché De ce que vous voyez eſt peut-eſtre la cauſe. Attaché ? dit le Loup, vous ne courez donc pas Oùvous voulez ? Pas toujours ; mais qu’importe ? Il importe ſi bien, que de tous vos repas Jene veux en aucune ſorte ; Et ne voudrois pas meſme à ce prix un treſor. Cela dit, Maiſtre Loup s’enfuit, & court encor.