La Voix d’une ombre
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Description

François-Réal Angers — La Voix d’une ombre
1838
Quels sont, ô mon pays, cet ébat sanguinaire,
Cette ardeur parricide, et ces débris fumants !
Pleure, oh! pleure du sang!... comme un drap funéraire,
De neige un froid linceul étreint tes fils mourants !
Le voilà donc enfin ce volcan politique
Soufflant au cœur de tous sa lave frénétique :
De son brûlant cratère il sort comme un géant,
Le regard plein de feu, les mains teintes de sang :
De l’insurrection c’est le tocsin qui sonne,
La haine qui rugit et l’airain qui résonne,
C’est le meurtre en orgie et qui l’écume aux dents
Déchire encore les morts et poursuit les vivants ;
Seule au milieu des coups, joyeuse et triomphante,
C’est la mort qui saisit sa moisson palpitante.
Fatal aveuglement ! délirante fureur !
Hélas ! ils sont tombés victimes de l’erreur ;
Ils tombent chaque jour nos trop malheureux frères,
Égarés par leurs cœurs, braves mais téméraires,
Coupables envers eux autant qu’envers la loi,
Et martyrs Vendéens, s’ils n’attaquaient leur roi.
L’amour de la patrie égara leur courage,
Traîtres par désespoir ils ont bravé l’orage.
Le sort les déifiait s’il les eût faits vainqueurs,
Mais vaincus, non sans gloire, ils n’ont point de vengeurs.
Éternels monuments des vengeances humaines,
St-Charles ! St-Eustache ! ô trop funestes plaines,
Où conduits à regret tant de braves soldats,
Sans armes, sans drapeaux, affrontaient les combats ;
Vos tombeaux, vos déserts, vos sanglantes ruines,
Inévitable effet des guerres intestines ...

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Langue Français

Extrait

François-Réal AngersLa Voix d’une ombre 1838
Quels sont, ô mon pays, cet ébat sanguinaire, Cette ardeur parricide, et ces débris fumants ! Pleure, oh! pleure du sang!... comme un drap funéraire, De neige un froid linceul étreint tes fils mourants !
Le voilà donc enfin ce volcan politique Soufflant au cœur de tous sa lave frénétique : De son brûlant cratère il sort comme un géant, Le regard plein de feu, les mains teintes de sang : De l’insurrection c’est le tocsin qui sonne, La haine qui rugit et l’airain qui résonne, C’est le meurtre en orgie et qui l’écume aux dents Déchire encore les morts et poursuit les vivants ; Seule au milieu des coups, joyeuse et triomphante, C’est la mort qui saisit sa moisson palpitante. Fatal aveuglement ! délirante fureur ! Hélas ! ils sont tombés victimes de l’erreur ; Ils tombent chaque jour nos trop malheureux frères, Égarés par leurs cœurs, braves mais téméraires, Coupables envers eux autant qu’envers la loi, Et martyrs Vendéens, s’ils n’attaquaient leur roi. L’amour de la patrie égara leur courage, Traîtres par désespoir ils ont bravé l’orage. Le sort les déifiait s’il les eût faits vainqueurs, Mais vaincus, non sans gloire, ils n’ont point de vengeurs. Éternels monuments des vengeances humaines, St-Charles ! St-Eustache ! ô trop funestes plaines, Où conduits à regret tant de braves soldats, Sans armes, sans drapeaux, affrontaient les combats ; Vos tombeaux, vos déserts, vos sanglantes ruines, Inévitable effet des guerres intestines, N’attestent que trop bien leur coupable valeur. Mais, silence ! quelle est, en cette nuit d’horreur, Cette voix qui surgit de ce carnage immonde ; Cette voix qui nous parle et n’est pas de ce monde : « Frères, écoutez-moi, je sais la vérité ; J’ai combattu, j’ai vu tomber de tout côté Nos plus fiers combattants ! Oh ! l'infamante orgie ! Chacun criait : mourons, mourons pour la patrie ; Mais mourez avec nous, traîtres et renégats, Vous dont les noirs forfaits nous ont fait tous soldats. C'est du sang qu’il nous faut ! — Oui, c’est du sang, mes frères, Mais notre propre sang versé pour des chimères. Sur ce sol meurtrier ne suivez point nos pas; Vous pouvez nous pleurer, mais ne nous vengez pas. Un vertige effroyable avait saisi nos âmes, Rehaussant à nos yeux de criminelles trames : Mais tant d’affreux complots faits pour la liberté Ont-ils jamais valu le sang qu’ils ont coûté ? Les temps sont encor loin où la justice humaine Veut qu’un peuple colon secoue enfin sa chaîne. Le peuple ne sent point l’empreinte de ses fers ; Soumis, il se croit libre, heureux en ses déserts, Sous l’égide des lois qu'il tient de ses ancêtres, Et le sceptre qu’il voit dans les mains de ses maîtres. Mais, frères, si jamais l’on vous veut asservir; Oui, si de nos méfaits l’on vous ose punir, De nos tombeaux vengeurs évoquez donc nos âmes, Et vous verrez bientôt tout le pays en flammes. Contre l’oppression sachez qu’un peuple est fort, Et qu’il faut plus d’un coup pour lui donner la mort : Comme de neige on voit se grossir une boule, Il passe ; un trône tombe, un empire s’écroule.
Mais, non ; ne croyons pas que jaloux de ses droits, Le peuple que l’on vit détrôner tant de rois, À qui l’Europe doit ses plus chères doctrines, Consente à provoquer les sanglantes matines Dont jadis la Sicile a vu souiller ses bords, Et fasse un peuple ilote, ou règne sur des morts ! Ah ! maudit à jamais soit l’infernal génie Qui semant parmi nous la discorde et l’envie, Voyait avec plaisir, par un dépit commun, Deux races de sujets s’égorger un par un. Nous pouvions être heureux, unis comme des frères ; Divisés, Dieu sur nous fait pleuvoir ses colères... Exécrable forfait ! quoi ! l’on ose trahir La paix et le pardon offerts au repentir : Désarmés, on les tue, on les pille, on les vole... Justice! » Et dans les airs l’ombre à ces mots s’envole. Ô ! vous, de ces fureurs partisans chaleureux, Échappés par miracle en ce désastre affreux, Aux lieux encore fumants où l’émeute est passée, Relisez la leçon que le glaive a tracée : Ces mots sur le sol même écrits en traits de feu : Du deuil et de la mort l’empire est en ce lieu ! Voyez ces murs noircis, ces campagnes désertes, Les dépouilles des morts que la neige a couvertes, Nos temples démolis, nos villages brûlés, Et partout des débris que le meurtre a souillés; Là l’épouse et la mère au carnage accourues ; Relèvent en pleurant des victimes connues ; Ici proscrits, fuyards, blessés, mourants ou vifs, Languissant dans l’exil ou dans les fers captifs, Voyez d’où sont tombés tous ces dieux populaires, Que l’insurrection comptait sous ses bannières; Femmes, enfants, vieillards, sans appui, sans secours, Dispersés dans les bois, et maudissant leurs jours ; Les vivants que l’hiver laisse sans nourriture, Et les morts dans les champs couchés sans sépulture ; Voilà les fruits amers des folles passions Que nous donnent trop tôt les révolutions : D’un courage indompté dévouement parricide, Qui fait d’une révolte un sanglant suicide. Oh ! toi de ton pays le malheur et l’orgueil, Qui voulant l’affranchir le conduit au cercueil, Étais-tu plus coupable ou bien plus téméraire, Quand tu fis de l’émeute arborer la bannière ? Mais te voilà proscrit sur un sol étranger, Laissons faire le temps qui te devra juger. Infortuné Chénier! du moins quand tu succombes, Tu laisses encor des cœurs pour pleurer sur ta tombe. Et toi, qu’en ce grand meurtre on a sacrifié, Peuple, nous te devons des pleurs, de la pitié ! Suspends, ô mon pays, cet élan téméraire. Cette ardeur parricide, et ces combats sanglants ! Pleure, oh! pleure du sang!... comme un drap funéraire De neige un froid linceul étreint tes fils mourants !
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