Le Cercle
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Charles de Saint-ÉvremondŒuvres mêléesLe Cercle1LE CERCLE .À Monsieur ***.(1656.)On parle depuis peu de certaine ruelle,Où la laide se rend, aussi bien que la belle :Où tout âge, tout sexe ; où la ville et la cour,Viennent prendre séance en l’école d’amour.À la prude, soumise au devoir légitime,On inspire l’amour sous le beau nom d’estime ;Et son esprit sévère enseigne la vertu,Quand son cœur, tout facile au charme qu’elle a vu,Reçoit un feu secret qui n’oseroit paroître,Et qu’elle aime à sentir sans le vouloir connoître.L’autre, tout occupée à discourir des cieux,Sur un simple mortel daigne abaisser les yeux,Et trouve le moyen de partager son âmeEntre des feux humains et la divine flamme.Celles que la nature abandonne à leur art,Y viennent apporter l’étude d’un regard,Et chercher vainement leur premier avantageDans les traits composés de leur nouveau visage.Telle qui fut jadis le plaisir de nos yeux,Et qui n’est aujourd’hui qu’un objet odieux,S’expose, comme elle est, pour flatter sa mémoire,D’un mot qu’on lui dira de cette vieille gloire :Ton visage, Chloris, du monde respecté,Laisse au bruit de ton nom l’effet de la beauté ;Il change, il dépérit, et longtemps le plus sage,Séduit par ce grand nom, révère ce visage.Son éclat tout terni, ses traits tout languissants,Trouvent chez nous encor le respect de nos sens ;Et l’œil assujetti n’oseroit reconnoîtreLe temps où ta beauté commence à disparoître.L’orgueilleuse Caliste, où se portent ...

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Charles de Saint-Évremond Œuvres mêlées Le Cercle
1 LE CERCLE. À Monsieur ***. (1656.)
On parle depuis peu de certaine ruelle, Où la laide se rend, aussi bien que la belle : Où tout âge, tout sexe ; où la ville et la cour, Viennent prendre séance en l’école d’amour. À la prude, soumise au devoir légitime, On inspire l’amour sous le beau nom d’estime ; Et son esprit sévère enseigne la vertu, Quand son cœur, tout facile au charme qu’elle a vu, Reçoit un feu secret qui n’oseroit paroître, Et qu’elle aime à sentir sans le vouloir connoître. L’autre, tout occupée à discourir des cieux, Sur un simple mortel daigne abaisser les yeux, Et trouve le moyen de partager son âme Entre des feux humains et la divine flamme. Celles que la nature abandonne à leur art, Y viennent apporter l’étude d’un regard, Et chercher vainement leur premier avantage Dans les traits composés de leur nouveau visage. Telle qui fut jadis le plaisir de nos yeux, Et qui n’est aujourd’hui qu’un objet odieux, S’expose, comme elle est, pour flatter sa mémoire, D’un mot qu’on lui dira de cette vieille gloire : Ton visage, Chloris, du monde respecté, Laisse au bruit de ton nom l’effet de la beauté ; Il change, il dépérit, et longtemps le plus sage, Séduit par ce grand nom, révère ce visage. Son éclat tout terni, ses traits tout languissants, Trouvent chez nous encor le respect de nos sens ; Et l’œil assujetti n’oseroit reconnoître Le temps où ta beauté commence à disparoître. L’orgueilleuse Caliste, où se portent ses pas, Triomphe également des cœurs et des appas ; Elle confond son sexe où le nôtre soupire, Et dispense à son gré la honte et le martyre. Une jeune coquette, avec peu d’intérêt, Va chercher à qui plaire, et non pas qui lui plaît ; Elle a mille galants, sans être bien aimée, Contente de l’éclat que fait la renommée. La solide, opposée à tous ces vains dehors, Se veut instruire à fond des intérêts du corps. L’intrigueuse vient là par un esprit d’affaire ; Écoute avec dessein, propose avec mystère, Et tandis qu’on s’amuse à discourir d’amour, Ramasse quelque chose à porter à la cour. Dans un lieu plus secret on tient la Précieuse, Occupée aux leçons de morale amoureuse. Là, se font distinguer les fiertés des rigueurs ;
Les dédains des mépris, les tourments des langueurs ; On y sait démêler la crainte et les alarmes, Discerner les attraits, les appas et les charmes ; On y parle du temps qu’on forme le désir : Mouvement incertain de peine ou de plaisir. Des premiers maux d’amouron connoît la naissance, On a de leurs progrès une entière science, Et toujours on ajuste à l’ordre des douleurs, Et le temps de la plainte, et la saison des pleurs. Par un arrêt du ciel toute chose a son terme, Et c’est ici le temps ou l’école se ferme ; Mais avant que sortir, on déclare le jour Où l’on viendra traiter un autre point d’amour. Là, Philis, affectée en graves bienséances, Dédaigneuse et civile, y fait ses révérences, Conservant un maintien de douce autorité, Qui serve à la grandeur sans nuire à la beauté. On voit à l’autre bout une dame engageante, Employer tout son art à paroître obligeante : Caresses, compliments, civilités, honneurs, Sont les moyens adroits qui lui gagnent les cœurs. 2 Loin de ces vanités, ainsi parle une Chère: Pourquoi finir sitôt ? Mon Dieu ! quelle misère ! J’avois à proposer un nouveau sentiment Du mérite parfait que se donne un amant. Mais, dit l’autre, ma sœur, n’ètes-vous point troublée Du tumulte confus d’une grande assemblée ? Sauroit-on rien sentir de tendre, délicat, En des lieux où se fait tant de bruit et d’éclat ? Cherchons, cherchons, ma sœur, de tranquilles retraites, Propres aux mouvements des passions secrètes. Le monde sait bien peu ce que c’est que d’aimer, Et l’on voit peu de gens qu’il nous faille estimer.
Après la lecture de mes vers, vous me demanderez avec raison ce que c’est qu’une 3 Précieuse, et je vais tâcher, autant qu’il m’est possible, de vous l’expliquer. On dit un jour à la reine de Suède, queles Précieuses étaient les Jansénistes de l’amouret la définition ne lui déplut pas. L’amour est encore un Dieu pour les ; Précieuses. Il n’excite pas de passion en leurs âmes ; il y forme une espèce de religion. Mais à parler moins mystérieusement, le corps des Précieuses n’est autre chose que l’union d’un petit nombre de personnes, où quelques-unes, véritablement délicates, ont jeté les autres dans une affectation de délicatesse ridicule.
Ces fausses délicates ont ôté à l’amour ce qu’il a de plus naturel, pensant lui donner quelque chose de plus précieux. Elles ont tiré une passion toute sensible du cœur à l’esprit, et converti des mouvements en idées. Cet épurement si grand a eu son principe d’un dégoût honnête de la sensualité ; mais elles ne se sont pas moins éloignées de la véritable nature de l’amour, que les plus voluptueuses ; car l’amour est aussi peu de la spéculation de l’entendement, que de la brutalité de l’appétit. Si vous voulez savoir en quoi les Précieuses font consister leur plus grand mérite, je vous dirai que c’est à aimer tendrement leurs amants sans jouissance, et à jouir solidement de leurs maris avec aversion.
NOTES DE L’ÉDITEUR
1. Je ne pense pas que Saint-Evremond ait ici voulu tourner particulièrement en ridicule une assemblée connue et déterminée de femmes à prétention. C’est laPréciosité en général qu’il attaque et qu’il poursuit. On désignoit alors par le mot decercleune réunion de précieuses ou de beaux esprits des deux sexes. Molière dit :
Moi, j’irois me charger, d’une spirituelle, Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle !
Un écrivain contemporain, Jean de la Forge, nous a laissé un livre curieux pour l’histoire
des précieuses, intitulé :le Cercle des femmes savantes. Les belles dames du temps y sont indiquées par des noms supposés, comme dans ledictionnairede Somaize ; mais il y a une clef.
2.Ma chèreétoit une appellation familière, affectée par les Précieuses, et qui n’étoit point ailleurs dans l’usage habituel de la société. De là,une Chèreest, pour Saint-Évremond, une Précieuse. Voy. leDict. des Précieuses, édit. de Livet, I, p. lxiii.
3. Mademoiselle de Lenclos.
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