Les Noirs de l Elysée
361 pages
Français

Les Noirs de l'Elysée , livre ebook

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361 pages
Français

Description

Situé au coeur des réseaux, l'Elysée paraît tout à la fois comme palais de la République française et agence de recrutement et de soutien aux dictatures africaines. De l'installation au pouvoir des dictateurs africains à la vente des vertus des droits de l'homme, du conservatisme français au soutien d'une parodie de démocratie en Afrique, l'auteur de cet ouvrage-bilan s'est livré à un travail de repérage du paradoxe, du double langage et des trajectoires secrètes qu'empruntent les élites de la Françafrique pour empêcher le peuple africain de s'émanciper.

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Publié par
Date de parution 01 janvier 2010
Nombre de lectures 111
EAN13 9782296249899
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

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Extrait

À Barack Obama, «Nous devons partir du principe qu’il revient aux Africains de décider de l’avenir de l’Afrique», avez-vous déclaré devant le Parlement du Ghana, le 11 juillet 2009. Mais nous devons aussi partir du constat que les puissances occidentales qui installent au pouvoir des dictateurs corrompus qu’ils soutiennent dans une parodie de démocratie mettent un frein considérable à toute possibilité de décollage de l’Afrique. Le peuple opprimé de toute l’Afrique vous convie ainsi de l’aider à lever les barrières de la dictature et de la corruption afin qu’il prenne en main son destin.
Introduction
e La naissance, en 1958, de la V République française marque aussi celle de 1 la place prééminente du Président de la République , conformément aux vœux du général de Gaulle. Il est investi des pouvoirs que n’avaient pas ses e e prédécesseurs de la III et de la IV Républiques qui, eux, ne disposaient que des pouvoirs honorifiques. C’est, profitant du rôle et du pouvoir de faire changer les choses après tant d’années où le chef de l’État était réduit à n’exercer qu’une magistrature morale qu’il eut l’idée géniale, dans la redistribution des pièces du Palais de l’Élysée, d’en réserver une spécialement à la gestion des colonies de l’Afrique noire. Après avoir construit des tribus opposées les unes aux autres, les officiers et les préfets français chargés de diriger les colonies d’Afrique noire ont bien souvent choisi les moins puissantesdonc les plus dépendantes des interventions extérieures pour administrer ces pays. 1960, la France accorde l’autonomie administrative à ses anciennes colonies d’Afrique noire en ayant imposé dans la plupart des pays des régimes politiques structurés autour d’une ethnie ou d’un clan minoritaire. Une organisation d’origine géographique et familiale s’arroge ainsi le pouvoir en se soutenant selon un modèle de fonctionnement clanique. Francophiles au point de prendre position pour la transformation de leurs pays en départements français, la plupart d’entre eux ont été renversés par des militaires. Mais, il appartenait à la Francequand le coup d’État n’était pas à son initiativede décider du remplacement ou non du chef 2 de l’État, de la prise du pouvoir ou non par le militaire putschiste . C’est ainsi que Fulbert Youlou, premier président du Congo-Brazzaville, décrié pourtant par les révolutionnaires de son pays comme une « marionnette » de l’ex-colonisateur, fut renversé par un mouvement populaire encadré par les militaires et les syndicalistes. Lâché par le général de Gaulle, son appel au sauvetage du régime par l’intervention de l’armée française n’était pas entendu. En revanche, Léon Mba, premier président du Gabon, avait été renversé, dans la nuit du 18 au 19 février 1964, par des militaires qui avaient porté au pouvoir son adversaire depuis l’époque coloniale, Jean-Hilaire Aubamé. La France, qui n’était pas
1  Revue française de science politique, 1959, Michel Debré, Nicholas Wahl, Naissance de la Cinquième République : analyse de la constitution, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1990, 242 p. 2  Olivier Rouquan,Régulations et stratégies présidentialisées sous la Ve République, édit. Connaissances et savoirs, 2005, 909 p.
intervenue jusque-là dans les affaires du pays, avait réagi vigoureusement. En quelques heures, un commando de parachutistes français avait restauré Léon Mba, qu’on s’était ensuite employé à consolider, notamment en mettant à sa disposition, comme conseiller politique, un homme des services secrets français, Guy Ponsaillé. On peut multiplier les exemples qui ont toujours, depuis les années 1960, laissé Paris intervenir ou non suivant que le régime à sauver était manipulable à souhait ou non par l’Élysée. Les civils qui ont survécu aux putschs militaires se sont associés à ces derniers pour serrer les rangs à l’entrée de l’Élysée. L’année 1965 aurait pu être celle d’un tournant décisif de libération effective des anciennes dépendances, du moment où cette date marqua la première élection du Président de la République au suffrage universel direct, si l’on avait laissé aux Français le choix de s’impliquer dans les rapports avec leurs anciennes colonies. Mais, en donnant aux Français la liberté de choisir leur président de la République, le général de Gaulle confisqua celle des Africains, depuis leur statut de dépendance jusqu’à la prétendue souveraineté. Dans une phrase tronquée en 1962 où il déclara que «La clé de voûte de notre régime, c’est l’institution d’un Président de la République désigné par la raison et le 1 sentiment des Français pour être le chef de l’État et le guide de la France», il aurait pu conclure : « L’élu des Français s’investit de pleins pouvoirs individuels d’imposer aux Africains les dirigeants de son choix... » Pour avoir immiscé sur le même moule Africains et Français, de Gaulle a fait peser aux uns et aux autres le poids de la Constitution qui a fait de lui le garant de la 2 continuité de l’État, de l’intégrité du territoire et de l’indépendance nationale . Il a défini, avec son gouvernement, l’orientation générale de la politique intérieure et extérieure du pays. Son successeur, Georges Pompidou, enfonça le clou et estima qu’il revenait au président de la République de « donner les impulsions fondamentales, de définir les directions essentielles et d’assurer le bon fonctionnement des pouvoirs publics, à la fois arbitre et premier responsable national ». Un rôle de premier responsable demeuré d’autant vrai pour les Français que pour les Africains d’anciennes dépendances. Tous les autres successeurs à l’Élysée se font moutons et appliquent la règle à la lettre.
1  Jean-Paul Jourdan, Bernard Lachaise,Documents d'histoire contemporaine, Presses Universitaire de Bordeaux, 2000, 280 p. 2  Bernard Branchet, Stéphane Rials,Contribution à l'étude de la constitution de 1958 : le contreseing et le régime politique de la Ve République, L.G.D.J., 1997, Université du Michigan, 307 p.
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L’Élysée, blanc Palais et noire Cellule
L’hôtel particulier qui a ensuite pris le nom de Palais de l’Élysée, situé au e 55 rue du Faubourg-Saint-honoré à Paris dans le VIII arrondissement, dont l’architecture a été largement modifiée au cours des siècles, est la résidence officielle du chef de l’État français, siège de la Présidence et de la diplomatie avec les chefs d’État africains d’anciennes colonies françaises. Il existe dans cet hôtel une pièce spécialement réservée à la gestion des anciennes colonies françaises d’Afrique noire : la Cellule africaine de l’Élysée. La Cellule africaine de l'Élysée est un groupe de collaborateurs proches du Président de la République chargés de veiller à la sauvegarde des intérêts de la 1 France en Afrique . Ce groupe a été créé dans les années 1960, au moment des indépendances, et dirigé par Jacques Foccart, qui coordonnait l'action d'un vaste réseau d'hommes politiques, de diplomates, d'hommes d'affaire français et africains. À ce double titre, cet hôtel particulier est un lieu hautement symbolique de la République française et de son histoire commune avec l’Afrique. Une histoire mouvementée d’autant par son architecture, par la succession de propriétaires que par la dépendance des chefs d’État africains d’anciennes administrations coloniales. Si, pour la France, cet hôtel particulier 2 est classé monument historique , pour l’Afrique, il reste encore un enjeu de luttes pour ses libertés fondamentales. Libertés fondamentales enserrées dans des réseaux opaques d’un système néocolonial appelé «Françafrique», et qui, au nom des intérêts français, accorde des privilèges illimités aux dirigeants africains au détriment des populations locales. Plus particulièrement à ceux d’entre eux qui, au sein de la classe politique française de gauche comme de droite, ainsi que de ses anciennes colonies d’Afrique noire, sont unis par la gestion du gaullisme et de l’héritage de Jacques Foccart. Ce dernier reste la référence incontournable dans la constitution des équipes de travail chargées de mettre en œuvre la diplomatie d’influence pratiquée vis-à-vis de l’Afrique par tous les chefs d’État, depuis de Gaulle jusqu’à Sarkozy. Un Sarkozy quiface aux énormes enjeux politiques et financiers de l’héritage s’investit plus à la concorde familiale qu’à une rupture mort-née. Aussitôt élu, il a pris soin de ne ni clamper ni nouer le cordon ombilical, ce qui a permis d’éviter l’arrêt de la circulation sanguine entre le père fondateur, Foccart, et le bébé qu’il semblait encore être au sein de laFrançafrique. D’où le recours fait à Jacques Toubon, membre de l’ex-équipe de Jacques Foccart. Il faut noter en effet que Jacques 1  Claude Wauthier,Quatre présidents et l'Afrique : De Gaulle, Pompidou, Giscard d'Estaing, Mitterrand : quarante ans de politique africaine, Seuil, 1995, 717 p. 2  Roland Pozzo di Borgo,Les Champs-Élysées : trois siècles d'histoire, édit. de La Martinière, 1997, 399 p.
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Toubon est président duClub89devenu le « Club de réflexion de la majorité présidentielle »une époque où le Secrétariat général de ce mouvement à politique, qui mobilisait pour Jacques Chirac, était feu Maurice Robert, l’homme de l’ombre de Jacques Foccart. Le « monsieur Afrique » de ce 1 mouvement était alors Robert Bourgi , aujourd’hui le Foccart pur sang de Nicolas Sarkozy, aux côtés du Secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant. C’est donc à Jacques Toubon que Nicolas Sarkozy a chargé de préparer e l’initiative « 2010, année Afrique », pour fêter le 50 anniversaire de la Françafrique. Autre Noir de l’Élysée au service de Nicolas Sarkozy, Patrick Balkany, député-maire de Levallois qui, lui aussi, était déjà bien impliqué dans la famille Foccart notamment en 1994 pour le compte du Premier ministre, Édouard Balladur. Du doyen Omar Bongo au maréchal Mobutu en passant par le doux Biya, il sillonnait Libreville, Gbadolité, Yaoundé... sans avoir besoin d’un plan de la ville. Sarkozy a pris tout le goût qui lui manquait de l’Afrique et en a découvert les merveilles. Entouré des africanistes comme l’ancien ministre Olivier Stirn chargé de mission pour la liaison entre l’Union pour la Méditerranée (UPM) et l’Union Africaine (UA), Alain Bauerancien Grand maître du Grand Orient de France (GOF), Bruno Joubert, Rémi Maréchaux, Romain Serman, le général de brigade Didier Castres, le directeur Afrique du Quai d’Orsay, Nathalie Delapalme ou l’ambassadeur, Louise Avon, chargée de rédiger le rapport sur la « rénovation des sommetsFrançafrique»... plus malin serait celui qui trouvera dans la configuration les pistes d’une rupture. Sur le chemin de la mondialisation qui a laissé la France portes ouvertes à la réconciliation avec l’Allemagne, à l’Europe monétaire ou à l’Amérique de Barack Obama, seule l’Afrique ne semble pas avoir le droit de s’ouvrir la porte aux libertés et droits de l’homme. Rien de plus accablant qu’un mariage incestueux. En signant le privilège du partenariat avec son colonisateur, l’Afrique ne s’imaginait-elle pas qu’un colon n’a pour seule obsession qu’une relation fusionnelle : de maître à esclave ? Ne connaît qu’un seul mode de partage : le partage inégal ? N’a qu’une seule logique d’échange : l’exploitation ? Ne sait se servir autrement que par le pillage ? N’incite le camp adversepour mieux en tirer profitqu’à la barbarie, aux violences et à la mal gouvernance ? Des oublis qu’elle paiera au prix fort.
1  Le retour du refoulé françafricain sous la présidence de Nicolas Sarkozy s'est opéré en deux actes : à Paris, puis à Libreville (Gabon). Le premier a le charme discret des réunions de famille. Le palais de l'Élysée sert de cadre. Le 27 septembre 2007 au soir, en présence de plusieurs ambassadeurs africains, de la fille du président gabonais Omar Bongo et du fils de son homologue sénégalais Abdoulaye Wade, Nicolas Sarkozy fait Robert Bourgi chevalier de la Légion d'honneur. Avocat né à Dakar voici 63 ans, il sert de missi dominici officieux tant aux présidents africains que français depuis des décennies. Il est le dernier héritier direct de Jacques Foccart, le patron historique des réseaux gaullistes en Afrique.
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