Jésus apocryphe
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Description

Jésus apocryphe, comment ces deux termes pourraient-ils tenir ensemble ? Dans cette collection où sont publiés une centaine de titres, il fallait qu’il y en ait un quatre-vingt-dix-neuvième, celui des quatre-vingt-dix-neuf brebis délaissées pour permettre de retrouver la brebis perdue. Les figures antiques de Jésus dans la littérature apocryphe sont parfois perdues, oubliées, contestées, honnies, en tout cas peu connues.

Par ce titre, Jésus apocryphe, l’auteur entend traiter des représentations de Jésus dans les premiers textes apocryphes de l’Antiquité chrétienne. C’est ainsi que sont présentées les différentes formes principales du gnosticisme, qu’un écho est donné aux apocryphes non gnostiques et que place est même faite au manichéisme.

Dans le souci de permettre la lecture de textes anciens et de textes originaux, maintenant accessibles en traduction, J.-D. Dubois restitue ici l’importance des débats et de la variété des positions sur l’arrière-fond desquels s’est peu à peu précisée la doctrine reçue dans la Grande Église concernant aussi bien la figure de Jésus le Christ, que les manières chrétiennes anciennes de présenter sa divinité ou son humanité.

Une collection de référence en christologie sous la direction de Monseigneur Doré.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mars 2011
Nombre de lectures 44
EAN13 9782718908069
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0150€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Image couverture
Image page de titre
© 2011, Mame-Desclée, Paris
www.fleuruseditions.com
ISBN : 978-27189-0806-9
MDS : 532 021
Tous droits réservés pour tous pays
À la mémoire de Patricia
qui aurait voulu lire ces pages
Présentation
1. En même temps qu’une entreprise, une collection d’ouvrages est aussi une aventure, et une aventure humaine. On a beau programmer et planifier, et le faire suffisamment à l’avance, beaucoup de facteurs peuvent interférer, dont on n’a aucunement la maîtrise, mais qui risquent à tout moment de compromettre l’aboutissement. Ceux d’ordre humain sont évidemment décisifs, particulièrement quand l’entreprise en question est d’ordre éditorial.
Au premier rang de ces facteurs vient bien entendu la maison d’édition elle-même. Au moment où la collection « Jésus et Jésus-Christ » atteint sa fin, je tiens à redire ici ma reconnaissance à Mame-Desclée et au groupe Média-participations, dont cette maison est partie intégrante.
Tout aussi évidemment, il y a également les auteurs ! Bientôt, et très précisément dans le no 101 (ou plutôt 100 + 1), j’aurai l’occasion d’en dire davantage sur ce point. Je peux et dois néanmoins l’évoquer déjà à propos de cet ouvrage-ci. Plusieurs aléas, de santé avant tout, ont en effet à la fois beaucoup compliqué et notablement différé l’aboutissement de ce no 99. Que son auteur soit d’autant plus chaleureusement remercié d’avoir réussi malgré tout à conduire l’opération à son terme.
2. La reconnaissance que j’exprime ici se redouble du fait que je la formule à propos d’un ouvrage qui aurait beaucoup manqué à la présente collection si, comme on a pu le craindre à un certain moment, la réalisation s’était avérée impossible dans les délais qui s’imposaient. L’intention de la série « Jésus et Jésus-Christ » n’est certes pas l’exhaustivité (toujours impossible du reste) ; mais comment, compte tenu de son projet éditorial, aurait-elle pu faire l’impasse sur la littérature dite « apocryphe » ?
Au moins deux raisons immédiates militaient déjà pour qu’on ne néglige pas cette vaste production littéraire. D’une part, c’est un fait qu’elle a été beaucoup mise à contribution à travers les vingt siècles déjà écoulés de l’histoire du christianisme. Piété et foi populaires, arts sacrés, littérature spirituelle (et quelquefois théologique) ont beaucoup puisé à ce qui était connu des textes transmis sous cette appellation générique. Il convenait donc de donner ici des repères, de fournir des critères de lecture et d’interprétation.
D’autre part, on ne saurait oublier que l’époque tout à fait contemporaine a été assez avide de ce genre de littérature. Dans des intentions fort diverses, on le sait : simple information ici, goût du sensationnel là, intention polémique ailleurs, ou bien encore simple volonté de sortir des sentiers battus ? – J.-D. Dubois donne lui-même quelques exemples parlants. On conviendra aisément que, de ce point de vue aussi, un éclairage compétent était souhaitable.
3. Nous avons hésité sur le titre à donner à l’ouvrage. L’auteur indique les raisons qui nous ont conduits à choisir celui que nous avons retenu. Ce titre présente au moins le double avantage de la clarté et de l’amplitude. La clarté est principalement d’ordre chronologique : on est clairement situé dans une littérature qui a rapport plus ou moins direct avec le Nouveau Testament mais qui, pour diverses raisons, n’a de fait pas été intégrée à son canon.
Quant à l’amplitude, elle est liée au souhait qui était le nôtre dans le cadre de la collection : faire écho autant que possible à la diversité des courants, mais sans multiplier les ouvrages sur eux ! C’est ainsi que sont présentées ici les différentes formes principales du gnosticisme, qu’un écho est donné aux apocryphes non gnostiques, et que place est même faite au manichéisme.
Mais je laisse à l’auteur, excellent spécialiste comme l’on sait de toute cette littérature, de nous éclairer de toute sa compétence aussi bien sur les désignations que sur les répartitions. Je souligne toutefois que je lui suis tout particulièrement reconnaissant d’avoir été, selon ma recommandation, assez attentif à citer abondamment (en traduction française) les textes auxquels il se réfère ou qu’il commente. Il rend là un service qui sera d’autant plus apprécié des lecteurs que, en dehors des spécialistes, ils ne sont pas si nombreux à pouvoir y accéder directement. Les bibliographies soigneusement établies pour chaque chapitre et pour l’ensemble fourniront par ailleurs toutes les références souhaitables.
4. Aux raisons déjà évoquées concernant l’intérêt de la publication de cet ouvrage dans cette collection s’en ajoutent deux autres, plus fondamentales.
Tout d’abord, c’est un fait que le type de littérature que nous qualifions ici d’« apocryphe » non seulement est si abondant qu’on a pu parler à son sujet d’un « continent », mais que publications et même découvertes se sont multipliées surtout au cours des deux ou trois dernières décennies. Il était donc souhaitable qu’un spécialiste acceptât à la fois de faire le point sur l’état présent de la recherche et de présenter l’essentiel de ses résultats actuels.
Ensuite et surtout, au fur et à mesure que la découverte et la fréquentation se sont développées, on s’est aperçu de l’intérêt pour l’histoire de la doctrine christologique comme telle, d’une investigation attentive de tout le domaine en cause – à condition toutefois de sortir des seuls sentiers battus jusqu’à une époque récente. Assurément, l’auteur tient à souligner que son approche est celle d’un historien, mais c’est précisément à ce titre qu’elle présente pour nous tout son intérêt. On y gagne en effet une restitution fort suggestive de l’importance des débats et de la variété des positions sur l’arrière-fond desquels s’est peu à peu précisée la doctrine reçue dans la Grande Église concernant aussi bien la figure de Jésus le Christ, que son double rôle de révélateur de Dieu et de sauveur du monde.
+ Joseph Doré
Archevêque émérite de Strasbourg
Introduction
« Jésus apocryphe ». Comment ces deux termes pourraient-ils tenir ensemble ? Dans la collection « Jésus et Jésus-Christ » où sont publiés maintenant près d’une centaine de volumes, il fallait qu’il y en ait un quatre-vingt-dix-neuvième, celui des quatre-vingt-dix-neuf brebis délaissées pour permettre de retrouver la brebis perdue. Les figures antiques de Jésus dans la littérature apocryphe sont parfois perdues, oubliées, parfois contestées, honnies, en tout cas peu connues. Par ce titre Jésus apocryphe, nous entendons traiter des représentations de Jésus dans les premiers textes apocryphes de l’Antiquité chrétienne. Il nous faut donc définir ce que l’on entend par « littérature apocryphe ».
Dès que l’on touche aux divers milieux qui ont produit les apocryphes chrétiens anciens, on s’aperçoit que les premières générations du christianisme n’ont pas élaboré une doctrine orthodoxe en quelques années. Pendant au moins deux ou trois siècles, si ce n’est pas plus, il a existé une très grande diversité de courants d’opinions parmi lesquels on rencontre des milieux gnostiques. Nous allons aussi définir brièvement ce que nous entendons par là, mais il n’est pas toujours facile de distinguer clairement ce qui relève des gnostiques de ce qui relève des apocryphes ; il peut y avoir des apocryphes gnostiques, comme il peut y avoir des textes gnostiques qui ne ressemblent pas aux apocryphes chrétiens anciens.
Quand on compare le sommaire des bibles catholiques et protestantes, on remarque l’inclusion, ou non, de certains écrits dits « apocryphes » en milieu d’origine protestante, « deutéro-canoniques » en milieu catholique. Cette catégorie d’écrits perçus comme d’un « canon au second degré » provient du fait que certains textes issus du judaïsme hellénistique ont été rédigés originellement en grec, et non en hébreu comme pour le reste de la Bible juive. Ces écrits n’ont pas été habituellement retenus par les Bibles du judaïsme rabbinique : Judith, Tobit, I et II Maccabées, Sagesse de Salomon, Siracide, Baruch, la Lettre de Jérémie, la version grecque d’Esther et les additions au livre de Daniel. Retenus dans les Bibles chrétiennes la plupart du temps, ils ont fait l’objet de débats, notamment autour du moine et traducteur de la Bible en latin, Jérôme, partisan de la seule veritas hebraica, et à la période des controverses entre protestants et catholiques, après la période des Réformes. Contrairement à une idée reçue, il n’a pas existé de décision synodale du judaïsme qui aurait fixé les limites du canon des Écritures bibliques, même si l’on sait que l’on a discuté de l’intégration dans le canon du Cantique des Cantiques et de l’Ecclésiaste à la fin du Ier siècle de notre ère et que le livre du Siracide a suscité de nombreuses réactions divergentes au sein du judaïsme3.
À côté des écrits de la Bible, le judaïsme a produit de nombreux textes anonymes mis sous le patronage d’une figure biblique. On les appelle souvent des « pseudépigraphes », c’est-à-dire rédigés au nom de personnages célèbres, comme Adam, Abraham, Moïse, Joseph, Esdras, Jérémie ou Baruch. Plusieurs de ces écrits ont été conservés par les chrétiens. La plupart d’entre eux ont été publiés dans la « Bibliothèque de la Pléiade » sous le titre La Bible. Écrits intertestamentaires4. Ce titre ambigu souligne que ces écrits proviennent d’une période contemporaine des derniers livres de l’Ancien Testament et des premiers écrits chrétiens. Or ils couvrent une période de plusieurs siècles, deux ou trois avant notre ère et un ou deux après. Ce sont souvent des apocalypses, comme celle d’Hénoch, des Jubilés, de II Baruch, de IV Esdras, d’Abraham, d’Élie, mais aussi des ouvrages poétiques comme les Psaumes de Salomon ou les Oracles sibyllins. Comme ces écrits ont été publiés en traduction française dans le même volume que les textes des manuscrits de Qumrân, on a tendance à les confondre avec la production littéraire des Esséniens.
La littérature apocryphe chrétienne, quant à elle, a fait l’objet de nombreux travaux, surtout depuis la création de l’association internationale Aelac en 1981, responsable éditorial des volumes du aux Éditions Brepols, à Turnhout, en Belgique. Dès le départ, l’Aelac a opté pour l’abandon du terme « apocryphes du Nouveau Testament », trop limitatif, tant du point de vue du contenu que du point de vue du cadre chronologique ; en revanche, elle a vulgarisé la dénomination « écrits apocryphes chrétiens », notamment en raison d’un débat avec des anthologies germaniques, largement utilisées à cette époque, comme l’a bien montré Éric Junod dans plusieurs contributions. Sa définition des apocryphes émanant des discussions au sein de l’Aelac est devenue classique depuis 1983 et a servi de point de départ à une nouvelle génération de recherches : « textes anonymes ou pseudépigraphes d’origine chrétienne qui entretiennent un rapport avec les livres du NT et aussi de l’AT parce qu’ils sont consacrés à des événements racontés ou évoqués dans ces livres ou parce qu’ils sont consacrés à des événements qui se situent dans le prolongement d’événements racontés ou évoqués dans ces livres, parce qu’ils sont centrés sur des personnages apparaissant dans ces livres, parce que leur genre littéraire s’apparente à ceux des écrits bibliques ». En revenant plusieurs fois sur cette définition, Éric Junod a surtout montré qu’il ne faut pas considérer les écrits apocryphes en rapport avec la constitution et la clôture du canon des Écritures. Les écrits apocryphes dépassent le temps et les limites géographiques du monde de la constitution du canon biblique. Nous traiterons donc de divers apocryphes renvoyant aux récits de l’Enfance de Jésus ou de Marie, aux récits de la Passion, aux voyages des apôtres. Mais nous aborderons aussi les apocryphes gnostiques, comme l’ qui vient d’être retrouvé il y a quelques années. Corpus christianorum, Series apocryphorum,567Évangile de Judas
Cela nous amène à préciser ce que l’on entend par milieux ou groupes gnostiques. Le terme désigne les « connaissants », ceux qui ont la gnose (en grec, gnosis) des secrets merveilleux qui traitent de la création du monde, des mondes célestes et de leurs habitants, ou des mystères du corps humain, et qui permettent d’obtenir le salut à la fin des temps. Les gnostiques interviennent habituellement dans des cercles ésotériques où l’initiation assure la transmission des connaissances à ceux qui peuvent les recevoir. Cette désignation a été forgée par les Pères de l’Église qui les ont combattus dès le milieu du IIe siècle. L’irruption de groupes gnostiques, d’abord au sein des communautés chrétiennes, s’explique à partir du moment où le christianisme a dû se forger une identité propre indépendante des structures sociales du judaïsme ; elle correspond aussi aux premiers essais de rencontre du christianisme avec la philosophie antique. On trouve plusieurs sortes de gnostiques, rassemblés en communautés ressemblant à des cercles de philosophes ; ces groupes sont désignés souvent à partir du nom de leur chef d’école ; nous aborderons ainsi les gnostiques basilidiens, valentiniens mais aussi séthiens dont l’identité exacte est encore problématique. Parmi les grandes découvertes de manuscrits anciens, nous exploiterons quelques textes issus de la collection des manuscrits coptes découverts à Nag Hammadi en 1945, car ils donnent accès à des documents nouveaux provenant directement des gnostiques anciens.
Dans le panorama des groupes et des milieux divers qui ont coexisté durant les premiers siècles du christianisme, il nous a semblé bon d’inclure aussi quelques pages sur la figure de Jésus au sein de la religion manichéenne. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un milieu gnostique ou d’une hérésie chrétienne. Le manichéisme est une religion à part entière qui s’est répandue de l’Iran sassanide, en Occident jusqu’en Afrique du Nord, et en Orient sur les routes de l’Asie centrale jusqu’en Chine. Il s’est constitué en une religion concurrente du christianisme en divers lieux ; on se souvient de la polémique constante de saint Augustin contre l’Église manichéenne où il a passé neuf ans de son existence avant de redevenir chrétien. Le manichéisme n’a pas été sans influencer la rédaction de quelques pages d’apocryphes chrétiens, comme la Doctrine d’Addaï. Sous le titre Jésus apocryphe, nous envisageons donc de faire découvrir au lecteur quelques pages méconnues d’écrits anciens – gnostiques, apocryphes et manichéens – qui ont présenté Jésus sous des facettes multicolores.
Multicolores sont les vitraux des cathédrales médiévales qui ont mis en lumière et en couleur nombre de traditions apocryphes, sur la vie de Jésus, la vie de la Vierge et les traditions des apôtres ou des personnages anonymes du Nouveau Testament entrés dans la vie liturgique des communautés chrétiennes. À partir du moment où se sont développés le culte des martyrs et le culte des saints, il devenait important de retrouver des traditions anciennes sur les apôtres et les saints du calendrier. À leur date anniversaire, les célébrations liturgiques proposaient la lecture de leur vie ou de leur martyre ainsi que de leurs miracles. Au milieu du XIIIe siècle, des grandes compilations furent rassemblées pour alimenter la prédication et les cérémonies liturgiques du culte des saints ; parmi les plus connues, on notera celles de la Légende dorée de Jacques de Voragine ou le Speculum historiale de Vincent de Beauvais. La mariologie n’aurait pu se développer sans la transmission ininterrompue du Protévangile de Jacques et de ses remaniements ultérieurs dans le Pseudo-Matthieu. Si l’on songe à quelques monuments célèbres comme le ciboire de Saint-Marc à Venise, les fresques de Giotto à Padoue ou le plafond de l’église paroissiale de Zillis en Suisse ou encore les vitraux de la cathédrale de Chartres, on ne manquera pas de consulter les textes apocryphes pour apprécier les détails de leur mise en œuvre. Même si les apocryphes ont connu des fortunes variées au cours de l’histoire, parfois vénérés, parfois mis à l’Index, on reconnaîtra qu’ils sont sortis des chapelles et des monuments littéraires de l’Antiquité. Il suffit de voir le portrait sulfureux de Marie-Madeleine exploité de nos jours dans la littérature et dans des films comme La Dernière Tentation du Christ ou le Da Vinci Code. Il est même étonnant que l’on n’ait pas encore aperçu de film sur Judas depuis la publication de l’évangile apocryphe qui porte son nom, en 2006. Un dictionnaire ne suffirait pas à répertorier les divers usages des apocryphes, de l’Antiquité à nos jours, dans la peinture, la sculpture, le théâtre, le cinéma mais aussi la liturgie et l’architecture religieuse. Comme aimait à le dire et le redire Jean-Claude Picard, à qui l’on doit, avec Pierre Geoltrain, la création de la revue d’études qui leur est consacrée, Apocrypha8, partir à la rencontre des apocryphes, c’est faire la découverte de tout un « continent ».

Ces pages n’auraient pas vu le jour sans les encouragements amicaux et la fidélité du directeur de cette collection, Mgr Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg, à qui va toute notre reconnaissance.
CHAPITRE PREMIER
Un Jésus rieur
Rares sont les passages des écrits chrétiens antiques qui présentent la figure d’un Jésus rieur. Dans les textes du Nouveau Testament, Jésus peut être aperçu en larmes, comme le jour où il entre à Jérusalem et pleure sur la ville (Lc 19, 41). Et les évangélistes n’ont pas conservé de traditions sur un portrait de Jésus en proie au rire. Pourtant, dès le siècle, les gnostiques chrétiens disciples d’un certain Basilide, maître gnostique au sein de la communauté chrétienne d’Alexandrie, proposent une lecture originale des récits de la Passion du Christ en figurant un Jésus souffrant sur la croix distinct d’un Jésus Sauveur qui, lui, rit de ceux qui le crucifient. Cette représentation gnostique nous est rapportée par la réfutation de l’évêque Irénée de Lyon. IIe
1. Une représentation gnostique de la croix selon Irénée
Dans son Contre les hérésies, Irénée s’en prend à plusieurs sortes de gnostiques mais aussi au système de la christologie des gnostiques basilidiens et à leur scénario inhabituel de la crucifixion de Jésus :
Jésus apparut… sur terre, sous la forme d’un homme, et il accomplit des prodiges. Par conséquent, il ne souffrit pas lui-même la Passion, mais un certain Simon de Cyrène fut réquisitionné et porta sa croix à sa place. Et c’est ce Simon qui, par ignorance et par erreur, fut crucifié, après avoir été métamorphosé par lui pour qu’on le prît pour Jésus ; quant à Jésus lui-même, il prit les traits de Simon et, se tenant là, se moqua des Archontes (I, 24, 4)9.
On remarquera que, dans cette présentation succincte de Jésus, on insiste peu sur sa naissance ; celui-ci ne fait qu’apparaître sur la terre ; la traduction française pourrait laisser croire que Jésus n’est qu’une apparence : « il apparut… » ; en fait, c’est une formule courante des premiers chrétiens pour souligner que Jésus s’est manifesté sur la terre, parce qu’il s’est aussi manifesté ailleurs, dans les cieux ou les lieux intermédiaires entre la terre et le ciel. Du ministère public de Jésus, la présentation résumée qu’en donne Irénée ne retient que les miracles ou les prodiges. En revanche la figuration de la Passion et surtout de la crucifixion prend une véritable ampleur avec un scénario ancré dans un détail du texte biblique canonique. En effet, les trois évangiles synoptiques, mais pas l’Évangile de Jean, rapportent l’anecdote du personnage Simon de Cyrène réquisitionné pour porter la croix jusqu’au Calvaire (Mc 15, 21 et par.). Or les basilidiens exploitent une ambiguïté du texte biblique selon l’Évangile de Marc que les deux autres synoptiques ont légèrement atténuée ; après la mention de la réquisition de Simon, le texte dit ceci : « Et ils le menèrent au lieu-dit Golgotha… Ils voulurent lui donner du vin mêlé de myrrhe… Ils le crucifièrent » (Mc 15, 22ss.) ; le pronom personnel « le » est d’habitude interprété en référence à Jésus étant donné ce qui suit ; mais une lecture littérale du texte de l’Évangile de Marc peut aboutir à l’interprétation proposée par les basilidiens ; Simon est réquisitionné pour porter la croix jusqu’au Golgotha et on le crucifie, dans la foulée.
Mais à partir de là, le texte biblique n’évoque pas la métamorphose entre les personnages de Jésus et de Simon, ni le fait que Simon est finalement crucifié « par erreur et ignorance ». On touche ici à la pointe de ce qui fait l’originalité de la présentation basilidienne de la croix ; non seulement Simon est pris pour Jésus mais surtout Jésus se rit des archontes ou des personnages qui dépendent du Dieu créateur, toutes les armées célestes organisant la vie des gens sur la terre et dont les prêtres et les scribes des récits évangéliques de la Passion ne sont que les représentants et les fidèles serviteurs. Jésus éclate de rire, car celui que l’on a pris pour le crucifier n’est pas le sauveur véritable. Simon crucifié par erreur est le symbole de toute une mauvaise compréhension de la crucifixion selon les basilidiens. On voit poindre ici un débat chez les chrétiens anciens sur l’interprétation paulinienne de la croix ; si l’apôtre Paul peut proclamer aux fidèles de la communauté de Corinthe, « j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (1 Co 2, 2), les chrétiens basilidiens d’Alexandrie n’acceptent pas cette théologie de la souffrance et de la croix centrée sur « un messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens » (1 Co 1, 23). En effet, selon les basilidiens « Jésus ne souffrit pas lui-même la Passion » comme il est dit plus haut dans l’extrait d’Irénée ; Jésus ne souffre pas lui-même, parce que Simon est crucifié à sa place. Après la mention du rire face aux archontes, la présentation d’Irénée continue ainsi sur la personne de Jésus :
Étant, en effet, une puissance incorporelle et l’Intellect du Père inengendré, il se métamorphosa comme il voulut, et c’est ainsi qu’il remonta vers Celui qui l’avait envoyé, en se moquant d’eux, parce qu’il ne pouvait être retenu et qu’il était invisible à tous (I, 24, 4). 10
Irénée livre ici une clé fondamentale pour comprendre la christologie des basilidiens, tout en critiquant leurs positions dans d’autres chapitres de sa réfutation (II, 35, 1). Jésus n’est pas qualifié de Logos divin, de Parole divine, faite chair comme dans l’Évangile de Jean (1, 14). Il représente au contraire l’Intellect divin du Père. À ce titre, il est invisible et ne peut pas être « retenu », enchaîné ou crucifié ; il ne peut pas souffrir comme un homme charnel ; d’où le scénario narratif mettant en lumière le personnage de Simon de Cyrène. Irénée ne se trompe pas en pensant que les dires des gnostiques sur l’Intellect du Père posent problème quand on envisage l’interprétation des textes bibliques. Un peu plus loin dans sa réfutation des positions gnostiques, pas spécialement basilidiennes, sur l’ordre des émissions des figures divines, il considère au Livre II que les gnostiques ne parlent pas bien de Dieu sur le mode des conceptions de la psychologie humaine. Pour Irénée, la prééminence de l’Intellect sur le Logos divin paraît contradictoire avec les textes bibliques, notamment le prologue johannique :
Quand les hérétiques disent que de Dieu a été émise la Pensée, puis de la Pensée l’Intellect, et enfin de ceux-ci le Logos, ils sont dignes de blâme, d’abord parce qu’ils bouleversent l’ordre des émissions, ensuite parce que, en décrivant une psychologie, des phénomènes, des activités de pensée propres à l’homme, ils méconnaissant Dieu. En effet, ce qui se passe en l’homme pour aboutir à la parole, ils l’appliquent au Père de toutes choses, qu’ils disent néanmoins inconnaissable pour tous : ils nient qu’il ait fait le monde, de peur de l’amoindrir, et ils le gratifient d’une psychologie et de phénomènes tout humains. S’ils avaient connu les Écritures et s’ils s’étaient mis à l’école de la vérité, ils sauraient que Dieu n’est pas comme les pensées des hommes. Car le Père de toutes choses est à une distance considérable d’une psychologie et de phénomènes propres à des hommes : il est simple, sans composition, sans diversité de membres, tout entier semblable et égal à lui-même, car il est tout entier Intellect, tout entier Esprit, tout entier Intellection, tout entier Pensée, tout entier Parole, tout entier Ouïe, tout entier Œil, tout entier Lumière, tout entier Source de tous les biens. Voilà comme il est loisible à des hommes religieux de parler de Dieu (II, 13, 3)11.
Ce qui choque Irénée, c’est visiblement l’application de la psychologie humaine à la spéculation théologique ; les gnostiques « bouleversent l’ordre des émissions » des figures du panthéon divin telles qu’Irénée en donne des exemples en parlant des gnostiques valentiniens, au début du Livre I, 1, 1. Autrement dit, ils ne respectent pas un ordre hiérarchique habituel dans la façon de concevoir l’engendrement des principes qui émanent de la transcendance divine. Dans une telle présentation de la mythologie de ces gnostiques chrétiens, l’Intellect apparaît avant l’irruption du Logos, alors que pour Irénée Dieu est tout entier l’ensemble de ces qualifications, Intellect, Pensée, Esprit, Parole, Lumière. Il n’y a pas en Dieu une série d’engendrements successifs. Si les gnostiques connaissaient vraiment les Écritures, ils « ne méconnaîtraient pas Dieu » et auraient la connaissance véritable ou la « gnose ». On sent que les références bibliques ne sont pas les mêmes dans le camp d’Irénée ou dans le camp des gnostiques, en particulier dans l’interprétation des premiers versets du prologue de Jean.
2. Présentation de la doctrine des basilidiens
Si l’on revient au début de la notice sur les basilidiens (Contre les hérésies, I, 24, 3), Irénée décrit l’organisation de leur système théologique. Comme pour la plupart des gnostiques, la transcendance divine s’exprime sous la forme d’une série d’engendrements célestes dans ce que les gnostiques nomment le « Plérôme divin », le lieu de la plénitude divine, inaccessible au commun des mortels mais perceptible aux gnostiques initiés aux secrets merveilleux des palais célestes et de leurs habitants angéliques :
Du Père inengendré est né d’abord l’Intellect, puis de l’Intellect le Logos, puis du Logos la Prudence, puis de la Prudence la Sagesse et la Puissance, puis de la Sagesse et la Puissance les vertus, archontes et anges qu’il (Basilide) appelle premiers et par qui a été fait le premier ciel. Puis par émanation à partir de ceux-ci, d’autres anges sont venus à l’existence et ont fait un second ciel semblable au premier. De la même manière, d’autres anges encore sont venus à l’existence par émanation à partir des précédents, comme réplique de ceux qui sont au-dessus d’eux et ont fabriqué un troisième ciel. Puis de cette troisième série d’anges, une quatrième est sortie par dégradation, et ainsi de suite. De cette manière assurent-ils, sont venues à l’existence des séries successives d’archontes et d’anges, et jusqu’à 365 cieux. Et c’est pour cette raison qu’il y a ce même nombre de jours dans l’année, conformément au nombre des cieux (I, 24, 3)12.
Le système basilidien est assez simple, même s’il présente une cosmogonie très développée avec 365 cieux, permettant une combinaison entre spéculations théologiques et astrologiques. Comme on le sait par ailleurs, les basilidiens sont sans doute l’un des premiers groupes chrétiens à s’intéresser à la mise en place d’un calendrier liturgique puisque le nombre de cieux correspond au nombre de jours dans une année. Cette remarque d’Irénée sur les 365 cieux vise plutôt à souligner le penchant des basilidiens pour l’astrologie et la magie, comme il le rappelle lui-même à la fin de sa notice sur les basilidiens :
Ils déterminent la position des 365 cieux de la même manière que les astrologues : empruntant leurs principes, ils les adaptent au caractère propre de leur doctrine. Leur chef est Abraxas, et c’est pour cela qu’il possède le nombre 365 (I, 24, 7)13.
Sans décrire en quoi consistent ces pratiques magiques, Irénée rapporte ici une information sur l’organisation des 365 cieux puisque le chef des armées angéliques qui peuplent les sphères célestes porte le nom célèbre d’Abraxas, attesté dans les papyri magiques grecs de l’Antiquité et dont la valeur numérique des lettres grecques correspond exactement à 365.
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