Les musulmans, l'école et l'état dans le bassin du Lac Tchad

Saïbou Issa

Description

L'irruption de Boko Haram dans le bassin du Lac Tchad remet à l'ordre du jour le débat sur le rapport des sociétés musulmanes de cette région à la modernité. Dans une démarche rétrospective, les contributions de cet ouvrage situent la place de l'islam et de l'éducation islamique dans le façonnement des mentalités et des attitudes vis-à-vis des modèles sociétaux induits par la colonisation.


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Sujets

• Islam
• Éducation
• Religion
• Philosophie et théologie
• Colonisation

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 15 octobre 2016
• Nombre de lectures: 30
• EAN13: 9782140020216
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

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Sous la direction de S AÏBOU I SSA

LES MUSULMANS, L’ÉCOLE ET L’ÉTAT dans le bassin du Lac Tchad

Les musulmans, l’école et l’État dans le bassin du Lac Tchad

Sous la direction de S AÏBOU I SSA

Les musulmans, l’école et l’État

dans le bassin du Lac Tchad

© L’Harmattan, 2016 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [e-mail] [e-mail] ISBN : 978-2-343-10227-6 EAN : 9782343102276

Sommaire Introduction : Résurgence de la question musulmane dans le bassin tchadien Saïbou Issa ...............................................................................................7 Ethnicity and Islam in Cameroon and Nigeria Ousmanou Adama ................................................................................. 21 Islam and mentality shaping in the Lake Chad Basin Galy Mohamadou ..........................................54........................................ Concilier l’enseignement traditionnel, religieux et moderne Bachir Bouba ......................................................................................... 61 Nomadic Koranic schools and social exclusion : The case of the Mahadjirs in the Lake Chad Basin region Bana Barka ............................................................................................ 77 Religieux, leaders musulmans et mutations de l’enseignement islamique au Nord-Nigeria Ouba Abdoul-Bâgui .............................................................................. 95 Dynamique et perspectives de l'enseignement privé islamique au Nord- Cameroun (1963-2015) Ibrahim Abdourhaman ....................................................................... 117 De l’intégration socioprofessionnelle des diplômés arabophones dans le bassin du Lac Tchad Bana Barka .......................................................................................... 147 L’aide islamique au développement dans le bassin du Lac Tchad Bachir Bouba ....................................................................................... 181 Les Oulémas et l’instrumentalisation politique de l’islam au Nord- Nigeria Ouba Abdoul-Bâgui ............................................................................ 199 Le contrôle de l’islam et la prévention contre l’extrémisme religieux au Cameroun et au Tchad Mbarkoutou Mahamat Henri ............................................................. 221

Introduction : Résurgence de la question musulmane dans le bassin tchadien Saïbou Issa

École normale supérieure Université de Maroua

Depuis 2009, année d’émergence de Boko Haram sur la scène stratégique du bassin du Lac Tchad, une abondante littérature essaie de donner sens à l’intelligence laborieuse d’un phénomène guerrier qui surprend par sa capacité de résilience. Dans l’analyse de cet enjeu stratégique nouveau, diverses études ont établi l’ancrage islamiste de Boko Haram qui adhère au salafisme et promeut l’islamisation des comportements, de la gouvernance et des institutions. Des lectures ‘glocales’ effleurent les fraternisations internationales – peu documentées – d’une organisation d’essence endogène qui s’est épaissie au gré de ses avancées militaires et de l’audience que lui procure sa permanence médiatique.

De la régionalisation des attaques sont nés des enjeux nouveaux en termes de coopération sécuritaire, reconfigurations géostratégiques, reprofilage des politiques publiques frontalières, rapports aux jeunes, contrôle de l’islam… Pour chacun des États riverains du Lac Tchad, l’enjeu Boko Haram se présente de façon distincte avant d’être une menace collective.

Le bassin tchadien tangue sur les vagues agitées des violences humaines et naturelles dont la récurrence le plonge fréquemment dans la somnolence socioéconomique. Entre sécheresse et inondations, les crises climatiques quasi cycliques charrient avec elles épizooties, épidémies et famine, l’assistance humanitaire s’opérant à la limite de l’atavisme. Entre conflits intercommunautaires, guerres civiles et criminalité, la violence sociopolitique et l’entrepreneuriat d’insécurité sapent fréquemment les mobilités sociales émergentes. C’est sur ces territoires structurellement meurtris depuis l’aube des indépendances que s’est abattue l’insurrection de Boko Haram dont les incidences humaines et économiques ont plongé

dans le désarroi des pans entiers de l’extrême nord du Cameroun, du sud- est du Niger, du nord-est du Nigeria et de l’ouest du Tchad. Au-delà de la criminalisation du discours religieux, l’on est en présence d’une combinatoire d’instabilité qui tire avantage de la configuration des territoires, des communautés, des rapports à l’État et aux ressources publiques et naturelles, de l’excroissance des marges frontalières qui se sont autorégulées depuis des décennies, générant des transfrontalités tantôt heureuses, tantôt porteuses de soucis aussi bien pour l’intégrité territoriale que pour la sécurité des hommes et des biens. Ce contexte soulève donc des problématiques plurielles. Leur imbrication explique la complexité de la crise de stabilité que traverse le bassin tchadien depuis quelques décennies. Je voudrais en introduire quelques- uns, sans prétention ni à la vérité ni à l’exhaustivité.

De l’immatérialité du renouveau géostratégique Plus qu’ailleurs sur le continent, le bassin tchadien figure ce désarroi géopolitique et géostratégique serti de paramètres conflictogènes, criminogènes et je dirais ‘radicalogènes'. Ici, restent encore chaudes les cendres des États précoloniaux, dans le legs de modèles économiques et socioculturels qu’ils ont transmis à des peuples qui ont accoutumé une double allégeance : la nationalité et la régionalité. Ils sont Camerounais, Nigérians, Nigériens et Tchadiens. Ils sont également Arabes Choa, Kanouri, Kotoko, Mandara, Mafa, Goudé… appartenant à des aires culturelles qui s’étirent par-delà les dyades. L’ethnie fédère les solidarités transfrontalières. Ses éléments se mobilisent dans les transactions sociales et les réseaux économiques, mais aussi, parfois, dans les conflictualités et les joutes politiques. Les migrations électorales, les transmigrations criminelles, les navettes commerciales, les transhumances pastorales sont autant de modes d’interaction qui instrumentalisent à bon ou à mauvais escient la fluidité des passages aux frontières. L’on a souvent génériquement invoqué laporositédes frontières pour rendre compte des difficultés à contrôler les mouvements des populations, des produits et surtout des vecteurs de la violence aux confins de ces territoires instables. Ceci a trait aux enjeux matériels, aux menaces quantitatives qui s’analysent en termes de nombre, de volume, de fréquence d’illégalités commises, de forces et d’acteurs en transit, en incursion ou en infiltration. La géographie des frontières, dans ses

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rapports à la politique et à la défense, s’est surtout construite autour de ces éléments statistiques. Elle détermine en partie la mise en place des postes-frontières, des dispositifs de défense, des marchés frontaliers… Elle structure donc la formulation des politiques publiques frontalières, davantage dans une optique de sécurisation des espaces nationaux et des recettes.

Cependant, ces dernières années, des mobilités transfrontalières non spatialisables ont davantage compliqué l’indiscipline aux marges des États. Ebola est encore là pour rappeler l’imprévisibilité de la détermination des facteurs de crise, rendant ardue la prospective stratégique, dès lors que l’action de protection civile engage non seulement les professionnels de la santé, civils et militaires, mais aussi la surveillance de la frontière contre l’infiltration d’un vecteur épidémiologique de destruction massive. Les voisins du Nigeria ont ainsi fermé la frontière non pas à des individus et marchandises, mais contre une maladie, chose abstraite seulement quantifiable dans ses effets. Dans la plupart des cas, ce ne sont pas des éléments nouveaux qui portent les nouvelles menaces, mais la maturation de l’existant dans une logique magmatique. C’est ainsi que le bouillonnement des idées produit des effluences inattendues.

En d’autres circonstances, j’avais rendu compte des insuffisances d’une incrimination de la configuration géographique seule pour expliquer des conflictualités dont l’étiologie et la forme s’inscrivent dans le temps long des rencontres entre les peuples, des politiques de gestion des identités différentielles, de l’agrégation des frustrations et attentes qui ont trouvé dans les moments de césure politique, le moyen de s’exprimer 1 par la violence politique ou génératrice de revenus criminels.

Le rapport sociohistorique à l’islam et à son culte y était déjà apparu comme un facteur (mineur) de différenciation ethnique entre musulmans, subodorant la résurgence du réformisme religieux dans une sous-région qui en connaît des manifestations depuis Ousman dan Fodio. Car depuis lors, l’islam a coulé dans toutes les sphères, scellant des alliances commerciales, fédérant des revendications sociales ou politiques, sous- tendant l’éducation, régulant les relations sociales indépendamment du zèle religieux de ses adeptes. Certes, la radicalisation des comportements

1 Voir Saïbou Issa, 2012,Ethnicité, frontières et stabilité aux confins du Cameroun, du Nigeria et du Tchad, Paris, L’Harmattan. 9