Mémoire de réfugiée
141 pages
Français

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Mémoire de réfugiée , livre ebook

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Description

Sous l’ère Ceaucescu, une jeune Roumaine fuit son pays et débarque, toute dépaysée, en Suisse. Ce n’est pas seulement son histoire qu’elle raconte: c’est toute une saga familiale qui nous replonge dans le chaos du 20e siècle. Son récit poignant, fait de souffrance et d’espoir, donne le courage de se battre pour ce qui est essentiel dans la vie: la famille, la foi, l’amour et la liberté!

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2012
Nombre de lectures 122
EAN13 9782889135448
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0094€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Extrait


Lundi matin, 5 juin 1978: jour de mon départ. Je quitte mes parents et mon pays. Mon cœur bat des ailes comme un oiseau emprisonné. Ma bouche se dessèche et ma langue se colle à mon palais, étouffant les paroles. La séparation est un crève-cœur car je sais que mon départ signifie un non-retour.

En me prenant dans ses bras, papa me caresse les cheveux sans rien dire. Je sens son souffle sur ma joue et je m’efforce de contenir le mien presqu’à m’étouffer. J’embrasse très fort maman et laisse mon front dans le creux de son épaule en ravalant mes larmes. Je sors sans me retourner en redressant mon buste déséquilibré par le poids de la valise et je replace mon sac en tissu beige sur mon épaule. Je sens mes entrailles se déchirer par une brûlure qui, tel un serpent, remonte jusque dans ma gorge.

Je pars seule, car je ne veux pas que mon départ attire l’attention. J’habite au 14 Rue de Constitutiei, près de la gare, juste devant la grande synagogue de Sibiu, dans le quartier juif. En passant, j’aperçois Yoshi, le rabbin, qui bêche son jardin. Il lève la tête, interrompt un instant son labeur et me fait un signe de la main.


Le train arrive. Il m’amène à Bucarest, d’où je prends l’avion le lendemain, pour le Brésil. Assise dans le train près de la porte d’un compartiment à huit places, je dévisage les voyageurs. Un homme d’une quarantaine d’années regarde par la fenêtre tandis que deux femmes, paraissant être la grand-mère et la mère d’un enfant d’environ deux ans, finissent leur casse-croûte. L’homme est assis, la tête rentrée dans les épaules. Il paraît perdu dans ses pensées au point de ne pas me remarquer. Je me demande s’il fait partie de la Securitate et s’il est chargé d’épier mes faits et gestes. Mais son regard reste indifférent et à aucun moment il ne m’accorde une attention particulière.

Je touche de temps en temps la poche de ma veste où se trouve mon passeport, preuve d’un miracle. Je peux, en effet, quitter cette grande prison appelée la République Socialiste Roumaine, qui a pris tout un peuple en otage pendant des décennies. Pourtant, j’ai conscience qu’à tout moment mon sort pourrait changer, car dans mon pays, à cette époque, on peut nous ôter ce qu’on nous a donné quelques minutes plus tôt… que ce soit un passeport, un emploi, un diplôme ou la liberté.

J’ai reçu mon passeport d’une manière incroyable et dans un délai très bref. Quelques mois auparavant, des amis de mon grand-père qui habitaient dans la même ville que lui au Brésil sont venus visiter leur famille en Roumanie. Ils sont passés chez nous pour nous apporter un petit présent de sa part. En discutant avec eux, une idée m’est venue subitement. Je savais que l’Etat roumain ferait n’importe quoi pour posséder des dollars; alors je me suis dit que mon grand-père devrait m’envoyer un télégramme où il m’annoncerait qu’il est très malade et qu’il m’appelle d’urgence à son chevet pour me laisser toute sa fortune. J’ai donc demandé à ces amis qu’on lui transmette mon idée.

Après des mois d’attente, le facteur nous apporte un samedi ce télégramme qui m’est adressé en ces termes: Signor Bota Vasile est très malade, en fin de vie. Réclame d’urgence la présence de sa petite-fille Lidia Plesa pour lui transmettre son héritage. Signé Dr Carlos da Silva.

Une heure plus tard, deux hommes sonnent à notre porte. Avant même qu’ils ne se présentent et bien qu’habillés en civil, je sais qu’ils sont de la Securitate. Il y a quelque chose d’inexplicable dans leur regard, dans leur manière de se tenir et de parler qui leur est singulière et qui ne trompe pas. Durant des années, j’ai presque développé un sixième sens et je peux les reconnaître partout, même au milieu d’une foule.


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