Introduction
L’incertitude ne peut s’inscrire paisiblement dans le droit du crédit. Étymologiquement, le terme « crédit » provient du latin «credere», qui signifiait « avoir confiance ». Ainsi, le terme « crédit » a la même origine que les termes « créancier », « croire », ou encore « crédule »... Si le droit du crédit est celui de la confiance, il est évident qu’il ne peut se satisfaire de l’incertitude. Aussi, l’une de ses dimensions les plus importantes estelle celle qui va restreindre cette incertitude, en améliorant les chances du créancier d’être payé, en réduisant le risque d’impayé : c’est l’objet du droit des sûretés. Par conséquent, davantage que comme un complément du crédit–angle sous lequel elles sont trop souvent envisagées–, les sûretés apparaissent comme un catalyseur, comme un moyen du crédit. Il y a confiance, donc crédit, parce qu’il y a sécurité, donc sûretés. C’est dire l’importance du droit des sûretés. Sur un plan juridique, puisqu’il tend à garantir au contrat sa force obligatoire. Sur un plan économique, puisqu’il facilite l’obtention de crédit par les entreprises et les particuliers et permet donc les investissements.
1 •LA NOTION DE SÛRETÉ
Les sûretés permettent ainsi d’introduire dans la créance une certaine sécurité. La sûreté est un mécanisme établi en faveur du créancier, et destiné à garantir le paiement de la dette à l’échéance, malgré l’éventuelle insolvabilité du débiteur. Elle prémunit le créan cier contre le risque d’insolvabilité de son débiteur, donc contre le risque d’impayé. Se pose alors la question de savoir s’il existe une distinction entre les sûretés et les garanties. À ce sujet, deux conceptions s’opposent. Une conception extensive de la notion de sûreté conçoit celleci comme «tous les procédés tendant directement à la 1 garantie de l’exécution des obligations» . Dès lors, apparaîtraient comme des sûretés tous les mécanismes qui peuvent avoir d’autres fonctions, même si au sein de cellesci la fonction de garantie est secondaire. Inversement, une conception stricte distingue les sûretés des garanties, en considérant les premières comme une catégorie spécifique des secondes. Afin d’identifier les sûretés au sein des garanties, il est nécessaire de dégager des critères. Il s’agit d’une tâche —— 1. SIMILER(Ph.) et DELEBECQUE(Ph.),Sûretés, publicité foncière, nº 37.
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difficile, que ni le législateur, ni la jurisprudence n’ont désiré entreprendre. Un auteur a proposé trois critères, dont la combinaison permet de distinguer les véritables sûretés 2 des simples garanties . Le premier critère est celui de la finalité. La sûreté aurait pour finalité d’améliorer la situation juridique du créancier par rapport au créancier chirographaire, qui bénéficie seulement du droit de gage général sur les biens appartenant à son débiteur. La sûreté vise directement à avantager le créancier, en le plaçant dans une situation privilégiée par rapport aux autres créanciers du débiteur. Le deuxième critère est celui de l’effet. La mise enœuvre de la sûreté présente un effet satisfaisant pour le créancier, par l’extinction totale ou partielle, directe ou indi recte, de la créance. Le troisième critère est celui de la technique. La sûreté répond à une technique particu lière, qui est celle de l’affectation à la satisfaction du créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine. Cette analyse sera adoptée dans les développements qui suivent. Elle conduit à ne considérer comme sûretés que le cautionnement, la garantie autonome, le gage, le gage immobilier, l’hypothèque et les privilèges. Dans une certaine mesure, et à certaines conditions, peuvent être assimilées à des sûretés la lettre d’intention et l’utili sation de la propriété à titre de garantie.
2 •L’ÉVOLUTION DU DROIT DES SÛRETÉS
Les droits primitifs accordaient une place essentielle aux sûretés personnelles. La tech nique du droit réel était peu développée, ce qui restreignait inévitablement le recours aux sûretés réelles. En outre, la technique de la sûreté personnelle, conçue comme un service d’ami, apparaissait la plus naturelle dans des sociétés claniques, dans lesquelles la solidarité familiale était omniprésente. Le droit romain constituait un système juridique plus évolué, permettant un certain essor des sûretés réelles. Néanmoins, les sûretés personnelles étaient encore prédomi nantes, pour deux raisons. D’une part, les sûretés réelles supposaient à l’époque des choses corporelles. Du fait de la faible valeur accordée aux biens mobiliers, de telles sûretés n’étaient véritablement efficaces que sur les biens immobiliers. D’autre part, l’opposabilité de la sûreté réelle aux tiers nécessite une publicité ou une dépossession. L’absence en droit romain de système organisé de publicité limitait l’efficacité des sûretés réelles sans dépossession, telles que l’hypothèque. De telles sûretés demeu raient en effet occultes, et donc inopposables aux tiers. La sécurité qu’elles étaient censées conférer était par conséquent subordonnée au respect du contrat. Fort logiquement, le développement des sûretés réelles va s’opérer au rythme de celui de la propriété privée. Le développement économique, la diversification de la composi tion des patrimoines, l’émergence de biens mobiliers de valeur, voire de fortunes mobi lières, sont autant de facteurs qui contribuent à la progression des sûretés réelles. —— os 2. CROCQ(P.),Propriété et garantie261 et s., coll. Bibl. dr. privé, LGDJ, 1995, t. 248, n
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e Cellesci vont, au cours duXXsiècle, dépasser les sûretés personnelles. Ces dernières souffrent de la croissance de l’individualisme et de l’affaiblissement des structures fami liales, qui rendent plus difficile la garantie de tiers. Durant cette même période, le crédit va connaître un essor sans précédent. La société française devient une société de consommation, l’économie s’oriente vers un recours massif aux techniques de crédit, les rapports contractuels se multiplient. Les sûretés, dans ce contexte, voient évidemment leur rôle et leur importance s’accroître. Par un mouvement de balancier, les sûretés personnelles vont retrouver les faveurs des agents économiques. De nouvelles variétés de cautionnements, tel que le cautionnement rémunéré–notamment le cautionnement bancaire–, et la création de la garantie auto nome ont relancé l’attrait des garanties personnelles. Cellesci ont également bénéficié de la fragilisation des sûretés réelles par les lois du 13 juillet 1967 et du 25 janvier 1985. Ces textes ont affaibli les sûretés réelles, en rédui sant considérablement leur efficacité en matière de procédures collectives. Plus récemment, le législateur a néanmoins tenté d’atténuer le sacrifice des créanciers privilégiés que pratiquaient ces deux textes. La loi du 10 juin 1994, puis celle du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, dernière loi en date en matière de procé dures collectives, avaient comme objectif de renforcer les droits des créanciers, dans le but de développer le financement des entreprises. Malgré ces intentions louables, il faut bien reconnaître que l’objectif est loin d’être atteint. Aujourd’hui, un équilibre relatif existe entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles. Les avantages et les faiblesses de chaque type de sûretés se compensent approximativement. Le droit des sûretés a connu une importante réforme en 2006. La Chancellerie a constitué en juillet 2003 un groupe de travail, chargé de concevoir et de rédiger un projet de réforme du droit des sûretés. Dans un souci de simplicité, ce groupe, présidé par le professeur Michel Grimaldi, sera dénommé dans le présent ouvrage «Groupe Grimaldi». Il a rendu son rapport au ministre de la Justice le 31 mars 2005, et proposait d’ajouter au Code civil un Livre IV intitulé « Des sûretés ». Cette adjonction permettrait de réécrire les textes du droit des sûretés, en abrogeant ceux devenus inutiles ou désuets. Elle permettrait également de regrouper les textes relatifs aux sûretés, et parti culièrement au cautionnement, au sein du Code civil. La loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie, dans son article 24, a autorisé le gouvernement à prendre diverses ordonnances pour modifier le droit des sûretés, à l’exception notable du cautionnement. La réforme des sûretés a été réalisée par l’ordonnance nº 2006346 du 23 mars 2006, ellemême ratifiée par la loi nº 2007212 du 20 février 2007 portant diverses disposi tions intéressant la Banque de France (art. 10 I). L’ordonnance intègre dans le Code civil un Livre IV intitulé « Des sûretés » qui, notamment, reprend à droit constant les dispositions du Code civil relatives au cautionnement et apporte de substantielles modi fications au droit des sûretés réelles. Postérieurement à cette réforme générale du 23 mars 2006, le droit des sûretés a connu diverses réformes, spéciales parce que portant sur des points spécifiques. La loi nº 2007211 du 19 février 2007 a introduit en droit français la fiducie. La loi de moder nisation de l’2008776) du 4 août 2008 a retouché la fiducie et le gageÉconomie (nº sans dépossession. L’20081345 du 18 décembre 2008 portantordonnance nº
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réforme du droit des entreprises en difficulté a aménagé le régime de certaines sûretés dans le cadre des procédures collectives. L’ordonnance nº 200915 du 8 janvier 2009 relative aux instruments financiers a apporté certaines innovations aux sûretés grevant de tels instruments. Dernièrement, l’2009112 du 30 janvier 2009 aordonnance nº apporté un certain nombre de modifications à la fiducie. L’évolution du droit des sûretés n’est certainement pas terminée. Une réforme du droit du cautionnement apparaît aujourd’hui indispensable, pour, d’une part, abroger des dispositions désuètes, pour, d’autre part, remédier à la balkanisation de la matière, et enfin, pour restaurer l’attractivité de cette sûreté.
3 •LES CONFLITS DE LOIS EN MATIÈRE DE SÛRETÉS
La question des conflits de lois en matière de sûretés est importante, car l’exécution des contrats internationaux est fréquemment garantie par une sûreté. Certaines sûretés, telles que les garanties autonomes, ont même pour domaine de prédilection les rela tions contractuelles internationales. À se cantonner aux sûretés conventionnelles, les conflits de lois sont principalement réglés par la Convention de Rome, du 19 juin 1980, relative à la loi applicable aux obli gations contractuelles. Il convient alors de distinguer entre le cautionnement, les sûretés personnelles non accessoires et les sûretés réelles. Le cautionnement, en tant que contrat, sera régi par la loi choisie par les parties, c’estàdire la loi d’autonomie (Conv. Rome, art. 31). Lorsque les contractants n’ont pas choisi la loi applicable, le cautionnement sera régi par la loi du pays avec lequel il présente «les liens les plus étroits» (Conv. Rome, art. 41). Le texte pose une présomp tion aux termes de laquelle le contrat présente les liens les plus étroits avec l’État où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence ou son siège social (Conv. Rome, art. 42). Cette présomption a pour effet de donner compétence à la loi de l’État dans lequel est établie la caution, puisque c’est cette dernière qui fournit la prestation caractéristique. En pareille hypothèse, un problème semble se poser en cas de pluralité de cautions, établies dans des États différents. Il serait en effet peu judicieux de soumettre à une loi différente chaque rapport entre le créancier et ses cautions. Aussi, estil possible dans ce cas de considérer que la prestation caractéristique ne peut être déterminée, ce qui permet de soumettre le cautionnement à la loi avec laquelle il présente des liens plus étroits (Conv. Rome, art. 45). Cette loi pourra, fort opportunément, être la même que celle qui régit le contrat principal. Le «lien étroit» entre le cautionnement et le contrat garanti sera caractérisé par le rapport de principal à accessoire qui unit ces deux contrats. Les sûretés personnelles non accessoires sont soumises aux mêmes règles de rattache ment que le cautionnement. Compétence est donc en principe donnée à la loi d’auto nomie. Sont également applicables les règles posées par la Convention de Rome en cas d’absence de choix. C’est la loi de l’État dans lequel la partie qui doit fournir la presta tion caractéristique a sa résidence ou son siège social qui sera alors applicable. La diffé rence avec le cautionnement tient dans le fait que si la prestation caractéristique ne
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peut être déterminée, le rattachement à la loi de l’engagement principal est impossible, puisque ces sûretés ne sont pas accessoires. En matière de sûretés réelles, il est nécessaire d’opérer une sousdistinction entre la constitution et les effets de la sûreté. S’agissant de la constitution de la sûreté, l’appli cation de la loi d’autonomie est concevable. Toutefois, les contractants préfèrent souvent se référer à lalex rei sitae, c’estàdire la loi de l’État sur le territoire duquel est situé le bien. Il s’agit d’un critère de rattachement fiable, notamment lorsque le bien est un immeuble. C’est d’ailleurs la solution prônée par la Convention de Rome, dans son article 43. En ce qui concerne les sûretés réelles sans dépossession portant sur des biens meubles, retenir la lex rei sitae présente l’inconvénient de pouvoir générer des conflits mobiles, c’estàdire des conflits de lois en cas de déplacement du bien (par exemple, un gage sans dépossession est constitué sur une chose située en Allemagne, mais la chose grevée est ensuite déplacée en France). La solution est néanmoins relati vement simple, car le contenu des droits réels est traditionnellement soumis à la loi réelle nouvelle. Compétence est donc reconnue à la loi de l’État sur le territoire duquel est situé actuellement le bien grevé. Sur le plan de la forme de l’acte constitutif de la sûreté, il faut réserver le jeu de la maximelocus regit actum, en application de laquelle la loi du lieu de conclusion régit la forme de l’acte. Il convient aussi de réserver l’hypothèse des sûretés réelles immobi lières, visée par l’article 96 de la Convention de Rome, aux termes duquel le contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un droit d’utilisation d’un immeuble est soumis aux règles de forme impératives de la loi du pays où l’immeuble est situé. S’agissant des effets de la sûreté, la compétence de la loi d’autonomie est concevable dans les relations entre les parties, même si lalex rei sitaeest généralement préférée. À l’égard des tiers, c’est lalex rei sitaequi est compétente pour fixer l’étendue des préro gatives du créancier. Ainsi, lalex rei sitaerégit notamment l’exercice et les modalités du droit de préférence et du droit de suite du créancier, les conflits entre privilèges, ou encore les possibilités ouvertes au tiers détenteur en cas d’exercice par le créancier de son droit de suite.
4 •DROIT COMMUNAUTAIRE ET DROIT DES SÛRETÉS
Le législateur communautaire, d’habitude prolifique, est peu productif en matière de sûretés. Or, ce mutisme est d’autant plus remarquable que les sûretés, en tant qu’élé ments du crédit, entrent indiscutablement dans la compétence de l’Union européenne. Celleci a parfois tendance à déborder le champ de ses compétences en d’autres domaines, mais demeure singulièrement passive en droit des sûretés. Même s’il n’existe pas de véritable raison de s’en plaindre, notamment au regard de la qualité moyenne des textes communautaires, ce constat mérite d’être souligné. Les raisons de ce mutisme paraissent fort simples. Dans les États membres, une certaine harmonie est perceptible en matière de cautionnement. Celleci atténue le besoin d’une législation communautaire. Inversement, d’importantes disparités existent entre les législations des États membres relatives aux sûretés réelles. Ces différences rendent particulière ment ardue toute tentative de rapprochement. Néanmoins, sous la direction du profes seur Drobnig, de l’Université d’Hambourg, un groupe de travail a élaboré des Principes
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3 du Droit européen des sûretés personnelles , dont la valeur est, pour le moment, pure ment académique. Généralement, le droit communautaire n’aborde les sûretés qu’incidemment, dans le cadre de textes réglementant un domaine spécifique. Ainsi, par exemple, la directive nº 73239 du 24 juillet 1973 en matière d’assurance autorise–en annexe...–les sociétés d’assurance à souscrire des cautionnements professionnels. L’un des rares textes communautaires véritablement consacré aux sûretés est la direc tive nº 2002/47/CE du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière. Cette directive, qui devait être transposée avant le 27 décembre 2003, a été transposée en droit français par le biais de l’ordonnance nº 2005171 du 24 février 2005.
5 •LA SITUATION DES CRÉANCIERS CHIROGRAPHAIRES
Bien évidemment, tous les créanciers ne bénéficient pas de sûretés. Il existe des créan ciers chirographaires, qui ne disposent d’aucune garantie particulière pour le recouvre ment de leur créance. Ces créanciers, comme tout créancier, peuvent évidemment se prévaloir des articles 2284 et 2285 du Code civil. L’article 2284 dispose que « Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ». Aux termes de l’article 2285, «Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence». Ces textes établissent un droit de gage général au profit de tout créancier. Par conséquent, lorsque la dette sera exigible, les créanciers pourront faire saisir et vendre les biens de leur débiteur aux enchères publiques, et se payer sur le prix de vente. Ce droit de gage général s’avère bien souvent dérisoire. Il est en effet tributaire des variations, des modifications, du patrimoine du débiteur. Les divers événements qui peuvent affecter ce patrimoine se répercutent inévitablement sur la situation du créan cier. Ainsi, si le débiteur donne un bien, ou accepte purement et simplement une succession pourtant déficitaire, l’actif de son patrimoine diminue. Le gage général des créanciers diminue dans la même mesure. En outre, le créancier chirographaire, lors de la distribution du prix de vente des biens du débiteur, sera primé par tous les créanciers pouvant se prévaloir d’une cause légitime de préférence. Ainsi, les créanciers chirographaires seront payés en dernier. Or, l’actif du débiteur est rarement suffisant pour permettre de désintéresser tous ses créanciers. Les créanciers chirographaires devront donc se satisfaire de ce qu’il restera dans le patri moine du débiteur après paiement des créanciers privilégiés. Les créanciers chirographaires ne sont toutefois pas totalement démunis. Ils bénéficient de certains moyens leur permettant de reconstituer en partie le patrimoine de leur débi teur. Ces moyens ne constituent cependant pas la panacée. Il s’agit de moyens dont —— 3.Principles of European Law : Personal security, dir. U. Drobnig, Oxford 2007. Adde, U. Drobnig, « Traits fondamentaux d’»,un régime européen des sûretés personnelles Mélanges Ph. Simler, DallozLitec 2006, pp. 315 et s.
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l’efficacité est très relative, davantage destinés à permettre au créancier d’éviter le pire, c’estàdire une absence totale de paiement, que d’obtenir pleine et entière satisfaction. Parmi ces moyens, se retrouvent deux actions du droit des obligations : l’action oblique et l’action paulienne. L’action oblique est une action par laquelle le créancier exerce les droits et actions de son débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne (C. civ., art. 1166). Elle a pour objet de vaincre l’inertie, la négligence d’un débiteur, en autorisant le créancier à s’immiscer dans la gestion de son patrimoine. Ainsi, le créancier pourra pallier l’inaction de son débiteur, afin de récupérer au nom de ce dernier des droits et des biens. Cette action permet de reconstituer l’actif du patri moine du débiteur, donc d’augmenter l’assiette du droit de gage général conféré par l’article 2285 du Code civil. L’action oblique est pourtant loin d’être parfaite pour le créancier, car ce dernier ne fait qu’exercer l’action de son débiteur, au nom de celuici. Par conséquent, le tiers défendeur pourra lui opposer toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au débiteur. En outre, l’objet de l’action oblique réintègre le patrimoine du débiteur, et devient le gage de tous les créanciers. Le créancier ayant agi ne jouit d’aucune priorité sur ce que l’action oblique a permis de récupérer. Il subit le concours des autres créanciers, et encourt le risque d’être primé par certains d’entre eux. L’action paulienne est l’action par laquelle le créancier demande la révocation des actes d’appauvrissement accomplis par le débiteur en fraude de ses droits (C. civ., art. 1167). Ainsi, si l’action oblique permet au créancier de pallier la négligence du débiteur, l’action paulienne lui permet de combattre son intention frauduleuse. Tout acte de nature patrimoniale, qui entraîne un appauvrissement du débiteur, peut être attaqué par le créancier. Il est toutefois nécessaire que cet acte ait été commis en fraude de ses droits, c’estàdire que le débiteur, en l’accomplissant, doit avoir eu pour intention de nuire au créancier ou de lui causer un préjudice. La preuve de la fraude ne sera pas toujours aisée à rapporter. Les difficultés sont accrues lorsque l’acte attaqué est un acte à titre onéreux (par exemple, un contrat synallagmatique déséquilibré), car le créancier devra alors établir que le tiers acquéreur est complice de la fraude du débiteur. L’action paulienne, si elle aboutit, rend l’aliénation frauduleuse inopposable au seul créancier ayant agi. Ce dernier ne subit donc pas le concours des autres créanciers. Outre ces actions du droit commun des obligations, les créanciers peuvent également tenter de reconstituer l’actif de leur débiteur, si celuici fait l’objet d’une procédure collective, en ayant recours aux nullités de la période suspecte (C. com., art. L. 6321 à L. 6324). La période suspecte, qui s’étend de la date de cessation des paiements à celle du jugement d’ouverture, fait peser un soupçon de fraude sur les actes accomplis 4 pendant sa durée . Ces actes sont généralement motivés par une volonté de la part du débiteur de s’appauvrir au détriment de tous ses créanciers, ou de favoriser certains d’entre eux, en rompant l’égalité entre créanciers. Ces actes doivent (nullités de droit) ou peuvent (nullités facultatives) être annulés par le juge, sur demande de l’administra teur, du mandataire judiciaire, du liquidateur, du commissaire à l’exécution du plan ou du ministère public (C. com., art. L. 6324). Sont particulièrement concernés les actes à titre gratuit translatifs de propriété (notamment les donations) et les contrats commuta tifs déséquilibrés (vente à faible prix par exemple). —— 4. CAPITANT(H.), CORNU(G.)et al.,Vocabulaire juridique, coll. Quadrige, PUF, v. « Période–suspecte ».
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Ces différents moyens sont ouverts à tous les créanciers, qu’ils soient privilégiés ou chirographaires, mais s’adressent d’abord à ces derniers, parce qu’ils ne possèdent pas d’autres moyens de protéger le recouvrement de leur créance. Les créanciers qui ont obtenu une garantie de la part de leur débiteur préféreront, évidemment, mettre en œuvre cette garantie.
6•CLASSIFICATION DES SÛRETÉS
Au sein même des sûretés, existent différents sousensembles. Ainsi, la distinction entre les sûretés conventionnelles, les sûretés légales et les sûretés judiciaires emporte de nombreuses conséquences. La signification de cette distinction est variable, selon que la sûreté concernée est une sûreté personnelle ou une sûreté réelle. Les sûretés personnelles sont toujours établies par contrat. La sûreté est alors légale ou judiciaire lorsque l’octroi d’un avantage par la loi ou le juge est subordonné à la fourni ture d’une caution. En revanche, en matière de sûreté réelle, seule la sûreté convention nelle est établie par contrat. Les sûretés réelles légales résultent directement de la loi, en raison de la qualité de la créance. Les sûretés réelles judiciaires sont accordées par le juge au requérant, et découlent directement du jugement. Cette différence entre sûretés personnelles et sûretés réelles s’explique aisément : la loi ou le juge peuvent, sans difficulté, créer une sûreté réelle, c’estàdire affecter un bien en garantie d’une créance. Il est plus difficilement concevable que la loi ou le juge puisse créer un cautionnement : cela reviendrait en effet à contraindre un tiers à s’engager en qualité de garant du débiteur... La distinction entre lessûretés personnelleset lessûretés réellesconstitue lasumma divisiode la matière. Cette distinction repose sur la technique employée. Les sûretés personnelles visent à conférer au créancier un ou plusieurs autres débiteurs. Ainsi, plusieurs patrimoines répondent de la même dette. Le créancier, en cas de défaillance du débiteur, pourra s’adresser au garant. La doctrine s’accorde à reconnaître que la sûreté personnelle se caractérise par la réunion de deux critères : l’adjonction d’un débi teur supplémentaire et l’absence de contribution de celuici à la dette. Il en est ainsi, par exemple, du cautionnement, dans lequel la caution apparaît comme un débiteur supplémentaire, sans pour autant assumer de contribution à la dette. Le cautionnement est la seule sûreté personnelle envisagée par le Code civil. Depuis, la pratique a imaginé des mécanismes s’apparentant plus ou moins aux sûretés personnelles (garantie auto nome, lettre d’intention) et a découvert des fonctions de garantie dans des mécanismes connus du Code civil (par exemple, la délégation ou la promesse de portefort). Les sûretés réelles consistent en l’affectation d’un ou plusieurs biens du débiteur en garantie de la dette. Le créancier n’est donc plus titulaire d’un droit sur le patrimoine d’un garant, mais d’un droit sur le bien affecté en garantie. Plus exactement, le créan cier dispose d’un droit de préférence qui s’exerce sur la valeur des biens grevés. Sont ainsi des sûretés réelles le gage, le gage immobilier, l’hypothèque et les privilèges. La doctrine expose souvent l’idée d’une concurrence entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles. Il est vrai que chaque type de sûretés présente des avantages et des inconvénients. Les sûretés personnelles ont le mérite de la simplicité de constitution,
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puisqu’elles ne sont soumises qu’à peu de formalités et à aucune publicité. Leur coût est moindre, surtout si la caution n’est pas rémunérée. Les sûretés personnelles possè dent en outre davantage de souplesse que les sûretés réelles. Parce qu’un patrimoine, et non un ou plusieurs biens, est affecté en garantie de la créance, la sûreté personnelle est mieux à même de suivre les évolutions de cette dernière. Le principe de spécialité, auquel sont soumises les sûretés réelles, limite leur capacité d’évolution. Les sûretés réelles présentent également certains avantages sur les sûretés personnelles. Leur efficacité est généralement supérieure à celle du cautionnement. Les droits qu’elles confèrent au créancier sur le bien grevé le placent dans une situation intéressante. Le cautionnement pâtit sur ce point de l’œuvre législative et jurisprudentielle, orientée vers la protection de la caution. La multiplication des moyens de défense que peut invo quer la caution fragilise le cautionnement, et renforce, par contraste, l’efficacité et l’intérêt des sûretés réelles. La concurrence entre sûretés personnelles et sûretés réelles est en réalité un faux problème. La comparaison des forces et des faiblesses de chaque catégorie de sûreté est riche d’enseignements. En revanche, l’idée d’une compétition–à laquelle renvoie le terme de concurrence–est erronée, en ce sens que le créancier n’est pas totalement libre dans le choix de sa sûreté. Par exemple, le recours à une sûreté immobilière (hypo thèque, gage immobilier) sera impossible si le débiteur n’est pas propriétaire d’un bien immobilier (sauf hypothèse d’une sûreté constituée par un tiers). De même, il sera parfois difficile d’avoir recours à un cautionnement, notamment dans certaines situa tions conflictuelles (par exemple, l’hypothèse où le cautionnement devrait garantir le paiement d’une prestation compensatoire). Quoi qu’il en soit, l’efficacité d’une sûreté doit être examinée à l’aune des procédures d’insolvabilité. La finalité même du droit des sûretés explique qu’il ait un lien très fort avec les procédures d’insolvabilité, c’estàdire le surendettement des particuliers en matière civile et les procédures collectives en matière commerciale. En effet, une sûreté devient véritablement utile lorsque le débiteur ne peut procéder au paiement du créancier. Or, dans cette hypothèse, le débiteur est fréquemment insolvable, ce qui peut justifier l’ouverture d’une procédure de traitement du surendettement ou d’une procédure collective. Cette distinction, fondamentale, entre sûretés personnelles et sûretés réelles commande le plan de l’ouvrage. Seront ainsi étudiées successivement les sûretés personnelles et les sûretés réelles.
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