Harcèlement
194 pages
Français

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Harcèlement , livre ebook

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Description



« Je ne connaissais pas la manipulation. Jamais je n’aurais pu croire que cette violence sans coups pouvait rendre malade à ce point, que ces agressions répétées pouvaient autant blesser. J’ai été mise KO en trois mois ».


Engagée par une société parisienne de près de 500 salariés, Rosanne Aries a été confrontée aux mensonges, aux incohérences, aux humiliations et aux reproches de sa supérieure hiérarchique, jusqu’à en tomber gravement malade.



« Je pensais ses agissements insignifiants, sans conséquence ».


A l’aube de ses 40 ans, journaliste expérimentée, elle s’est pourtant progressivement isolée et tue face aux agressions répétées d’une manipulatrice aux multiples visages.



« J’ai douté, je me suis soumise à son autorité, sans jamais me défendre ».


C’est de cela qu’il fut le plus difficile de se relever.


Rosanne choisit aujourd’hui de témoigner pour aider les personnes confrontées à un manipulateur à identifier leur bourreau et à se défendre contre cette violence invisible, indicible, dont les coups répétés sont dévastateurs pour la santé morale et physique de ceux qui les subissent.



Préface de Jean-Claude Delgènes



Fondateur et Directeur général de Technologia

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 octobre 2015
Nombre de lectures 79
EAN13 9782818806227
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Couverture

Cover

4e de couverture

4e Image couverture

 

 

 

 

 

 

Rosanne Aries est journaliste depuis une vingtaine d’années. Elle exerce son métier de manière indépendante depuis 2013 et collabore à plusieurs médias de la presse spécialisée. Elle peut être jointe à l’adresse : rosanne.aries@maxima.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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8, rue Pasquier, 75008 Paris

Tél. : + 33 1 44 39 74 00 – infos@maxima.fr

 

© Maxima, Paris, 2015.

ISBN : 978-2-81880-622-7

 

Photo de couverture fotolia.com

 

 

En application des articles L.122-10 à L. 122-12 du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre Français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur. Droits de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

Sommaire

Préface

Introduction :
Trois mois, comme une demi-seconde 

PREMIERS JOURS

Je voulais ce poste 

Victime ? Bourreau ? Complices ? 

En tête-à-tête

J+15

« Faire le ménage »

Sa première colère

« Le problème des vacances » :
inversion des rôles

« Partout où elle passe, un problème se crée »

« Nos difficultés »

J+30

Une hiérarchie qui compte

« Il faut que je te bride »

« Tu veux m’isoler ? »

L’étau se resserre

Déclassée

Il n’y avait personne autour de moi

« Pas le temps »

« Tu ne vas pas aimer »

« C’est moi qui décide ! »

« Pour qui te prends-tu ?

Choisir de se taire

À l’essai

J + 60

« Toi et moi, c’est pareil »

Être au centre du jeu, toujours

Comme sur des montagnes russes

Folle ?

Pour le bien de tous

Regain

« De toute façon, je ne suis pas parfaite »

Pourquoi ?

« Tu n’écoutes rien ! Tu te fiches de tout ! »

Sans conscience et sans remord

« Je décide ! je décide ! je décide ! »

Sur le banc des accusés

Coupable

Je ne m’étais rendue compte de presque rien

Un espoir

« Parle plus fort »

Tu vas voir

J + 90

« Il faut vous soigner »

À bout de souffle

J’étais un dégât collatéral

Conclusion : Oser témoigner

Préface

Lorsque j’ai reçu la demande de Rosanne Aries d’écrire la préface de son livre, je me suis engagé aussitôt. Comme je le fais souvent. Pour encourager l’un de ces ouvrages qui mettent en débat le travail dans sa dimension humaine. Rien ne vaut, en la matière, un témoignage vécu, un bon roman, une belle histoire, pour rendre compte des méandres dans lesquels plongent parfois certains salariés qui ont la malchance de croiser sur leur chemin professionnel d’autres êtres « humains » qui s’en prennent à eux, les malmènent, les maltraitent, les manipulent et le plus souvent les abiment dans leur santé.

Je me suis engagé tout en me disant que j’acceptais une charge de plus… Lire le livre et écrire la préface s’ajoutaient à une activité déjà conséquente. J’ai même eu la tentation du renoncement. Mais je suis un peu comme l’auteur. En effet, dans ce livre qui vous colle aux doigts dès que vous l’ouvrez, Rosanne Aries relate cette implication au travail qui la structure : « je travaille énormément, je ne renonce à aucun de mes engagements même si cela m’amène à travailler jour et nuit. Ne pas tenir une promesse, ne pas mener une mission jusqu’à son terme me paraît hors la loi ! » C’est donc avec plaisir qu’il me revient à mon tour de « tenir ma promesse ».

Que l’on en ait ou pas, le travail occupe une place essentielle dans nos existences. Avec la rémunération, il nous offre aussi d’autres formes de rétribution : il nous permet de nous construire au quotidien, d’affirmer notre identité professionnelle et parfois de nourrir notre exigence narcissique, de mobiliser notre créativité, de nous projeter dans l’avenir. Certains sociologues expliquent que le travail doit même être considéré comme une « validation de soi ». En France particulièrement, pays marqué par les stigmates du chômage de masse et de longue durée, les actifs s’investissent parfois au-delà de leurs...

Introduction
Trois mois, comme une demi-seconde

Nous sommes tous un peu manipulateurs, menteurs, nombrilistes, envieux, acteurs… Du petit au plus grand trafiquant d’influence et d’apparence, nous sommes tous susceptibles d’adapter la vérité pour satisfaire celui ou celle dont on attend quelque chose. Qui n’a pas tenu de propos sciemment ambivalents pour parvenir à ses fins ? Qui n’a jamais exercé de chantage affectif pour se faciliter la vie ? Face à une demande ou une situation embarrassante, les arrangements avec la réalité sont en effet l’affaire de nombreux d’entre nous, voire de tous.

Convaincre, persuader, c’est aussi le prix de la réussite. Et la multiplication des techniques pour y prétendre vient à compter toujours plus d’experts (et d’adeptes). Il suffit de regarder les rayons consacrés au développement personnel des librairies et d’observer la montée en puissance de ces nouvelles vocations...

Premiers jours

Dès le début, j’ai pensé que cette femme compterait dans ma vie. J’ai commencé à travailler le 13 janvier avec Aurélie1. Une jeune femme d’une volonté débordante, joyeuse, mais entravée de mille maladresses. Une « gaffeuse ». En boucle. Ses étourderies m’ont donné immédiatement envie de la soutenir. Son obstination aussi. Car Aurélie est une femme qui semble intelligente et responsable, mais dont les étourderies répétées poussent d’emblée à l’aider. Sa distraction interpelle, Aurélie n’a pas de chance. Au cours de la première réunion à laquelle j’assistai, quelques jours après mon arrivée, elle arriva très en retard, apparaissant en prise avec mille difficultés. C’est en rejoignant sa place qu’elle trébucha, les deux pieds dans le tapis, devant une vingtaine de personnes. Loin de s’en trouver confuse, elle éclata de rire et entraîna toute l’assemblée dans sa bonne humeur.

Elle est aussi celle qui lors des déjeuners renverse son verre, se tache, déchire par inadvertance sa capsule de café. Mais toujours elle rit de ses déconvenues. Aurélie est touchante. Parce qu’elle parle beaucoup de ses mésaventures. Elle parle beaucoup en général. D’autant plus de ses infortunes qu’elle s’obstine à rapporter : une chambre d’hôtel privée d’électricité et d’eau au moment même où elle se trouve sous la douche, un train à l’arrêt pendant des heures, mais aussi ses mauvaises rencontres, ses petits soucis physiques. Elle confie tout, avec des détails qui souvent la dévalorisent. Il n’est pas possible de ne pas lui faire confiance. Elle rompt la distance par toutes ses confidences. Elle est la personne qui a le moins de chance. Et qui, dans le même temps, semble posséder un grand recul sur son sort qui le plus souvent la fait rire. Décomplexée. Elle attire la sympathie. De six ans ma cadette, j’ai ressenti tout de suite l’envie de la protéger, au moins de la soutenir.

C’est donc avec enthousiasme que j’ai ainsi commencé mon année chez EDS, un éditeur parisien réunissant près de 500 salariés. Plus que ça encore. EDS était pour moi l’entreprise idéale. J’avais déjà effectué un remplacement quatre ans plus tôt dans cette société. Un CDD de six mois au sein d’une équipe de dix journalistes. Nous étions en réalité cinq mini-rédactions composées de deux personnes, toutes réunies dans le même espace ouvert.

Chaque binôme avait un media (en ligne) à sa charge et ses propres sujets à couvrir au quotidien. Avec au moins trois articles à fournir par jour pour chaque binôme, l’ambiance y était studieuse. Et dominait cette règle implicite qui voulait que tout le monde s’entende bien. Du moins personne ne s’aventurait à s’exprimer sur un autre en son absence. Pas de vague. Les rédactions étaient menées par des journalistes expérimentés, scrupuleux et qui avaient à cœur de bien faire leur travail. À EDS, on évoluait en paix. Et même quand le silence se faisait trop assourdissant, un rire ou un bon mot se faisait entendre comme une nouvelle délicatesse. Nous nous entraidions réellement sur nos reportages et nos articles, tout en tenant à l’écart nos vies privées et nos affects. Certains s’y seraient probablement ennuyés. Cette retenue était pour moi un confort : j’avais intégré cette poly-rédaction durant six mois et avais été très bien accueillie. Le travail en lui-même m’avait passionnée. On y parlait en plus de livres et de cinéma… Je m’y sentais bien. Et cela semblait convenir à tous puisque le turnover n’existait pas à cet étage, ni à tous les autres. De bons salaires ainsi qu’une participation et un intéressement confortables n’y étaient pas non plus étrangers.

Quatre ans plus tard, je retrouvai les mêmes personnes. J’avais gardé des liens avec certains, comme Victoire, Hélène, Antoine, Guillaume, Pierre et Élise. On m’avait conviée à quelques déjeuners. Et quand mon petit garçon était né, tous avaient eu la gentillesse de m’adresser leurs meilleurs vœux.

Si bien que lorsque j’appris qu’un poste se libérait au sein de l’une des rédactions, je me présentai ­immédiatement. Mon engouement était tel que je quittai un CDI et un poste de rédactrice en chef adjointe au sein d’une agence de presse spécialisée pour un emploi de simple rédactrice. Le salaire y était cependant plus...

J+15

« Faire le ménage »

Une réunion de département eut lieu à la fin janvier. Quinze jours après mon arrivée. Je me sentais bien. Surtout, j’étais à l’aise dans mon travail. J’avais, cela dit, préparé mes débuts en anticipant sur plusieurs sujets. J’avais dévoré tous les livres et articles inhérents à ma nouvelle spécialité, avant ma venue, et fait en sorte d’écrire quelques articles à l’avance, histoire de ne pas être prise au dépourvu. Dès les premiers jours, je parvins ainsi à assurer des papiers.

Aurélie écrivait peu d’articles de son côté. Car son temps, me disait-elle, était essentiellement consacré à une gestion nouvelle des pigistes. Elle devait « faire le ménage », m’avait-elle expliqué, et balayer les quelque mauvais éléments au sein de l’équipe des collaborateurs. Une petite dizaine travaillait en effet pour le media. Mais certains ne correspondaient plus aux attentes d’EDS. Globalement, Aurélie trouvait le groupe faiblard. Je crois que surtout elle se refusait à valider les choix d’Astrid, naguère en charge des pigistes. Elle les avait cependant tous rencontrés et s’était même rapprochée de certains d’entre eux qu’elle hébergeait à l’occasion, quand ils venaient à Paris. Elle en avait rejeté d’autres, jugés « inutiles » et « incohérents ». Parmi les « bons », plusieurs étaient devenus ses confidents, dont Frédéric, le plus expérimenté. Aurélie m’expliquait avoir probablement gaffé à son égard, car elle lui avait raconté tous les problèmes et histoires engendrés par Astrid. « Je n’aurais pas dû, mais je me sentais si mal », regrettait-elle. Je comprenais, même si évidemment se confier à un ami en dehors de son travail aurait été plus judicieux. Elle créait à nouveau des dissensions en se confiant ainsi aux uns et aux autres. Elle introduisait aussi un doute auprès de ses collaborateurs sur sa fiabilité, Aurélie s’était avouée très affectée auprès de quelques-uns. Parmi les pigistes, il y avait ainsi ceux qui l’adoraient, ceux qui pleuraient avec elle sur son sort et ceux qui la détestaient en raison de l’éviction d’Astrid.

Je n’en connaissais aucun, si bien que j’avais du mal à me sentir impliquée dans ses décisions : elle souhaitait en particulier se séparer d’Eva qui l’indisposait au plus haut point. Ses articles ne correspondaient pas à ses commandes. Le fait était récurrent mais, contre toute attente, elle semblait craindre de le lui dire. Si son caractère soupe-au-lait pouvait en effet l’entraîner dans une grande colère à la réception d’un de ses articles, elle changeait de ton lorsqu’elle avait Eva au téléphone. Aurélie avait cette particularité d’alors considérablement adoucir sa voix. Sa transformation interpellait : ce qu’elle prenait pour un ton maternel avait surtout les nuances de la donneuse de plaisir. Elle ne parvenait jamais à lui dire ce qu’elle pensait réellement. Elle décida, pour l’exclure, d’inventer mille et une raisons de refuser ses propositions. Sans parvenir à les exprimer. Je fus surprise de l’entendre dire à Nathalie Créneau qui souhaitait aussi ce ménage, que les pigistes dont elle voulait se séparer se montraient résistants. Eva comme les autres n’étaient même pas au courant.

Cela ne me perturba pas. J’estimais qu’Aurélie prenait ses marques, elle apprenait. Avec plus d’expérience et d’assurance, elle allait progressivement s’autoriser à diriger, à choisir, à faire preuve d’autorité. Elle était encore beaucoup trop soucieuse de ses apparences. Elle voulait plaire à tous et même à Eva. Je pense qu’elle redoutait encore les propos d’Astrid dans son dos, elle voulait démontrer qu’elle était quelqu’un de bien et pas comme Astrid pouvait l’avoir décrite. Je la considérais perturbée par ce qu’elle avait vécu. Mais j’imaginais bien aussi que ce comportement chargé de faussetés n’avait pas dû arranger la situation auprès du clan. Il n’y avait rien de plus déplaisant que d’entendre ses dissonances qui tranchaient par à-coup. Sa volonté d’apparaître parfaite lui faisait dévoiler au contraire le pire. Même auprès de Nathalie Créneau, notre responsable, elle semblait parfois étrange. Dès qu’il y avait une réunion, elle soulignait ses lèvres avec excès et se tenait extrêmement droite. Elle apparaissait plus âgée.

Aurélie me touchait par ses efforts, par sa volonté de paraître bien, alors qu’en coulisses, dans notre bureau, elle me parlait chaque jour de la folie d’Astrid et des assauts qu’elle avait subis. Au fond, ses intentions étaient bonnes mais apparaissaient, malgré elle, trébuchantes.

Je n’ai jamais su si Aurélie s’aimait bien ou si elle avait une mauvaise d’image d’elle. Car si à la fois son obstination à se montrer autre pouvait augurer d’une considération de soi plutôt négative, toutes ses conversations tournaient autour d’elle. Aurélie était en boucle sur ses histoires. Quand elle se rendait à une conférence de presse ou à un déjeuner professionnel, elle me parlait à son retour des égards à son égard. Elle n’abordait pas le sujet d’actualité et les éventuelles informations qu’elle avait pu obtenir, elle cristallisait sur son image. Ce qui lui prenait beaucoup de temps. Elle n’écrivait ainsi jamais d’article à l’issue d’une conférence de presse. Elle laissait passer au moins une journée, dans les meilleurs cas, pour le publier. Trop anxieuse. C’était sa première année de travail au sein d’une entreprise, Aurélie était inexpérimentée, très soucieuse aussi du regard des autres. Etais-ce dû aux coups portés par Astrid ? Car si j’ignorais ce qui s’était réellement passé, je supposais alors que son traumatisme la poussait probablement à...

J+30

Une hiérarchie qui compte

Aurélie avait ce que j’appelais des pics de confusion, ou d’incohérence. Je craignais de plus en plus son stress dans notre relation. Je me rendis ainsi encore plus attentive à ses mouvements et ses besoins. J’avais l’énergie et l’envie de bien faire.

L’incident fut d’ailleurs vite oublié tant il était invraisemblable. Aurélie ne m’en reparla pas. Cela m’arrangeait de m’être probablement trompée. Aurélie fut plus enjouée les jours qui suivirent. Elle se remit à écrire. De bons articles. Et nos discussions reprirent comme au premier jour. Si j’adoptai de mon côté plus de retenue, je condamnai mon attitude assez rapidement. Je voulais éviter les tensions, les mauvaises interprétations, trouver des issues, assouplir notre relation. Je n’avais pas dû bien comprendre ce qu’elle avait voulu me dire. Aurélie, cette fille sympathique qui venait de tacher sa robe à la cantine était quelqu’un d’un peu maladroit mais au fond quelqu’un de bien. À qui je voulais donner satisfaction.

Nos échanges reprirent sur notre travail, ses amis et notre volonté de faire évoluer ensemble le média. En dehors des reportages sur le terrain, nous passions la plus grande partie de notre temps toutes les deux, dans notre bureau. Personne n’osait passer l’antre de la porte de celle que beaucoup considéraient comme la méchante. Victoire n’osait pas m’appeler, le clan se tenait à distance et Nathalie Créneau n’a jamais mis un pied dans cet espace. Je ne la vis jamais non plus dans le couloir. Seul Adrien, qui venait d’arriver à notre étage, passait de temps à autre.

Il avait échoué dans notre département, sans que sa spécialité n’en relève. Adrien avait été greffé là. Il n’était ni rédacteur, ni journaliste, mais en charge de logiciels. Et un bureau de libre à notre niveau l’avait fait se retrouver ici. D’autres personnes, isolées comme lui, travaillaient seules à l’étage. Mais Adrien, le rassembleur, était l’unique personne à parler à tous. J’ai rarement vu de nature aussi généreuse et aussi souriante. Âgé d’une quarantaine d’années, Adrien avait le souci de faire bien sans pour autant s’en enorgueillir. Il était ainsi le seul à parler encore à Aurélie de tout et de rien, du sport qu’il pratiquait, de ses voyages. Il n’était pour autant pas un confident. Adrien avait le souci de la neutralité. Prendre parti, s’investir dans un conflit aurait été une douleur pour lui. Il préférait ainsi faire comme si de ne rien n’était et s’entretenir avec tous à l’étage. À la manière d’EDS, il ne voulait pas de vague. J’appréciais sa sérénité. Trop, selon Aurélie qui émettait quelques réserves à son égard, quand bien même il était le seul à encore lui parler.

Aurélie reprochait à Adrien d’avoir un temps pris position pour Astrid. « Il ne m’a pas cru », me rappelait-elle dès qu’il quittait notre bureau. Et si ses qualités étaient à louer, il fallait aussi s’en méfier. Elle gardait beaucoup de rancœur à son égard, même s’il avait changé, me disait-elle aussi. Elle estimait qu’il avait compris son erreur. « Encore un autre ».

Aurélie avait à cœur de toujours faire prendre parti. Une nature comme celle d’Adrien était difficile à appréhender pour elle. Si bien qu’un jour elle le jugeait du côté d’Astrid, et un autre jour du sien, sans même qu’il n’ait été question du rapport entre les deux femmes durant leur conversation. Je pensais que la colère d’Aurélie à l’égard d’Astrid lui faisait exiger encore quelques garanties. Elle était la seule et unique victime de tout ce complot. Il était fondamental pour elle que tout le monde la perçut comme telle.

Aurélie m’expliqua par ailleurs qu’il était important pour notre rédaction de bien s’entendre avec lui. Elle me révéla en effet qu’il voyait la responsable de notre département en dehors du travail. Il déjeunait avec elle, « ils ont des liens » dont elle semblait ignorer la nature. Adrien et Nathalie Créneau étaient les deux personnes de l’étage à qui il fallait convenir, d’après Aurélie. De la même façon qu’Hélène était à privilégier pour ses qualités de représentante du personnel et son réseau.

Toutes ces considérations n’avaient pas d’importance pour moi. Je n’avais déjà pas montré d’intérêt à devenir la responsable de notre binôme, je me souciais davantage de bien faire mon travail, préférant encore ignorer les jeux de pouvoir qui me rasaient. Autour de moi, j’avais quelques amies ambitieuses, soucieuses d’exercer de grandes responsabilités. Si je pouvais les comprendre et les soutenir, cela ne faisait pas sens pour moi. Face à Aurélie, je mesurai une nouvelle fois mon absence d’ambition.

La hiérarchie était ainsi très importante pour elle. Elle avait d’ailleurs « la chance », me disait-elle, d’avoir un ami en commun avec Nathalie Créneau, dont elle s’était beaucoup rapprochée ces derniers temps. Elle avait découvert ce lien par hasard et ignorait si notre responsable le savait. Aujourd’hui, je peux aisément imaginer que cela fut l’une des premières confidences qu’elle lui fit. Et pourquoi le cacher ?

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