Le développement durable va-t-il tuer le capitalisme ?
224 pages
Français

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Le développement durable va-t-il tuer le capitalisme ? , livre ebook

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Description

La crise récente sonne le glas de la « world company », insensible aux particularismes locaux, aux considérations sociales et aux problèmes du monde qui l’entoure...

Désormais, les chefs d’entreprise ne peuvent plus considérer les aspirations collectives et la sphère publique comme secondaires ou extérieures à leurs intérêts. « Ils ne doivent pas être les derniers à comprendre les changements du monde ! ». Cette mutation passe par la prise en compte des « parties prenantes » (citoyens, salariés, clients, épargnants) afin :


- d’intégrer les « coûts sociétaux » dans la définition et le prix des produits,


- de susciter une co-régulation constructive des marchés et


- de préserver les intérêts et les aspirations à long terme des collectivités humaines.

L’« éco-capitalisme » naissant ainsi décrit par Patrick d’Humières est la matrice du modèle économique futur. Prenant le contre-pied de la dénonciation défaitiste de « l’horreur économique », ce modèle durable l’emportera inéluctablement sur le modèle ancien parce que, lentement, la société civile « prend la main » sur la dynamique des marchés.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2010
Nombre de lectures 215
EAN13 9782818800041
Langue Français

Extrait

Patrick
D'HUMIÈRES








Expert des relations Entreprise et Société, premier président du Collège des Directeurs du Développement Durable engagés (C3D), mandataire au Grenelle de l’Environnement, membre du Conseil National du Développement Durable, fondateur du 1er forum de l’entreprise responsable, co-fondateur de l’Amical (association pour le mécénat d’entreprise), Patrick d’Humières a exercé des fonctions de direction générale en entreprises, au sein d’organisations professionnelles et dans le conseil. Auteur de plusieurs ouvrages de référence (Management de la communication, Eyrolles, 1993 ; Les pionniers de l’entreprise responsable, Éditions d’Organisation, 2001 ; Le développement durable –management des entreprises responsables, Éditions d’Organisation, 2005, prix du livre d’entreprise), il anime aujourd’hui le projet Company 21 qui développe une offre de conseil stratégique en développement durable et pour les technologies vertes qui lui sont associées.

Patrick d’Humières peut être joint via le site internet :

www.ecocapitalisme.org

ou à l’adresse suivante :

patrick.dhumieres@maxima.fr



Infos/nouveautés/catalogue : www.maxima.fr

À côté d’une lente gestation des normes, l’opinion devient la principale instance de contrôle
La crise écologique fait émerger des enjeux de survie en concurrence avec les enjeux de croissance
Le concept d’ « intérêt public » introduit une nouvelle contrainte sur l’économie privée
Quand la notion de responsabilité conduit à ne pas s’intéresser qu’aux actionnaires
3. La société civile réclame une part plus importante de la valeur ajoutée
La fiscalité durable ou dite écologique va permettre de réorienter les comportements des agents économiques dans le sens de l’utilité sociale
4. La fonction bouc-émissaire et le rejet culturel des firmes multinationales
En se mondialisant, les firmes ont créé un mythe de puissance qui suscite une volonté de reprise de contrôle politique
La mauvaise image des firmes multinationales traduit un sentiment d’impuissance et d’abandon de la part des citoyens
Les firmes multinationales développent des cultures internes fortes à l’écart de la Société
Des modèles alternatifs prennent aujourd’hui le relais de l’idée de progrès
Il y a une vraie crise de la stratégie des entreprises confrontées à ces changements de paradigme
La complexité des modèles de remplacement entretient l’inertie des comportements
La qualité de la régulation public-privé est un facteur de croissance qu’on va redécouvrir

Deuxième partie La revanche des parties prenantes
Quand le développement durable réinvente la relation avec l’entreprise
L’entreprise redécouvre qu’elle est une communauté d’intérêts
Le développement durable comme « projet humain »
5. Des défis planétaires imprévus s’imposent à l’économie de marché triomphante
Le retour du collectif dans l’économie de marché résulte du choc avec l’éco-système expliqué par la communauté scientifique
La raréfaction des ressources naturelles conduit à repenser le rapport entre le marché et la régulation collective
La demande d’équité et de lien social appelle une correction des mécanismes de marché
6. La fausse réponse du « philanthro-capitalisme » aux enjeux collectifs
Le mécénat favorise la socialisation de l’entreprise mais reste une démarche promotionnelle
La Société attend beaucoup plus de l’entreprise dans un contexte qu’elle vit avec anxiété
La collaboration avec les parties prenantes est la clé des partenariats entre l’entreprise et la Société
7. Les parties prenantes frappent à la porte des entreprises
La décision dans le développement durable se nourrit de l’interpellation des parties prenantes
Si les Conseils d’Administration écoutaient aux portes de la Société
Le dialogue avec les parties prenantes devient une nouvelle discipline du management
Le travail avec les porteurs d’enjeux ouvre l’entreprise sur l’apprentissage du débat public moderne
8. La régulation du marché, seule façon de gérer les enjeux de « durabilité »
L’économie d’entreprise ne s’adapte pas spontanément sauf à travers la demande du marché et les corrections de la réglementation
Le modèle durable passera par une modification en profondeur des systèmes de prix et par une fiscalité écologique et sociale commune à tous les pays !
La régulation de l’économie de marché doit aussi rechercher l’accès aux biens pour le plus grand nombre
Les marchés non solvables doivent désormais être intégrés dans le modèle économique des entreprises
9. La Responsabilité Sociétale de l’Entreprise, schéma de transition vers le modèle durable
La RSE ne se réduit pas à une démarche de bonne volonté dans un modèle économique inchangé
L’engagement durable de l’entreprise peut l’emmener très loin dans la réforme de son modèle économique
La RSE ouvre la voie vers un nouveau cadre d’analyse de la performance de l’entreprise
La RSE remet moins en cause la structure de coûts de l’entreprise que son mode de gouvernance
Quand la critique libérale et la critique de gauche se rejoignent pour dénoncer les ambiguïtés de la RSE
Les bonnes pratiques de la RSE se multiplient sous la pression de salariés qui réclament une plus grande attention aux intérêts publics
L’avenir de la RSE est dans le partenariat institutionnel au service du développement durable

Troisième partie Comment l’entreprise du XXIe siècle doit intégrer l’intérêt collectif dans son développement
Le capitalisme est entré en pleine révolution et personne ne sait encore où il va !
Des attentes fondamentales empêchent le système de revenir à son point de départ
10. Le capitalisme doit d’abord relever un défi comptable pour rendre compte de la valeur réelle créée
Ce qu’il faut mesurer
L’obligation de mesurer
La pertinence des mesures
11. Les sept piliers du nouveau management responsable et durable
Le passage d’une économie de l’offre à une économie de la demande
1er pilier : la vision du chef d’entreprise, en réponse à l’attente de la société, dans le champ d’activité qui est le sien
2e pilier : faire partager le projet à la gouvernance de l’entreprise
3e pilier, corollaire des deux précédents : consacrer au sein du management une fonction experte en RSE et développement durable pour accompagner l’entreprise dans sa démarche
4e pilier : l’organisation du dialogue avec les parties prenantes
5e pilier : le rapport annuel de mesure de la situation, versus le développement durable
6e pilier : le « fonds d’initiative durable » au service de l’innovation
7e pilier du management durable : le partenariat avec la Société, contractualisé à travers des programmes de progrès
12. Les acteurs économiques participeront-ils à la construction de la nouvelle régulation durable des marchés ?
Le lobbying responsable
La qualité de la régulation public-privé est le produit d’une gouvernance qui recherche le développement durable
La régulation durable : passer de l’obligation au contrat
La co-construction des règles du jeu est consubstantielle au fonctionnement du « capitalisme des parties prenantes »
Le « capitalisme des parties prenantes » a besoin de s’appuyer sur des autorités régulatrices impartiales
La qualité de la gouvernance publique est l’un des grands déterminants de la compétitivité des territoires
Pour conclure un « contrat partenarial », il faut être plusieurs !
Et si tous les acteurs détenaient une part « d’intérêt public » ?
13. L’éco-capitalisme succédera-t-il au capitalisme financier ?
Un nouveau modèle d’entreprise pour succéder à la « world company »
L’entreprise éco-capitaliste existe déjà… en Californie
L’Europe pourrait porter cette mutation attendue vers un « éco-capitalisme »

Conclusion L’entrepreneur a une mission politique à laquelle il ne peut plus échapper
La Société bouge, le changement avance… inexorablement
Le défi économique est d’abord d’ordre politique

Annexes
Annexe 1 L’appel dans la crise Collège des Directeurs de Développement Durable Engagés (C3D) – janvier 2009
« Il faut aller chercher dans le développement durable les ressorts d’une nouvelle croissance »
Annexe 2 Le manifeste WBCSD (World Business Council for Sustainable Development)
Annexe 3 Chronologie des avancées récentes du modèle durable dans l’économie mondiale
Années 2000
2002
2002-2003
2002-2005
2005
2006
2007
2008
2009
2010

Bibliographie
À tous les dirigeants d’entreprise
que j’ai eu l’honneur d’assister
et qui m’ont transmis
le sens de la responsabilité
dans la vie économique.



« Il n’est pas d’entreprise qui gagne
dans un monde qui perd. »
Claude Fussler, Johannesburg 2002
Préface
Jean-Hervé Lorenzi
Président du Cercle des économistes
En ce début d’hiver 2009, tout paraît confus, incertain, incompréhensible. Le débat que nous avons, nous autres économistes, sur l’évolution de la croissance mondiale pour les quelques années à venir est exemplaire de la difficulté à comprendre la réalité présente. Dans cet univers si complexe, les termes du développement durable apparaissent à la fois éloignés de la difficulté des temps présents et porteurs de solutions novatrices. Se mêlent d’ailleurs des expressions proches dans leur acception vague mais fondamentalement différentes lorsque l’on approfondit les concepts : croissance verte, développement soutenable, développement responsable et, évidemment, développement durable. C’est à ce chantier de clarification, de réflexion et de proposition sur notre avenir pour réorienter des formes de croissance que Patrick d’Humières s’est attaqué avec méthode, talent, imagination et grande rigueur.
L’objet de ce livre, derrière son titre provocateur est de redonner à la croissance tout son sens, à l’entreprise tout son rôle, aux « parties prenantes » tout leur poids dans les décisions, et tout cela pour construire un modèle économique qui puisse redonner à l’Homme le rôle central dans nos sociétés. Vaste ambition aurait-on dit en d’autres temps et c’est pourtant l’entreprise de cet ouvrage. Après une soigneuse description de l’environnement nouveau dans lequel se meuvent les entreprises, Patrick d’Humières nous montre à quel point la responsabilité sociale de l’entreprise est intéressante et limitée à la fois. Intéressante parce qu’elle ouvre la palette de ses objectifs purement financiers, mais insuffisante parce qu’au fond, elle ne remet pas réellement en cause son mode de gouvernance. L’auteur ira même plus loin, puisqu’il va en dénoncer des formes d’ambigüités. C’est un résultat très important parce qu’il montre à quel point la rénovation du capitalisme ne peut se faire de manière homéopathique selon la logique actuelle, sans pour autant supprimer le poids majeur de l’entreprise dans cette rénovation. Et c’est là où notre auteur passe du stade de l’analyse critique à la proposition forte. Le développement durable, c’est en réalité le passage d’une micro-économie humaniste à une macro-économie positive. C’est à ce moment-là que l’entreprise devient acteur du changement de l’Histoire, parce qu’elle est à la fois porteuse d’une nouvelle philosophie de management mais également, et peut-être surtout, élément d’une croissance dont la logique est profondément renouvelée. Un chapitre propose les éléments même de ce nouveau contrat entre l’entreprise et la société avec sept principes qui doivent structurer cette approche si novatrice. Bien entendu, certains d’entre eux s’inscrivent dans la logique du socialement responsable, mais d’autres imposent à cet acteur majeur de penser développement durable, en d’autres termes, dans le respect de la rareté des ressources et en offrant la possibilité pour la société dans son ensemble de croître de manière pérenne et harmonieuse. En un mot, de remettre l’Homme et la société en adéquation l’un avec l’autre.
Le livre a-t-il répondu à la question qu’il se posait ? Oui, mais là n’est pas le plus important. Ce qui compte dans cet ouvrage très remarquable, c’est de saisir à quel point si nous voulons maîtriser le monde de demain, nous devons penser et alors révolutionner le fonctionnement de nos entreprises.
Introduction
Les chefs d’entreprise
seront-ils les derniers
à tirer les enseignements
de la mutation de la Société ?
« Le secteur financier a grandi au-delà du raisonnable
et une partie des produits financiers complexes
est socialement inutile. »
Lord Adair Turner, Président
de l’Autorité des Services Financiers anglaise,
septembre 2009.
L'élection du Président Obama restera une césure symbolique dans la marche du monde. Elle sonne le glas de la vague néo-libérale et conservatrice qui porte une responsabilité majeure dans l’implosion du système financier américain. Clin d’œil de l’Histoire, l’Amérique se tourne vers les enjeux du monde qui vient au moment où Al Gore reçoit le prix Nobel pour sa croisade écologique universelle. Parallèlement, d’autres basculements se sont imposés dans la conscience contemporaine : c’est la relativisation des progrès biologiques à cause des risques qu’ils génèrent, c’est le désir de consommer dans les sociétés développées qui est revisité par des aspirations plus essentielles, c’est l’expertise qui est contestée systématiquement parce qu’elle est suspectée de partialité, c’est enfin l’éloge des activités non profitables et la reconnaissance du « social-business » par les capitalistes, etc. Les viviers universitaires sont plein de nouveaux « chercheurs de sens ». Tous les observateurs de la crise du modèle actuel – crise de sa pratique aux États-Unis pour l’essentiel – font ressortir cette tension criante entre la motivation de jouissance individuelle de la génération aux affaires et la motivation d’utilité collective qui anime les jeunes diplômés, les théoriciens et les militants dans presque tous les pays développés. La légitimité du modèle ancien est en miettes. L’épuisement des ressources naturelles progresse dans les statistiques et dans les consciences. Même la Chine, dont plus de 60 % de l’eau disponible n’est plus potable, se sent des plus concernées par cette échéance dont on peut désormais prévoir l’imminence. Le constat scientifique objectif des bouleversements de l’éco-système fait monter la peur, interpelle la raison, touche tout un chacun au plus profond de son rapport à la vie. Le changement de modèle n’attend plus. Il est dans les têtes. Même si le repu et le miséreux n’en tirent pas les mêmes leçons, nous savons que nous vivons dans « l’illusion économique » et qu’il faut en tirer les enseignements, très vite. Au risque que la crise ne nous y contraigne de force.
Dans ce maelström des repères, The Economist titrait en 2005 : « le mouvement en faveur de la responsabilité sociale des entreprises a gagné la bataille des idées. C’est dommage ». Cet aveu de sincérité de l’un des magazines porte-paroles de la communauté économique dirigeante, en dit long sur son désarroi. En 2009, le Forum de Davos se fait dépasser dans les médias par les échos de la conférence altermondialiste qui se réunit au même moment. Et depuis la chute fatale de la banque Lehman Brothers, c’est le mot « cupidité » qui revient le plus souvent pour expliquer l’un des événements majeurs de la crise financière de 2008, ce qui en dit long sur la perte de leadership du modèle économique libéral.
Aujourd’hui, après la panique survenue sur les bourses mondiales, la communauté économique apparaît sans solution alternative, sans voix pour se défendre, sans morale nouvelle. Elle fait plutôt œuvre de contrition, n’hésitant pas à condamner à son tour « l’illusion collective du tout marché » 1. La démocratie et ses élus ont dû venir à sa rescousse. Dans ces conditions, il est bien délicat pour les entreprises de reprendre le thème de « l’impéritie publique », popularisé dans les années 80 par la formule de Ronald Reagan : « l’État n’est pas la solution, c’est le problème » ! Une seule chose est sûre : le centre de gravité de la légitimité collective n’est plus dans le système économique privé, il est passé dans le camp de la Société et de la gouvernance publique incarnée dans le sursaut des chefs d’État lors du G20 de Londres, le 2 avril 2009. On attend d’eux désormais qu’ils changent les règles pour que la partie reprenne. Le monde est suspendu à leurs plus récents rendez-vous, à commencer par celui de Copenhague, fin 2009, développement durable oblige.
Personne ne peut dire encore si un « modèle durable » va sortir de cette dislocation de la mécanique du monde ancien qui vient de nous éclater à la figure. Mais on voit bien que ce modèle est en phase d’éclosion, pour de bon, alors même que chacun sait que la transition sera douloureuse et que les solutions ne sont pas encore à portée de main… Partagée entre le regret non avoué d’une période facile et le scepticisme quant à la possibilité d’une régulation supra-nationale des marchés, la planète-business découvre qu’elle doit changer car le modèle ancien est vraiment trop cynique pour être défendable. La guerre des modèles est engagée.

1 « Les temps nouveaux », intervention de Michel Pébereau à l’Université du Medef, 2009.

Première partie
L’échec de l’auto-régulation
comme principe
d’organisation économique
« Nous serons 3,5 milliards d’habitants supplémentaires en 2050.
Nous ne pourrons plus consommer autant que maintenant.
Les entreprises ne doivent pas seulement être des lobbies.
Elles doivent relever ces défis. »
Nitin Desai, Secrétaire Général
du Sommet de Johannesburg (2002)
Les conférences internationales qui ont touché de près ou de loin au développement durable depuis Rio débouchent presque toujours sur l’éloge des codes de comportement volontaires. Les Anglo-saxons ont eu à cœur d’imposer cette philosophie du volontarisme, dite de la « soft law », pour empêcher l’intrusion de nouvelles normes dans le droit international. En ce sens, ils respectent l’un des fondements de leur édifice juridique, l’engagement (involvment) qui lie moralement son auteur et préserve sa liberté sacro-sainte, feignant de croire que la somme des morales individuelles tend naturellement à la bonne gestion collective. Certes, les autorités sont souvent intransigeantes face au non-respect de l’engagement mais on voit bien que la crainte de la réparation a posteriori ne tient pas lieu de politique préventive sérieuse. Ce raisonnement a puisé sa source dans le protestantisme orthodoxe comme Weber l’a parfaitement démontré, à un moment particulier du développement de la « cité nouvelle ». La vague de « l’éthique des affaires » a ainsi tenté d’enrayer la dégradation des pratiques depuis les années 80, à travers un ensemble de codes déclaratifs. Leur mérite a été de poser des intentions vertueuses et de formaliser des principes d’intérêt général dont la communauté économique moralisatrice – très minoritaire – reconnaissait l’intérêt pour améliorer le fonctionnement du système. L’Europe a suivi passivement ce mouvement, avec le sens critique qui la caractérise. On pressentait bien qu’il y avait là un fossé fondamental entre l’appel faussement candide à la vertu et la construction d’un ordre juridique universel, promu dès l’époque des Lumières pour se substituer aux interprétations religieuses individuelles. Le tribunal des faits entraîne celui des hommes. « La crise du tout-marché » que nous vivons tire un trait définitif sur cette idéologie candide de l’auto-régulation par les acteurs dont le risque qu’elle fait courir est devenu insupportable.
La multiplication des chartes d’engagement
volontaire : une prise de conscience
plus que de nouveaux comportements
Au fur et à mesure que la pression des ONG et des scientifiques s’affirmait dans le système international, et que la criticité des enjeux remettait en cause les entreprises les plus exposées, la signature de chartes de bons comportements s’est imposée comme un premier mode de collaboration positive entre les acteurs militants et le monde économique. C’est ainsi que nombre d’entreprises ont adhéré à des associations internationales, pour la défense des droits de l’homme, la préservation des ressources naturelles, l’éthique des affaires…
Les signataires faisant leur affaire de l’application de ces grands principes, les entreprises ne prenaient que le risque de s’engager vis-à-vis de l’opinion publique. L’initiative la plus symbolique est le Pacte mondial (Global Compact), proposé par Koffi Annan en 2002, lorsqu’il était Secrétaire Général des Nations-Unies. Le Pacte mondial fixe 10 principes de comportement à respecter par les entreprises du monde entier qui veulent y souscrire, allant du respect des droits humains et sociaux au refus de la corruption, en passant par la protection de l’environnement. Près de 4 000 entreprises y ont souscrit aujourd’hui, dans tous les domaines d’activité et de tous pays. Conscient du problème de crédibilité que cela pose, le Pacte mondial retire désormais le droit d’utiliser ce label aux entreprises qui n’envoient pas leur rapport annuel d’ (auto) évaluation1.
L’Europe a été plus timorée et s’en est tenue à une vision générale de la responsabilité sociale et à la recommandation d’un « cadre volontaire ».
Ce mouvement normatif s’est accompagné de classements et d’évaluations par des agences de notation indépendantes et des indices financiers (comme le Dow Jones Sustainability Index, le Footsie 4…).
Mais, en réalité, aucune entreprise n’est jamais ni complètement « blanche » ni totalement « noire » dans ses relations avec le contexte dans lequel elle opère, et il est extrêmement complexe de mesurer le « bon » comportement d’une entreprise. L’intérêt de principes normatifs est donc d’aider à construire un cadre de référence ayant vocation à être traduit par des mesures politiques et des prises de position juridiques, même si personne n’est dupe quant à la superficialité initiale des effets d’annonce. Si cette forme de communication permet à une entreprise de cacher ses mauvais comportements derrière une façade de bonnes intentions, cela la force néanmoins à sortir d’une fausse neutralité et à entrer dans un processus progressif de contrôle.
Les outils de déontologie interne,
entre la crainte de la loi et la reconnaissance
d’un besoin de valeurs
L’auto-régulation a également été promue à travers les chartes déontologiques internes et les codes de conduite élaborés par les firmes elles-mêmes. Ces dispositifs présentent eux aussi l’intérêt de favoriser une prise de conscience interne autour des grands enjeux du monde contemporain et d’afficher l’ambition d’y être attentif. C’est l’aveu que « le business » n’est pas neutre socialement et qu’il ne peut se contenter de respecter la loi, surtout dans les domaines et les pays où celle-ci est déficiente. Pour autant, les entreprises ont appliqué mollement ces chartes externes et internes et n’ont pas apporté la preuve d’une crédibilité incontestable. Or, la démonstration ne tenait que si elle était impeccable. Autant dire qu’il y avait un malentendu à la base : les préconisateurs se sont efforcés d’imposer un « nouvel ordre international » et les entreprises ont cherché à gagner du temps et à protéger leur image tant qu’elles pouvaient.
Le cas des activités bancaires est à cet égard exemplaire. Il aura fallu les conventions OCDE et les obligations de dénonciation imposées aux professionnels pour voir un système anti-corruption enfin pris au sérieux : la cellule Tracfin2.
Les crises restent les vrais moteurs de l’évolution
des normes imposées aux acteurs économiques
La réalité du rôle nouveau joué par l’opinion est désormais perceptible dans la façon dont les changements institutionnels sont opérés : c’est l’émotion soulevée par les crises et les actions conduites par leurs victimes qui amènent les autorités publiques à modifier la loi. C’est bien la faillite d’Enron et le défaut de vérification de ses comptes par le cabinet Arthur Andersen, deux piliers de l’establishment américain, qui ont produit la loi Sarbanes Oxley, l’un des cadres juridiques les plus contraignants concernant la responsabilité personnelle des chefs d’entreprise aux États-Unis. On peut dire la même chose en France à propos des lois sur la responsabilité environnementale, suite à l’affaire Metaleurop ou à la catastrophe de l’Erika (cf. lois grenelle 2).
Les mécanismes de supervision financière qui se mettent en place ne sont donc que le produit des dysfonctionnements subis, l’auto-régulation ayant échoué du fait de son inefficacité mais aussi parce qu’elle est apparue comme non crédible, les dirigeants n’ayant pas su organiser son indispensable indépendance. Le système politique ne pouvant plus se permettre d’être fragilisé à ce point par les crises à répétition, il a repris la tutelle directe de la vie économique par une sorte de retour de balancier que seuls les chefs d’entreprise n’ont pas vu venir. Si l’entreprise n’est pas attendue comme un système démocratique, elle est néanmoins désirée par la Société comme un élément contributif du processus démocratique, soumis à des pouvoirs et des contre-pouvoirs, et ne pouvant le contredire en aucun cas. Le rêve libéral d’autonomie de l’entreprise « dans sa bulle » n’aura pas duré !

1 http://www.unglobalcompact.org

2 TRACFIN est la cellule française de lutte anti-blanchiment. Elle dépend des ministres de l’Économie, des Finances et de l’Emploi ainsi que du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique. Créé en 1990, à la suite du sommet du G7, Tracfin concourt au développement d’une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Source : http://www.tracfin.minefi.gouv.fr/

1.
Médias et société civile :
la nouvelle alliance
La réglementation envahissante du « droit à produire » (licence to operate) bâtie sur les décombres de l’échec libéral et née de l’incapacité des entreprises à contrôler l’impact de leur action sur la Société, traduit la volonté de celle-ci de se protéger mais surtout son triomphe politique. Les entreprises ont bien essayé, à la fin des « Trente Glorieuses », de conserver l’influence sur les médias et les acteurs politiques qu’elles tiraient de cette période où l’innovation et la croissance leur avaient conféré un vrai leadership au sein de la Société, mais en vain.
Le système médiatique a largement réussi
son autonomisation
Il a beaucoup été écrit sur la consanguinité historique entre les patrons et les patrons de presse, les deux s’étant longtemps confondus dans la tradition française. Les choses ont désormais changé – même si la propriété d’importants supports de presse reste très largement aux mains de grandes figures du capitalisme –, pour plusieurs raisons.
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