Chronique du bonheur
202 pages
Français

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Description

Dans cette chronique, l’auteur relate sa rencontre avec un jeune expert en art qui l’entraîne, grâce à l’apprentissage de la peinture contemporaine, à la découverte de soi. Cet échange donne naissance à des analyses souvent vives et cruelles sur la famille, la tribu mais aussi sur ce XXIe siècle débutant et sur une nouvelle compréhension de l’art, de la bisexualité, de la co-parentalité et du rapport à l’argent…

Tout bouleversement que le narrateur met chaque fois en parallèle, non sans humour et détachement, avec ses propres expériences.

L’enthousiasme est la première marche de l’amour. Mais «?Chronique du bonheur n’est pas bonheur chronique?». Philippe de Miomandre le sait bien, qui observe le monde d’un regard incisif mais laisse le destin s’accomplir.

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2011
Nombre de lectures 53
EAN13 9782876235984
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0094€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un matin, il partait pour New York, à 9h15. Je l’ai accom-pagnéàRoissy.Jairegardésonavionsenvoler,laissantcroî-tre en moi une inquiétude morbide en même temps que fondée sur les accidents et attentats qui imprègnent le pay-sage des transports aériens. Quelle attache me liait à cet étran-ger que je regardais comme un fils qu’il n’était pas? Je profitais de son absence pour aller voir une ou deux expositionsquenousnavionspaseuesletempsdedécouvrir ensemble, sans m’interroger sur les raisons de cette fringale. Il faisait beau et froid dans ce Paris d’automne. J’étais heu-reux de me retrouver livré à moi-même, libéré de nos appels quotidiens et du poids incroyable de mon intérêt pour lui. Il fallait profiter de son absence pour y voir clair et tenter de prendre du recul. Est-il bon de se lancer dans une amitié prégnanteavecunpresqueinconnu?Quelmanquevenait-il combler chez un père de famille nanti comme je le suis? Je reconnais m’être laissé entraîner plusieurs fois par des gens de toutes sortes, qui m’apportaient un sujet d’étude, d’ana-lyse, de roman. On prend toujours dans ce qui passe à sa por-tée pour construire. Agapé, avec sa simplicité souriante, son humeur égale, ses manières simples et son raffinement discret, était une énigme.
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Énigme que je m’engageai à découvrir autour de lui et au fond de moi avant son retour. Dès le lendemain, sortant de chez un ami éditeur à quelques rues de là, je me rendis rue Jacob et découvris sans mal la galerie où il avait travaillé avant de se lancer seul dans l’aventure de cette profession. «Art Moderne et Contemporain.» J’ouvris la porte après avoir contemplé les deux grandes toiles de chaque côté de l’entrée, et je fis un lent inventaire après un simple salut de la tête, dans le genre ama-teur averti. Deux femmes assises, l’une d’âge mûr, l’autre non: la directrice et son employée. — Puis-je vous renseigner? — Ne vous dérangez pas, je regarde. Je crois qu’un ami tra-vaillait dans cette galerie. — Valmont! Ce ne peut être que lui. Comment va-t-il? — Je crois qu’il s’appelle… — Il a 36 noms, c’est sa façon de se faire oublier et recon-naître à la fois. — Il a aussi un chien. — Qui s’appelle Valmont. C’est drôle, non? Vous aimez Barbemont? — Qui cela? — Le peintre que vous regardez. — Oui. Beaucoup. Il y avait une toile de lui à la FIAC. — Félicitations. Dans un coin et mal éclairée. Vous êtes collectionneur? — Seulement amateur et depuis peu de temps. — C’est l’enthousiasme qui compte, vous savez. Je suis resté trop longtemps dans la galerie, jouant à ne pas tomber dans le piège de qui êtes-vous – comment le connais-sez-vous – que cherchez-vous? Dehors, la nuit était tombée.
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J’avais oublié l’heure, mon portable sonna. C’était lui. Le refletdesagentillesse. — Ici, il est 1 heure de l’après-midi. J’ai dormi durant le vol. J’ai déjà quatre rendez-vous qui m’attendent. Et toi, qu’est-ce que tu fais? — J’ai découvert Barbemont, j’ai pensé à ton chien et je vais relire Choderlos de Laclos. — Tu feras bien. C’est à lire et à relire. — Je ne comprends rien à «Agapé». — Regarde dans le dictionnaire. — Je te remercie mais je sais que ce mot grec signifie affection,amour,tendresse,dévouement,quelalanguepro-fane emploieagapè, pour désigner un amour de parenté ou d’amitié, distinct de l’amour-passion. Si tu veux même le savoir,danssapremièrelettreauxCorinthiens,Paulfaitde l’agapèla vertu des vertus. Il la place au-dessus de la foi et de l’espérance. Est-ce que j’en sais assez ou je continue? — Tu es génial. Je vais me ruiner en téléphone. Je te rap-pellerai.
Les jours suivants passèrent dans une quiétude relative. J’ai envie de dire quiétude alors que je pense monotonie. C’est que je commençais à me rendre compte de la confortable régularitédemavieordinaireetdelaperturbationpositive, salutaire sans doute, que ce jeune homme apportait à mon quotidien. Il me trouvait jeune; il n’ajoutait pas «pour mon âge». Afin de le croire je faisais des efforts, au sport, partout, tout le temps. Je crois cela très bon pour ma nature indolente. Mes parents m’ont offert un corps, mécanique charnelle en bon état, dont j’ai appris depuis longtemps à me servir et qui
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sans jamais tomber en panne m’a donné toutes les satisfac-tions que je pouvais en attendre. La mécanique, çà s’entre-tient. Ce que beaucoup oublient, qui bichonnent leur voiture, négligent leur corps, leurs maux, leurs dents, leur peau, leurs paroles et leurs pensées. C’est par politesse qu’on doit soigner son apparence, non par narcissisme, et quand bien même ce serait là du narcissisme, je n’y vois qu’une qualité. Je veux rester jeune pour ne pas lui paraître ringard, sans en faire trop pour ne pas tomber dans le ridicule. Je ne peux plus m’empêcher de penser à lui, surtout lorsqu’il est loin et que je reste livré à moi-même. La relation dans laquelle je me laisse aller, si amicalement noble, en apparence, est peut-être gro-tesque, interdite. Bonne question. Il n’y a pas de choses in-terdites. Il n’y a que des choses réservées à quelques-uns. Pour le reste, on est grotesque quand on a peur de l’être. Cela dit, je peux repartir le cœur léger à mes occupations. Avec mes allures de rapide nerveux, dans le fond je crois être un rêveur, un contemplatif. J’ai toujours dit qu’entre une carrière d’avocat, d’homme d’affaires, de golden boy vissé sur le CAC 40 et une vie dans un couvent, j’aurais certainement choisi de me faire orthodoxe et de laisser battre mon cœur dans l’un des monastères de la montagne sacrée. Faute d’Olympe, vive l’Athos. Comment faire croire, après cela, à Valmont principale-ment, que je suis profondément laïc malgré trois voyages sur la montagne? À ce propos, justement, comme je lui parlais de mes précédents pèlerinages, il me confia qu’il aimerait beau-coup s’y rendre avec moi, que je serai son guide, que cela cor-respondait à un désir profond en lui qui ne ressortissait en rien à de la simple curiosité. J’acceptai, pour lui être agréable de réfléchiràlaquestion.Jallaistrèsrapidementmeconfronter
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avec cette définition du voyage si parfaitement exprimée par Marguerite Yourcenar dansLe tour de la prison: c’est une prouesse physique, une expérience esthétique personnelle et un moment de contact avec le sacré. Il me semblait que j’avais tout mon temps pour réfléchir aux intérêts et aux risques d’une telle amitié, que je n’allais pas me faire mordre, que tout mystère a son piquant, un piquant qui n’est pas sans douceur. À ce propos, je me souviens d’une carte postée à Milan ou à Rome, où il avait écrit: «Je crois bien qu’il n’est rien d’autre entre nous qu’une chimie, qui a pour nom intelligence».
Nous avons l’habitude de penser que notre vie est traver-sée de moments plus ou moins heureux, de soucis, d’amours, de rencontres, d’amitiés et de temps morts, d’espoirs et de projets. Nous donnons un nom à chacune de nos émotions. C’est rassurant sans jamais rien résoudre à nos problèmes. J’allais vivre quelque chose d’étrange, ressenti pour la pre-mière fois et que j’appellerai l’agapè, qui serait justement le prénom qu’il prétend être le sien. Nous nous étions rencontrés lors d’un vernissage dans une galerie de la rue de Seine, dont le peintre était de ses amis, et pour moi une relation de mon club de sport. On nous pré-senta. Je fis tomber un mobile. Il répara ma faute, m’excusa auprès du galeriste. Nous sortîmes en même temps. Je ne suis pas médium mais j’ai ressenti l’immédiate intui-tion que ce garçon m’ouvrirait les yeux sur certaines choses, et bizarrement des portes qui restaient closes. Ce dont on est gré à ceux qui nous intéressent et qu’on pourrait aimer, c’est de nous rendre plus intelligent, à force
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d’efforts pour les comprendre, pour ouvrir une voie perma-nente de communication avec eux. J’acceptai d’entrer dans son jeu sans même en connaître les règles. Une visite de la FIAC, parcourue à toutes jambes, quelques mains serrées m’obligèrent à ne rien voir et à suivre. Il avoua que cette FIAC avait été une épreuve pour lui et ajouta qu’elle en avait été une plus grande encore pour moi.
Je rentrai m’occuper de ma famille et de mes affaires, sans parvenir à justifier mon intérêt à son égard. Après la banale séduction,souventàloriginedesrencontres,aprèslanou-veauté qui intrigue et les premières difficultés à surmonter, tout sentiment de cette sorte ne saurait s’ancrer dans les pro-fondeurs d’un être, sans les connivences qui en sont le fonde-ment et une mystérieuse volonté. Toute audace est possible quand elle est une vertu. Sans oublier les sentiments et une bonne dose d’humour.
Quelques jours plus tard, comme j’évoquais les réflexions auxquelles m’amenait notre amitié naissante, il me demanda si je n’étais pas plutôt mémorialiste que romancier. Poussé dans mes retranchements à réfléchir sur cette saine occupa-tion, j’en déduisis qu’il avait raison si être mémorialiste consiste à faire grand cas des petites choses. Pour couper court à cette cuisine analytique, je l’ai amené à s’inscrire dans mon club de sport. Il m’a toujours paru très sain de poser la plume ou de débrancher l’ordinateur pour aller en suer une bonne en poussant de la fonte. On en revient au niveau des pâquerettes avec l’impression d’avoir traversé la vallée des ananas.
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Il revint de voyage. Un peu de temps passa avant qu’un soir, au club, alors qu’il courait comme un forcené sur son tapis électrique et que je le regardais faire, moqueur, il me lança: — Je m’entraîne pour le Mont Athos, c’est quand tu veux, juillet, ce serait bien. Nul contraste à notre existence séculaire ne peut être aussi fort qu’un voyage sur la montagne sacrée. Démarches, études, lettres. On s’y prépare pendant des mois pour quelques jours sur place. Guide, moi? Comment faire découvrir à ce jeune catholique celte le christianisme d’Orient, un rite byzantin, un peuple de moines grecs mais aussi bulgares, russes, serbes? Je me sens pèlerin novice, à demi-instruit des rites complexes. Après tout je ne suis que le passeur, qu’il fasse sa propre expérience,commejelaifaitemoi-mêmeilyaplusdevingt ans. Je ne saurais lui expliquer l’effet magique, profond, per-turbant que peut avoir sur moi le cérémonial nocturne des longs offices dans le katholikon, psalmodiés sous les parfums oppressants de l’encens, dans la lumière miraculeuse de mille petites bougies reflétant les regards et les barbes sombres des moines sous leurs coiffes et dont les longues capes noires glis-sent silencieusement sur les marbres. Ce qu’on ressent alors ne s’exprime pas, ne veut pas l’être. C’est peut-être, sur le long chemin de l’extase, la toute première étape de la connaissance de soi. Nous avons fait ce voyage que tu voulais et je suis heureux de l’avoir partagé avec toi. Prenant des notes sur cette aven-ture, j’avais l’impression d’écrire un roman dans lequel il n’est pas certain que nous ayons à voir.
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Notre relation s’étoffa rapidement et très normalement, car au fond c’était comme si nos affinités profondes étaient établies depuis des lustres et n’avaient rien à voir avec nos ren-contres, nos voyages, nos projets. Il entra dans le cercle res-treint de ma famille avec un naturel désarmant, comme si il y avait toujours entretenu des relations privilégiées. Je décidai donc d’introniser Valmont dans le temple intellectuel et sub-versif de ma meilleure amie. C’était une autre paire de man-ches. Ludivine organise ce qui s’appelait prétentieusement dans les siècles passés un salon littéraire. Elle y réunit assez régulièrement sept hommes à sa table, où convergent tous les talents masculins; où le charme le dispute à la virulence des propos, la culture romaine et hellénistique au sex-appeal et le privilège ou la chance, au mérite et aux parutions des invités. Ce n’est pas toujours une réussite, fort heureusement. Les dangers de toutes sortes s’insinuent sur la nappe, les rires et les bons mots dissimulent parfois des procès d’intentions. Mais, Ludivine et moi parvenons généralement à conduire cette diligencedelespritàbonport.Beaucoupdebeauxespritset de jeunes auteurs pleins d’eux-mêmes, frappent à la porte. Notre sagesse consiste à obéir à nos caprices. Ici, pas de bud-get d’état. Nous prenons les risques et nous distribuons les faveurs. Valmont ne tenait que de moi sa chance d’être invité. Je ne lui montrai pas les choses comme elles sont, mais de manière à le rassurer sur un dîner que je lui présentai comme une sym-pathique réunion d’amis sur laquelle il ne posa aucune ques-tion et où il ne vit que du bonheur à partager quelque chose qui m’était cher. Ce soir-là, féerie du langage, combats de coqs, mondanités et velléités intellectuelles s’entrecroisèrent.
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Notre nouveau venu, à l’aise, souriant, peu causant, écouta et enregistra. Ceux qui s’expriment modérément tandis que les autres passent à l’assaut et se jettent dans le combat, se voient octroyersanslavoircherchéunrôledarbitre.Onvoulutlavis de ce jeune homme silencieux. En refusant de prendre parti, au prétexte que chacun ayant si bien exprimé des points de vue divergents mais égaux en élévation de pensée, il n’y avait pas à se ranger d’un côté ou d’un autre, mais plutôt à s’enri-chir de ce qu’apportait à la réflexion une telle juxtaposition d’idées. Il fit très fort. J’en restai sidéré. Ludivine éclata de rire en concluant qu’il n’aurait pas tou-jours le privilège de s’en sortir par une si élégante pirouette. Qu’il lui faudrait une prochaine fois traiter du fond. Elle voulut le revoir, s’enticha de lui, l’aurait voulu dans sa khâgne. Valmont, hélas Madame, était déjà inscrit depuis belle lurette à l’école de la vie.
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Je ne parviens pas encore, en vivant les choses au jour le jour, à expliquer ce sentiment d’agapèque cependant je res-sens très bien pour n’être ni de l’amour ni de l’amitié, mais un sentiment aussi fort que l’amour et aussi serein que l’ami-tié. C’est peut-être que dans ma reconnaissance de ce qu’il est et dans cet attachement où nous sommes l’un de l’autre, il n’y a pas l’influence du sexe. Ainsi, malgré la fascination que peut provoquer cette situation, qui n’est pas la fascination du désir, mais celle d’une relation unique, les projets que nous formons s’apparentent à un contrat réussi. Quelques mois ont suffi pour nous rassurer l’un comme l’autre de toute jalousie, envie,
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mesquineries de toutes sortes. C’est à la jalousie des autres, à leurs sentiments négatifs qu’il faut se confronter. «L’enfer, c’est les autres». Le monde reste inchangé. Le bonheur que je développe dans l’accomplissement de cette situation, provient de la sensation que j’ai de m’y épanouir parfaitement. En même temps, cedealtrouve sa place à côté de ma vie de famille qui, peut-être à cause de cet équilibre, bénéficie elle aussi de ma plénitude. Je donne d’autant plus autour de moi que je puise chaque jour des forces nouvelles. Quelques jours à la campagne m’ont permis de réfléchir au fait qu’il pourrait très bien demain s’établir dans un autre pays ou se marier et par conséquent déstabiliser un équilibre par l’absence, le mariage ou même seulement en formant un cou-ple. Je veux son bonheur, comme je veux celui des miens. RevenuàParis,unsoir,chezlui,jabordelesujet.Ilyapensé lui aussi, avec les méthodes expéditives de son âge.
J’ai eu beaucoup de petites amies, me dit-il, et quelques garçons. Moi qui ai confiance dans la vie, le progrès, l’avenir, le travail et la réussite, j’ai une peur bleue de rater mon cou-ple. Je hais les disputes, les bassesses, je crains les influences et les exigences des familles, des belles-familles, le carcan du mariage,létau,perdresaliberté.Jecroisquaujourdhuile couple, la famille, c’est soixante pour cent de divorces, de procèsetdelarmesettrentepourcentdeffortsincessants,de renoncementoudecompensations. Que dire à cela? Il ne faut pas se lancer sans être sûr de soi, de l’autre, de ses sentiments. Il faut s’assurer qu’on est fait l’un pour l’autre, complémentaires. Le reste relève en effet du hasard,pasceluidesloteriesmaisceluidelavie,delacapacité à pouvoir accepter, partager ensemble certaines épreuves, à
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