Commandeur des Incroyables et autres Honorables Correspondants
38 pages
Français

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Commandeur des Incroyables et autres Honorables Correspondants , livre ebook

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Français

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Description

Puisque, à travers les âges, l'humanité persiste à s'entretuer sur tous les modes – crime, guerre, extermination –, n'est-il pas légitime de s'en plaindre auprès des autorités tutélaires supposées ?





Jacques A. Bertrand adresse ce récit à quelques autorités supérieures dont il voudrait attirer l'attention, non sans ironie, sur certaines pratiques déplorables. Savent-ils bien, ces êtres d'exception, que les humains, non contents de s'entretuer (ce qui pourrait paraître suffisant) ont une fâcheuse tendance à s'infliger par-dessus le marché d'abominables souffrances ?
Il a des preuves, le narrateur, il connaît des histoires... Qu'il nous raconte au cours d'une balade dans différentes époques, mélancolique et ponctuée d'humour (sans lequel le tragique humain ne serait pas supportable). Trois récits emblématiques ponctuent une série de lettres où l'auteur prend à partie, toujours respectueusement et en toute amitié, ses interlocuteurs imaginaires, esprits et somme de toute vie, symboles de sagesse millénaire.
Comment expliquer tant d'horreur ? Au début du siècle dernier, un jeune ouvrier italien est torturé dans un refuge de montagne après le meurtre d'un marchand de bois querelleur. Plus tard, on suit le parcours sanglant d'un exécuteur de basses œuvres à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans une campagne française. Dans le Nouveau Monde, sous prétexte de commerce et de propriété terrienne, colons français, britanniques, puis américains, autochtones hurons et algonquins se massacrent autour des Grands Lacs. Et l'ancien monde n'est pas en reste...
Pourtant, d'âge en âge, des personnages remarquables ont traversé les paysages sublimes de cette planète. Ne pourrait-on espérer, " Commandeur des Incroyables et Honorables Correspondants ', que l'espèce humaine découvre enfin la parole ?







Les autres, c'est rien que des sales types, Grand prix de l'Humour Noir

Les sales bêtes a reçu le prix 30 millions d'amis

J'aime pas les autres a reçu le prix Georges Brassens

Le Pas du loup a été récompensé par le prix de Flore

Derniers Camps de base avant les sommets a reçu le prix Grand Chosier



Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 janvier 2012
Nombre de lectures 85
EAN13 9782260020202
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

:
Du même auteur
Éditions Bernard Barrault
Tristesse de la Balance et autres signes, 1983 – prix A. Barre/SGDL
Chronique de la vie continue, 1984
Soirées dansantes à l’orphelinat, roman, 1985
Le Parapluie du Samouraï, roman, 1987
Je voudrais parler au directeur, roman, 1990 – prix Thyde-Monnier/SGDL
Higelin, Higelin, récit-portrait, 1991
Julliard
Le Pas du loup, roman, 1995 – prix de Flore
Le sage a dit, 1997 (J’ai Lu, 1999)
La petite fille qui se souvenait d’avoir parlé avec l’ange, roman, 1997
L’Infini et des poussières, roman, 2000
Tristesse de la Balance et autres signes – album(dessins de Martin Veyron), 2001
Derniers camps de base avant les sommets, 2002 – prix Grand Chosier, prix Rhône-Alpes
L’Angleterre ferme à cinq heures, 2003
Rappelez-moi votre nom, 2004
La Course du chevau-léger, roman, 2006 (La Loupe, 2007)
Tristesse de la Balance (6e édition avec postface), 2007
J’aime pas les autres, roman, 2007 – prix Georges-Brassens (10/18, 2009)
Les Sales Bêtes, prix 30 millions d’amis, 2008
Les autres, c’est rien que des sales types, 2009, Grand Prix de l’humour noir
Mariages, nouvelles, 2010
Contributions
Le Grand Con, 2003, Seuil/Patrick Couratin
Des Papous dans la tête – l’Anthologie, 2004, Dictionnaire des Papous dans la tête, 2007, Gallimard
Des nouvelles du prix de Flore, 2004, Flammarion
Ousmane Sow, 2006, Actes Sud
JACQUES A. BERTRAND
COMMANDEUR DES INCROYABLES ET AUTRES HONORABLES CORRESPONDANTS
Le mal se fait sans effort, naturellement… Le bien est toujours le produit d’un art.
Charles Baudelaire, « Curiosités esthétiques »
 
 
You know, I’ve seen 30 000 sunsets, and no two that I can remember have ever been the same. What more can we possibly want ?
L’Indien pomo Sept-Lunes
– Jim Dodge, « Fup »

© Éditions Julliard, Paris, 2012

ISBN 978-2-260-02020-2

Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales

Salut à toi, Ô Commandeur des Incroyables,


Est-ce que tes jours s’écoulent dans la joie et dans la douleur mêlées, comme le jour et la nuit, le Printemps et l’Automne, le Yin et le Yang, l’espoir et le désespoir, l’eau et le pastis ? Est-ce que tes matins ont une lumière de miel, tes soirs un goût de soleil ? Ne trouves-tu pas qu’en même temps il y a un soupçon de fiel jusque dans les meilleurs bonbons à la menthe ? Est-ce que la chair de ta chair te dévore et te ressuscite à la fois ? Est-ce que ta bien-aimée danse pour toi sur le fil tranchant du rasoir de la nécessité quotidienne ? Est-ce que tu es bien vivant et cependant un peu mort de temps en temps ? Est-ce que tu as la Haine ? Est-ce que tu as l’Amour ? Est-ce que tu as l’Indifférence Totale ? Et, bien que tu en aies déjà beaucoup enfanté, as-tu encore au fond de toi un enfant qui pleure ? Et qui rit ? Et qui pleure ?...
Si tu réponds oui à toutes ces questions, alors je suis ton humble frère, Ô Commandeur des Incroyables...
Il y a une éternité qu’on ne s’est vu. Je ne doute pas que tu sois très occupé, Commandeur, avec ton groupe de rock’n’roll, tes tournées en province et à l’étranger, tes amours incendiaires, tes bombes à neutrons, l’organisation mondiale de la folie et l’évolution de l’espèce humaine sur laquelle tu tiens à garder un œil.
Pauvre loup hurlant à la lune, je ne tiens pour ma part qu’un second rôle, quoique de premier plan, dans une pièce d’avant-garde montée dans un arrière-pays par un metteur en scène modeste.
Dis-moi, Ô Commandeur des Incroyables, est-ce que tu m’aimes ? Si tu réponds oui à cette dernière question, tu es comme moi, Ô Commandeur des Incroyables. Moi aussi je m’aime. Et pourtant, certains jours, j’aimerais être quelqu’un d’autre (mais jusqu’ici je n’ai pas trouvé de modèle satisfaisant).
Est-ce que ton disque, ton livre, ton film ont marché ? Tes concerts, tes interventions militaires, tes pirouettes ? Est-ce que tu as gagné des billes pendant les récréations ? Est-ce que tu les as toutes reperdues dans le lit de l’illusion ? Sinon, dans quels lits ? Est-ce que tu cherches toujours le secret des choses derrière les choses, l’énigme des regards derrière le rideau des réalités palpables ? (Palpables ?) Ou bien es-tu fatigué de ton propre mystère ?
Tu n’es pas obligé de répondre à toutes ces questions, Commandeur des Incroyables. Dis-moi seulement si tu t’aimes.
Que ton ombre grandisse.
Il fut un temps où il n’y eut rien. Puis il y eut la mer. Partout. Et un jour, on ne sait pas exactement quand, de nulle part jaillit la montagne. Il devait y avoir du feu sous l’eau, probablement. Tu sais toutes ces choses, Commandeur – et qu’elles nous parlent, quelquefois.
Comme tout le monde, je consacre une bonne part de mon temps à la recherche de refuges. Celui-là, qui m’était recommandé par quelques montreurs d’ours et gardiens de chèvres de mes amis, se trouvait à plus de mille-six-cents mètres. C’est une altitude ! Or je souffrais de nombreux handicaps de fin de jeunesse. Aussi fus-je pris en charge, pour ne pas dire en bât, au camp de base des huit-cents mètres par Arthur. Arthur est un grand noir du Berry. À peine moins costaud que le baudet du Poitou, dont il n’a pas la facétie, cet âne supporte avec courtoisie d’être monté. Sur les sentiers de pierraille qui, un virage en épingle sur deux, donnent sur des abîmes, l’âne est moins sûr que la mule, mais beaucoup plus que le cheval. Sa modestie, sa gentillesse et sa prudence sont naturelles. (Seuls les crétins qui battent leur âne et leur femme prétendent qu’ils sont têtus.) Geoffroy, l’ânier délicieux qui me suivait à pied en conduisant Cerise, l’ânesse porteuse de provisions – pains, huiles, nectars de toutes sortes –, m’avait averti. Tant qu’Arthur conservait ses longues oreilles penchées vers l’avant, c’est qu’il était « à son travail ». Mais gare s’il en relevait une, ou les deux, distrait par quelque sifflement de marmotte ou glapissement d’aigle ! Cela finit par arriver. J’étais sans doute aussi distrait que lui par quelque pensée importune, une idée, un souci : un sabot, puis un autre roulèrent sur les pierres et Arthur glissa. Un cheval, à sa place, se serait débattu et, vexé, hennissant, ruant, nous aurait précipités dans le vide. Mais Arthur se contenta de se coucher, la croupe au-dessus du ravin. (Je n’eus qu’à me désengager délicatement des étriers.) Nous l’aidâmes à se relever. L’ânier me recommanda de remonter tout de suite en selle, ce qui constitue la seule règle d’équitation incontournable, afin de témoigner de ma confiance renouvelée – en ma monture et en moi-même.
Ce fut à cet instant précis que nous pénétrâmes de concert dans le nuage, Arthur et moi, à moins que ce ne fût le nuage qui nous recouvrit, et la montagne nous signifiait ainsi que nous venions d’entrer dans son royaume, et qu’elle voulait bien que nous parvenions au Refuge, à condition que ce soit avec humilité. Et dans l’humidité, de surcroît, car il se mit à pleuvoir comme vache d’Abondance....
Je suis un fervent sectateur de l’humilité, ce qui ne va pas sans un soupçon d’orgueil. L’humidité m’est moins favorable. Je passai, en dépit de la robuste cuisine de Saint-Vincent et des couvertures de Mélusine, une nuit épouvantable. Grelotant, perclus de douleurs, je vis passer en rêve, sous la pluie, des centaines de fantômes d’alpinistes, parmi lesquels des bergers fantaisie et quelques assassins notoires. On m’avait prévenu que la première nuit était toujours difficile : la déesse de l’Altitude n’appréciait guère qu’on se hausse du col sans préparation.
Le refuge de Rosairy, officiellement situé à mille-six-cent-quarante mètres dans le massif de la Tournette, s’apprêtait à fêter son centenaire sans se soucier des intempéries.


On me dira ce qu’on voudra, au-dessus de mille mètres, on n’est plus vraiment sur la Terre. Les heures ne s’écoulent pas tout à fait de la même façon. Les couleurs et les lumières s’y fondent en accéléré. Les ombres ne cessent de transfigurer les parois rocheuses, de gommer et de ressusciter les vallées. Et les sonnailles des moutons et des chèvres, qui vous parviennent, d’un peu plus haut ou de plus loin, comme légèrement déchirées par le vent des cimes, encouragent à suspendre les questions. Ou les réponses. Ce rocher aux formes étranges, cette madone de fonte rouillée renouvelant, à mille-sept-cents mètres, depuis soixante ans, l’annonciation d’une naissance inespérée, ce bouquetin apparaissant soudainement, découpé sur un coin de ciel bleu, et disparaissant tout aussi soudainement dans le brouillard, le berger qui vient boire son café d’onze heures dans la petite cuisine du refuge aux poutres basses..., on ne sait plus trop qui raconte les histoires. Les histoires simples de beautés et de souffrances qui font l’humanité, et tout l’univers peut-être.


Au petit matin, il pleuvait toujours dans le nuage. Par une trouée offerte par le vent, parfois, rapidement, on pouvait apercevoir le mont Blanc. La toison blanche un peu crottée de Bob, le patou des Abruzzes, chien réputé tueur de loups, ruisselait. Depuis son petit accident vasculaire cérébral, Bob était à la retraite. Mais il conservait sa belle allure. C’était une sorte de rônin, de samouraï sans emploi. On l’avait donné pour agonisant : la petite fille de Saint-Vincent et Mélusine le ramena, dit-on, à la vie et à la raison en lui racontant des histoires à l’oreille. Bob avait été remplacé par un autre patou, élevé et nourri au sein du troupeau, qui gardait celui-là de l’intérieur, sans jamais en sortir. Cette police de proximité rassurait la gent bêlante. La circulation et les rassemblements, ainsi que la chasse aux brebis égarées, étaient de la responsabilité de Théo, un berger belge noir, infatigable et intransigeant. Pas question de s’éloigner de quelques mètres pour aller brouter en solitaire.
Bob, lui, ne se dérangeait plus guère que pour courser en aboyant le randonneur mâle à bâtons de marche et justaucorps multicolores, bien connu dans les parages sous le surnom de « collant-pipette ». L’équipement du collant-pipette comprend en effet, outre le tachymètre-tensiomètre-compteur-de-foulées, un réservoir pourvu d’un embout à portée de bouche, lui permettant de s’alimenter sans s’arrêter et d’ignorer superbement les refuges. Ce genre de héros n’escalade que des montagnes-prétextes, c’est un conquérant de la panoplie. Il arrivait fréquemment que Bob, considérant que cela faisait tache sur l’alpage, couche sur la pierraille un de ces coureurs de sentiers phosphorescents et le maintienne allongé d’une grosse patte ferme jusqu’à l’arrivée de son maître. À part ça et le loup, le patou n’aurait pas fait de mal à une mouche.
Au refuge, Jean-Guy, le berger, penché sur le café fumant, dodelinait la tête. « Oui, faisait-il d’un air songeur, avec son accent chantant venu d’Aix-en-Provence par transhumance, c’est un bon métier… On a tout le temps de réfléchir. »
Les mérinos et les chèvres de Rove se serraient un peu plus haut, au Plan de l’argent, autour d’une pierre à sel. La chèvre de Rove se caractérise par de longues cornes torsadées auxquelles le mâle de l’espèce ajoute une barbichette à la Confucius appelée précisément « bouc ». Il se trouvait là un millier de bêtes que le bon pâtre connaissait par leur nom. Nul doute qu’à la nuit tombée, après les avoir ramenées près de son minuscule chalet, il leur racontait des histoires pour les endormir. Des histoires « à dormir debout » ?


Laissez-moi vous dire à mon tour, Commandeur des Incroyables et vous, Honorables Correspondants, de petites histoires, fragments de la grande histoire de la misère humaine et de la violence. Elles sont innombrables, toujours les mêmes et toujours nouvelles cependant. On croit les oublier et elles tapissent le fond de notre mémoire commune. Elles ont été vécues, elles ont été inventées (mais qu’invente-t-on ?). D’une certaine façon, toutes les histoires sont vraies.
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