D un Bout à l autre
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D'un Bout à l'autre

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Nouvelle fantasmagorique

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Publié le 05 juillet 2012
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Langue Français

Extrait

D’UN BOUT A L’AUTRE
Je l’ai attendu toute la soirée. Par la fatigue, l’anxiété me pince l’estomac qui brûle. Ce
soir, je vais dehors, sous la pluie fade et tiède qui m’apaise quand même. Le brouillard
s’en trouve incapable de me couvrir tant nos deux entités se confondent. Je vais marcher
toute la nuit. Triste et déçue. Mal à l’aise par tant d’abandon. Un jour il est là, le
lendemain peut-être perdu à jamais. Et mon corps flotte entre deux eaux que je trouble
sans pouvoir faire autrement. Mes pieds s’enfoncent souvent dans les flaques d’où je les
en sors maladroitement. La boue colle comme une pâte moelleuse qui me donne
l’impression d’errer dans de la glue et quand je m’en extirpe enfin je flotte sur des
coussins de nuages qui m’avalent. Un plaisir éphémère que je ne peux pas savourer trop
longtemps car le chagrin me rattrape sévèrement et me ramène à son absence.
Une musique pesante trotte dans mes oreilles, sa mélancolie couvre tous les bruits de la
rue, me poussant à la solitude. Puis elle se tait. Non loin de là, une horloge gémit les
douze coups de minuit. Les cris d’une vieille femme résonnent dans les murs. Mais on la
fait taire. Quel poison aussi rapide peut bien glisser entre sa chair et ses os ? le silence
arrive, lourd, enivrant, terrifiant. Il est tellement bienvenu quand il vaut mieux se taire.
Pourtant il est préférable de le fuir quand il s’installe au fond, des vallées, dans le lit sec
des rivières ou dans le ventre d’une mère. Mais dans les commissures de mes lèvres, il
calme mes dernières paroles.
Je continue d’arpenter ces rues si froides, si vides. Je crois voir une forme devant moi,
longue et sèche, là-bas au bout de la rue. Il faut que je voie ça. Mais ce n’est qu’une petite
ballerine qui maltraite ses orteils. Elle veut ressembler à un grand cygne blanc qui
s’effacerait dans les arbres victime de ses propres choix. Elle retourne les paumes de sa
main et me mes tend. La peau est à vif. Je lui demande ce qu’elle a. Elle hausse les
épaules et disparait comme un voile qui s’est levé de mes yeux.
Le temps s’emballe parfois et vient alors cette impression de ne plus pouvoir rien retenir
sinon sa propre personne décharnée. A cette pensée, des ombres s’emparent de moi.
Elles dansent, pleurent, se baisent, se battent, sans bruit. L’une d’entre elles se détache
du groupe et me passe la langue sur la joue en m’invitant à jouer avec elle. Si je gagne,
elle m’offrira un aller simple au bord du monde. Mais malgré ma curiosité je perds, elle
me présente alors une horrible bonne femme qui abrite en son sein un petit marmot tout
maigrichon et qui me le tend comme un cadeau que je m’empresse de refuser. On ne doit
pas parler la même langue car d’un coup sec elle lui tranche la gorge. Son large rictus
devant le fait accompli ma parait si gras, si vulgaire. Mon cœur cogne. J’ai le ventre vide,
je ne peux pas vomir. Je manque d’air, si j’en avale tous mes organes se contractent alors
et me provoque un spasme violent.
Je lève la tête, je ne veux que m’en aller d’ici. Je vois plus loin, là-bas, un lampadaire
autour duquel s’est réunie une horde de petits insectes volants. Le vent souffle, je
m’approche de ce minuscule point de repère. Il n’y a que ça là. Ces milliers de petites
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flammes chaudes qui me picotent le visage. Je repense à lui, comme ça, sans trouver de
point commun entre lui et ce lampadaire.
Si je regarde autour de moi, je commence à reconnaitre des murs familiers. La façade de
l’immeuble auquel je fais face est décrépie mais ses lignes lui donnent un air abrupt et
austère. C’est bizarre comme il m’entraine en lui. Je m’approche, je viens, je l’effleure de
plus en plus fort, je suis dans lui, ses murs, les sols, dans ses veines. C’est bon, si doux.
Mais ça ne va pas. Qui pleure là ? Des fantômes blessés, des esprits perdus dans le passé.
J’émerge un peu déboussolée. Je m’assieds sur le trottoir. Pourquoi ai-je l’impression de
passer à côté de l’essentiel alors que je ne sais pas ce qu’il est ?
C’est une nuit de lune tronquée. Comme quand je vais à cloche-pied. Mais à présent je
suis loin de chez moi. Il est temps que je m’envole mais mes pieds aiment mieux la terre
ferme. Parfois je dérape, les flaques d’eau se sont transformées en plaques glacées, de
vraies patinoires vicieuses sous mes talons. Quelque part un enfant claque des dents et
tend son oreille inquiète aux frémissements des arbres, aux monstres cachés dans les
placards, aux formes mouvantes dans l’obscurité. Moi aussi je guette alentour. La lune
avance dans le ciel à travers les nuages, elle est si imparfaite, j’imagine me blottir dans
ses bras, et je ne veux que pleurer pour qu’elle puisse assécher mes larmes et me bercer
comme le ferait une mère.
La pluie est devenue silencieuse et c’est sous un manteau blanc, toujours plus froid que
je tente de dévaler les rues au hasard des visages de plus en plus nombreux, lisses,
parfois même transparents. Je mets mes mains sur les joues brûlées par l’air glacial, mes
yeux creusés de fatigue se forcent à rester ouverts, il faut que je souffle dans mes paumes
pour me réchauffer. Mais je sais que ça ne va pas durer. La neige s’épaissit enfin. Il ne fait
ni chaud ni froid. Je me réfugie dans une ruelle de voûtes où la neige se faufile
timidement. J’aperçois alors un groupe de silhouettes autour d’un feu improvisé. Ils
portent tous de curieux manteaux en plumes d’oiseaux, camaïeu de gris et de noir. Je suis
intriguée malgré la tension qui me donne mal au dos, au cou et aux mains. L’un d’eux se
retourne brusquement. Il a les yeux noirs et vifs, et porte d’étranges incisions sur les
joues. Dans sa main, je vois une lame briller mais je ne discerne aucune expression dans
son regard. Je me sens comme une bête effrayée qui s’enfuit sans trop savoir où aller
sinon assez loin pour éloigner le danger.
Dans ma course je me heurte à la petite ballerine dont l’habit de fête s’est réduit à un
tissu grisâtre trop léger par ce temps hivernal. Les rêves ne durent jamais bien
longtemps. La retrouver me met du baume au cœur. Et pourtant elle passe devant moi
muette, comme si un masque de chair insipide figeait désormais ses traits. Elle va droit
devant elle, son beau chignon finit de se défaire, la neige se mêle à sa chevelure. Je
voudrais tant rattraper la fillette, retenir les petits fils d’or, les enrouler et les
emprisonner afin qu’elle reste toujours belle. Mais tout ça ne servirait à rien.
Une petite vieille me tapote l’épaule et me montre une pancarte qu’elle porte autour du
cou. Ça a l’air de représenter le dessin de son chien qu’elle semble chercher comme une
démente dans toute la ville. Je ne fais rien. Ça fait bien longtemps que les chiens
n’existent plus. Non vraiment je ne peux rien faire. Je ne peux rien chercher moi. J’essaie
seulement d’avancer.
Je pense à lui. Il est tapi là quelque part. Mais il dort. En fermant les yeux, je peux toucher
la moindre parcelle de son corps, respirer la moindre effluve de chair, écouter son souffle
si faible. Son cœur bat doucement. Je m’allonge sur ses membres détendus. Je pose mes
lèvres dans son cou tout doux, promène mes doigts sur ses bras. Il me rassure.
La petite vieille me bouscule. Ah ça ne sert à rien ! Il n’y a pas de quoi espérer de ce côté-
ci non plus.
J’ai la tête qui tourne. Des sueurs froides me parcourent. Je m’appuie sur un mur gelé.
Mes mains sont rouges et des crevasses menacent d’ouvrir mon épiderme, ma pauvre
peau qui se fait si fine jour après jour. Alors que j’ai le souffle de plus en plus court, une
main me caresse le dos. je ne sais pas qui c’est. Ça fait mal mais c’est un visage agréable
qui se penche sur moi. Je n’entends pas sa voix mais de toute façon je refuse de lui parler,
je ne veux pas de son attention, je ne veux pas le voir se transformer au rythme des
syllabes. Je le repousse, je m’éloigne en me trainant car mes pieds ont failli prendre
racine à travers la neige. Des larmes coulent sur mes joues mais ce ne sont en fait que
des flocons qui fondent dans mes cheveux.
La luminosité nébuleuse me donne vraiment mal à la tête. La souffrance, cette sorte de
chagrin trop fort et incontrôlable s’accroche à moi. Autant dire que je ne sais plus quoi
faire. Il faut que je réagisse. J’ôte mes vêtements. Je n’ai plus rien à perdre. Je veux être
nue, innocente et lisse bien que ce soit qu’une juste illusion.
Une silhouette se dresse devant moi, longue et imposante. Je ne vois que ses longs
cheveux noirs et ses yeux bleus et froids. Et je devine une peau plus blanche que du lait.
Elle pointe sur moi un doigt maigre d’une raideur métallique. Elle vient sur moi
tellement vite que lorsqu’elle enroule ses longues phalanges sur mon cou, il est trop tard.
Les lumières zigzaguent autour de nous. Elles sont étincelantes et m’éblouissent. Mes
yeux fuient cette chaleur aveuglante. Mes mains sont si figées que je me demande si je
suis encore en vie. J’ai peur. Une sensation d’humidité me donne des frissons tout comme
elle me surprend. Ce n’est pourtant rien comparé à la gifle glaciale qui prend le dessus. Je
me débats encore et encore et encore. C’est la seule chose dont je crois encore me
souvenir.
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