Dans la chambre de silence
55 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Dans la chambre de silence , livre ebook

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55 pages
Français

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Description

Rien de commun entre une cosmonaute russe des années soixante et une petite fille d'aujourd'hui... Pourtant, avec une évidence troublante, le parallèle s'impose.




Valérie Sigward écrivait deux histoires différentes quand elle s'est amusée à y chercher des correspondances... Et elle a rapproché le destin de ses deux héroïnes: d'un côté, Valentina Terechkova, cosmonaute russe qui fut placée sur orbite le 16 juin 1963 et devint ainsi, à vingt-six ans, la première femme à voyager dans l'espace; et de l'autre, une petite fille d'aujourd'hui, vive et spontanée, qui découvre la complexité de l'existence en menant une vie ordinaire entre son père, sa mère et sa sœur. Valentina, immobilisée dans un scaphandre lui-même inséré dans un caisson de fer, va être propulsée dans l'espace pour la plus grande gloire de l'humanité en général et de l'URSS en particulier. Elle doit forcer son corps et son esprit à supporter les tortures qu'on lui fait subir, obéir sans chercher à comprendre et se réjouir de cet immense honneur. La petite fille, elle, doit apprendre à lire, à compter, à jouer de la guitare, à manger ce qu'on lui donne, à se plier à toutes les règles qu'impose la vie en société. Elle doit deviner aussi pourquoi le chagrin creuse le visage de sa mère chaque fois que son père s'absente. Chacune, dans son univers, se voit repousser dans cette "chambre de silence" où l'être humain se réfugie quand le submerge son incapacité à comprendre le sens de l'existence...
Comme elle l'avait démontré avec Comme un chien, Valérie Sigward confirme dans ce roman sa capacité étrange à partir d'un fait divers authentique et plutôt cocasse pour entraîner le lecteur dans un univers angoissant et implacable.



Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 janvier 2014
Nombre de lectures 4
EAN13 9782260019510
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

couverture
 

DU MÊME AUTEUR

La Loi de Murphy (Novella), Fleuve noir, 1998.

Comme un chien, roman, Julliard, 2000.

VALÉRIE SIGWARD

DANS LA CHAMBRE
 DE SILENCE

roman

images

Pour Stéphanie, pour Isabelle

1.

Sur les murs de ma chambre, il y a des cartes postales mystérieuses, personne ne sait qui me les a envoyées, ni même si j’en suis la destinataire.

On m’écrit de Venise, des Bahamas, de Moscou, je suis une petite fille importante car certains, à des milliers de kilomètres d’ici, éprouvent le besoin de me confier leurs états d’âme.

Dans ma chambre il y a un bureau avec plusieurs tiroirs secrets où je range mes trésors, beaucoup de choses.

Je suis une petite fille intelligente parce que j’ai beaucoup de livres et que je les ai tous lus, parce qu’on peut me raconter des histoires, parce que je mens.

Je possède un Walkman, cadeau de mon père. Je l’écoute surtout la nuit parce que j’ai du mal à dormir. Où trouver la force d’attendre toutes les choses extraordinaires qui vont m’arriver, mon destin, où trouver la force d’être une petite fille ? J’attends en écoutant mon Walkman, toutes les musiques me bouleversent.

À côté de ma chambre, il y a celle de ma mère. C’est la chambre d’une petite fille qui ne pense pas qu’il lui arrivera des choses extraordinaires, elle n’entend plus la musique. Quelquefois, elle oublie les autres petites filles avec lesquelles elle vit, elle a aussi oublié comment faire à manger, comment s’habiller, comment parler, comment vivre. Elle est perdue, sans cailloux dans la poche, sans bottes de sept lieues.

Au bout du couloir, il y a la chambre de ma sœur, c’est la plus petite chambre, c’est aussi la plus petite fille. Dans cette chambre, il y a des jouets, des bonshommes en plastique qui racontent des histoires et qui rebondissent lorsqu’on les jette contre les murs.

Trois petites filles vivent seules dans un grand appartement.

Valentina

Réjouis-toi Valentina Terechkova

Réjouis-toi,

c’est toi que nous avons choisie,

tu vas voir ce qu’aucune femme n’a encore vu,

l’inimaginable.

Ferme les yeux, que vois-tu ?

Yaroslav où je suis née,

je vois ma mère et ses enfants,

notre maison,

il y a ce jour où j’ai dansé avec Konstantin,

j’entends la musique,

Konstantin est tout rouge et il dit des bêtises,

c’est parce qu’il danse avec moi,

je ferme les yeux et c’est ce que je vois.

Est-ce que tu vois les océans ?

Je n’ai jamais vu d’océan.

Est-ce que tu vois les montagnes et les fleuves ?

Je n’ai jamais vu les montagnes,

un jour j’irai à Moscou,

peut-être.

Est-ce que tu peux imaginer la terre ?

Je vois mon père qui souffle dans ses mains,

la terre est gelée.

As-tu des rêves ?

Oh oui, je rêve toutes les nuits.

Nous allons t’envoyer là-haut.

Où ça ?

Dans l’espace Valya,

le cosmos,

dans l’inimaginable.

Le cosmos je ne sais pas ce que c’est,

je ne sais pas où tu veux que j’aille,

est-ce que j’irai toute seule ?

C’est un secret, viens Valentina

c’est toi que nous avons choisie,

tu es Chaïka,

tu es la mouette.

2.

J’ai quatre ans.

Je me promène dans la rue avec Papi.

J’ai le gros manteau, il fait froid, ça pique aux yeux.

Papi tient ma main, il met le petit doigt dans ma manche et il fait des chatouilles.

J’ai chaud, je suis assise, il y a quelque chose rouge devant moi.

Je vois que ça.

Des fois, il y a des lions au-dessus de la barrière rouge.

Il y a des gens et des enfants.

Il y a des musiques.

Ça pique aux yeux.

Papi fait des chatouilles.

Je sais pas où regarder.

 

Je suis un enfant, je suis une fille.

À côté il y a le bébé, il pleure, sinon il mange, on peut pas jouer avec.

Je lui fais des bises, il bouge la tête, il rigole sans dents, je veux le porter, mais non il faut pas le porter, il est trop lourd, il va tomber.

C’est ma sœur.

 

Papi il m’a donné le foie du poulet à manger, c’était pas bon.

 

Je vais à l’école.

On fait des dessins, j’écris mon nom.

Dans le cahier d’écriture, on met un point vert quand c’est bien, un point orange quand c’est pas trop bien, un point rouge quand c’est faux. La maîtresse dit, qu’est-ce que c’est que ça, tu t’es trompée, va mettre un point rouge, je mets un point vert. À cause de tous les points verts, je fais un test pour aller dans la classe des grands. C’est sur une feuille, il y a des carrés et des rectangles et des chiffres, il faut trouver la suite, je m’ennuie, je suis toute seule. Après maman parle avec un monsieur, elle a pas l’air contente du tout, je reste dans ma classe.

 

À la télé, ils passent le film de celui qui marche sur la Lune. C’est long, on voit pas sa tête. Papa dit taisez-vous et regardez, il dit aussi, il ne faut pas se tromper, parce qu’il y en a deux avec le même nom, celui qui joue de la trompette et celui qui va sur la Lune.

 

Papi m’a donné la cervelle du poulet à manger, c’était horrible, j’ai dû boire plein d’eau et manger du pain pour faire passer.

 

Ma sœur a des graviers plantés dans la tête, elle est tombée de la balançoire, elle a volé, il y a du sang sur sa robe jaune, maman crie, pas ma sœur, elle dit rien, elle est toute molle. Le docteur est venu, il lui a cousu la tête avec une aiguille, j’ai regardé, elle a pas pleuré.

 

Je lis le livre des aventures de Mowgli avec maman mais elle tourne trop vite les pages, je dis attends, elle dit mais tu sais pas lire, je dis si, elle montre des lignes, lis, je lis, elle dit c’est pas normal, pourquoi tu as raté les tests.

 

Au mariage, j’ai dû mettre un chapeau qui grattait, je voulais pas, je l’enlevais tout le temps et maman le remettait sur ma tête. J’ai attendu pour danser avec le marié, il avait promis si je gardais le chapeau, j’ai attendu, j’avais envie de dormir et il a oublié, j’ai pleuré et j’ai jeté le chapeau sous la table.

 

Papa a acheté un chien marron, il s’appelle Pruno, on l’habille avec des robes de poupée et il mord pas. Maman lui a coincé la queue dans la porte de la cuisine. Il manque un bout, il a un pansement blanc, il le regarde quand il remue la queue.

 

On a fait des photos à l’école, par famille, tous les frères et sœurs ensemble. Pour la photo avec ma sœur, ils nous ont donné un téléphone orange en plastique. La maîtresse met une plante verte derrière nous, le photographe dit, vite, j’ai toute l’école à faire moi. On est habillées pareil, la maîtresse nous a peignées. Pendant la photo, ma sœur a fait semblant de téléphoner, comme si on travaillait dans un bureau, c’était vraiment bien.

 

Au pique-nique au bord du lac, maman a demandé à papa d’aller lui chercher un nénuphar mais il n’a pas pu parce que Pruno s’est sauvé et a poursuivi un mouton qui s’est jeté dans le lac. Après, à cause du poids de la laine, le mouton s’enfonçait tout doucement dans l’eau au milieu des nénuphars. Papa a passé l’après-midi à essayer de le sortir de là, mais c’était difficile parce que le mouton était lourd et qu’il avait peur. Pendant au moins une heure, Pruno a fait le tour du lac en aboyant et tout à coup il s’est jeté sur papa qui avait presque sauvé le mouton et il l’a mordu. Papa a donné un coup de pied au chien alors on s’est mises à pleurer, pendant ce temps-là le mouton s’est remis à couler et il a aussi mordu papa parce qu’il n’a pas compris qu’il voulait le sauver. Heureusement il y a des gens qui sont arrivés et qui ont aidé papa à ramener le mouton sur la rive. Maman a demandé à papa de ne pas oublier son nénuphar alors il s’est mis à taper dans l’eau, et il a arraché tous les nénuphars en hurlant « connasses de fleurs de mes couilles », maman a dit, juste un seul ça ira et ne t’énerve pas s’il te plaît, mais il les a tous arrachés quand même.

 

Papi a voulu me donner le cœur du poulet, j’ai dit non merci, il a dit c’est dommage, c’est délicieux, j’ai dit t’as qu’à le donner à ma sœur.

 

J’ai vomi à l’école.

C’est parce que j’ai eu mal au ventre, on m’emmène chez une dame, c’est la concierge.

Qu’est-ce qui t’arrive ? T’as mal au cœur ? Ne t’inquiète pas, je vais te faire une tisane.

Je ne veux pas boire le bol qui sent les plantes cuites, je n’aime pas les plantes. J’ai vomi encore chez cette dame.

C’est la sortie de l’école, je voudrais m’en aller, la dame dit d’attendre et de ne pas bouger. J’attends et je vois papa et maman par la fenêtre, ils courent. Je leur fais des signes, mais ils courent toujours. Je le dis à la dame, mais elle n’écoute pas parce que je suis malade.

Je dis, j’ai mal au cœur, j’ai mal au cœur.

La dame dit bois la tisane, c’est bon la tisane, regarde, moi j’en bois, elle avale une gorgée de mon bol et me le tend, je fais non de la tête, non ? Tu n’es pas gentille.

Il y a une pendule sur le mur, mais les aiguilles n’avancent pas, je m’ennuie.

Maman pleure devant la fenêtre. Papa la tient par le bras et parle avec le directeur. Il n’y a plus d’enfants dans la rue, ni dans l’école à part moi.

Tout à coup, papa, maman et le directeur arrivent.

Maman crie en me voyant, elle me serre contre elle, elle m’embrasse, mais où tu étais, où tu étais ? Je dis que je la voyais par la fenêtre, j’ai même fait des signes.

La dame demande pourquoi je ne l’ai pas prévenue, elle est en colère.

 

Je me réveille et papa est dans la chambre en pleine nuit, il est habillé et il est debout devant le lit. Il dit papi est mort et maman nous serre contre elle et on se met à pleurer, après le téléphone sonne tout le temps et papa répond, il est très sérieux. Le lendemain on va chez des amis, ils ont fait des gâteaux et un spectacle de marionnettes dans le grenier, ils ne sont pas comme d’habitude, j’attends papa et maman et je regarde les marionnettes pendant qu’ils sont là-bas. Après, tous les soirs quand il rentre du travail, papa s’assoit dans son fauteuil et il pleure, tous les soirs, pendant très longtemps, mais un jour il arrête.

 

C’est la nuit et le téléphone sonne. Ma sœur dit, c’est un mort, ils préviennent toujours la nuit. Papa répond et dit allô mais il n’y a personne. Tu vois, dit ma sœur.

Nikolaï Constantinovitch a dit

Ils ont envoyé la petite chienne dans l’espace l’année où mon cousin Pavel est né, depuis ce jour tous les chiens s’appellent Laïka, et depuis un an tous les garçons s’appellent Youri, est-ce qu’on appellera les petites filles Valentina ?

Aujourd’hui j’ai rencontré mon moniteur, il s’appelle Nikolaï Constantinovitch et il parle beaucoup, à l’usine de textile personne ne parlait pendant le travail.

Il a dit, le travail est amer Valentina, mais son fruit est doux. Je suis Nikolaï Constantinovitch, je suis ton instructeur, avec moi tout est simple, si je te dis saute, tu sautes, si je te dis vole, tu voles, tu fais ce que je te dis Valentina, entraîne-toi durement, pense à toutes les merveilles que tu vas voir, et une fois dans l’espace essaye de ne pas vomir, tu seras filmée.

Oui.

Il a dit, ici c’est la Cité des, il a pointé son index plusieurs fois vers le ciel et m’a regardée l’air interrogatif, eh bien, ne sois pas timide, c’est la Cité des, il a de nouveau levé le doigt en l’air.

Des fusées ?

Réfléchis !

Je ne sais pas.

Tu ne sais pas ? Vraiment ? C’est la Cité des Étoiles ! Tu vas y vivre pendant un an, c’est là que nous allons t’entraîner. Il y a encore des travaux, c’est parce qu’ici les choses vont très vite, on a à peine fini de construire un bâtiment qu’on l’agrandit, avance, regarde un peu cette forêt de, il a montré les arbres du doigt, j’ai dit très vite cette forêt de bouleaux, il s’est arrêté, c’est bien, je vois que tu connais le nom des arbres, il n’y a pas beaucoup de gens qui savent le nom des arbres, à l’avenir évite de me crier dans les oreilles, allons voir ta chambre.

Il a dit, demain nous prendrons tes mesures, nous allons te fabriquer un scaphandre.

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