Des mondes en héritage
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Tuer le père. Plus facile à dire qu'à faire lorsqu'il s'agit de Dieu.

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Publié le 04 octobre 2011
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Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Des mondes en héritage
Que s’est-il passé, qu’a-t-il bien pu me passer par la tête ? La violence de ses mots, mais
plus encore leur pertinence. En quelques phrases, il m’avait entièrement mis à nu, des vérités
si puissantes qu’elles avaient détruit ma carapace en un instant. Un tourbillon emportait toute
ma cervelle hors de ma tête, je ne pouvais plus penser. L’adrénaline accentuait chacun de mes
mouvements, mon corps se déplaçait comme au ralenti. Je n’entendais plus rien, seulement
les battements de mon cœur qui gonflaient de plus en plus vite mes veines. Mes yeux se
troublaient autour de mon regard et seul le centre de ma vision était parfaitement net. Je
voyais sa longue barbe blanche qui cachait son cou depuis toujours. Soudain, je m’approchais
violemment de son corps fatigué et dans ma main je sentis un objet long qui me paressait
lourd, à tel point que tout mon bras se contractait. Je ne voyais plus que ses yeux à présent, il
était effrayé. Cela faisait des siècles qu’il n’y avait plus eu une telle proximité entre nous. Son
souffle court hérissa les poils de ma barbe de quatre jours. Ma main se leva d’elle-même, je
ne commandais plus mon corps depuis déjà quelques secondes. Son attention fut attirée par
quelques choses qui sortaient de mon poing fermé. Ses lèvres bougèrent, mais je n’entendis
qu’un sifflement par-dessus le tambour qui frappait de plus en plus fort mes tympans. Je
sentis sa pression sanguine dans mon autre main qui s’était emparée de son poignet et le
rythme de nos cœurs s’entendit immédiatement sur le tempo à suivre. Ma main s’abattit avec
une rare violence sur sa poitrine, une légère résistance l’empêcha de frapper son corps tout de
suite, mais tous mes muscles se contractèrent et mon poing parvint à entrer en contact avec
son pull tout doucement. Un voile noir passa devant mes yeux, l’ultime battement de son
cœur avait résonné le long de la lame jusqu’au creux de ma main. Son poignet de l’autre côté
se décontracta d’un seul coup. De ses yeux coulèrent deux larmes avant de très rapidement
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s’assécher, un rictus se dessina lentement puis mon reflet disparut de sa prunelle. Soudain, ma
conscience revint peupler ma tête et me dégagea violemment de ce corps brusquement inerte.
Un instant avait suffi pour stopper cette machine infernale. Des millions de connexions entre
mes neurones se reformèrent et je compris ce que je venais de faire, mais je ne pouvais
encore le détailler précisément. Je venais de tuer ; quelqu’un, un être vivant, un homme, un
vieil homme, un père. Le couteau tomba de ma main et le sang se répandit sur le carrelage.
Le corps pendait au bout de mon autre main, flasque, sans vie. Je relâchais le poignet et vit
cette masse informe s’effondrer sur le sol lentement dans un léger bruit de frottement. À cet
instant, je voulais tellement chasser de mon esprit ce qu’il venait de se passer que j’agissais
comme si de rien n’était et me précipitai près du corps pour le réanimer. Je m’agenouillai
contre lui et faisant abstraction de la tache sombre au niveau de sa poitrine, je lui tapotai les
joues pour le sortir de cette torpeur passagère. Au milieu de sa chambre, je le redressai
légèrement contre mon buste et me mis à le bercer dans un état proche de la catatonie. Je me
mis à fondre en larme, alors que je peignai ses longs cheveux blancs autour de son crane et
déposai un baiser sur sa tête dégarnie. Puis la colère revint, il m’avait poussé à bout, il l’avait
bien cherché, il l’avait mérité, il le voulait. Sinon pourquoi me provoquer ainsi, pourquoi
m’offrir ce couteau juste avant. Il voulait mourir et que ce soit moi qui le fasse. Je dois bien
avouer que cela faisait bien des millénaires que j’attendais cet instant, mais maintenant que
c’était fait, je me sentais vide. Quelque chose manquait et manquera à jamais, il ne sera plus
là désormais. Que faire à présent, je ne m’étais jamais posé la question, que faire maintenant
qu’il n’était plus et d’abord qu’allait-il se passer. Le monde allait-il continuer de tourner ?
J’entendis les pas de l’infirmière arriver dans le couloir, puis frapper à la porte. Je bondis si
brusquement que la tête du vieil homme retomba lourdement sur le carrelage.
Je peux entrer, il est l’heure de la soupe, demanda l’infirmière en tournant la poignée
de la porte.
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Collé contre le mur près de la porte je pris la poignée avec les deux mains et la soulevai
dans le sens inverse de l’ouverture.
— Non, merci, nous avons tout ce qu’il faut pour ce soir. La pression sur la poignée disparut, mais l’infirmière resta un moment derrière la porte.
— Il lui faut quand même ses médicaments, insista-t-elle.
— Je passerai vous les réclamer dans quelques minutes, nous avons des affaires urgentes à régler pour le moment.
L’infirmière laissa passer quelques secondes qui me parurent une éternité avant de repartir en déclarant :
— Vous n’aurez qu’à me faire appeler à l’accueil.
La pièce tournait à toute vitesse, j’avais beaucoup de mal à respirer. Il continuait de
m’emmerder dans sa mort. Les idées se bousculaient dans ma tête, cacher le corps, le laisser
là, fuir, nier, avouer, mourir. Seulement dans ce genre de situation, aucune solution n’est la
bonne et c’est généralement la pire que l’on choisit. Le fauteuil roulant me sauta aux yeux et
mon esprit élabora un scénario qui aurait paru bancal au plus distrait des lecteurs. Je me ruai
dessus puis le plaçai au milieu de la pièce bloqué par les freins, face à la masse sans vie. Je
passai mes mains sous les aisselles du vieux, pris une grande inspiration et employai toutes
mes forces pour le tirer jusque dans la chaise roulante. Une fois le corps jugé dans une
position satisfaisante, je pris la couverture posée sur la tablette et l’emmitouflai à l’intérieur
de sorte qu’il ne puisse se balancer de part et d’autre de la chaise. Ses lunettes de soleil et son
chapeau finirent de le grimer en parfait petit vieux paré pour une sortie de fin d’après-midi.
Je contemplais le résultat à la recherche d’un détail qui pourrait démasquer le subterfuge
lorsque je vis la tête se relever doucement et à travers la broussaille de poils blancs un rictus
se dessiner. Malgré mon accoutumance à ce que l’on appelle l’étrange et le surnaturel, je
perdis l’équilibre à la vue de ce cadavre s’animant devant mes yeux et je me retrouvai sur le
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carrelage, les fesses baignant dans le sang du vieil homme. Je mordis violemment ma lèvre de
peur de laisser s’échapper un terrible juron des plus inquiétants pour le personnel soignant.
En reposant le regard sur le vieux, sa tête reposait à nouveau sur son sternum et son sourire
avait disparu. Je pensai que mon esprit me jouait des tours, puis ce furent ses doigts qui se
mirent à s’agiter sous la couverture, pianotant d’impatience sur l’accoudoir du fauteuil. Il
revenait déjà me hanter et s’amusait à me torturer l’esprit. Je le refusais, pas lui, c’était
impossible. Quoi que ? S’il m’avait donné la vie, il devait bien être capable de tout, même de
survivre à sa propre mort. Et puis ça s’était déjà produit, il y a très longtemps, mais aussi
rapidement. Non, ça devait être mon imagination. Je me précipitai sur ses mains pour arrêter
ce vacarme stressant. Lentement, je m’avançai vers sa tête et cherchant son regard par delà
les lunettes noires je lui chuchotai :
— Tu es mort et moi je vis. Voilà la réalité de tous les mondes que tu voudras.
Posté derrière les poignées du fauteuil je partis à l’assaut du couloir de l’hôpital quand
soudain je vis la flaque de sang rayé par mon pantalon. Merde ! Vite éponger et changer de
pantalon. Le nettoyage se fit très rapidement, la salle de bain était fort bien pourvue en
ustensile de nettoyage. Restait le problème du pantalon, un rapide coup d’œil dans son sac de
voyage et je me retrouvai vêtu d’un pantalon à pince, bleu pastel absolument immonde. Je
fourrai mon vêtement taché sous la couverture avec le vieux et avançai le fauteuil vers la
sortie lorsqu’un dernier élément me vint à l’esprit. L’arme, bordel ! Le couteau me
dévisageait d’un air accusateur sous la tablette, je le saisis et le glissai dans le dos de mon
compagnon à porté de main en cas d’imprévu irrationnel et irraisonné.
Maintenant tout était bon, plus aucune trace, plus rien. Je partis satisfait, emportant avec
moi les seuls témoins de mon acte irréparable. Un coup d’œil à droite, un coup d’œil à
gauche, les couloirs se vidaient de leurs visiteurs. Je devais me hâter, des éclats orangés
traversaient déjà les vitres du côté ouest. Je parcourais rapidement les quelques mètres qui
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nous séparaient des ascenseurs. Trop rapidement peut-être, je voyais la tête du vieux
dodeliner devant moi. Il semblait écouter une valse. Soudain, l’infirmière sortit de la dernière
chambre avant le virage vers les ascenseurs. Son attention était concentrée sur les plateaux-
repas restants. En nous croisant, elle releva la tête et du coin de l’œil elle dut nous apercevoir,
car je sentis son regard s’interroger dans mon dos. Avant de plonger vers les sorties, je vis ses
lèvres amorcer une interpellation, mais en vain. Par chance, la porte d’un ascenseur s’ouvrit
et nous montâmes dedans à peine les précédents usagers fussent-ils sortis. Tout se passait à
merveille pour l’instant. Je venais de tuer quelqu’un et me baladais avec son cadavre dans un
hôpital.
À un étage du rez-de-chaussée, la porte de l’ascenseur s’ouvrit et deux médecins
entrèrent. La tête plongée dans un dossier, ils discutaient sur l’utilité d’une opération. Un son
me transperça le tympan, des gouttes de sang s’écrasaient sur le sol, sous le fauteuil. L’un des
deux chirurgiens se tourna vers moi et jeta un regard vers le fauteuil. Ma main glissa
instinctivement vers le couteau. Il me lança un sourire, les portes s’ouvrirent et je vis ses yeux
interroger la tête du vieillard qui roulait sur la grande couverture. Je m’éloignai le plus vite
possible de leur vue. Dans le hall d’entrée, une infirmière de l’accueil m’apostropha et je lui
répondis que nous n’en avions que pour quelques minutes tout en continuant ma folle
évasion.
Une fois les grandes portes automatiques refermées derrière moi, je soufflai longuement,
mesurant les imprudences que je venais d’accumuler. Non content de ce constat je
m’apprêtais à les multiplier à une vitesse exponentielle. Les taches de sang devraient alerter
rapidement quelqu’un si ce n’était pas déjà fait, je me dirigeais rapidement vers le parking,
les places handicapées de préférences. Après un tour rapide des véhicules encore présents
j’aperçus, un grand monospace garé en biais. Un rapide coup d’œil à l’intérieur me conforta
dans mon choix, l’auto était spécialement aménagée pour recevoir un fauteuil roulant à
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l’arrière. Les loquets de serrures étaient relevés, le conducteur avait dû quitter le véhicule en
toute hâte, car les clés étaient encore sur le contacteur. Comment était-il possible que les
choses s’enchainent de manière aussi fluide. Avait-il tout prévu jusqu’à mon évasion ? Peut-
être que je continuais de suivre son plan, peut-être me dictait-il encore mes faits et gestes.
Même mort je n’arrivais pas à me défaire de son emprise. Je restai un moment à le
contempler installé à l’arrière, me dominant sur son trône. Le soleil n’en finissait plus de
descendre derrière moi. Pourquoi continuait-il à m’aider, malgré les guerres entre nous,
malgré la mort, il était là. Il fallait qu’il disparaisse complètement. La porte coulissante se
referma brusquement.
Nous partîmes en route vers un lieu que je savais désert. Un grand entrepôt désaffecté à
l’extérieur de la ville. Dans le rétroviseur, je voyais sa tête acquiescer à tout ce que je disais.
En chemin, prendre un bidon d’essence et une masse. Un premier arrêt à un dépôt de
bricolage pour acheter le bidon et la masse, puis un second à la station-service. La nuit
s’étendait à présent au dessus de nos têtes. J’étais de plus en plus froid dans mon attitude, la
détermination était tatouée sur mon visage. La nuit s’annonçait très longue.
Le magasin de bricolage allait bientôt fermer ses portes, je laissai le vieux dans la
fourgonnette garée à l'entrée sur une place handicapée et m'engouffrai dans les rayons.
J'hésitais longuement devant les différentes masses. Il m'en fallait une que je puisse manier
sans trop me fatiguer et qui soit assez robuste pour réduire des os en miettes. Un conseiller du
magasin interrompit ma réflexion et me matraqua de question.
— Puis-je vous aider ?
Je restai les yeux collés sur les outils. Pourquoi y avait-il autant de masses différentes,
cela me dépassait.
— Pour quel usage en avez-vous besoin ? Si c'est pour le bois, je vous conseille une
masse merlin de 3kg.
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Je m'emparai de la masse qui me paraissait la plus lourde. Je n'avais qu'une envie c'était de lui défoncer le crâne avec. — Ah, par contre pour la démolition, une masse couple de 4 kg c'est idéal. Je soupesai l'objet, le faisait passer de main en main. Sa bouche continuait de produire des sons, mais je n'arrivais plus à l'entendre. Je voyais la masse réduire sa tête en morceau. Des gouttes de sueur perlaient sur ma chemise. La masse s'éleva dans les airs, il fallait qu'il se taise, je devais savoir si cela réduirait des os en miettes. Le vendeur leva les yeux vers moi avec un sourire narquois. — Attention l'ami, ça peut faire beaucoup de dégâts. Au même moment, un policier entra dans le magasin, roulant des épaules, un air arrogant et satisfait flottant sur son visage. La masse retomba violemment dans le vide. Je vis une légère inquiétude déformer la figure du vendeur lorsque la tête de l'outil frôla le sol du magasin. — Je prends celle-ci. — excellent choix. Vous fallait-il autre chose ? Mes doigts griffaient le manche de la masse. — Des jerricanes d'essences. Le vendeur partit dans l'allée centrale me faisant signe de le suivre. — Suivez moi, c'est par là. La masse me démangeait. — C'est bon, dites moi juste où elles sont. Pour un bidon, je crois que je vais m'en sortir. — OK, nous y sommes. Juste au bout de l'allée. Des dizaines de bidons différents me faisaient face. Le vendeur sentit mon désappointement et pencha la tête vers moi, un sourire forcé agrafé sous le nez. — Vous êtes sûr que vous n'avez pas besoin de mon aide.
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Les ténèbres obscurcirent mon regard et je me tournai violemment vers lui. — ça ira, merci. Le vendeur comprit qu'il valait mieux me laisser et partit rejoindre sa collègue à la caisse. Je pris quatre jerricanes de vingt litres chacun et alors que je me battais avec mes encombrantes acquisitions, le policier fit irruption dans le rayon. On aurait dit une mauvaise parodie de shérif, les deux mains accrochées à la ceinture, un cure-dent gigotant au bout de ses lèvres. — Un coup de main ? Je me demandais quand et qui allait prononcer le mot de trop, celui qui allait me faire imploser. — Non.  Il détaillait avec attention les articles que j'essayais de trimballer jusqu'aux caisses. — Vous partez traverser un désert ? J'étouffai un rire nerveux. — On peut dire ça. Il me regardait traîner les jerricanes tout en se grattant la tête, l'air préoccupé. — Mouais, dites-moi. C'est à vous la fourgonnette sur la place handicapée ? Le sang se glaça dans mes veines, je restai un bref instant en suspens, mes yeux s'agitaient de gauche à droite. — Heu, oui. Pourquoi, monsieur l'agent ? Je posai mes articles sur le tapis de roulant de la caisse tout en gardant la main sur le manche de la masse. — Oh, c'est juste que vous avez laissé la porte arrière grande ouverte, je vous l'ai refermée. Il n’y a pas grand monde dans les environs, mais quand même.
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Mon cœur se sera, les questions se bousculaient dans ma tête. Qu'avait-il vu ? Le vieux
s'était-il barré ? L'officier de police m'aurait dit s'il avait trouvé un vieil homme à l'intérieur.
était-il parti ? Et merde !
— Cent neuf euros, soixante-quatre.
Je payai aussi vite que je pouvais et partis rejoindre mon véhicule vidé de son passager.
Le policier resta discuter à l'intérieur, le temps que les employés ferment la caisse.
J'ouvris en grand la porte arrière, espérant le retrouver par miracle là où je l'avais laissé,
mais la fourgonnette était bel et bien vide. Je frappai de rage la porte coulissante du véhicule
en laissant échapper un juron. Les rideaux métalliques du magasin se refermaient. Mais où
était passé ce policier ? Les bidons volèrent à l'intérieur du véhicule et la masse s'écrasa dans
un bruit sourd. La porte refermée, je partis à la recherche du vieux et de son fauteuil. Des
traces rectilignes me menèrent sur le côté du magasin. En avançant dans la pénombre,
j'entendais le grincement des roues. Le fauteuil se balançait en équilibre sur une marche qui
menait aux portes de service. La tête du vieil homme pendait lamentablement dans le vide,
précipitant l'équilibre instable vers moi. Le fauteuil dévala l'escalier dans ma direction,
quelque chose brillait sur le côté. Lorsqu'il sortit de l'ombre, je vis qu'il tenait le couteau
pointé droit dans ma direction. Il prenait de la vitesse, le voir si menaçant, si effrayant, lui qui
au contraire dégoulinait de bonté et de bienveillance, cela me paralysait. Des graviers
ralentirent sa course et quelques-uns plus gros stoppèrent net le fauteuil. Le vieux fut
propulsé dans les airs et s'écroula à mes pieds, le couteau planté à quelques millimètres de ma
chaussure. Le spot au dessus de l'accès de service s'alluma, je pouvais entendre rigoler les
employés derrière la porte. Je remis rapidement le vieux barbu dans son fauteuil, il me
paraissait de plus en plus lourd. Lui remettre son chapeau, ses lunettes, non pas ses lunettes.
Je replaçai tout juste le couteau dans son dos lorsque la porte s'ouvrit. Le silence se fit
derrière moi, puis ils chuchotèrent. Je poussai le fauteuil brutalement vers la fourgonnette.
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Les employés s'éloignèrent et se remirent à rire. La porte coulissante s'ouvrit et le système
automatique pour lever le fauteuil se mit en marche. Pendant que le vieux se faisait balloter
par l'engin hydraulique, j'aperçus le policier qui me dévisageait, adossé contre la devanture du
magasin en fumant une cigarette. Il ne disait rien, il me regardait refermer la porte coulissante
sur le vieil homme. Il détaillait chacun de mes gestes de son regard supérieur alors que je
prenais place sur le siège conducteur. J'avais l'impression qu'il me jugeait et que la sentence
n'était pas loin. Il me fit simplement au revoir avec deux doigts et je disparus vers les routes
qui m'éloignaient un peu plus de la ville.
Juste avant la sortie de la ville, je m'arrêtai à la station-service. Le véhicule étant déjà
repéré je ne pris même le temps de payer les quatre-vingt litres d'essences et m'enfonçai
rapidement dans la nuit en direction d'un vieux complexe agricole abandonné.
À l’entrepôt, une rapide inspection des alentours me rassura sur le caractère isolé des
lieux. Je laissai les feux de la voiture allumés et sans plus de cérémonie je débarquai le
fauteuil de la voiture et le positionnai au milieu de l’immense salle. Je fis tomber les lunettes
du vieux, ses grands yeux me fixaient de la même manière qu’ils m’avaient toujours fixé,
avec une bienveillance étouffante. J’ouvris sa bouche en grand et lui insérai un entonnoir. À
bout de bras, je déversais dans sa gorge le plus de liquide inflammable que pouvait contenir
son estomac. Une fois le cadavre gavé, je le sortis de sa chaise et le déposai sur le sol. Après
quelques minutes de réflexion, je remarquai que l’entrepôt devait être à l’origine une ferme,
car de grandes et larges mangeoires traînaient au fond. J’en tirai une près du vieux et le
couchai dedans. Il me couta encore un effort pour vider le contenu du bidon d’essence sur le
corps. Le liquide le recouvrait presque entièrement. Je pris le temps d’un dernier regard vers
cet homme qui était encore un dieu il y avait quelques heures. Sa longue barbe douce
m’appelait pour une ultime étreinte, mais il était trop tard pour cela. L’allumette glissa sur le
grattoir et s’échappa de ma main. Le liquide s’enflamma instantanément. Une épaisse fumée
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