L équinoxe du 11 septembre
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L'équinoxe du 11 septembre

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Description

"L’équinoxe du 11 septembre" est une nouvelle sentimentale autour du 11 septembre écrite par Christophe Girard, Adjoint au Maire de Paris chargé de la Culture, et exclusivement publiée sur internet.
Christophe Girard était le 11 septembre 2001 à New York.

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Publié par
Publié le 30 août 2011
Nombre de lectures 91
Langue Français

Extrait

-Christophe Girard-
L’équinoxe du 11 septembre
NOUVELLE
Lecteurs et lectrices, si vous souhaitez que l’histoire suivante se passe entre une femme et un homme ou une femme et une femme, plutôt qu’entre deux hommes, il vous suffit de changer le prénom du danseur en Sofia.
Peut-être que la plus douloureuse et merveilleuse invention de l'homme est le mot amour. Que de parcours, chemins, promenades, voyages heureux, que de rencontres, passions, et révélations douloureuses. J'ai beaucoup aimé, j'ai beaucoup souffert, je vais encore aimer un peu mais je ne vais pas forcément souffrir moins. Comment échapper à l'amour, à un amour, à une fulgurance amoureuse, à cette lumière éblouissante, à ce jet violent et éclaboussant d'eau bouillante, à ce fruit tombé de l'arbre sur mon cœur ? Pour comprendre où ira ce bonheur soudain, guérir la blessure, j'ai choisi d'aller au bout de cet amour pour le réduire en cendres ou bien le sceller, le construire comme un menhir posé là pour l'éternité dans le cimetière de nos vies provisoires et des souvenirs nostalgiques. Je suis heureux de ce voyage pour aboutir à cette nouvelle histoire qui ne fait que débuter même si elle dure intensément depuis déjà un mois. Le vol Air France n'a pas de retard, je regarde l'atlantique vide et infini par mon hublot, on croise d'autres avions, en sens inverse, remplis d'autres destins et porteurs d'autres décisions. La mienne est prise, elle ne m'émeut, ni ne m'exalte. Elle est presque religieuse et mystique. Je suis heureux, par un bel hasard je n'ai pas de voisin, donc n'encours pas le risque de la conversation qui troublerait ma sérénité et ma mélancolie et mon bonheur à venir. C'est une bonne décision, j'irai voir Mehdi danser sans qu'il le sache, j'ai mes places pour deux spectacles, le Sacre et Jewels que je ne connais pas. J'ai choisi un hôtel que j'aime bien, le plus loin possible de chez lui près de Union Square, ma ème chambre est au 3 étage avec vue vers le bas de Manhattan, je lui tournerai le dos en dormant, lui qui habite à côté du Met près du Consulat français, à l'angle de la Frick collection. Le vol touche à sa fin. L'éternité des premières heures s’éloigne. Les passagers se lèvent l'un après l'autre pour aller aux toilettes, les lumières sont rallumées, on nous sert une collation. Nous survolons Boston, il ne reste plus qu'une heure 07 minutes avant l'atterrissage. Si je suis bien dans mon corps, l'euphorie qui m'avait habité depuis le décollage a petit à petit disparu. Je redeviens sérieux et ennuyé. Ai-je bien fait de venir et de vouloir forcer le destin ? N'était-ce pas mieux et plus fort de garder à distance cet amour de cinq nuits devenu platonique. Trop tard pour revenir en arrière, trop tard tout court. Quand je suis allé à New York, la première fois j'avais 17 ans, mon bac en poche et la Frick collection est le premier musée que j'ai visité, avant le Whitney et le Metropolitan. Je n'aime pourtant pas beaucoup la peinture de Boucher, peut-être un peu plus Fragonard mais un oncle m'avait dit que c'était une collection privée importante tout comme il m'avait recommandé d'aller à Philadelphie découvrir la Barnes collection, et là je le bénis encore. Nous étions trois pendant la visite et j'y suis retourné régulièrement en pèlerinage avec mon fils ainé une fois, mon fils ainé s'appelle Tristan. Le pilote annonce des turbulences et du retard à l'arrivée, à vrai dire je ne suis pas pressé d'arriver, je jouis de chaque minute qui passe, je n'ai aucun rendez-vous précis, je n'ai rendez-vous qu'avec moi-même et mon destin avec Mehdi. J'aurai mis plus de
quarante ans à me rencontrer, sans peur, sans colère, un peu intimidé par cette intimité naturelle et aboutie. Certains se font aider, je fais le chemin tout seul, c'est ma façon de tout compliquer pour mieux simplifier. Le chauffeur qui m’attend est tiré à quatre épingles, il est haïtien, il m'a déjà conduit deux fois et je me suis souvenu qu'il avait des jumeaux, Christophe à cause du Roi Christophe et Antoinette à cause de Louis XVI. C'est ainsi qu'il me l'avait expliqué. Il me dit que j'ai rajeuni mais que je travaille trop, il est content que Tristan se soit marié même si c'est un peu jeune pour se marier à notre époque où le monde virevolte, où la terre tremble en Haïti et au Japon, et "ça n'est pas fini, vous savez". Il a sans doute raison mais je n'ai plus peur des catastrophes naturelles. Je suis indifférent. Elles tuent, elles ruinent mais elles rabaissent l'homme à sa condition de mortel. Désiré, c'est le prénom du chauffeur, a une sélection de musique assez sublime. Grâce à lui on aime les embouteillages. Près de La Guardia, ça coince. On écoute Bred Mehldau, musique de Eyes wide shut, le dernier film de Kubrick, et le morceau s'appelle "Blame it on my youth". Trop bien, un rêve d'éternité m'envahit, je glisse dans mon épais fauteuil noir en cuir avec la petite bouteille d'eau minérale dans l'accoudoir que je n'ose toucher ou boire. Nous nous regardons par le rétroviseur. J'ai le sentiment d'être en garde à vue et qu’il me conduit vers une étrange prison. Changement de musique. Billy Joël avec "Got to begin again: here I am at the end of the road". Mon dieu, Désiré est au courant. Mauvais présage. "I get to begin again" chante-t-il. Mehdi m'attend. Je vais lui faire la surprise. Pas trop vite. Sois patient. "Though I don't know how to start" quand "everything my heart desires" commence, je me retiens de tout, de larmes inutiles, d'émotion superficielle, de faiblesse et de honte personnelles. Sensiblerie inutile et méprisable. Et pourtant j'ai envie de pleurer, je suis ému, je suis amoureux et mes sentiments sont forts et fiers. Danielle Brisebois à une voix sublime. Désiré me dit que c'est extrait du film "As good as it gets". Quel mélange. Le taxi roule. ème ème Pour mon hôtel, j'ai hésité entre la 54 rue ou la 57 ou Irving Place près de Union Square avec ce merveilleux hôtel Irving Inn et ses douze chambres, chacune avec un nom d'écrivain. La mienne c'est Edith Warthon. "The day is my enemy, the night my friend" chante Ella Fitzgérald. On arrive à l'hôtel avec cette dernière chanson. J’aimerais revoir Désiré et connaître sa famille. C'est mon ange gardien. Je n'ose lui parler du but de mon voyage. Kidnapper Mehdi, lui proposer d'entrer à l'Opéra de Paris, obtenir sa carte de séjour, être son protecteur et construire sa carrière. D'en faire une star. Désiré me voit certainement comme un honnête homme français, père de deux enfants. Il n'imagine pas que j'ai une sexualité et encore moins une sexualité minoritaire et que j'aime précisément ce danseur tunisien. C'est le brésilien que j'aime bien qui est à l'accueil. Il me dit d'emblée qu'il a eu des jumeaux. Il est fier et angoissé et ainsi met une distance avec moi. On avait flirté une fois quand il avait monté mes bagages, allumé l'air conditionné, vérifié l'eau chaude de la
douche car il y avait eu une panne de chaudière et des plombiers très approximatifs pour la réparer. Il faisait très chaud à New York, c'était en septembre avant l'été indien, j'avais mal au dos, il m'avait massé, très bien massé, puis je l'avais massé. On en était resté là, dans le non-dit, avec une pudeur mutuelle, une légère gêne mais sans culpabilité. Quand on se croisait, parfois on baissait les yeux. Il avait soutenu mon regard plusieurs fois. Il s'appelle Jefferson. “I love you for sentimental reasons" de Nat King Cole. Je suis dans la chambre Edith Wharton. Sur mon Ipod c'est la chanson que je choisis. Le décor est planté. Amoureux et new yorkais pour trois jours et deux nuits. Vais-je rester allongé sur ce grand lit mi russe – mi anglais, un peu chargé et kitsch et rester trois jours et deux nuits enfermé à l'Irving Inn à écouter Nina Simone en boucle chantant "I put a spell on you" ou "ne me quitte pas". Je ne vais plus pleurer, je ne vais plus parler, je vais me cacher… Non je vais marcher, me promener, je vais refaire le parcours atroce et infernal du 11 septembre 2001 quand à 8h35 je quitte l'hôtel, ce même hôtel, quand un avion vole bas au-dessus de nos têtes, quand ma secrétaire à Paris m'appelle pour me dire qu'un avion s'est écrasé sur le World Trade Center, que c'est un accident terrible. Avec le doorman nous avions remarqué qu'un avion volait très bas, que c'était inhabituel sur Manhattan mais rien de plus. Au premier drugstore ouvert j'achète un Fuji jetable et prends mes premières photos de la première tour en feu, ne sachant toujours rien de la tragédie en cours. Les passants sont silencieux, s'arrêtent à intervalle et regardent vers les tours, comme on observe le lancement d'une fusée à Cap Canaveral, fixement et sagement, admiratif et angoissé. Nos téléphones cellulaires cessent vite de fonctionner. Des files se forment devant les cabines de téléphone public. Les taxis sont arrêtés toutes portes ouvertes. Les radios diffusent leurs informations en boucle. Washington a été attaquée, le Pentagone détruit et la Maison Blanche aussi. Les deux tours brûlent. Les nuages de fumée et leur odeur arrivent jusqu'à nous. Quelques personnes remontent à pieds, pieds nus, hagards de Wall Street. Je suis envahi d'un sentiment anesthésiant d'impuissance, prêt à accepter cette fin du monde en direct, sans broncher, soumis mais sans aucune peur de mourir. On s'interroge. Mais qui a fait ça ? Une allemande croit que c'est l'Afrique en colère, je penche pour la Chine, nouvelle puissance mondiale. Nous délirons, nous tentons de trouver des réponses. Le bas de Manhattan sent la fumée, la mort. J'ai pris une quarantaine de photos des tours infernales. Les sirènes hurlent sans discontinuer. Il fait chaud. J'ai envie de faire l'amour. J'imagine bêtement que mon rendez-vous dans le quartier de Wall Street est annulé. De toute façon impossible d'y accéder, dès les ème ème 15 /16 rue, la police bloque toute circulation. Je remonte des vingtièmes rues lourdement vers mon hôtel en ayant perdu tout sens à ma vie, toute idée d'avenir. Toutes les portes sont ouvertes, l'hôtel est un moulin à fous vents, beaucoup de clients et une partie du personnel discutent dans le lobby. Quand je monte à ma chambre, je croise Jefferson qui pleure, son frère travaillait dans le World Trade et il n'a pas réussi à avoir de nouvelles, les lignes téléphoniques ne marchent plus. Sa femme non plus n'a pas de nouvelles. Nous nous embrassons et nos bouches se croisent. Je pleure aussi. Il est midi, je n'ai pas faim. Toutes les portes des chambres sont ouvertes. Un ami m'avait
raconté qu'à Florence, lors des grandes inondations, à la fin des années 60, les gens faisaient l'amour partout, pour surmonter leur angoisse et éventuellement mourir dans le plaisir. Je n'avais pas envie de mourir ce 11 septembre mais je n'avais pas peur non plus d'en finir puisque nous serions si nombreux. C'est moins douloureux. Les liaisons téléphoniques reprirent en milieu d'après-midi, heure du dîner en Europe et je pus appeler mes proches pour les rassurer. Puis vint ce coup de fil inattendu et insolite. Un journaliste de France Inter, avec une très belle voix, polie mais déterminée me demande si j'accepte de témoigner et de raconter ces premières heures du 11 septembre. Des amis croisés dans un restaurant ou dans une librairie du Marais vers 15 heures, heure française lui ont donné mon portable. Pris de court et désœuvré, j'accepte et nous convenons que je vais tenter de faire plusieurs sujets, interroger des personnes dans la rue, près de l'hôtel, sur Union Square où toutes sortes d'initiatives se prennent, des incantations bouddhistes, des bougies allumées, des chants, des banderoles accrochées aux arbres, des cercles de prière, des interviews. Je suis obsédé par l'image de ce jeune trader, en costume gris et chemise blanche, pieds nus, remontant Broadway, son attaché case à la main, les yeux rougis, le regard vague et douloureux. Qui est-il ? où était-il ? Impossible de m'approcher de lui tant sa douleur est là comme un mur épais. Envie de l'aider mais il marche, avance sans s'arrêter ni se retourner. Une jeune femme plus tard ème dans l'après-midi, avance et crie sa douleur et son angoisse sur le bas de la 5 avenue en brandissant au bout d'un bâton le portrait d'un homme jeune, son frère ou son fiancé et nous demande si nous l'avons vu. C'est atroce, tant la question est posée dans le vide et la multitude. Jamais je n'ai senti une ville plus solitaire où chacun dans le malheur est à son isolement et à sa misérable solitude. Et puis les jours qui suivirent verront des centaines de personnes défiler avec des portraits de leurs proches brandis à bout de bras. Plus violent aussi, des voitures roulent à vive allure avec des drapeaux aux fenêtres et quelques musiques nationalistes mais pas de violence. C'est l'amour et la mort qui se rencontrent en moi, encore une fois, ces jours-ci, comme l'écrit Montherlant dans l'Equinoxe de Septembre. Je suis à l'hôtel, une véritable ruche, les clients vont et viennent, claquent les portes. Certains s'énervent à la réception car ils veulent repartir. Jefferson et Raja le sri-lankais restent calmes, impassibles, rassurent, prennent note, disent qu'ils vont voir mais que Manhattan est bouclé, fermé, pas d'avion à JFK, la Guardia ou Newark. Les ponts sont fermés. Nous sommes sur une île. J'ai rêvé d'être anglais, me voilà new yorkais, insulaire. Je croise un couple de japonais, affolés mais stoïques, hystériques mais sereins qui a perdu trace de sa fille étudiante à NYC. Le monde chavire. Les puissants sont à terre. Je tombe sur une fille que je connais de Paris. Elle me dit toujours descendre dans cet hôtel et qu'il ne faut pas que nous fassions trop de publicité à l'établissement car après on aura du mal à avoir une chambre et on y croisera des gens que l'on connaît et que l'idée est assez cauchemardesque. J'approuve. Nous sommes déjà deux dans ce cas. Je regarde sa bouche, son cou perlé de sueur, bronzé mais pas trop, sa chemise en coton parme et j'entrevois les pointes de ses seins, dures, rondes. Je suis pris d'une envie de fou. J'ai envie, là dans l'entrée de notre petit hôtel de lui arracher sa blouse, de me déshabiller, de l'embrasser et lui lécher les seins, posés sur ses épaules comme deux fruit mûrs et juteux et de la chevaucher.
Manhattan a pris une saveur et une couleur d'argile. Cette ville "debout" est abasourdie, chancelante. Pour respirer, au propre et au figuré, je monte faire un tour à Central Park. ème De la 59 rue et au-delà on ne voit rien. Le bas de Manhattan est ébloui et éblouissant. J'ai l'impression que j'ai fait un cauchemar et heureusement qu'il ne s'est rien passé. Des gens courent dans le parc, comme d'habitude, les écureuils guettent les friandises, les services municipaux nettoient. Je croise un ou deux schizophrènes déclamant un verset de la Bible. Bon sang New York et Washington ont été attaquées et là devant moi la vie continue. J'hallucine comme dit mon fils aîné. Il y a des étudiants indiens allongés sur une pelouse. Il y a des enfants qui jouent au cerf-volant, il y a des mamans africaines qui poussent des landaus remplis d'enfants blonds. Il y a tous ces jeunes banquiers qui courent matin et soir et parfois à l'heure du déjeuner. Il y en a de très beaux et de très moches. Je croise des femmes très moulées dans leur collant de joggeuse mais rarement souriantes. Elles sont avocates, directrices financières chez Estée Lauder ou Calvin Klein. Les corps sont secs, musclés, sans graisse ni cellulite. Des corps de rêve pour nager mais où sont la joie de vivre et l'humour dans tout ça ? Savent-ils, savent-elles que le 11 septembre a eu lieu et vient de faire basculer le monde ? En courant, marchant, faisant abdos et pompes, ils ont tout suivi dans leurs oreillettes. Mais on se contrôle, on continue à vivre comme si de rien était, égocentriques. On en saura plus ce soir. Le Président Bush parlera et s'adressera aux Américains, Giuliani le Maire de New ème York est sur le front. Je redescends la 6 avenue et retourne à la réalité, celle qui m'inonde depuis ce matin, je sens le 11 septembre comme un parfum de ma peau, je respire, je transpire, je pue l'effondrement du World Trade Center. Je suis humide et perlé de douleur et imbibé de cette tragédie. J'ai presque envie, malgré la chaleur, d'aller dans un hammam ou un sauna. Je pense aux Russian Baths près de A avenue. Envie d'être nu, d'avoir très chaud, d'être massé par un gros malabar, d'être fouetté par des branches d'eucalyptus. Envie d'être épuisé. M'offrir au drame et aux victimes du 11 septembre comme un sacrifice car je suis en vie et c'est injuste. Nous sommes mercredi soir, Mehdi m'a dit que nous dinerions ensemble si je venais à New York. Je suis là. Je lui envoie un message. S'il m'aime il viendra même tard. Moi je viendrais si j’étais lui mais je ne suis pas Mehdi et Mehdi ne sera jamais moi. Je prends un risque énorme. Orgueil, confiance, estime, bilan…tous ces mots défilent. Jefferson m'a quand même dit qu'il me trouvait en forme, aminci, hâlé…Mehdi me verra-t-il ainsi ? Où en est-il de sa vie ? Je ne sais pas grand-chose de lui car il ne répond pas toujours à mes questions. Je suis entré dans sa vie comme une flèche, impossible à retirer, de mon côté. Il a déposé une flamme à mes pieds et est parti en courant. 00 30 Message à 19h "Welcome!!! Dinner at 8 ou 8 pm?". Laconique mais suis heureux de cette nouvelle. On se retrouve près du Lincoln Center. Lui comme moi trouvons étrange de nous retrouver à New York mais il a l'air de me vouloir. Nous engageons une première conversation, sur ses projets, les décisions qu'il n'arrive pas à prendre, sa vie avec ce jeune journaliste américain qu'il n'a plus l'air d'aimer et de supporter, la maison
qu'il vient d'acheter en Normandie, celle qu'il a loué au Pays Basque pour l'été et où il ne veut plus aller. Il prend soin de me quitter en bas du restaurant et me pousse dans le premier taxi. J'ai un peu trop bu ce qui m'empêche de réagir. On a prévu de se retrouver le lendemain matin pour un petit déjeuner pour aller ensemble à une visite privée de th l'exposition d'Alexander Mc Queen au Metropolitan. Petit déjeuner sur Madison et 79 Street, nous sommes à deux blocs de l'entrée réservée du MET, dans le prolongement ème de la 81 rue. Exposition sublime, Mc Queen était un génie, ses robes sont inouïes de beauté et de technique. La mise en scène est géniale et la musique merveilleuse. Sarabande de Haendel que Mehdi reconnaît. Puis il doit partir car il répète et danse ce soir. Je n'irai pas le voir danser, pas envie de croiser son boyfriend. Message gentil de remerciement pour la visite de l'expo. Ses messages se font plus précis, j'y décèle de la tendresse mais pas d'affection. Je n'arrive pas à me résoudre à la vérité, qu'il ne m'aime pas. On a prévu de se voir le lendemain pour diner dans Harlem et moi ce soir je dine avec deux amis afro-américains Keith et Rusty avec lesquels je vais aller courir dans Central Park avant notre diner. Keith habite sur Central Park West dans le Dakota avec sa femme et sa fille et ce sera notre base de départ pour le restaurant et de repli pour la douche. Nous rentrons vers le Dakota quand nous croisons sans qu'il me voit Mehdi et un jeune homme à casquette qui doit être le journaliste américain, son boyfriend. Je me cache derrière Keith qui mesure 1m87. Il est presque 20h, Mehdi m''avait pourtant dit qu'il dansait ce soir. Tant pis. Je suis triste qu'il m'ait menti mais cette vision réelle de sa vie de couple me fait voir la réalité de plus près. Quel vif hasard mais cette fois pas de providence. Je prends ma douche, Keith la prend avec moi, me savonne comme quand nous nous sommes connus à San Francisco ; sa femme sait que nous avons été amants dans nos années étudiantes et tout va bien. Cette tendresse soudaine retrouvée avec Keith apaise ma douleur du parc à la vision de ce couple que formait, courant et transpirant Mehdi et son amant. Il faut que je me sorte de tout ça. Je suis venu à New York pour tout autre chose, dire à Mehdi de rentrer avec moi à Paris…. Je fais fausse route, je souffre. Je me fourvoie. Je dois me ressaisir, penser à mes propres enfants et à celui avec qui je vis depuis quinze ans et qui a besoin de moi et qui a confiance en moi et que j’aime. Chaque jour qui passe à New York, chaque heure est dissemblable pour mes sentiments, mon humeur et sans doute mon avenir. Je suis proche du vertige et pourtant je ne veux pas faire n’importe quoi. Une crise cardiaque arrangerait tout, un taxi jaune qui me renverse et me tue aussi mais la vie ne fonctionne pas comme ça. Elle place un miroir devant vous surtout quand vous ne voulez pas vous regarder en face et le miroir avec le temps devient une loupe. Je ne veux pas rater la dernière partie de ma vie, la vie a été si bonne avec moi jusqu’à maintenant malgré les drames, les joies ont toujours dominé. Le jour suivant, la nuit ayant porté conseil, je retrouve un Mehdi joyeux pour diner, diner à Harlem dans un nouveau restaurant. Il me dit tout de suite qu’il n’a pas compris que je me sois caché quand il courait en lisant mes messages. Je lui explique que j’étais littéralement tétanisé, pris de court. Il me fait comprendre qu’il aurait aimé qu’on court ensemble dans Central Park car il courait seul et qu’il a retrouvé sur le chemin du retour
un voisin, son voisin mexicain, celui qui portait une casquette. Je me sens évidemment stupide car je le crois et que, sans doute, je suis trop compliqué ou un peu jaloux. Le diner est joyeux. Nous buvons beaucoup, sans doute trop mais nous évoquons toute sorte de projets. La vie est soudain si belle, je suis heureux, il est tendre, il drague les trois femmes de la table d’à côté et un peu le serveur. Les répétitions ont été difficiles, il danse dans une œuvre difficile dans quelques jours, le soir de mon départ. Il ne m’a pas proposé de venir le voir mais c’est peut-être à moi de faire le premier pas que je ne ferai pas. J’aurais pu changer mon retour et prendre le dernier vol de 23h mais le voir danser puis partir directement me détruirait. Nous parlons de tout comme deux frères, deux ex-amants ou deux meilleurs amis, donc nous ne parlons pas de nous comme je l’espérais. Nous sommes au point mort. Pourtant je suis si heureux le temps du diner. Il me dit des choses tendres, me prend la main, m’embrasse une fois. Mehdi me parle de son rêve de venir en France et qu’il a besoin de moi. Mais jusqu’où a-t-il besoin de moi ? N’entends-je pas que ce que je veux entendre ? Comprenons-nous les mêmes mots ? J’ai du mal à être fort et détaché. Il y a une expression qui dit « en avoir le cœur net ». Il serait mieux que j’en ai le cœur net, mais le mien est tellement chargé, à vif et encombré. C’est ma dernière soirée à New York, ma dernière chance, la dernière chance, notre dernière chance. C’est en tout cas ce que je crois et que j’imagine avoir décidé. Retour à l’hôtel, j’ai déposé Mehdi au coin de sa rue. Demain j’irai au musée, faire une grande balade dans Central Park, marcher sur la nouvelle coulée verte, le High line qui ème ème va dorénavant du Meatpacking district à la 30 rue en longeant la 10 avenue et passer à sa répétition, ce dont nous sommes convenus. Puis je quitterai New York pour retrouver ma vie, sans avoir résolu mon aventure new yorkaise ni construit mon avenir. Mes nuits auront eu la même durée, la même intensité que mes journées, mes joies, la même force et la même place que mes douleurs et mes déceptions. Cet équinoxe new yorkais sera-t-il le printemps de ma vie ou l’automne de ma maturité ? Le livre s’est arrêté là car l’auteur a été retrouvé mort dans la cour de son hôtel. S’est-il jeté par la fenêtre laissée ouverte quand le masseur est venu pour l’ultime rendez-vous avant de partir pour l’aéroport ? Le masseur chinois s’est retrouvé en garde à vue, soupçonné d’avoir eu une altercation avec son client et de l’avoir poussé par la fenêtre. Les papiers d’identité ont été retrouvés dans la chambre mais pas d’argent. La douche écossaise des sentiments et des espoirs que lui infligeait Mehdi l’a-t-elle poussé au désespoir ? L’autopsie dira s’il y a eu bagarre avec un tiers ou s’il s’agit d’un suicide. C’est peut-être juste un accident. Quand Mehdi est arrivé à l’hôtel sans le prévenir et juste lui faire une surprise avant son départ, Mehdi lui avait apporté une petite main de Fatma en argent, ancienne, de sa grand-mère, fabriquée à Sidi Bou Saïd, près de Tunis pour qu’il l’emporte à Paris et pour
qu’il sache qu’il l’aimait, qu’il voulait vivre avec lui, qu’il avait rompu depuis une semaine avec son ami journaliste, qu’il était très tendu ces derniers jours à l’idée de quitter ses habitudes et de se projeter dans l’inconnu et qu’il ne savait pas exprimer à ce français si dynamique et enthousiaste son amour plus délicat et mesuré mais qu’il trouverait le moment, le lieu et la manière. Mehdi eut le droit de voir le corps de son ami perdu pour toujours avant qu’il ne soit emporté à la morgue pour les causes de l’enquête. Mehdi comprit que son destin s’était joué à quelques heures, quelques jours et quelques nuits, qu’à son tour il avait envie de mourir et que mourir était une chose simple. Lui, le héros d’Apollo s’effondrait devant tant d’absurdité et de malentendus et de lâcheté aussi. Il tenta en relisant les messages de son amour déchu d’imaginer la dernière journée de celui à qui il était venu dire qu’il l’aimait. Il avait dû se promener dans Central Park, heureux de tant de bonheur alentour, des enfants dans les manèges, des vélos pousse-pousse assaillis par les touristes, des petits groupes de joueurs de baseball, de vieilles dames aux chapeaux sur des visages liftés, menant l’ultime bataille contre la vieillesse et la mort, une allée de Central Park privatisée pour les rollers et les amateurs de disco, comme du bon temps de Diana Ross ou Grace Jones où se mélangent latino, afro-américains, indiens ou bobos, les vendeurs de mauvaises glaces et hot-dogs, l’enfant prodige jongleur, les jeunes parents émerveillés par leur premier enfant, le chien qui tire le rollerskater un peu paresseux malgré son corps bodybuildé... Il aura regardé et adoré tout ça, cette exubérance de la vie avant de rentrer dire adieu à sa chambre d’hôtel et à Mehdi sur la pointe des pieds, à lui son danseur préféré. Christophe Girard Publié à Paris – Août 2011 Edition numérique pour utilisation privée libre Version française publiée sur le site Yagg.com et Youscribe.com Version anglaise publiée sur le site Scribd.com et Youscribe.com Toute utilisation commerciale est soumise à une demande d’autorisation auprès de l’auteur En savoir plus sur l’auteur : http://www.christophe-girard.fr/a-propos Coordonnées de l’auteur : webmaster@christophe-girard.fr
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