Le Cafard
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Publié le 20 août 2011
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Langue Français

Extrait

Le Cafard
1
Cela s’est passé lorsque j’avais dix-sept ans. Enfin, il me semble.
A cet âge là, je pensais que tout m’était possible et j’en avais l’impression. Mais sans réellement
comprendre pourquoi, il me semblait aussi que rien ne m’était accessible.
J’étais prisonnier de mes envies, comme si elles avaient décidé de se tresser toutes ensemble et de
créer un Monde à part, une bulle où rien ni personne ne pourrait en sortir ni y entrer. Un
microcosme m’appartenant et m’isolant du Monde extérieur. Un Monde interne dans un Monde
externe.
Mes rêves d’adolescent et les mœurs de mes origines ne concordaient pas tout à fait. En fait, elles
étaient en totales oppositions. A cette époque là, j’étais partagé entre un mode de vie occidental, lié
au lycée, aux amis, à une vie extérieur au foyer familial et un mode de vie plus traditionnel, venu du
plus profond des montagnes de l’Atlas marocain, que l’on pouvait qualifier de «vieux jeu». Je
voulais vivre ma jeunesse, en profiter. Mais, cela n’était pas possible. Je voulais faire des sorties
entre amis, travailler et gagner mon argent, rester immature jusqu’à la fin des temps - du moins mon
temps. Seulement, «l’autre» côté voyait la chose différemment. Pas de sorties, pas de filles, rester
sérieux et faire honneur à la famille. Bien sûr, mes parents se voulaient être libéraux, en
m’accordant parfois, quelques sorties -assez rares cependant. Je pense néanmoins que l’évolution
des mentalités peut parfois être limitée, et cela pouvait s’appliquer à mes parents.
N’allez pas croire que je n’aimais pas mes parents. Au contraire, je les aimais et leur vouais un
profond respect. Je n’ai fait que raconter ce que je ressentais à l’époque. Ce n’est qu’une sorte de
mise en contexte. Une mise en bouche fade présentant un conflit entre deux parties d’un même
esprit, dont chaque partie s’attacherait à un extrêmes. Une culture occidentale et une culture
marocaine venant du fin fond des montagnes de l’Atlas. Et comme lorsque deux plaques terrestres
s’entrechoquent, il résonnait dans mon cœur un fracas qui ne retentissait que dans ma bulle, sans
même pouvoir la briser.
C’est lorsque j’ai commencé à ressentir ce genre de chose qu’il est apparu en moi. Non, en un
sens, il a toujours été en moi. J’ai seulement commencé à le comprendre à ce moment là de ma vie.
Sur le coup, tout cela fut étrange. Je ne sais d’ailleurs toujours pas ce que c’était. Une sorte de
concept, de métaphore, qui, au fur et à mesure que je grandissais, étendait son ombre sur mon être.
C’est pourquoi -du moins, je pense - à cette époque là, je voyais la vie et le Monde de manière
différente qu’une personne normale de mon âge aurait pu la voir. En faite, lorsque je fermais les
yeux, je me voyais, là, assis sur une chaise. Autour de moi, tout était gris, du même style que les
vidéos d’archives sur la Seconde Guerre Mondiale que des professeurs d’histoire peuvent être
amenés à vous faire regarder. Tout était aussi en constant changement, constante évolution. C’était
identique à une gigantesque tornade qui faisait défiler des images. Et moi, je restai assis. Non pas
que je ne voulais pas bouger, mais je n’en n’avais pas la force. C’était comme si, inconsciemment,
cette tornade absorbait mes forces, les avalait en silence jusqu’à ne plus en laisser une goutte. Cette
tornade là, tapie dans les ténèbres de mon être intérieur, m’immobilisait, m’obligeant à vivre dans
un monde auquel je n’appartenais pas. Ainsi, je vouais à la vie un profond ennui, aussi profond que
les abysses glaciales qui régnaient en ce Monde.
Voici donc ce que j’étais.
2
L’été de mes 17 ans, je partis en vacances, voir ma famille au Maroc. En un sens, j’étais contre,
voulant travailler pendant ces vacances et récolter mon propre argent. J’avais aussi en tête autre
chose que travailler - il faut avouer. J’avais prévu de passer mon été à m’amuser comme je
l’entendais avec mes amis. Mais mon père jugeait nécessaire que je rende visite à ma famille, que
je n’avais pas vue depuis longtemps, et donc que je parte. Bizarrement, cette décision ne m’affecta
pas plus que ça. En fait, le cours qu’allait prendre les choses m’importait peu. Je savais que ça
devait être comme ça parce qu’il le fallait. C’était une sorte de résignation.
Et vous devez vous en douter, c’est au Maroc, alors que j’étais en vacances pour voir ma famille,
que cela s’est passé.
3
Taza est une ville plutôt grande. Pas une des plus grandes, mais c’est tout de même une grande
ville. Elle a pour particularité d’être «chaude». En été, entre midi et 16h - soit en début d’après-midi
-il peut souvent faire entre quarante cinq et cinquante degrés Celsius. On ne peut sortir avec cette
chaleur, ce qui réduit considérablement la journée. Pendant cet intervalle de temps, les gens ont
l’habitude de faire une sieste. Pour ma part, j’ai des difficultés à dormir lorsqu’il fait chaud. Alors,
au lieu de dormir, je lisais. J’avais emporté trois livres, L’art de la guerre de Sun Tzu, Saules
aveugles, Femmes endormies de Mura kami - et de loin mon préféré - et un livre sur les haïkus. Je
m’employais à lire ces livres lorsque tout le monde dormait. La culture Asiatique est une culture qui
m’attire énormément. En parlant de Murakami, je dois dire que cet écrivain a un style d’écriture
vraiment particulier, qui m’a subjugué. J’ai beaucoup aimé. C’est pourquoi, j’essaie aujourd’hui de
rassembler toutes ces œuvres dans ma bibliothèque.
Bref, c’est-ce que je faisais la majeure partie de mes journées, je lisais. Sinon, je m’ennuyais.
Purement et simplement, je m’ennuyais. J’étais pareil à un fantôme. Pâle, j’avais l’impression de
vivre dans un Monde pour fantôme. Oui, un Monde pour fantôme où erraient des millions de
fantômes, de manières quadrillée, sans le moindre faux pas, et où chaque fantôme se déplaçaient
oisivement l’un derrière l’autre dans une direction donnée. Et dans ce Monde de fantôme pour
fantômes, dans cet univers conditionné, il y avait moi. Un ectoplasme sans expression, comme les
autres, qui avançait sans but. Aussi, j’étais au Maroc, un pays réel dans un Monde réel. En fait, il
me semble que j’étais une sorte de porte, de conduit reliant un Monde de fantôme pour fantôme au
Monde réel avec des pays réels. C’est tout.
Oreno yume wa shine, dakara ore wa shine desu
Ore wa shine desu, dakara oreno yume wa shine
Ces deux fragments de phrases étaient en quelque sorte un leitmotiv. Un leitmotiv qui résonnait
du plus profond des entrailles du Monde de fantôme et de ma bulle-microcosme, me rappelant la
terrible malédiction dont j’étais le jouet: l’Ennui. Je ne cessai de répéter ces deux birbes de
souvenirs. D’ailleurs, la redondance de ces paroles enclencha un mécanisme au tréfonds même de
ma conscience. Les rouages de la conceptualisation, le processus de la cause-conséquence entraîna
l’apparition d’une métaphore.
Ces deux phrases sont en japonais «imparfait». En fait, à l’époque, je regardais beaucoup de
mangas, qui plus est en langue originale, soit japonais. J’ai réussi, à force d’écoutes prolongées, à
en retirer quelques bribes et les assembler. Pour vous donner une traduction, voilà ce que
l’assemblage de ces mots peut donner:
«Mes rêves sont morts, c’est pourquoi, je le suis. Je suis mort, c’est pourquoi, mes rêves le sont»
Rien de plus, rien de moins. Mais tout ça dans un japonais imparfait.
Uzumaki Naruto
, personnage très populaire d’un Manga. C’est sous cette forme que m’est apparu
ma métaphore.
4
Je ne sais pas exactement quand j’ai commencé à me l’imaginer. Il est simplement apparu, comme
ça. Lorsque je m’ennuyais, je lui parlais et lui me répondait. Enfin, non, je lui inventais les paroles
il n’était qu’une pensée, une sorte d’ami imaginaire que j’avais moi-même crée après tout.
Ainsi passaient mes journées. Je me levais, je m’ennuyais, parlais avec Naruto, lisais, parlais avec
Naruto, dormais. Ni plus, ni moins.
Nous vivions au premier étage d’une grande maison. Deux faces seulement donnaient sur une rue
ou un jardin. Les deux autres étaient ancrées dans les bâtiments voisins. De petits balcons se
tenaient sur les faces donnant sur l’extérieur, et un long couloir faisait se rejoindre ces deux balcons,
comme une sorte de conduit. Toutes les pièces de l’étage suivaient ce couloir. Aux extrémités du
couloir, il y avait, avec les balcons, deux salons (Mes frères et moi dormions dans l’un des deux). Si
l’on suit le couloir en partant du salon ou je dormais, il y avait l’entrée à l’étage et en face de cette
entrée les toilettes. Ensuite, il y avait une salle de bains, avec en face un petit patio et une cuisine.
Toujours en allant vers l’autre salon, il y avait deux chambres, et enfin ce fameux salon. Voilà
comment était à peu près disposé l’étage dans lequel, ma famille et moi, vivions.
Dans ce long couloirs, il m’arrivait de faire plusieurs va-et-vient sans raisons évidentes. Je le
faisais. J’étais, en un sens, un fantôme errant après tout.
5
Comme je l’ai dit, cela s’est passé durant ces vacances d’été. Des vacances d’été, qui ont, en
quelques sortes, changé quelque chose en moi.
Le soir, juste avant de dormir, j’aimais aller me promener dans le quartier. Je marchais, profitant
de l’air frais et léger qui m’entourait dans la nuit. C’était très agréable. Les lumières oranges des
lampadaires, l’air ambiant… Tout cela était très reposant. Il y avait dans le quartier une grande et
belle mosquée, avec, juste à côté, une sorte de jardin. Je dis une «sorte» puisque l’herbe y était peu
présente et les ordures y abondaient. Cependant, il y avait de gros palmiers et des bancs tout autour,
rétablissant ainsi une sorte d’équilibre à cet ordre des choses.
Ainsi, chaque soir, lors de ma promenade, je venais m’asseoir sur l’un des ces bancs, près de cette
mosquée, restais une vingtaine de minutes tout en profitant de courants d’airs rafraîchissants. Très
souvent, on pouvait observer le ciel étoilé et la Lune, du moins, lorsque les nuages nous le
permettaient.
C’est alors que cela s’est passé.
J’admirais la Lune. Oui, je m’en souviens maintenant, je la regardais, lentement, vaguement,
comme si elle avait prit possession de mon être. J’avais l’impression, qu’ainsi, elle s’abreuvait de
mon souffle, de ma vie. Je me sentais lourd, et la Lune continuait d’absorber la matière visqueuse
autrefois enfouie en moi. Il y avait comme un lien entre nous, comme une sorte de cordon
ombilicale où transitait ma conscience. Je ne me sentais plus.
Et puis, plus rien. Le lien avait été rompu. Je me levai alors, décidant de rentrer chez moi et
dormir. Lors de mon retour, je me sentais comme «plus léger». Je ne parle pas d’un poids physique.
Non, je me sentais léger symboliquement.
Il n’était plus en moi. Je ne le sentais plus. Ce concept, cette métaphore qui étendait son ombre sur
moi, avait disparu, c’était une certitude.
Je marchais lentement et légèrement dans la nuit.
C’est ainsi que je rentrais chez moi.
6
Cette nuit là fut l’une des plus chaude. Je n’avais pas trouvé le sommeil. Non, il faisait bien trop
chaud. À la place, mon esprit était ballotté par plusieurs flux de ma pensée, par de nombreux
courants marins venant du tréfonds de ma conscience. Je me perdais sans vraiment comprendre ce
qui m’arrivait et «par-dessus le marché», j’avais la gorge sèche. J’avais l’horrible impression
d’avoir pour gorge un désert aride, totalement sec et rocailleux. Pour pallier cela, je me levai dans le
but de boire, me dirigeant vers la cuisine.
En quittant le salon où je dormais, un grincement se fit entendre à ma droite. C’était la porte des
toilettes, sûrement mal huilée, qui, je ne sais comment avait grincé. Sur le moment, je crus d’abord
au rire d’une vielle sorcière. Une vielle sorcière, là tapie dans l’obscurité, qui lorsque je passa,
ricana. Arrivé dans la cuisine, j’ouvris le réfrigérateur et pris une bouteille d’eau fraîche. Lorsque je
l’ouvris, le réfrigérateur déversa sur moi sa lumière inerte, vide de chaleur. Je bus bien deux grands
verres d’eau bien fraîche. Le contact de l’eau dans mon gosier m’étais fort agréable.
Lorsque je retournai dormir, la porte-vielle-sorcière se remit à ricaner. Je me souviens que je
dormais la porte du balcon ouvert. Et sur ce balcon, je crus apercevoir l’ombre d’une personne,
accoudée à la barrière. Je fus surpris, mais préférai m’endormir aussitôt.
Le sommeil qui s’en suivit cette nuit là fut profond, vide de rêves.
Le matin, je fus réveillé par des bruits de travaux d’au dehors et le contact de plusieurs mouches
sur ma peau. Il devait être dix heure. J’avais bien dormi et n’étais pas de mauvaise humeur. Je me
levai, saluai ma famille et déjeunai. Je me souviens avoir mangé des œufs dans de l’huile d’olive,
des beignets bien gras et des tartines de miel. Après ce copieux petit-déjeuner, je décidai de ranger
les matelas sur lesquels j’avais dormi. Et c’est là que je le vis alors.
C’était Uzumaki Naruto. La métaphore, l’illusion qui m’apparaissait lors de mes ennuis était là,
devant moi. Ce qui me surprit est le fait que je n’avais pas pensé à ce personnage. Je n’avais pas
voulu former cette pensée dans ma tête pour qu’il apparaisse dans mon Monde. Non, il était apparu
tout seul, indépendamment de ma volonté. Un air de réel semblait flotter autour de lui. Il était là,
assis sur les matelas, en tailleur, me regardant droit dans les yeux, de ses yeux bleus. Exactement
comme dans le mangas, il était blond, et avait le même bandeau, représentant une feuille, sur son
front. Les mêmes vêtements étaient sur lui; une veste orange et noire tout comme son pantalon. Sur
sa veste, il y avait au niveau des épaules des sortes de plaques carrées représentants la même feuille
qu’il avait sur son bandeau. Au niveau du dos, au centre de la frontière entre le noir et le orange,
était placé un rond rouge qui avait à l’intérieur un dessin de la forme d’un tourbillon. Ses vêtements,
larges, devaient sans doutes lui permettre de se mouvoir comme il le voulait tout en étant très
confortables. Cependant, en le regardant droit dans les yeux, je ne reconnaissais pas le personnage
fictif du manga. Il semblait avoir perdu de sa témérité, de sa couardise qui le caractérisait bien. Il
paraissait plus mature.
«Ferme la porte et assit-toi, me dit-il, toi et moi allons parler.
J’écarquillais les yeux, totalement confus et obéi aussitôt.
- Tu sais sans doute qui je suis n’est-ce pas?
- Euh..gh.. Balbutiai-je. Oui.
- Je sais qui tu es, moi aussi. Tu es un fantôme venant du Monde des fantômes pour fantômes,
coincé dans une bulle.»
Je ne comprenais plus rien.
-Aussi tu dois penser que je ne suis qu’une de tes futiles petites pensées, sorties tout droit de ton
imaginaire. »
À ce moment là, ma sœur rentra dans la pièce et en fit le tour comme pour chercher quelque
chose. Le curieux personnage ayant la forme du héros d’un manga était toujours là, assis devant
moi, me fixant toujours. Je sentais le poids de son regard peser sur ma conscience. Puis, prise d’un
souvenir, ma sœur s’en alla, refermant la porte derrière elle, me laissant seul avec Naruto.
Lorsqu’elle était rentrée, ma sœur n’avait pas remarqué sa présence. J’en déduisis alors que j’étais
le seul à le voir, ce qui me fit penser que c’était une sorte d’hallucination.
Le regard du personnage s’intensifia et il me tendit sa main pour que je la serre, ce que je fis. La
sensation de toucher que m’avait procuré sa main était bien réelle. Elle dégageait sa propre chaleur,
pareil à un petit animal, et exerçait une pression plutôt forte sur ma main. En faisant cela, il me fit
comprendre qu’il n’était en rien irréel.
« Es-tu capable d’exécuter les mêmes techniques, as-tu les mêmes pouvoirs que dans le manga?
Lui demandai-je. Enfin..
- Non, pas ici. Pas dans cette réalité.»
Pas dans cette réalité?
«La réalité dans laquelle je peux exécuter toutes sottes de techniques magiques appartiennent à
une réalité différente, à un Monde différent, soumis à des Lois différentes. Ici dans ta réalité, dans
ton Monde, ce genre de choses appartient au domaine de l’irréel, du songe. Ainsi, ma réalité
correspond au songe du point de vue de ton Monde et vice-versa.
-Hmm. Marmonnai-je.»
Ce fut tout, il se leva afin de me laisser ranger les matelas et draps. Tout cela était étrange,
vraiment étrange. Il me semblait que je faisais partie intégrante d’un rêve. Un rêve sans
commencement ni fin. Un rêve tout court. Mais cela appartenait à la réalité. Du moins, à notre
réalité, une réalité différente de celle de Naruto. Tout simplement.
La journée ne suivit pas son cours habituel. Elle n’était pas semblable aux autres. Je restai avec
Naruto et parlai avec lui (de tout et de rien) - quand nous étions seuls bien sûr. Cela dura une
journée. Ni plus, ni moins. Une journée inhabituelle. Lorsque je sortais, il me suivait. Il régnait
entre nous une certaine complicité. J’avais l’impression qu’il me connaissait totalement et me
comprenait. Une connivence parfaite s’était installée, comme un cours d’eau reprenant son lit. Nous
discutions comme deux amis l’ayant toujours été.
Le soir, avant de dormir, je décidai de me promener comme à mon habitude, pour clore cette
journée anormale. Durant la marche, aucun de nous deux ne parlait. Il y régnait un silence de
plomb. Un silence lourd et pesant comme un symbole annonciateur d’événements tragiques. Arrivés
au banc, dans le parc, nous nous assîmes tranquillement, profitant de l’endroit frais et paisible. Puis,
comme si cela était le résultat d’un enchaînement d’événements irréels, nés du plus profond des
entrailles du Destin, Uzumaki Naruto, l’être n’appartenant pas à mon Monde, pris la parole:
«Tu es mort, c’est pourquoi, tes rêves le sont. Et tes rêves sont morts, c’est pourquoi, tu es mort.
Il ne me regardait pas. Il avait l’air de fixer un point précis dans le ciel. Un point caché dans les
méandres de l’univers, dont lui seul connaissais le repère. Il reprit:
-Tu n’es rien, tu n’es personne.
- Alors qui je suis?!
- Personne! Tu n’es rien! Toi, tu n’appartiens pas à ce Monde là.»
J’étais totalement déconcerté.
«Toi, tu n’appartiens pas à ce Monde là.»
Je me perdais peu à peu, m’essoufflais, devenais les brises d’airs rafraîchissantes qui parcouraient
le parc.
«En un sens, tu es un Homme, me dit-il, c’est vrai. Mais ça n’est qu’une enveloppe charnelle. Un
peu comme un réceptacle. A l’intérieur de ce réceptacle, il n’y a rien de physique. Tu es empli d’une
brume métaphorique, pareil à un symbole. Un concept brumeux. En ce sens, tu n’es qu’un
réceptacle empli d’une brume fine. Le problème, le seul qu’il y ait, est que ce concept métaphorique
ne représente rien. Tout ça ne symbolise rien. Tu n’es qu’un songe, une bribe de souvenirs perdu
dans le néant.»
C’était vrai: je ne savais pas qui j’étais, je me perdais peu à peu dans le néant. La tornade tapie
dans l’ombre arrivait à bout de mes forces. Il n’y en aurait bientôt plus une goutte à absorber. Il me
fallait le reconnaître.
Soudain, il posa sa main sur mon épaule et dit:
«Chaque chose a sa propre signification. Et cette signification là suit le cours des choses.»
Puis, tout devint blanc. D’un blanc éclatant. Il n’y avait plus rien autour de moi. Ni parc, ni banc,
ni Naruto. Je ne sentais que la présence de sa main sur mon épaule, son poids. L’axe du temps
s’était totalement effacé. Il n’y avait plus, ni réalité, ni rêve, ni néant. Il me sembla alors que j’étais
en moi-même. Dans mon propre labyrinthe interne. Un labyrinthe incompréhensible, complexe, où
régnait un blanc éclatant.
Brusquement, de glaciales ténèbres envahirent mon être. Je pouvais sentir la densité de l’obscurité
tout autour de moi, peser sur mon corps. Je fus pris de peur. Une peur comme jamais je n’avais
ressenti. J’avais la terrible impression d’être une sorte d’iceberg flottant au milieu d’un océan d’une
noirceur épaisse.
Peu à peu, tout cela s’estompa au fur et à mesure que la sensation de présence de la main sur mon
épaule disparaissait. Le décor revint à lui, bloc par bloc, comme dans un rêve. Ce fut d’abord le tour
du ciel étoilé. Comme si les étoiles reprenaient vie, elle se remirent à éclairer le ciel. Puis ce fut le
tour du parc et de ses arbres et enfin du banc accompagné de mon corps. Ça n’avait duré que
quelques secondes mais avait été très net, très précis, un peu comme les contours d’une figure
géométrique.
La présence de Naruto s’était effacée en même temps que mon Monde interne, comme si de rien
n’avait jamais été. Pareil à une feuille tombant délicatement sur le sol en automne, il s’était éteint.
En même temps qu’il s’était éteint, le cours des choses reprit sa place, comme un train parcourant le
Monde sur ses rails. Je m’en allai tranquillement, rentrai chez moi et dormis paisiblement.
Cet événement était pour le moins bizarre. Il m’avait complètement déboussolé. Je me sentais
différent, comme changé.
***
Environ une semaine après ce qui s’était produit, alors que tout le monde entamait une sieste,
assis sur le fauteuil, je décidai d’y repenser. Jusque là, je ne m’étais jamais remémoré les faits. Je ne
sais pas pourquoi, mais jamais je n’y avait pensé. Pas une seule fois. C’était comme si j’en avais
peur, comme si quelque chose me bloquait. Mais là, d’un coup, alors que j’étais sur un fauteuil, le
souvenir de l’événement passé submergea ma conscience. Je ressentis le profond besoin d’une sorte
de «devoir de mémoire».
J’essayais de retracer les faits, de suivre une logique toute tracée. Seulement, je n’y arrivais pas.
Tout était flou. Tout cela avait l’air de ne pas appartenir à la réalité, pourtant, au fond de moi, je
savais que tout cela s’était bien passé. Il me fallait comprendre. Mais tout ça était incompréhensible,
inaccessible, comme une suite non structurée de symboles et de signes indéchiffrables. Je devais
simplement me résigner. Cette suite de signes appartenait aux arcanes déchus du Destin.
Je me mis à regarder le sol, perdu dans mes pensées, quand un cafard sortit d’en dessous du
fauteuil en déambulant lentement. Il y avait beaucoup de cafards dans les canalisations, et il arrivait
que parfois, ils s’aventuraient dans les maisons. Je le regardais, il se déplaçait oisivement, se
dirigeait vers un lieu inexistant. Il avait l’air perdu. Et je l’étais aussi. Je sentais que depuis cet
événement, quelque chose clochait en moi. Ma vie dérivait lentement, pareil à un bateau ayant
coupé les moteurs en plein milieu de l’océan. Le cafard s’arrêta net, comme foudroyé. Tout était
lié, je le sentais. Peut-être était il un fantôme. Non, il appartenait au réel, à ma réalité. Puis, il se mit
à bouger ses fines antennes et ses pattes unes à une, comme pour se débattre de l’emprise des fils de
sa destinée. Enfin, il reprit sa marche oisive, sur l’axe du temps.
Quant à moi, je le sentais, je dérivais. Lentement.
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