Le conseiller du roi
100 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Le conseiller du roi , livre ebook

-

100 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Trois romans en trois ans et deux prix littéraires ont suffi à Armel Job pour prendre une place remarquée parmi les nouveaux écrivains belges.





Abdication ! Abdication ! Printemps 1950. Belgique. Le pays est au bord de la guerre civile. Sur le pavé des villes wallonnes, les foules insultent le roi Léopold et, plus encore, Liliane Baels, la roturière promue princesse de Réthy, qu'il a épousée pendant la guerre au plus fort des souffrances de son peuple. Au fond des Ardennes, Henri Gansberg Van der Noot, le conseiller du roi, négocie et tire le lapin. Voilà qu'il séduit Aline, la fille du garde-chasse, en fait sa maîtresse, l'installe dans sa gentilhommière. Aline... Liliane... Bientôt, des injures s'étalent en lettres géantes sur les murs de sa résidence. Une nuit, le conseiller tombe nez à nez avec l'insulteur. Il le tue. Que faire ? Honnête homme, il veut se dénoncer. Mais ceux qui vivent autour de lui ? le garde-chasse, le jardinier, les servantes, sa maîtresse, et même son épouse ? font tout pour l'en dissuader : inutile scandale ! Puis voilà que son refus de participer à un complot pour le rétablissement du roi Léopold devient une source d'angoisse supplémentaire! Le pauvre homme ne sait plus où donner de la tête... Armel Job aime les histoires complexes où sa subtilité, son regard ironique et son humour se donnent libre cours. Tous les personnages qui gravitent autour du conseiller, les humbles comme les "grands", constituent un petit monde coloré et drôle. Le décor historique n'est que toile de fond: toute l'intrigue que déroule Armel Job est pur roman ? même si le héros est conseiller du roi. Cette histoire insolite, qui pourrait être un drame, se révèle une comédie enlevée et maîtrisée.





À trois kilomètres de là, dans le vestibule de la conciergerie, un semblable frisson dévale l'échine de Julien. Évidemment, Julien est trempé et la fraîcheur de la maison l'a saisi. Mais, surtout, sur le dallage, il y a précisément un corps allongé et, un peu plus loin, assis sur une marche de l'escalier, M. le conseiller, en chemise, tout débraillé, le visage barbouillé de noir autant qu'un mineur remontant de la fosse."Ah, Julien! Vous voyez?? Plutôt, Monsieur."Le conseiller gémit. Il se lève, s'avance jusqu'au cadavre, mais quelque chose le retient de passer de l'autre côté, près de Julien. Il s'arrête, les pieds derrière la tête du mort."Il s'était introduit dans le parc. Il s'est mis à courir. J'étais dehors. Alors, bêtement, je l'ai poursuivi. J'étais sûr que je tenais l'homme qui venait d'insulter Aline. Jamais, je n'ai eu l'intention, non, pas une minute, je n'ai voulu... Je vous jure. Il courait, il courait. Il a compris qu'il ne pourrait pas repasser par l'entrée, du fait que moi, je suivais l'allée. Alors, il a essayé de grimper au mur, il a glissé, il s'est retrouvé en bas, puis il a recommencé. Entre-temps, je suis arrivé. Il s'était agrippé au-dessus du mur. Il venait de se rétablir. Mais je l'ai attrapé avec le râteau. Les dents sont rentrées dans le col de sa chemise. J'ai tiré, j'ai tiré, je me suis acharné, la rage m'a pris, je l'avoue, parce qu'il se démenait pour m'échapper. Si au moins il était resté tranquille ! Il a basculé en arrière. Ça a fait un bruit, comme quand on marche sur une branche morte. Mon Dieu, Julien ! Il était par terre. Il ne bougeait plus.? C'est un accident, Monsieur.? Un accident? Mais c'est moi qui...? C'est tout de même un accident."Julien a le ton péremptoire de la confrérie des irréfutables. La pluie et plus encore la douche froide de ce corps allongé l'ont complètement dégrisé.Le conseiller ne connaît pas la confrérie. Dans son entourage, à l'exception du roi (et encore, si l'on peut dire), il n'y a pas eu de prisonnier. Les officiers ne comptent pas, ils étaient bien traités. Mais Julien est si catégorique, le conseiller si désemparé, qu'il se jette sur la première bonne raison de s'en remettre à sa voix tranquille: Julien est jardinier, oui; Julien est un brave type, d'accord; Julien a été prisonnier, voilà! Un prisonnier doit s'y connaître en morts. Combien de fois n'a-t-il pas été confronté à ce genre de situation? Le conseiller peut compter sur lui. Il l'a senti d'instinct en le rappelant par téléphone.Enfin, c'est ce qu'il se dit maintenant, car les choses ne se sont pas passées aussi instinctivement. Quand il s'est trouvé devant l'inconnu gisant face contre terre, il s'est penché, il l'a touché prudemment, puis il l'a appelé, il l'a secoué, il lui a donné des claques. Toute la fureur qui l'animait quand il l'arrachait du mur est retombée. "Ho! Ho! Debout! Allons, mon vieux, debout!"Rien à faire. Quelqu'un qui ne veut pas se lever, qui d'ailleurs ne respire plus, qui n'a plus de pouls, ça porte un nom, un nom terrible sur lequel, dans son effroi, le conseiller ne retombait plus. " Qu'est-ce qu'il se passe? Qu'est-ce qui arrive? Ça a craqué comme du bois mort ", marmonnait-il pour lui-même. "Mort? Oui, mort. Cet homme est mort."Le conseiller était navré. Vraiment il regrettait. Il a même bafouillé: "Pardon. Je ne l'ai pas fait exprès."? Ce que je ne comprends pas, Julien, c'est comment j'ai pu lui faire cet œil au beurre noir. Je l'ai attrapé par-derrière avec le râteau et il est tombé sur le dos. Je ne l'ai jamais pris de face. Ce n'est pas vous, Monsieur.? Comment ça?? Ce type était au café La République tout à l'heure. Je l'y ai vu. Son œil était déjà amoché.? Ah..."Comme Julien reste calme! Le cœur du conseiller se réchauffe légèrement. Julien va le sortir de là. L'expérience du prisonnier et, plus encore, le bon sens du peuple. Ces gens sont rompus à tout. La nature, la vie simple, sûrement. Et puis, la souffrance. Ils souffrent plus que nous, c'est inévitable. La guerre en captivité, pour tous ces hommes, ç'a été terrible, mais, en retour, ils ont acquis quelque chose d'invincible. Un avantage en quelque sorte. Le conseiller ne connaît pas le peuple. Comme c'est dommage! Soudain il brûle d'amour pour lui. Il s'accroche à Julien qui a réponse à tout. Sans doute même sait-il:"Ce garçon, vous le connaissez?? Comme ça.? Qui est-ce?? Il s'appelle Lambert. Lambert Renard, de Rochebeau. Je connais plutôt sa famille. Lui, il est trop jeune.? Qu'est-ce qu'il faisait dans la propriété? Croyez-vous qu'il puisse être l'auteur des inscriptions, puis du reste?? On ne sait jamais de quoi les gens sont capables, Monsieur."Tout à coup, cette platitude semble au conseiller un aphorisme digne de l'antique. Il y voit la clé, non seulement de la situation, mais de l'existence tout entière. De quoi était capable cet homme, de quoi est capable Julien subitement impressionnant d'autorité, de quoi est capable la foule occupée à secouer Léopold du cocotier royal, de quoi a-t-il été capable, lui, le conseiller, une bonne grosse bête transformée d'abord en séducteur et ensuite, sans crier gare, en meurtrier? " Sa famille est antiléopoldiste?? Sa famille? Ça m'étonnerait bien fort, Monsieur. Ils ne sont pas du genre à sortir de leur terrier. Mais lui, il revenait de la manifestation.Manifestation? Où ça?? En ville. C'est là qu'il a ramassé ce mauvais coup."Un jeune homme qui se donne la peine d'aller à une manifestation, qui s'y expose au point de se faire matraquer, qui s'introduit la nuit dans la propriété d'une personnalité notoirement acquise à la cause royale, au moins, l'affaire est entendue: tout concorde pour en faire le persécuteur d'Aline. Ce n'est pas à elle personnellement qu'il en voulait. Il s'en prenait à la liaison du roi avec Liliane dont il voyait la répétition dans la liaison du conseiller du roi avec Aline.






Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 mars 2011
Nombre de lectures 77
EAN13 9782221119952
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0112€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR
Chez le même éditeur
La Femme manquée , roman, 2000
Prix Emmanuel-Roblès, 2000
Prix des lecteurs de Viva , 2000
et de la ville d’Héricourt
Prix René-Fallet 2001
Baigneuse nue sur un rocher , roman, 2001
Helena Vanneck , roman, 2002
Prix Rossel des Jeunes, 2002
Grand Prix littéraire France/Wallonie-Bruxelles, 2002
Chez d’autres éditeurs
La Reine des Spagnes , L’Harmattan, 1995
La Malédiction de l’abbé Choiron , L’Harmattan, 1998
De la salade ! Memor, Bruxelles, 2000
Armel Job
LE CONSEILLER DU ROI
roman
© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2003
EAN 978-2-221-11995-2
Avertissement de l’auteur

L’histoire racontée dans ce roman se passe en Belgique en 1949 et 1950. Le pays connaît à ce moment de très graves troubles liés à « la question royale ». L’origine de cette affaire remonte à la Seconde Guerre mondiale.
Envahie par les armées allemandes le 10 mai 1940, la Belgique capitula le 28 mai. Un conflit opposa le roi Léopold III et son gouvernement. Le roi, en effet, refusa de suivre les ministres en exil. Il fut assigné à résidence par les Allemands au château de Laeken (Bruxelles). Faisant figure de prisonnier au milieu de son peuple, Léopold s’attira une grande popularité.
Cependant, en décembre 1941, les Belges apprirent que le roi venait d’épouser Liliane Baels, une roturière qui porterait le titre de princesse de Réthy. Depuis 1935, Léopold était veuf de la reine Astrid, morte dans un accident de voiture. Ce remariage eut un effet désastreux sur l’image du prisonnier royal censé partager les souffrances de son peuple.
Dans les derniers moments de la guerre, l’ennemi transféra Léopold en Allemagne. Une fois le pays libéré, Léopold et le gouvernement ne purent arriver à un accord permettant le retour du roi dans des conditions qui pussent satisfaire les deux parties. Le roi resta donc en exil jusqu’à l’organisation d’un référendum en 1950.
Rappelé à une faible majorité, le roi ne put se maintenir sur le trône que quelques jours, tant les désordres, particulièrement en Wallonie, prirent de l’ampleur. Dans la crainte d’une véritable guerre civile, Léopold préféra céder la place à son fils Baudouin.
 
Le texte qu’on va lire n’a aucune prétention à l’histoire ni même au roman historique. L’auteur s’est seulement autorisé de ce genre littéraire pour prêter à quelques grands d’un petit pays une place anecdotique dans son récit. Mais le conseiller du roi lui-même et son aventure sont tout droit sortis de son imagination.
1.

Le pied de M. le conseiller est bien enflé. Il le contemple d’un œil incrédule. Tout juste s’il ne lui parle pas. Qu’est-ce qui t’est arrivé, mon pauvre ? Qu’est-ce qui nous est arrivé ? Il est bleu, presque noir, jaune sur les bords, luisant comme s’il avait tout d’un coup engraissé. Le bandage et l’épingle de nourrice reposent sur le carrelage de la cuisine. Le pied est tout nu. Il n’ose pas se plaindre. C’est un peu tard puisqu’il n’a encore rien manifesté depuis l’accident, la veille. Il ne va pas commencer maintenant que la tête de M. le conseiller a bien d’autres embarras.
Le conseiller s’est levé à cinq heures. Il était éveillé depuis longtemps. Une veine à sa tempe gauche se convulsait comme un gicleur et expédiait des jets de sang douloureux à l’ourlet de son oreille. S’il enfonçait ce côté dans le traversin, la décharge envahissait l’angle de la mâchoire, les ailes du nez et, surtout, la gorge, qui s’affolait. S’il se tournait, il avait l’impression que les pulsations résonnaient autour de lui, au risque de tirer Aline du sommeil profond où elle avait sombré au sortir de ses bras.
Il ne pouvait pas rester comme ça. Il avait précautionneusement soulevé les couvertures et s’était glissé hors du lit. En touchant la carpette, ses orteils lui avaient aussitôt rappelé qu’une foulure – pourvu qu’on s’y intéresse, ce dont il n’avait guère eu le loisir jusqu’ici – c’est très douloureux. Il avait grimacé, enfilé une robe de chambre et était descendu en se cramponnant à la rampe. Il s’était assis à la cuisine sous le téléphone mural et l’avait actionné contre tout espoir, car il savait, comme tout le monde, que la demoiselle du téléphone n’est pas à son poste avant six heures.
Alors, pour tuer le temps, il avait défait son bandage et s’était retrouvé face à face avec ce gros paturon bleui, encore étonné de ce qui lui était arrivé. Est-ce qu’il avait mal ? Oui, oui, sûrement, mais il remettait à plus tard de s’abandonner à ses élancements. Il devait d’abord téléphoner.
 
Six heures moins cinq. La téléphoniste doit bien arriver au central quelques minutes avant de prendre son service ! Le conseiller donne quelques coups de manivelle. Enfin, une poitrine haletante lui répond :
« Bonjour, monsieur le conseiller ! Je vous prends tout de suite, le temps de m’installer.
— Bonjour, Jeannette. Pourriez-vous me donner…
— C’est pour une urgence, je suppose, monsieur le conseiller. J’appelle déjà Bruxelles.
— Non, non, Jeannette. Ce n’est pas pour Bruxelles. »
Cette fille est énervante. De quoi se mêle-t-elle ? D’abord, elle n’a pas à l’appeler « monsieur le conseiller ». Il est le numéro 18 qui demande un autre numéro. Point, à la ligne. Évidemment, à Barzée – 224 habitants dont moins de 30 abonnés –, Jeannette connaît tous les numéros du village et même de sa zone. Elle vous identifie sur-le-champ. À l’autre bout du fil, personne ne se met en peine non plus de consulter l’annuaire. (La souplesse de son papier lui confère un bien meilleur emploi aux cabinets.) On se contente de dire à Jeannette : « Passe-moi le boucher, Jeannette ! Ou celui-ci ou celui-là. » Donc elle en use avec le conseiller comme avec tous ses correspondants, abstraction faite d’un léger rengorgement bien compréhensible. Ce n’est pas rien tout de même de prendre un appel de M. Gansberg van der Noot, conseiller du roi, qui, depuis sa gentilhommière de Barzée, contacte des sénateurs, des ministres, quand ce n’est pas le palais royal lui-même. Il est vrai également que le conseiller a eu recours à ses services ces derniers temps plus souvent qu’à son tour. Maintenant qu’il est établi que la consultation populaire sur le retour du roi aura lieu dans quelques mois, au printemps 1950, il n’a plus la moindre tranquillité, même en fin de semaine quand il est à Barzée, et il multiplie les coups de fil à des heures indues. Jeannette s’est promue agent de liaison, et même, dans son for intérieur, assistante de M. le conseiller : elle l’accable de sa dévotion.
« Donnez-moi le 52 à Rochebeau.
— Le 52 ? C’est bien Grosjean, le garde-chasse ?
— De fait.
— J’hésite, voyez-vous, monsieur le conseiller, parce que Rochebeau, c’est à vingt kilomètres : ça nous met presque en dehors de mon secteur.
— Peu importe, Jeannette. Le 52, je vous prie.
— Voilà ! »
Tandis que le récepteur s’emplit de crachotements, la tempe gauche du conseiller se remet à gargouiller, son oreille palpite et il entend sans le moindre doute son cœur cogner à son diaphragme. Que va-t-il pouvoir dire au garde-chasse ? Comment expliquer à ce brave homme ?
« Allô !
— Monsieur Grosjean ?
— Oui.
— C’est Gansberg van der Noot, ici, monsieur Grosjean.
— Qui ça ?
— Gansberg, le conseiller du roi. J’étais à la chasse hier.
— Ah, monsieur le conseiller ! Faites excuse. Bien sûr, bien sûr. On n’entend pas très bien, voyez-vous.
— Monsieur Grosjean, je suis vraiment confus, j’aurais dû vous prévenir. Votre fille, Aline, est ici, chez moi, à Barzée. Elle a passé la nuit… sous mon toit.
— …
— Je… Oui… Vous savez que je me suis fait une entorse hier à la fin de la battue. Aline m’a gentiment secouru et, comme je ne pouvais plus conduire ma voiture – impossible d’appuyer sur les pédales &#

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents