Les Châtiments
119 pages
Français

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Description

Paul Verneleix, un riche porcelainier, vient de perdre son épouse Elisabeth dans l'incendie criminel de leur maison. Aussitôt les soupçons pèsent sur le mari, qui refuse de donner son alibi. Claudius Renoir arrive dans le Limousin dans cette ambiance. Là, il retrouvera Anne-Laure Matignon et le commissaire Martinaud, avec l'aide de qui il tentera de découvrir les véritables meurtriers d'Elisabeth Verneleix. Entre trahison, arrivisme, franc-maçonnerie et crimes sordides, Claudius Renoir aura tout le mal du monde à faire la lumière sur cette affaire et connaîtra lui aussi le poids des châtiments.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 juin 2014
Nombre de lectures 253
EAN13 9782365751797
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Stéphane Bein Les Châtiments
1
Depuis près de trois cents ans, l’histoire de la Haute-Vienne est étroitement liéeà celle de la porcelaine qui vit les fortunes se faire et se défaire comme autant de Pénélope recommençant sans cesse leur ouvrage. Les Alluaud aujourd’hui oubliés, les Bernardaud et leur slogan encore dans toutes les têtes : « Bernardaud, porcelaine de Limoooogeux », les Legrand devenus leader mondial des composants électriques, les Haviland, ces frères ennemis, les Du Garreau ruinés, chassés de Saint-Yrieix-la-Perche alors que balbutiait un semblant de République. Depuis près de trois cents ans les porcelainiers vivent dans la même crainte, celle du voisin, de l’étranger. Le Francilien d’abord et ses porcelaines de Sèvre, le Berrichon suivant, l’Allemand ensuite, ennemi de toujours qu’il soit de Saxe, de Bavière ou de Bohême, le Chinois aujourd’hui, le Malaisien, et qui sait demain… Mais le véritable ennemi est intérieur, il ronge l’activité porcelainière jusqu’à la réduire comme peau de chagrin à la marginalité ; un mal interne gangrénant ce corps vieillissant qui connut son siècle de gloire et achève sa pénible vie dans la décadence ; un mal simple : l’orgueil. Orgueil de ne pas avoir voulu s’adapter à ce siècle de guerres et de crises économiques, ce siècle de paupérisation, ce siècle malade comme le monde qu’il enfanta. Orgueil, face aux faillites successives, assis sur son trône, couronné d’une vieille aura de luxe, regardant de haut ce jeu de dominos s’effondrer dans une course folle et criant ces Ultima Verba empruntés à Victor Hugo : Si l’on est plus de mille, eh bien, j’en suis ! Si même Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ; S’il en demeure dix, je serai le dixième ; Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! 1 Mais en restera-t-il seulement un… *
– Tu vas crever salaud ! Quatre mots qui tirèrent des doux bras de Morphée la fine silhouette paisiblement endormie entre les couvertures de son lit. Elle n’eut pas de temps de pousser un cri, pas le temps de jeter un regard fugace au radio-réveil, de voir qu’il était à peine 2 h 20, pas même le temps d’écarquiller les yeux en leur intégralité, qu’un oreiller venait se coller violemment sur son visage et que des coups répétés tambourinaient dans son ventre. Un coup, deux coups, trois, quatre, les poings de l’homme martelaient son abdomen à un rythme effréné. Sous les impacts, son corps s’enfonçait dans le matelas, l’agitant de soubresauts pareils à une poupée de chiffons désarticulée. La victime tapait des pieds convulsivement telle une hystérique, remuait les épaules, agitait les bras, cherchant en vain à se dégager de l’étau qui la maintenait rivée au lit, ses cris étouffés allant se perdre dans l’épais carré de plumes. Sous les coups réitérés, alors que, suffocante, l’air lui manquait et que ses viscères éclataient un à un dans son ventre, elle sentit ses côtes se briser, perforant ses poumons. Un relent âcre remonta le long de sa gorge, suivi d’un flot de sang mêlé de salive bouillonnante et grumeleuse qui, après avoir brûlé sur son passage sa trachée, vint inonder sa bouche de cette lave acide. Impossible de cracher cette bouillie d’entrailles qui emplissait sa cavité buccale à chaque tentative d’inspiration. Elle bougeait la tête de gauche à droite, comme animée de spasmes, comme possédée par un quelconque démon, cherchant à fuir l’étreinte qui maintenait l’oreiller plaqué sur sa face, cherchant un peu d’air, la dernière bouffée, celle du condamné. Les coups s’accélérèrent, ponctués par le souffle de l’homme alors que la victime en apnée se noyait dans son sang, imbibant d’hémoglobine l’oreiller jusqu’à l’en transpercer. À l’averse de coups de poings succédèrent des coups de pieds, plus forts, toujours plus forts, défonçant au travers des couvertures ce corps en bouillie aux portes de l’agonie. La victime, qui ne se débattait déjà plus, sentait, comme dans un rêve cotonneux, le cuir tanné des talons des mocassins de l’homme lui saccager les viscères tandis que la douleur déjà, après avoir été insupportable, devenait imperceptible, que son âme glissait vers l’au-delà. Le matelas, les couvertures, l’oreiller, le lit en son entier n’étaient plus qu’une mare de sang et ce corps ne s’agitait plus que sous la violence des coups répétés mille fois. Enfin, dans une gerbe d’entrailles liquéfiées, le dormeur expira. Les coups cessèrent, l’oreiller ensanglanté se souleva, révélant le visage d’une femme, le faciès marbré du bleu des noyés, nimbé de rouge comme un nouveau-né et les yeux écarquillés, fixés à jamais sur le néant. Les deux hommes se figèrent, statufiés par le regard du basilic. Seuls leurs yeux
interrogateurs couraient dans leurs orbites, passant sans interruption du corps inerteà leurs visages respectifs. – C’est quoi cette merde ? jura celui qui avait maintenu l’oreiller. – Il est où le type qu’on devait dézinguer ? C’est qui cette pute ? Merde t’es qui! T’es qui ! Et il shoota dans le cadavre une fois, deux fois, trois, posant à chaque coup de pied la même question toujours plus fort : « T’es qui » quatre fois, « T’es qui» cinq, six, dix, vingt. – Arrête, merde, t’es con ou quoi, arrête ! hurlait son complice en le maintenant par la taille tandis qu’obnubilé, ivre de violence, il redoublait ses coups, déplaçant à chaque frappe le corps de quelques centimètres, laissant derrière lui une large traînée de sang, comme un phoque moribond sur la banquise. Le type finit par se calmer, éreinté, le souffle court et rapide. Il porta sa main droite à son cœur, le palpitant s’emballait. À cinquante-cinq ans il fallait qu’il fasse gaffe, pas d’efforts inconsidérés avait dit le cardiologue, « Vous avez la santé mais vous n’avez plus vingt ans… » L’autre relâcha son étreinte, essuya une nouvelle fois la sueur qui coulait le long de ses tempes, passa sa main dans la poche revolver de son veston, en tira un paquet de clopes souple, tapota de l’index au cul et une cigarette présenta son filtre orangé. Il la porta à sa bouche, fouilla son autre poche, en tira un briquet. Du pouce il en fit rouler la molette, une flamme vint éclairer son visage gris le temps d’allumer sa cigarette. Alors qu’il éteignait le briquet, il inspira une grande bouffée de fumée qu’il sentit sillonner son corps jusqu’à la moindre alvéole de ses poumons. Il bloqua sa respiration une fraction de seconde avant d’expulser le poison par les narines. – T’es calmé ? – Putain ! Mais c’est qui ? – On s’en cogne, c’est trop tard… Il porta à nouveau la cigarette à ses lèvres, aspira profondément l’âpre vapeur avant de poursuivre dans un nuage de fumée : Va à la bagnole et ramène-moi le bidon.
2
Claudius Renoir arriva en gare de Limoges par le train de 13 h 42 en provenance de Bordeaux où il venait, pour le compte de son ami David Griffith et d’Interpol, de démanteler un réseau de trafiquants de faux vins de Saint-Émilion. Il en gardait en mémoire la douceur de cette région et un goût de tanin sur les papilles quand il posa le pied sur le sol limougeaud au cœur de la gare des Bénédictins. Quel étrange édifice, cette gare à la fois gracieuse et massive suspendue au-dessus des voies, avec son style art déco tardif, son campanile culminant à quelque soixante-neuf mètres, son dôme de cuivre, ses vitraux, ses statues – allégories des régions nourricières de la France -, son parvis de marbre qu’il traversait à présent à grand pas en direction de la sortie, bercé par les annonces nasillardes signalant des trains éternellement en retard. Il déboucha sur la rue, et décida de s’installer à la terrasse du Café de la Gare. Il faisait beau en ce mois de septembre finissant, peut-être les derniers rayons de soleil de l’année. Il s’assit de manière à s’offrir une vue imprenable sur la place Maison-Dieu en contrebas, où jadis officiaient les prostituées, et de l’autre côté de la rue, en vis-à-vis, le Champ de Juillet et sa fontaine où elles opéraient aujourd’hui, profitant du va-et-vient incessant d’une fourmilière d’hommes et de femmes aux mouvements anarchiques. Il s’amusait de cette vie à laquelle il ne participait pas. Il y a longtemps qu’il avait renoncé à ces trépidations modernes, cette vie à cent à l’heure qui ne fait, finalement, que nous ralentir. Où allait-il, celui-là, presque courant ? Et ce joggeur, à combien de tours du parc en était-il ? Et elle, avec sa jupe portée par le vent, va-t-elle rejoindre un amant ? Un serveur tout de noir et de blanc vêtu, souffrant visiblement de la chaleur tel un pingouin sous les tropiques, vint prendre la commande de Claudius. Ce dernier consulta son portable, il était 13 h 45, il avait une bonne heure à tuer avant son rendez-vous.
Il devait retrouver Anne-Laure Matignon sur le coup de quinze heures au BAL, le musée des Beaux-Arts de Limoges où son amie avait sollicité son regard d’esthète pour finir d’authentifier une sanguine de Delacroix récemment acquise par la municipalité.
Il commanda un Southern Comfort et demanda le journal. Le jeune homme revint quelques minutes plus tard, déposa le verre devant son client et toute la presse locale qui se résumait en deux quotidiens, L’Écho de la Haute-Vienne et Le Populaire du Centre, que les gentillets du cru appellent affectueusement le Popu. Claudius Renoir chaussa ses lunettes, déplia le Populaire et commença, comme tout le monde ici, par la rubrique nécrologique. Il parcourut la liste de noms qui ne lui disaient strictement rien, des anonymes que pleurait seulement leur famille. Amandine Florentin décédée dans sa dix-neuvième année, probablement un accident de la route en sortant de boîte, Raymond Bertrandeau qui laisse aujourd’hui une veuve de 97 ans, six enfants, quinze petits-enfants et trois arrière-petits-enfants, et puis Elisabeth Verneleix, née Baltriand, qui quitta son époux dans la nuit de vendredi à samedi à l’âge de 59 ans, ou encore Théodore Malmaison, 75 ans, Corinne Montreau, 43 ans, Sylvette Deschamps, 104 ans…
Il replia le journal, frotta sa courte barbe comme on gratte le ventre d’un chien dans une amicale caresse et but une gorgée de sa liqueur de whisky qui réchauffait lentement au soleil, les yeux plongés dans cette vie en contrebas qu’il contemplait sans comprendre cette folle frénésie alors que tous, lui y compris, finiraient en caractères gras dans la page la plus lue des quotidiens régionaux. Sylvette Deschamps réclamait peut-être la mort depuis des années, allongée sur son lit d’hôpital alors qu’Amandine Florentin rêvait sans doute d’être mère, puis grand-mère et finir paisiblement ses jours aux côtés d’un amoureux qu’elle n’avait probablement pas eu le temps de rencontrer. Et Elisabeth Verneleix qui laisse peut-être un époux charmant à l’aube d’une retraite patiemment espérée alors que la veuve de Raymond Bertrandeau aura été, pendant les soixante-dix-sept ans que dura leur mariage, une femme battue. Y avait-il une logique à tout cela, à la vie, à la mort ? Y avait-il une justice, serait-elle simplement divine ?
Claudius Renoir agita la tête pour chasser ces idées noires, porta de nouveau son verre à ses lèvres, laissa glisser le nectar au goût de fruits et d’épices dans sa bouche avant de l’avaler et reprendre la lecture du journal.
À la rubrique fait divers, entre un accident camion contre voiture sur l’autoroute A20 et une grange incendiée lors d’un barbecue en famille à Solignac, on déploraità Saint-Yrieix-la-Perche l’incendie de la maison de monsieur et madame Verneleix. La gendarmerie était sur les rangs mais l’enquête n’avait pas révélé s’il s’agissait d’un accident ou d’un acte de vandalisme. Toujours à Saint-Yrieix, le corps d’une femme avait été retrouvé nu et atrocement mutilé au pied de la tour du Plô. Il s’agirait de madame Verneleix, l’épouse du célèbre industriel arédien. Une fois de plus, Claudius Renoir reposa le journal et se frotta la barbe entre le pouce tendu et l’index replié,
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