Les Destins du hasard

Renée Biron

Description

Le drageoir, ou le singulier et tortueux parcours d’un flamboyant objet ballotté par l’histoire française ou les cœurs vacillants des hommes. "Le plaid", ou comment le meurtre d’un Corse et l’omerta empêchent l’amour de deux jeunes qui se rencontrent à Paris. "Monsieur Villemanche", ou la truculente visite d’un sous-préfet du continent sur l’île de Beauté… Soit "Les Destins du hasard", recueil marqué par les thématiques du détour et des méandres du sort, dont les trois nouvelles donnent de l’âme humaine un tableau cynique, cruel ou amusé. Un plaisir à orchestrer les trajectoires des héros – qu’ils soient animés ou non – transparaît dans chacune des nouvelles de Renée Biron. Marionnettiste à l’ironie prégnante, conteuse capable de nous emmener sur des sentiers escarpés et pouvant aboutir au renoncement, à la découverte d’un trésor ou au rire, l’auteur atteste ici de sa dextérité, de sa virtuosité, de ses aptitudes à manier le léger et le dramatique, mais encore d’un esprit piquant et lucide quant à l’homme et à ses faiblesses.

Informations

• Publié par: publibook
• Nombre de lectures: 14
• EAN13: 9782748363890
• Langue: Français

Extrait

Les Destins du hasard

Renée Biron Les Destins du hasard

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Le drageoir Le Vicomte de Clermont était un homme d’une grande finesse. Comme il habitait loin du palais de Versailles il avait reproduit, dans les trois hectares qui lui servaient de jardin d’agrément, la perfection classique de le Nôtre dont les lignes bien franches et les fuites horizontales favorisaient le badinage philosophique ou la tendre logorrhée amou- reuse. En ce matin doux de printemps 1685, tandis que l’air volage venait à peine déranger la multitude verte des peti- tes feuilles composant ce jardin de rêve, le vicomte, près d’un séraphin en marbre, les manches de sa chemise re- montées jusqu’aux coudes, tenait dans ses mains vigoureuses un bâton de bonne dimension. Voilà six mois maintenant que la disgrâce l’avait con- traint de retourner dans ses terres de province, l’honneur sali à cause d’un objet volé. C’était le duc de Brémont qui avait réussi à souffler l’information à l’heure du petit le- ver, opération délicate dont les conséquences peuvent être aussi désastreuses que les espoirs de promotion qu’on y met sont grands. Par chance pour le duc on fit grand cas de cette information et l’on en profita pour rappeler au vi- comte certains manquements à l’étiquette dont le vol de l’objet, un drageoir, mettait aussi en lumière le peu de zèle qu’il avait mis à remplir sa fonction de maintenance de l’orfèvrerie. On ne retrouva pas le drageoir ni le voleur mais les au- rait-on retrouvés, cela n’aurait rien changé au cours des choses… Le vicomte fut banni et le duc de Brémont récu-

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péra non seulement les faveurs mais aussi les apparte- ments du Vicomte. Une semaine avant le début du printemps, un cuisinier, du nom de Barthélémy, avait fait savoir au Vicomte de Clermont, qu’il manquait un plateau en argent dans le grand vaisselier de la cuisine. L’ennui mortel qui le ga- gnait depuis six mois fut un peu excité par cette nouvelle ; et quand on fut assuré que le plateau avait bel et bien dis- paru, le vicomte chargea le cuisinier de mener l’enquête. Le voleur fut vite retrouvé. C’était l’un de ses valets de chambre dont le zèle à Ver- sailles l’avait pourtant amené à le garder près de lui pour les taches quotidiennes et notamment l’entretien de l’orfèvrerie. « Mais bien sûr ! pensa le Vicomte, Dieu me pardonne pour ma bêtise… » Sous la paillasse du valet on retrouva le plateau en ar- gent, ainsi que d’autres objets, comme une gorgerette en toile de Hollande et une paire de pendants d’oreilles en cailloux du Rhin car le drôle avait une attirance irrésistible pour l’épouse du Vicomte. Mais on ne trouva pas le drageoir. Comme le valet ne voulait toujours pas avouer, son maître supposa qu’une bonne séance de bastonnade délie- rait sans doute la langue du coquin. Voilà pourquoi le Vicomte se tenait, le bâton à la main, à la gauche du séraphin rieur, en ce doux matin de 1685, tandis que le valet guillaume, les deux mains posées contre la statue, le corps légèrement penché, attendait les pre- miers coups. Ce furent d’abord quelques tapes mesquines sur les mollets, que le Vicomte asséna de façon fort ingénieuse, c’est-à-dire en geignant comme un homme donnant déjà toute sa mesure, tandis qu’en vérité, il retenait son bras ; de sorte que le maraud se crut à l’abri de la souffrance.

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