Madame Tabard n est pas une femme
41 pages
Français

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Madame Tabard n'est pas une femme , livre ebook

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Description


Clin d'œil au film Baisers volés de François Truffaut, ce roman cinéphile confronte trois points de vue sur une même rencontre amoureuse. Émouvant, délicat et sensible, Madame Tabard n'est pas une femme se lit comme on regarde un film... de la Nouvelle Vague, évidemment.






Tandis que résonnent dans la salle du Royal Palace les premières répliques du film Baisers volés, Hannah, la jeune projectionniste, se souvient. Enfant, lorsqu'elle vivait seule avec sa mère, un homme s'était présenté chez elles, un soir, sous le nom farfelu de " Fabienne Tabard ", un des personnages féminins du film de Truffaut. En vérité, ce n'était autre qu'Antoine, l'homme dont sa mère venait de tomber amoureuse et qu'Hannah rencontrait pour la première fois. Drôle, léger, séduisant, mais papillonnant d'un cœur à l'autre, Antoine se révéla hélas incapable d'aimer, et finit par disparaître de leurs existences. Certaines rencontres ont pourtant un effet à retardement, et certaines coïncidences nous inciteraient presque à croire au destin. À moins que ce ne soit la " magie du cinéma " ? Dans la pénombre du Royal Palace, un dénouement inattendu se prépare... Peut-être un happy end ?
Hommage à la passion du cinéma qui pénètre nos inconscients au point d'influencer nos vies, ce roman à trois voix est construit comme un flash-back qui remonte les époques jusqu'à nos jours. Récit triangulaire entre une fille, sa mère et son amant, l'intrigue nous livre trois facettes d'une histoire commune. Comment une jeune fille se construit-elle avec comme modèle celui d'une mère qui ne parvient pas à retenir l'homme qu'elle adore ? Qu'attend encore de l'amour une femme célibataire de quarante ans ? Que peut bien se raconter à lui-même un homme sans attaches - et fier de l'être - pour justifier son incapacité à s'engager ? Grâce au charme de son écriture toute en finesse, Elsa Flageul épouse avec la même véracité les réflexions de chacun de ses trois personnages et dévoile, par touches subtiles, l'intimité de leurs pensées. Un conte de fées moderne, mais sans mièvrerie.









Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 janvier 2011
Nombre de lectures 55
EAN13 9782260019121
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

:
DU MÊME AUTEUR
Chez le même éditeur
J’étais la fille de François Mitterrand, roman, 2009
ELSA FLAGEUL
MADAME TABARD
N’EST PAS UNE FEMME
roman
Julliard
© Éditions Julliard, Paris, 2011
ISBN 978-2-260-01912-1
Ouvrage publié sous la direction de Betty Mialet
Pour ma mère
L’auteur, en résidence d’écriture à Moret-sur-Loing de janvier à mars 2010, remercie la mairie de Moret-sur-Loing pour son soutien, et plus particulièrement Julie Remfort et Patrick Septiers.
Hannah
Cinéma Le Royal Palace, aujourd’hui
La porte de la grande salle s’ouvre dans un grincement et quelques spectateurs se retournent pour signifier très clairement que cela les dérange. Il y en a même un qui souffle, l’air de dire : C’est un monde ça. Tous entendent. Mais pas l’intéressé. Lui n’a pas l’air de voir les têtes se retourner, d’entendre le souffle le sermonner : il reste interdit, le dos collé contre la porte, ne cherche pas tout de suite une place. Tout dans son attitude dit qu’il est hagard, groggy, mais du haut de sa cabine de projection Hannah ne distingue pas encore son visage, ni son corps, elle ne perçoit qu’une présence dans le noir et tout de suite cette présence lui semble familière. Sans savoir pourquoi.
L’homme se déplace finalement puis s’assied en bout de rang pour ne pas déranger davantage, à l’aveugle il saisit le rabat du fauteuil et s’y laisse choir comme on lâche prise. D’autres visages se retournent. Cet homme est décidément bien bruyant pour quelqu’un qui arrive en retard.
On ne l’entend plus.
Hannah pourtant ne voit que lui, dans le noir elle le voit, ses yeux sont perçants, affûtés comme ceux d’un chat : elle cherche son regard, son nez, sa bouche, elle cherche la ressemblance comme on pose un calque pour faire une copie, cela colle si bien, c’est évident, il y a des années pourtant, longues et importantes, où l’on change comme on dit, mais ces années deviennent poussière soudain, il lui semble d’un coup qu’elles l’ont oubliée, laissée dans un coin et qu’elle est restée la même. La même Hannah devant le même Antoine.
Quand l’enfant que j’étais me fichera-t-elle enfin la paix pense-t-elle alors.
Quand Hannah était petite, Alma aimait lui raconter, les yeux pétillants et la voix confidente, une histoire qui les fascinait toutes deux et dont elles ne se lassaient pas : Quand tu étais bébé, alors que nous nous promenions toutes les deux au jardin, nous avons croisé Jean-Pierre Léaud, l’acteur. Il s’est arrêté devant toi, il t’a regardée avec sérieux et soudain, comme un besoin irrépressible, il t’a caressé la joue, dans un geste un peu brusque et enveloppant à la fois. Il n’a rien dit, il ne m’a pas regardée et il est parti. Comme un songe, comme une apparition. C’était magique.
Et Alma refaisait le geste, la caresse.
Souvent Hannah se racontait cette histoire pour elle-même et elle se sentait si fière qu’elle craignait soudain que l’histoire ne soit fausse, qu’elle n’ait jamais existé, qu’elle soit un de ces mensonges que l’on fait aux enfants comme la petite souris ou le Père Noël.
Alors elle regardait les films, elle le regardait lui surtout et elle savait que c’était vrai. Bien sûr que Jean-Pierre Léaud lui avait caressé la joue. Bien sûr qu’il n’avait regardé qu’elle. Bien sûr qu’il l’avait choisie parmi tous les enfants du jardin. C’était évident. Même bébé il avait dû sentir cette intimité. Bien sûr. Même bébé.
Pour la première fois depuis longtemps, Hannah projette Baisers volés en pensant à cette histoire.
Bonheur fané, cheveux aux vents, baisers volés, rêves mouvants
1981
Instant no 1 : J’ai six ans. Un homme sonne à la porte, c’est toujours moi qui vais ouvrir. Il porte des lunettes de soleil bien qu’il fasse nuit. Il dit bonjour, ne demande rien, ne se présente pas. Je sais pourtant qu’il connaît ma mère, en un regard je le sais cela crève les yeux. Je lui demande timidement : Qui dois-je annoncer ? Il sourit de cette formule, soupire, puis dans un éclat de rire répond : Fabienne Tabard.
Fière comme une oie je vais chercher ma mère. De quoi suis-je fière je l’ignore, mais je le suis tant que je me dandine dans le couloir comme une racoleuse de saloon. Je me sens porteuse d’une missive importante, capitale même, je me sens pigeon voyageur. Je me sens aussi, sans savoir pourquoi, oiseau de mauvais augure, annonciateur de fléau : le pigeon devient un corbeau teigneux. Je n’ai pas vu le regard de l’homme derrière les verres fumés mais j’ai senti la menace sourde, oui, il puait le désordre et la liberté.
J’annonce tout de go à ma mère : C’est Fabienne Tabard.
Son visage s’éclaire, elle comprend, puis s’empourpre, elle comprend, puis s’embrume, elle comprend.
Elle précise, sans me regarder, le corps et la tête déjà avec lui : C’est Antoine, tu sais, Antoine.
Comme si je le connaissais, comme si je savais, comme si cet Antoine faisait partie de la famille. Puis elle ajoute : Fabienne Tabard c’est la belle femme blonde à la voix si particulière dans Baisers volés, tu te souviens, mais si Hannah tu te souviens ?
Mais non je ne me souviens pas, j’ai beau chercher dans ma petite tête tout cela sonne creux, Baisers volés connais pas, Fabienne Tabard connais pas et Antoine encore moins.
Elle le rejoint alors, sa bouche s’agrandit, ses yeux étincellent et ils se mettent à rire. Moi aussi, derrière eux en retrait je ris, sans savoir pourquoi, je ris comme une bossue. Fabienne Tabard c’est hilarant c’est sûr, en fait je ne cherche même pas à comprendre, je ne veux même pas comprendre, leur rire et leur complicité me suffisent. Je me sens bien là, épargnée, protégée par ces adultes qui existent sans moi. Qu’ils fassent ce que bon leur semble mais qu’ils me gardent auprès d’eux, à se laisser bercer par les voix et les rires, par les chuchotements et les paroles interdites. Comme il est bon d’exister ainsi, en marge de la vie, à côté de l’amour et de la passion des autres, comme il est bon de grandir dans cet interstice étroit et douillet : personne ne me voit, personne ne m’entend, les adultes s’aiment et ils sont heureux, cela me suffit.
Mais ils s’en vont. Étrangement, ma présence n’a l’air ni douillette ni confortable. Ils vont au restaurant, au bar, au dancing, ils vont explorer la nuit sans moi et me laissent sur le carreau. Moi qui aime tant les adultes, moi qui ne suis jamais aussi bien qu’avec les copines de ma mère, cette fois je n’y ai pas droit, circulez y a rien à voir.
Comme je les envie. Comme je voudrais être adulte.
À ce moment précis, je donnerais tout pour ne plus être une enfant. Un jour un homme m’emmènera dans des endroits enfumés et sombres, il me serrera dans ses bras, il me fera des blagues et je les comprendrai, j’aurai un rire éclatant et fort, le genre de rire qui ne passe pas inaperçu et se reconnaît entre mille, un jour un homme me susurrera des mots d’amour (cela donne le vertige), ses mains iront me caresser la naissance des cheveux et ce creux si joli au tout début de la nuque.
Et je trouverai cela normal, oui c’est à peine si je le sentirai.
Un homme m’aimera et ce sera normal.
La normalité de cet amour sera plus forte encore, plus étonnante que cet amour même.
J’ai hâte. Tellement hâte que cela me déchire. Le temps est une grande douleur quand on y pense.
Ma mère n’est revenue que le lendemain. Qui s’est occupé de moi cette nuit-là je ne m’en souviens pas, que s’est-il passé entre-temps je ne m’en souviens pas, seul son visage apparaît, détaché du reste, flottant au milieu des souvenirs : joues rosies lunettes de soleil de l’homme sur le nez cheveux emmêlés bouche sèche. Visage tourmenté. Silence dans la maison.
Elle a passé la journée entière dans sa chambre.
Je suis restée un moment devant sa porte, oreille tendue souffle court pointe des pieds, à tenter de saisir le moment opportun pour briser son intimité. Ce moment n’est pas venu. Je ne suis jamais entrée.
Pourtant, parfois, j’aurais juré qu’elle pleurait.


Instant no 2 : Fabienne Tabard traverse l’appartement. Comment y est-il entré c’est un mystère. Il fait nuit. Je ne sais pas si j’ai dormi. Il est nu. Je vois son dos, ses fesses non je ne regarde pas, je vois son dos. Moite et brillant. Il marche en toute impunité, avec l’assurance de celui qui se sait roi. Sa nudité est choquante parce que je suis là, je le sens, sa nudité n’est choquante que parce que je suis là. Je comprends : les petites filles rendent la nudité des hommes écœurante.
Mais il ne sait pas que je le vois. Sait-il seulement que je suis là ? La nuit les enfants n’existent plus, doit-il penser, le sommeil efface le contour de leur petit corps, leur esprit vogue dans le ciel avec le petit cheval de Georges Brassens, avec les oiseaux d’Émilie Jolie, lovés dans leurs longues plumes qui les caressent et les protègent. La nuit, des milliers d’enfants ne sont plus que cela, des figurines rassurantes qui volent dans les nuages, parlent aux fleurs, tutoient les océans.
La nuit pourtant les enfants entendent parfois un homme gémir dans le silence, aimer comme ils ne peuvent l’imaginer, le concevoir, ils l’entendent, les images viennent sans nuages sans petit cheval dans le mauvais temps qu’il avait donc du courage.
Madame Tabard n’est pas une femme, c’est une apparition
1984
Nous ne nous tenons pas la main en marchant. Nous ne nous tenons jamais la main en marchant. J’aime courir au-devant, en éclaireur. S’il se passe quelque chose c’est moi qui la préviendrai, s’il y a un problème, un danger c’est moi qui la protégerai.


Nous voilà devant la façade, il y a la queue, d’autres enfants avec leurs parents, comme je suis heureuse de faire partie de toute cette harmonie, comme je me sens forte d’appartenir à tous ces enfants si normaux, on se croirait dans un livre d’images, chaque chose est à sa place, tout est bien.
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