une histoire de famille
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6 nouvelles présentées par Paul Bonnefoy au concours de nouvelles Étonnants Voyageurs en 2009. Thématique : le voyage.

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Publié le 09 septembre 2011
Nombre de lectures 109
Langue Français

Extrait

Une histoire de
famille
Paul Bonnefoy
L’aïeul Guy de Guysburne qu'on l'appelait l'ancêtre, parce qu'il en avait qu'une, avait maraudé de par les mers durant toute sa longue vie (55 ans) de corsaire au cœur d'or. Ah c'était pas vraiment flatteur comme nom, mais bon, à l'époque ça faisait frémir les rombières dans leurs dessous matelassés comme du cousu main. Faut dire qu'il avait été à bonne école, le bougre. Mais laissez-moi donc vous raconter un peu son histoire… Il est né sous le règne de François 1er, dans la belle ville d’Étampes. Avouez que c'est pas un coin banal pour devenir corsaire, quoique marins d'eau douce pourquoi pas. L'année d'sa naissance, j'peux point vous l'dire quand c'était, mais ça doit se trouver dans les archives ce genre d'info. Enfin, bref, le petit Guy grandit comme un sobriquet dans la tête des gens. A quinze ans révolus, il traînassait souvent du côté de l'hôtel particulier de la dame de Pisseleu, vous savez, la favorite. A l'époque, c'était elle la cheftaine ! Faut dire qu'une beauté pareille, ça se remarquait, elle avait les plus beaux yeux globuleux de tout le royaume. Oui, bon, les critères de beauté étaient pas les mêmes que maintenant, drôle d'époque. Quoiqu'il en soit, la salamandre lui filait tout miel entre les doigts, et Étampes était une des villes les plus riches du royaume. Le petit Guy, qui grandissait vite et qu'était plutôt bégueule, avait vite fait de rentrer dans ses p'tits souliers. Il devint le favori d'la favorite en quelque sorte ! Ah, drôle d'époque.
Enfin, bon, j'vous refais pas l'tableau, parce que j'ai toute une histoire qui attend. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'à la mort du King , et bin vive le King ! Riton le deuxième du nom, fils du François, prit place et installa pénates et pétasses à la cours. La vieille Anne de Pisseleu, plus en état de grâce, se fit jarter manu militari par la nouvelle favorite, à savoir Diane de Poitiers. Et bien sûr, quant une favorite dégage du paysage, elle entraîne avec elle tout son petit monde, question de pas se retrouver avec du poison dans la soupe, voyez…
L'histoire est plutôt floue sur ce qu'il advint d'elle, mais moi j'peux vous rencarder sur le sujet. La belle avait ses habitudes chez un autre monarque plutôt bon parti : Charles Quint. Elle s'embarqua donc direction l'Espagne avec son mignon, le jeune Guy. Alors ce que je vais vous raconter ensuite, vous le gardez pour vous, hein ? Parce que faut pas trop perturber l'Histoire dans sa marche officielle. Après on a des ennuis avec les autorités plus-où-moins compétentes, toussa toussa. Mais il se trouve que, suite à la mort de sa bienfaitrice, le bon Guy se retrouva dans les armées navales du Quint, à son corps défendant, puisqu'il était plutôt habitué aux toilettes de Madame qu'aux latrines de la mer.
D'aucuns prétendent que le bon Roi Charles voulut s'en débarrasser, jaloux de sa petite gueule d'ange qui voulait pas se rider, et que c'est pour ça qu'il l'affecta à la marine royale, sur un de ces galions croisant en Méditerranée. Allez savoir ? Drôle d'époque !
Suivant sa nouvelle affectation, notre Guy participa à la bataille de Lépante qui vit la coalition des forces chrétiennes rétamer en beauté les Ottomans. Au passage, Guy y perdit l'une de ses bourses et blessa involontairement un espagnol de son propre camp, à coup d'arquebuse. Le pauvre en perdit l'usage de son bras gauche, paraît-il, et se mit à faire de la littérature, mais ça c'est une autre histoire. Bref, après quoi, apprenant que sa tête avait été (encore) mise à prix pour une histoire de cul, Guy de Guysburne s'évada sur un radeau pour aller loin de l'influente et néfaste Espagne. Sa fuite fut de courte durée puisque des pirates algériens arraisonnèrent son esquif dans le but d'en faire un esclave (lui, pas l'esquif). Situation également de courte durée car les algériens furent à leur tour attaqués par des portugais, qui libérèrent Guy. Mentant sur son origine et ses connaissances maritimes, il réussit à prendre la tête d'un navire et s'embarqua pour les Açores. De là, il s'organisa une petite flotte et s'improvisa corsaire, pour le bien de la couronne et son enrichissement personnel. Il travailla pendant 10 années au service de diverses majestés, jusqu'à ce que ces dernières, lassés de ses nombreux écarts à Dieu, la bonne morale et la comptabilité stricte, lui envoyèrent un autre de ses semblables, du nom de Francis Drake, casser le contrat. Il fut pendu par la virilité au mât d'artimon de son navire. Rattrapé par le sort, c'est ainsi que périt Guy de Guysburne, non sans avoir essaimé sa descendances dans quelques ports.
C'est du moins ce qu'affirma Henry Guysburne de la Rochelle, qui se prétendait son descendant. Une sacrée histoire que celle de la vie d'Henry de Guysburne… J'vous la raconterai à l'occasion.
Le père Au travers de souvenirs d'enfance, de caravanes d'errances et de congés payés d'avance, le père se souvint : tout avait commencé avec une 2CV. Les souvenirs, on les retravaille souvent à la mémoire. Allez savoir pourquoi, ils prennent ce ton jauni des vieux Polaroïd ou les grands-parents posent sciemment dans la postérité. Le père, quand il se remémore ses voyages passés, ils ont pour lui le goût perdu de la ratatouille d'enfance, de slips en laine et d'essence ordinaire. Sur la nationale des vacances, la petite famille s'en allait solder les congés d'usine. Le père du père, il travaillait à la chaîne, dans ces villes-hangar qui assemblaient du rêve à la gloire de l'après-guerre, comme des milliers de ses semblables. Quelle époque !
Et l'été, prenant sa 2CV, il emmenait la petite famille sur les routes, donc, direction Palavas-les-flots ou Saint-Pôl les bigorneaux. Un vrai voyage dans le voyage. Les nationales, c'était comme au temps des diligences, de la route coincée en queue de caravane, à un peinard 70 km/h. Et les arrêts œufs durs sur les bords de la route, en pique-nique du midi, quelle saveur ! Il fallait faire les choses bien, alors tous s'installaient autour de la table en formica dépliable, sur des chaises en toile orange, et on sortait la glacière. Le pinard coulait à flot, du banga pour les enfants, un gorgeon ou deux pour la route. Quelle époque !
Et puis, fallait repartir, pour arriver avant la nuit. Alors, il conduisait, le père du père. Et la mère du père avait la carte entre les mains, cherchant la départementale typique qui mènera au camping. A l'arrière, le père -enfin, le gosse - comptait les 4L rouges par la fenêtre et jouait aux immatriculations avec sa sœur. Le chien s'agitait dans tous les sens et prenait l'air au toit ouvrant... Vous savez, ce toit en toile que y'avait sur les 2CV. Bref, sur les route de l'innocence, voilà comment ça se fait une vie. C'est là que tout commence, dans la découverte des espaces, des décors changeant au rythme saccadé des vitupérations du moteur, collines et plaines, forêts, villes accueillantes, bouis-bouis malodorants et enfin la plage, horizon désiré, la mer, entr'aperçue entre deux collines. « On arrive, les enfants . Le chien s'agite, ça sent l'excitation. Les gosses s'activent. Nous sommes arrivés.
Sorti de sa rêverie d'enfance, le père jeta un coup d'œil à l'assistance, pas vraiment transcendée par ses récits de jeunesse. De toute façon, qui ça intéresse, ses vieux souvenirs périmés ? D'habitude, c'est pas le genre aux effusions de la sorte, mais aujourd'hui, le père avait envie de parler. Le bordeaux lui est monté à la tête, sans doute. Quand il part en voyage, maintenant, c'est plutôt d'affaire. Sinon, il va encore en vacances, oui, en famille même, très loin des fois, mais en voyage, point. Aujourd'hui, c'est trop facile, on part sans voyager, c'est plus du jeu. Les voyages sont obsolètes. Quelle époque !
La mère Berlin en hiver, Berlin-Est bien sûr, c'est un peu comme ces bibelots sous cloches qu'on appelle des boules à neige. Il neige, et tout parait suspendu comme dans un rêve. Les gens se dépassent au ralenti sur les routes empoudrées aux charmes soviétiques. Les bâtiments trônent en silence dans le minimalisme ambiant. Drôle d'ambiance ! Kimberley se repaît du décors, tout éprise de liberté qu'elle est, mais à sa fenêtre, les barreaux en acier bolchévique sont bien réels. Et l'immonde Igor Igorovitch Rasputine la surveille de près. Depuis qu'il est révélé que son cerveau recèle les microfilms contenant la listes des espions rouges infiltrés dans l'administration yankee, les cocos cherchent un moyen de récupérer ces données. Mais c'est sans compter sur John Tupperware, alias ORL118-218, le plus redoutable agent de sa majesté (il est canadien). Déguisé en poupée russe, il réussit à s'infiltrer dans la base secrète ennemie, et après avoir éliminé les gardes, grâce à son stylo à rayon bio-ionisant (de technologie allemande), le voilà qu'il se dirige vers la cellule où est gardée Kimberley, la femme de sa vie.
Pour son pays, il a affronté les tigres Tabouls du Congo à coup de machette, il a renversé trois dictatures en Asie du Sud-Est et rétablit la démocratie au Costa Gabras. Mais aujourd'hui, son combat est personnel. Aujourd'hui, il veut retrouver la femme qu'il aime, lui dire toutes les choses que porte son cœur. Devant la porte, il règle son stylo pour l'assaut final. Ses muscles sont aux aguets, tel
un félin prêt à bondir. La sueur coule sur son torse sculpté, ses yeux de braise s'enflamme... Il s'élance !
En lisant ces mots, la mère est toute émoustillée de savoir ce qu'il va advenir. Malheureusement, elle est dérangée dans sa transcendante lecture par un jet de sable projeté sur son livre. Sa fille de 6 ans s'amuse à faire des pâtés, et le chien vient de passer dessus, foutant le tout en l'air. « Roh mais dégage le clebs !  Son mari lui passe de la crème dans le dos. Ils sont en vacances après tout, au Maroc, sur une de ces plages démoustiquées (c'est à dire en Enfer, comme disait Ferré) réservées aux touristes. « Chérie, du calme, tu devrais t'hydrater plus !  lui dit le père mais elle n'écoute déjà plus, elle remet en place sa serviette et se replonge dans les aventures d'ORL118-218, sex-symbol, aventurier et espion. Elle adore ce genre de livres. A côté d'elle, d'autres best-seller attendent d'être lus : un autre ORL de Jean-Lou Litzer, deux Gudru Sigurlarfsson (l'auteur renommé de « la fille qui mangeait des copeaux de bois ) et un Albert Kreber (« mes copains les dieux ). Bref, elle ne lis pas, elle dévore.
Là, elle en est au passage où John Tupperware affronte l'immonde Igor, de l'issu de ce combat dépendra l'avenir du monde libre (oui bon, son livre date un peu). Le combat tourne rapidement à l'avantage de John, son corps musculeux prenant le dessus sur les chaires flasques et communistes d'Igor. La mère manque d'avoir un orgasme lorsque le héros, après avoir achevé l'ennemi victime de ses propres armes (il finit décapité par une faucille),
retrouve sa dulcinée et lui avoue ses pensées. Ils font ensuite l'amour passionnément dans le soleil couchant...
« Chérie, youhou, chérie !  La mère refait progressivement surface, elle voit son mari assis à côté d'elle, sa fille qui joue avec le chien un peu plus loin... « On va faire un tour au souk, ça promet d'être dépaysant, non ?  lui demande le père. Au loin, sur l'océan, des autochtones pèchent sur leurs antiques bateaux. La mère jette un coup d'œil au décor et revient sur son mari. Elle marque un temps et sa page. « D'accord, on y va.  Et dans sa tête résonnent les aventures de John Tupperware, agent au service de sa Majesté.
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