Ahmed Sékou Touré (1922-1984) Président de la Guinée
336 pages
Français

Ahmed Sékou Touré (1922-1984) Président de la Guinée , livre ebook

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Description

Le dernier tome de cette biographie d'Ahmed Sékou Touré est un volume d'annexes permettant d'illustrer ou d'expliquer certains aspects de la vie et de la personnalité du leader guinéen. On y trouvera une description détaillée des relations entre De Gaulle et Sékou Touré, une longue interview de l'auteur au lendemain de la mort du président guinéen, deux analyses graphologiques, deux analyses de son art oratoire, une chronique détaillée de sa vie, une bibliographie, un CD d'une centaine de photos.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2011
Nombre de lectures 218
EAN13 9782296462335
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ahmed Sékou Touré
(1922-1984) Président de la Guinée de 1958 à 1984
© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-55046-9 EAN : 9782296550469
André LEWIN
Ahmed Sékou Touré
(1922-1984) Président de la Guinée de 1958 à 1984 Tome 8 Annexes, chronologie et photos
L'HOMME DU 28 SEPTEMBRE ET L'HOMME DU 18 JUIN : DE GAULLE ET SEKOU TOURE
par André Lewin Ancien ambassadeur de France en Guinée (1975-1979)
Président-fondateur de l'Association d'amitié France-Guinée A deux reprises en septembre 1940, au moment des dramatiques événements de Dakar (notamment le bombardement de la ville par la flotte anglaise), le général de Gaulle passe au large de la Guinée - ralliée à la France libre - mais sans faire escale à Conakry; à l'époque, Ahmed Sékou Touré est un modeste commis aux écritures à la Compagnie du Niger Français. En janvier 1944, de Gaulle y fait une brève halte en se rendant à la conférence de Brazzaville; Sékou Touré est alors simple employé des postes. Le 9 mars 1953, de Gaulle, accompagné par Madame de Gaulle et Jacques Foccart, s'arrête à Conakry dans le cadre d'une longue tournée en Afrique effectuée notamment à l'invitation du Grand Conseil de l'AOF; à l'époque, Sékou Touré, déjà révoqué de l'administration, est l'actif responsable de syndicats locaux liés à la CGT française, n'a pas encore de mandats politiques électifs, mais il est déjà secrétaire général du Parti Démocratique de Guinée (PDG), section guinéenne du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), qu'il organise avec soin pour en faire l'instrument d'une conquête du pouvoir qu'il pressent et prépare. Il n'y a 1 évidemment aucune rencontre entre les deux hommes. A la suite des événements du 13 mai 1958 à Alger, le général de Gaulle revient au pouvoir en France. Le 1er juin, il se présente avec son gouvernement devant l'Assemblée nationale; selon certains témoignages, Sékou Touré aurait pu devenir secrétaire d'État (comme plusieurs autres élus
1 Ce voyage, effectué dans l'avion que lui a offert le président Eisenhower, dure du 4 mars au 1er avril, et conduit le général les 5 et 6 mars à Dakar et Saint-Louis (il y apprend la mort de Staline et stigmatise la politique expansionniste de l'URSS; voir la note n° 8), les 7 et 8 mars à Bamako (il y inaugure un monument élevé à la mémoire du gouverneur général Félix Éboué), le 9 mars à Conakry, le 10 mars à Abidjan, le 11 mars à Lomé, Cotonou et Porto-Novo, le 12 mars à Ouagadougou et Niamey, du 13 au 16 mars à Fort-Lamy et à Fort-Archambault, les 17 et 18 mars à Bangui, les 19 et 20 mars à Brazzaville, le 21 mars à Léopoldville, le 22 mars, revenu à Brazzaville, il y prononce un discours au stade Félix Éboué, le 23 mars à Pointe-Noire, le 24 mars à Port-Gentil et Libreville, le 25 mars à Douala, et du 26 au 30 mars à Tunis, Gabès et Bizerte.
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africains), mais aurait été finalement écarté sur les instances d'Houphouët-Boigny. Lors du vote d'investiture, le nouveau gouvernement obtient 329 voix contre 224; dix députés africains se prononcent en faveur du général (quatre à l'UDSR-RDA, dont Houphouët-Boigny - qui fait partie du cabinet comme 2 ministre d'État , Hamani Diori et Modibo Keita; quatre au Parti du Regroupement Africain - dont Fily Dabo Sissoko, Hubert Maga et Sourou Migan Apithy, deux au Mouvement Socialiste Africain); aucun Africain ne vote contre (comme le font à l'UDSR François Mitterrand et Roland Dumas, ou chez les Radicaux Pierre Mendès-France), mais vingt et un s'abstiennent ou ne prennent pas part au vote; parmi eux, les trois députés de la Guinée (Sékou Touré, Saïfoulaye Diallo, Diawadou Barry), ainsi que Ouezzin Coulibaly, Gabriel Lisette, Nicolas Grunitzky, Barthélemy Boganda, Philibert Tsiranana, Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor. En fait, Sékou et Saïfoulaye ont donné à leurs collègues des instructions de vote, car, en dépit des recommandations d'Houphouët, ils ont préféré rester en Guinée, en raison des violents incidents qui ont eu lieu à Conakry fin avril et début mai. S'il avait été présent, et donc s'il avait entendu le discours de de Gaulle, il aurait peut-être voté pour l'investiture, car il est sensible au prestige du général. Le lendemain, lors du vote sur la loi qui met en place la procédure de révision constitutionnelle, Sékou Touré est porté comme ayant voté en faveur du texte - mais par procuration. A ce moment-là le général de Gaulle ne connaît donc pas personnellement Sékou Touré, contrairement à d'autres leaders africains, dont plusieurs font d'ailleurs partie du gouvernement qu'il a formé en juin 1958. En juillet, de Gaulle, sur les conseils d'Houphouët-Boigny, refuse de nommer Sékou Touré au Comité consultatif constitutionnel, et à son ministre de la France d'Outre-mer qui plaide en sa faveur, il lance : "Écoutez, Cornut-Gentille, dans mon gouvernement, c'est pas vous le nègre, alors foutez-moi 3 la paix !" Les deux hommes ne se rencontrent finalement que deux fois au cours de leur existence, et les deux fois en août 1958. Le 5 août, Sékou Touré, élu
2 Sékou Touré n'était pas à Paris pendant cette période, mais son épouse Madame Andrée s'y trouvait. Elle rencontra Houphouët alors que la perspective du retour au pouvoir du général de Gaulle se précisait; le leader ivoirien lui dit qu'il craignait cette éventualité, parce que cela pouvait signifier le retour à une politique répressive dans les colonies ! Lorsque l'épouse de Sékou le retrouva avec ses amis après la formation du cabinet, il lui proposa du champagne et lui affirma qu'il était surtout entré au gouvernement français pour éviter le risque de répression. Le lui a-t-il dit parce qu'elle était la femme d'un leader progressiste, ou le pensait-il réellement ? (entretien de l'auteur avec Madame Andrée Touré, Dakar, 16 juin 1997) 3 Cette apostrophe est rapportée par Georges Chaffard, mais Jacques Foccart la met en doute : "Je pense que Chaffard ou Cornut-Gentille, de qui il tenait sans doute l'anecdote, a enjolivé la formule, parce que je n'ai jamais entendu le Général employer le mot "nègre" de cette façon. Mais l'exclusion de Sékou Touré à la demande d'Houphouët est exacte." ("Foccart parle ; entretiens avec Philippe Gaillard", Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1995, page 158).
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deux ans plus tôt député de Guinée et depuis 1957 vice-président du Conseil de gouvernement de la Guinée formé en application de la Loi-cadre Defferre, est membre d'une délégation parlementaire du RDA venue présenter au général de Gaulle, alors président du Conseil, les vues de ce mouvement sur les aspects africains du projet de Constitution, en particulier l'instauration d'une Communauté entre la France et ses colonies; il se fait honnêtement le porte-parole du RDA, qui n'a pas pourtant pas fait siennes ses propres conceptions, plus radicales. Sékou est en effet partisan du "droit au divorce" et de l'indépendance immédiate des territoires, qui pourront ensuite s'associer librement avec la France et se lier à la Communauté; il souhaite également maintenir entre eux un lien fédéral, pour éviter la balkanisation de l'Afrique. De cette entrevue, Sékou Touré dira : "Le général nous a dit qu'il comprenait les impatiences des Africains, mais qu'il devait tenir compte de l'opinion métropolitaine". Lors de cette première rencontre, de Gaulle n'a donc pas dû repérer en lui le leader populaire et l'orateur fougueux qu'il retrouvera à Conakry le 25 août, lors de l'avant dernière étape de la tournée au cours de laquelle il présente en Afrique son projet constitutionnel; il souhaite évidemment convaincre les électeurs de toutes les colonies de voter "oui". Pourtant, à Abidjan, l'étape qui précède celle de Conakry, le journaliste Jean Mauriac recueille de sa part une confidence étonnante, en réponse à sa question : "Alors, que pensez-vous du voyage ? Mon général, vous bâtissez quelque chose d'énorme. Vous êtes en train de faire un Commonwealth à la française." Sous ses paupières lourdes, le Général laisse tomber un regard comme de commisération. Il me dit textuellement et sans ménagement, l'air comme à son habitude un peu goguenard : "Pensez-vous, la Communauté, c'est de la foutaise ! Ces gens-là vont à l'indépendance. A peine rentrés dans la Communauté, ils n'auront qu'une idée, c'est d'en sortir." Il s'arrête un instant comme pour juger de l'effet produit. Et ajoute : "Mais que voulez-4 vous ? Il fallait la faire !" 5 L'accueil de la capitale guinéenne est chaleureux . Les militants du P.D.G. sont mobilisés, avec danses, chants, slogans, pancartes et tam-tams. Dans la salle de l'Assemblée territoriale, mais avec des haut-parleurs orientés vers la foule massée devant le bâtiment et qui applaudit au signal des responsables, Sékou Touré prend la parole; seul de tous les dirigeants qui ont
4 Jean Mauriac, "Le Général et le Journaliste", entretiens avec Jean-Luc Barré (Fayard, 2008) 5  C'est pourquoi on peut s'étonner de lire, dans un article publié à la mi-juin 2010 par le "FIGARO" et signé de son correspondant en Afrique Tanguy Berthemet, que "le général de Gaulle a été hué à Conakry" lors de son voyage en août 1958, ce qui est tout à fait inexact. Le même journaliste attribue d'ailleurs à Sékou Touré le titre de "général Sékou Touré...", alors qu'on connaît la méfiance que Sékou Touré manifestait vis à vis des militaires de son pays, à la suite en particulier des complots militaires qui ont renversé (et parfois tué) ses collègues et amis Lumumba, Nkrumah, Olympio, Modibo Keita, Ben Bella… Voir par ailleurs à ce sujet en annexe 2 ce qu'il est advenu du passage guinéen du film tourné pendant le voyage par les caméras du service cinématographique des armées (SCA).
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accueilli le général en Afrique, il est en tenue africaine, un grand boubou blanc. Personne de l'entourage (qui pourtant le connaît bien, notamment Bernard Cornut-Gentille, ancien gouverneur général à Dakar) n'a pris la peine d'informer le général de la personnalité bouillonnante de Sékou Touré; personne ne lui a parlé au préalable du contenu du discours, que Sékou avait 6 pourtant communiqué au gouverneur . D'ailleurs, ce n'est pas tellement le fond qui heurte le général, lequel prévoit déjà que les territoires puissent sortir de la Communauté (il l'a dit la veille 24 août à Brazzaville) et envisage aussi l'indépendance des territoires (il a même déjà employé le terme d' "États" lors de son passage à Madagascar, devant le Palais de la Reine Ranavalo) au sein de la Communauté; c'est plutôt le ton employé par le jeune leader guinéen (il a 36 ans, la moitié - ou presque - de l'âge du général), qui lance ses formules comme des slogans, immédiatement ovationnés par la foule : "Nous ne renonçons pas et nous ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l'indépendance" et "Il n'y a pas de dignité sans liberté : nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage". Pourtant, Sékou Touré semble encore tenter de fléchir la position française en affirmant : "Notre coeur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir sans hésitation l'interdépendance et la liberté dans l'union, plutôt que de nous définir sans la France et contre la France." "Sur un ton péremptoire", écrit de Gaulle dans ses "Mémoires", "il m'adresse un discours fait pour sa propagande et coupé par des rafales bien rythmées de hourras et d'applaudissements." Sékou Touré me dira un jour : "Le général ne pouvait pas savoir que si j'ai tendance parfois à parler fort, c'est que ma maman était un peu sourde et que bébé j'étais déjà obligé de pleurer plus fort que les autres pour avoir du 7 lait."
6  Il existe une controverse à ce propos. Sékou affirme qu'il avait communiqué son texte au gouverneur ainsi qu'à Dakar, et l'entourage du général en aurait pris connaissance mais sans parler au général de son contenu (il s'agit de Messmer et de Cornut-Gentille, qui ne trouvaient pas ce texte très bon). Le fond du discours aurait probablement moins heurté le général s'il avait été prononcé avec moins de force et de véhémence, et si certaines formules n'avaient pas été régulièrement ovationnées par la foule. D'autres prétendent que le texte n'avait pas été transmis à qui que ce soit. Le fils du général, l'amiral Philippe de Gaulle, ajoute encore à la confusion dans ses "Mémoires accessoires II. 1986-1982" (Plon 2000; Perrin Tempus 2010), en laissant entendre que c'est l'inverse, c'est-à-dire que Sékou Touré n'aurait pas eu connaissance du discours du général (qui improvisait le plus souvent ses interventions) : "Il semble que la réponse officielle de Sékou Touré aurait été plus mesurée si le chef d'État guinéen (NB : Il ne l'était pas encore, ni d'ailleurs de Gaulle, encore président du Conseil NDLA) avait eu connaissance préalablement du texte du discours du général de Gaulle avertissant des conséquences d'un vote négatif à la Communauté franco-africaine. M. Cornut-Gentille ne l'avait pas communiqué à Sékou-Touré (sic, avec le traitd’union), contrairement à la directive du président français" (pages 136/137). 7 Cette petite infirmité de sa mère, provoquée par une gifle un peu forte de son père, m'a été confirmée lors d'une entrevue avec la soeur de Sékou, Nounkoumba Touré, dans sa maison de Conakry le 4 mai 2003.
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Le général est heurté, ulcéré et même blessé; on le voit, sur les images filmées de cette scène, pianoter nerveusement de la main sur la table. Il répond avec une certaine tristesse, commençant par complimenter l'orateur pour "ce que la culture, l'influence, les doctrines, la passion françaises ont pu faire pour contribuer à révéler la qualité d'hommes qui en avaient naturellement." Mais très vite il passe à la partie politique. Il accepte d'abord l'idée que la libre détermination ne constitue qu'une "étape" et que "les peuples africains continueront leur évolution". Ensuite il élève la voix et précise : "On a parlé d'indépendance; je le dis ici plus haut encore qu'ailleurs, l'indépendance est à la disposition de la Guinée; elle peut la prendre le 28 septembre en disant "non" à la proposition qui lui est faite (la foule ici applaudit à tout rompre) et, dans ce cas, je garantis que la métropole n'y fera pas obstacle. Elle en tirera bien sûr des conséquences, mais d'obstacles, elle n'en fera pas et votre territoire pourra comme il le voudra et dans les conditions qu'il voudra, suivre la route qu'il voudra." Vers la fin de son discours, de Gaulle aborde un thème sur lequel il reviendra régulièrement à propos de la Guinée (thème assez prémonitoire s'agissant de ce pays, mais qu'il envisagera semble-t-il avec moins de sévérité lorsqu'il s'agira d'autres possessions devenues indépendantes par la suite, et très engagées dans la voie progressiste) : "Je crois qu'à l'avenir, des ensembles d'hommes libres se formeront... Je crois qu'il faut le faire pour donner l'exemple au monde, car si nous venions à nous disperser, tout ce qu'il y a dans le monde d'impérialismes marcherait sur nous. Bien sûr, il y aurait des idéologies comme paravents, comme étendards pour le précéder, ce ne serait pas la première fois dans l'histoire du monde que des intérêts 8 ethniques et nationaux marcheraient derrière des pancartes." Et de Gaulle atténue sa rigueur et laisse la porte (un peu) entrebâillée : "Je m'interromps, en attendant peut-être, si le fait se produit jamais, l'occasion suprême de revenir vous voir, dans quelques mois, quand les choses seront établies et que nous célébrerons ensemble, publiquement, l'établissement, la fondation de notre Communauté. Et si je ne devais pas vous revoir, sachez que le souvenir que je garde de cette belle, grande, noble ville, ville laborieuse, ville d'avenir, ce souvenir, je ne le perdrai pas." En partant, il oublie son képi sur la tribune. Sur les images filmées qui retracent ces moments, on voit une main qui prend le képi sur la table (le journaliste Émile Tompapa, futur président du Conseil national de l'Audiovisuel, a affirmé à l'auteur que c'est lui qui avait saisi le képi et l'avait remis au général).
8 phrase qui montre bien la continuité de la méfiance de de Gaulle face aux activités tant de l'Union soviétique que des États-Unis s'agissant du monde, de l'Afrique et de la Guinée. Voici ce qu'il déclarait à ce sujet le 8 mars 1953 à Bamako, inaugurant, quelques jours après la mort de Staline, une statue de Félix Éboué : "L'impérialisme écrasant des Soviets pousse, ici comme partout, à la subversion, en vue d'étendre un jour leur terrible dictature sur des pays bouleversés. D'autre part, une certain surenchère américaine, trop souvent subie plutôt que repoussée, ne laisse pas d'y battre en brèche la position et l'action de la France."
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Un bref tête-à-tête entre les deux hommes ne lève pas le malentendu. Le général escamote la réception officielle en n'y passant qu'un bref moment, et se retire dans sa chambre. Futur maître d'hôtel de la résidence de l'ambassadeur de France après 1976, Bah Gallé Bah lui monte un plateau dans sa chambre. Le lendemain matin, à l'aéroport, de Gaulle se bornera à serrer la main de Sékou en lançant un bref "Adieu la Guinée" et dit à ses accompagnateurs :"Eh bien, messieurs, voilà un homme avec lequel nous ne nous entendrons jamais. Allons, la chose est claire : nous partirons le 29 9 septembre au matin." Le 28 septembre, le référendum donne en Guinée plus de 95% des voix pour le non, alors que tous les autres territoires approuvent la Constitution. L'indépendance est proclamée le 2 octobre. Paris rappelle ses fonctionnaires et notamment les enseignants, met fin à son aide budgétaire, interrompt la plupart des projets d'investissements, gèle progressivement les transferts financiers, cesse de payer les pensions des 20.000 anciens combattants, tente d'empêcher ou du moins de retarder l'admission de la Guinée à l'ONU... Comme il le dit à plusieurs de ses interlocuteurs, de Gaulle pense que le régime de Sékou Touré s'effondrera dans les mois qui viennent (ses adversaires se verront d'ailleurs encouragés officieusement par Paris). L'Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, ministre d'État dans le gouvernement de Gaulle, encourage celui-ci à l'intransigeance, afin que ce territoire qui a voté "non" ne soit pas traité à l'égal de ceux qui ont voté "oui", qui pourtant demandent eux aussi - et obtiennent - l'indépendance, mais deux ans plus tard, en 1960, et qui parfois mènent des politiques bien plus radicales encore que la Guinée de Sékou Touré. Bref, il faut punir Sékou Touré et mettre la Guinée au coin. Le 23 octobre, lors d'une conférence de presse, le général de Gaulle est interrogé sur la Guinée. Il affirme - avec une certaine condescendance - que "la Guinée est pour nous un devenir, et nous ignorons lequel. Nous observons ce qu'elle va être et faire sous son actuel conseil de gouvernement, au point de vue de ses tendances et fréquentations extérieures, et au point de vue surtout de sa capacité d'État, s'il arrive qu'un État s'y constitue réellement. Nous établirons des relations avec la Guinée en fonction de ce qui se passera dans ces différents domaines. Nous le ferons sans acrimonie, mais sans avoir, je dois le dire, l'absolue certitude que ce qui est aujourd'hui pourra persister demain. Quant aux Français qui sont en Guinée et dont nous savons que jusqu'à présent fort heureusement les vies et les biens ne sont pas en cause, nous ne voyons aucune raison pour qu'ils cessent d'habiter ce pays."
9 Jacques Foccart raconte la visite à Conakry de manière très légèrement différente, mais il en a été l'un des témoins directs. On trouvera en annexe sa relation, tirée de "Foccart parle : entretiens avec Philippe Gaillard", Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1995. Selon certains, de Gaulle n'aurait pas serré la main de Sékou Touré, mais aurait fait un salut militaire, en disant, selon les uns "Adieu la Guinée", selon d'autres "Bonne chance à la Guinée".
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