Chemin faisant
236 pages
Français

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Chemin faisant , livre ebook

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Description

Un regard aigu, une personnalité attachante, une écriture dynamique, parfaitement servie par la traduction de l'anthropologue Carmen Bernand, sa fille, soutiennent ce récit autobiographique de Carmen Anton, qui fut engagée dans la troupe théâtrale itinérante "La Barraca" créée par Federico Garcia Lorca. Dans ce récit s'entremêlent morceaux d'histoire, où l'on croise nombre d'artistes et d'intellectuels tant européens que latino-américains, et où l'on assiste depuis Paris aux premiers épisodes de la Seconde Guerre mondiale.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2009
Nombre de lectures 239
EAN13 9782296928824
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

CHEMIN FAISANT
Espagne, guerre civile et exil
Première édition : Carmen Antón, Visto al pasar. Rep ú blica, guerra y exilio. Serie/documentos, Edicios do Castros, 2002.

Avec la généreuse autorisation de Monsieur Isaac Díaz Pardo, directeur des Editions Do Castro, La Corogne, Galice, Espagne


© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’EcoIe polytechnique ; 75005 Paris

http ://www.librairieharmattan. com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-09501-4
EAN : 9782296095014

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Carmen ANTÓN


CHEMIN FAISANT

Espagne, guerre civile et exil


Traduit de l’espagnol par Carmen Rernand


L’Harmattan
À mes filles Gora et Tona, qui virent le jour sous des étoiles
différentes
À ma petite-fille Nuria, qui m’encouragea à écrire
À mes petits-fils Gregorio et Alex
À María del Carmen García Lasgoity,
Ma compagne de La Barraca , de la guerre, de l’exil et de la vie

AVANT-PROPOS
À José Luis Sânchez, qui éclaira sa nuit de sa lumière


Carmen Antón, que tout le monde appelait Maricarmen, entreprit la rédaction de ses mémoires à quatre-vingts ans passés, encouragée par une machine merveilleuse qu’elle avait très vite appris à dompter, un Macintosh couleur turquoise qui trônait en équilibre instable sur une table à dessin. Elle vivait seule, à Buenos Aires, dans son appartement de toujours, rue Lafinur, dans le quartier de Palermo. Comme il arrive aux gens qui vivent longtemps, elle avait perdu presque tous ses amis, mais elle s’en était fait d’autres, des femmes surtout, beaucoup plus jeunes, qui lui rendaient visite régulièrement et qui s’étaient prises d’affection pour elle. L’une d’elles, Mirta Vieites, comédienne à ses heures et secrétaire médicale pour survivre, décida d’émigrer en Galice, la patrie de ses parents, qui étaient arrivés en Argentine avec les grandes migrations de l’après-guerre. Comme eux, mais dans le sens contraire, elle voulait y trouver sa chance et échapper à la terrible crise économique qui sévissait dans son pays. Avec Elena Boledi, grande admiratrice de Federico García Lorca, Mirta avait suivi pas à pas la rédaction de ce texte et, au moment de partir, elle demanda à Maricarmen de prendre avec elle une copie. « Je trouverai un éditeur », lui dit-elle. Le hasard voulut que Mirta, par l’intermédiaire de deux amis, rencontrât à La Corogne Isaac Díaz Pardo, qui dirigeait une petite maison éditoriale galicienne, les Ediçoes do Castro. M. Díaz Pardo lut le manuscrit et n’hésita pas une seconde. Le livre, écrit en 1999, parut en 2002 sous le titre de Visto al pasar , avec une préface en galicien de X. L. Axeitos et dans une belle édition illustrée de photographies et de dessins.
Maricarmen décéda en 2008 dans sa quatre-vingt-douzième année. Ses trois derniers mois furent assombris par la perte de son autonomie, et donc par la nécessité de quitter son appartement, où elle avait vécu soixante-cinq ans, pour une maison de retraite. Mais sa personnalité singulière et sa sociabilité firent encore des miracles. Dans ce petit centre, elle rencontra par hasard son dernier ami, un jeune artiste argentin appelé José Luis Sánchez, dont la gentillesse, la curiosité et l’intérêt pour le monde dans lequel elle avait vécu, donnèrent un sens aux derniers jours de sa vie : cette traduction lui est dédiée avec toute ma gratitude. À Paris, le miracle de l’amitié, à laquelle Carmen Antón a toujours cru, fut réitéré. Jean-Pierre Castelain voulut à tout prix que le livre paraisse en français et fit des démarches auprès de quelques éditeurs. C’est lui qui contacta aux éditions de L’Harmattan Joëlle Chassin et Denis Rolland qui donnèrent leur accord pour le publier dans leur collection ; Jean-Pierre se chargerait de formater ces pages, Anne-Marie, son épouse, l’aiderait dans cette tâche. Je les remercie tous chaleureusement. Il ne restait plus qu’à le traduire, ce que je fis pendant l’été 2008, dans la quiétude de ma maison de Voncq que Maricarmen aimait tant. Voici donc son texte, complété seulement par quelques notes en bas de page que j’ai introduites pour la clarté du récit, en me fondant essentiellement sur l’ouvrage de référence de Hugh Thomas {1} .
Maricarmen était ma mère. J’ai vécu vingt-cinq ans rue Lafinur et, plus tard, j’y suis retournée régulièrement. J’ai connu la plupart des amis qu’elle nomme et j’ai écouté, sans jamais m’ennuyer, les inlassables discussions des Républicains, qui se réunissaient chez nous tous les dimanches et que nous appelions, ma sœur et moi, les « nocturnes ». Ce livre, avec ses rêves, ses chansons et ses désillusions, fait aussi partie de ma vie.

Carmen Bernand
DE MON FAUTEUIL À BASCULE
Une hirondelle s’envole très loin !
Sur son rêve, il y a des floraisons de rosée
Une hirondelle vient de très loin
Federico García Lorca


Aujourd’hui c’est un jour ordinaire à Buenos Aires. Le matin s’éveille paresseusement, les autobus se remplissent d’hommes et de femmes encore ensommeillés, beaucoup viennent de loin. Ici les distances sont grandes.
Dans les jardinières les immortelles s’étalent, débordant la barrière de roses et de rouges plus ou moins intenses, pour se colorer d’écarlate et d’un saupoudrage de blanc et de fuchsia. Je leur parle ; oui, tous les jours je leur parle. Pourquoi ne m’entendraient-elles pas ? Elles gardent en mémoire le rythme saisonnier et ne se trompent jamais, même si la Nature essaie de les embrouiller, car ici les saisons sont trompeuses. Tous les ans, je note le jour où les énormes platanes qui bordent ma rue commencent à bourgeonner, et il n’y a guère qu’un jour ou deux de différence ; un peu de pluie, et les feuilles sont déjà capables de supporter le climat déréglé. C’est alors que les moineaux, ces filous de l’« underground » qui vivent de débrouillardise comme la majorité des mortels, s’abattent sans vergogne pour se rafraîchir le bec en flairant les pousses en herbe.
Une libellule entre dans la pièce et l’emplit d’un brouhaha. Il fut un temps où j’étais comme elle et Gori, mon mari, m’appelait avec son accent valencien tararot. Ici on les appelle alguaciles , un vieux mot pour désigner les gardiens de la paix, un drôle de nom qui leur vient peut-être de l’époque coloniale, quand la justice entrait dans les maisons selon son libre arbitre. La libellule s’est glissée chez moi et tourne affolée, cherchant désespérément la sortie. Après quelques battements d’ailes elliptiques, elle s’est enfuie à moitié soûlée par l’effort mais fière de sa renommée d’émissaire de gros orages.
C’est ainsi que tant de saisons sont arrivées et reparties, au fil des longues journées d’exil. Des jours difficiles, quelquefois angoissants, gorgés d’illusions autant que de déceptions, dans l’attente constante du Retour comme la conséquence logique de la victoire des Alliés et, puis, pour beaucoup d’entre nous, dans l’acceptation du destin qui nous avait réunis dans un ghetto indéfectible et pathétique. Les enfants sont arrivés, bercés avec les chansons de la guerre et le goût amer de la défaite ; ils ont dû faire certainement de gros efforts pour supporter la ritournelle en boucle de notre nostalgie, ce qui les a empêchés probablement de trouver le terreau fertile dont ils avaient besoin.
La guerre était devenue un mythe, qui faisait de nous tantôt des héros, tantôt des apatrides misérables. Continuellement nous nous remémorions des faits, des batailles, des tragédies, mais aussi des anecdotes amusantes. Il n’y en avait guère parmi nous qui n’aient pas là-bas, en Espagne, quelque famille, des amis, parfois morts ou blessés, en tout cas survivant difficilement, et même dans « l’autre camp », sans que l’on sache très bien où. Tous ne purent s’enfuir à temps et plus d’un laissa sa trace en Afrique, comme l’écrivain Max Aub.
Quoi qu’il en soit et tant bien que mal, le grand miracle de l’Amérique {2} eut lieu. Nous y avons tous trouvé du travail, de l’amitié, de la compréhension et certains même du succès, dont nous partagions la joie. Petit à petit, le pays qui nous avait reçus si chaleureusement, nous enveloppait, comme un lierre géant, trompant notre vague à l’âme et nous recouvrant de son manteau humide et caressant. Cependant, comme ces herbes coriaces qui repoussent, même quand on les arrache mille fois, nos pensées s’envolaient sur l’autre rive de l’océan, où les broussailles et les champs gardaient dans nos souvenirs une odeur unique faite de

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