La libération inconnue
989 pages
Français

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La libération inconnue , livre ebook

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Description

Il est entendu que la France a été globalement résistante. Cette vérité première s'est surtout vérifiée autour de la mi-août 1944. Dans les faits, les cheminements ont été multiples avant que la libération du pays soit enfin réalisée. Dans la confusion de cette époque noire, à Londres, le général de Gaulle voyait arriver à ses côtés d'anciens cagoulards, alors que, dans le même temps, des hommes de " gauche " ralliaient le régime de Vichy. De son côté, le PCF attendait prudemment son heure.


A la tête de la France libre, à Londres puis à Alger, le général de Gaulle conduisait une guerre classique contre l'ennemi " héréditaire ", tandis que sur le sol national, la Résistance organisée – et multiforme – ne se manifestera, difficilement, qu'après les premières grandes défaites allemandes, et la loi sur le STO qui oblige les jeunes Français à travailler en Allemagne. Dans la Résistance, les uns combattaient les " Boches ", alors d'autres se donnaient pour tâche prioritaire d'éradiquer les idéologies totalitaires.



La Libération inconnue relate cette ambiguïté de la Résistance de certains réseaux, et la lutte désespérée des maquisards comme des combattants de la guérilla urbaine.
Une certitude : la Libération sera finalement confisquée, dans son esprit et ses espoirs, car il n'était pas envisageable, pour les hommes de Londres, que les résistants de l'intérieur puissent représenter le nouveau pouvoir.





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Informations

Publié par
Date de parution 11 juin 2015
Nombre de lectures 18
EAN13 9782749144283
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0120€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture

Maurice Rajsfus

LA LIBÉRATION INCONNUE

À chacun sa Résistance

COLLECTION DOCUMENTS

Photo de couverture : Paris, 25 août 1944. Sur l’avenue de l’Opéra, deux résistants, joyeux, pointent leur mitraillette vers le ciel.
De leur côté, deux policiers, suspicieux, braquent leur revolver vers la foule.
© Roger-Viollet.

© le cherche midi, 2015
23, rue du Cherche-Midi
75006 Paris

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ISBN numérique : 978-2-7491-4428-3

du même auteur

Des Juifs dans la collaboration. L’Ugif, 1941-1944, EDI, 1980 (épuisé).

Sois juif et tais-toi ! Les Français israélites face au nazisme, 1930-1940, EDI, 1981.

Quand j’étais juif, Mégrelis, 1982 (épuisé).

L’An prochain, la révolution. Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne, 1930-1945, Mazarine, 1985 (épuisé).

Retours d’Israël, L’Harmattan, 1987.

Jeudi noir, 16 juillet 1942, L’Harmattan, 1988 ; Manya, 1992 (épuisé).

Israël/Palestine : l’ennemi intérieur, EDI/La Brèche, 1988.

Mon père, l’étranger. Un immigré juif polonais à Paris dans les années 1920, L’Harmattan, 1989.

Identité à la carte, le judaïsme français en questions, Arcantère, 1989.

Palestine : chronique des événements courants, 1988-1989, L’Harmattan, 1990.

Une terre promise ? Des Juifs dans la collaboration, tome 2, L’Harmattan, 1990.

Retour de Jordanie. Les réfugiés palestiniens dans le royaume hachémite, La Brèche, 1990.

Drancy, un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944, Manya, 1991 ; le cherche midi, 1996.

Une enfance laïque et républicaine, Manya, 1992.

Le Travail à perpétuité. De la galère au journalisme, Manya, 1993.

N’oublie pas le petit Jésus ! L’Église catholique et les enfants juifs, 1940-1944, Manya, 1994.

L’Humour des Français sous l’Occupation, en collaboration avec Ingrid Naour, le cherche midi, 1995.

La Police de Vichy, les forces de l’ordre françaises au service de la Gestapo, 1940-1944, le cherche midi, 1995.

La Police hors la loi. Des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968, le cherche midi, 1996.

Les Français de la débâcle, juin-septembre 1940. Un si bel été, le cherche midi, 1997.

En gros et en détail. Le Pen au quotidien, 1987-1997, Paris-Méditerranée, 1998.

Mai 68. Sous les pavés, la répression, mai 1968-mars 1974, le cherche midi, 1998.

Dix ans en 1938, Verticales, 1998.

Aphorismes subversifs et réflexions sulfureuses, Paris-Méditerranée, 1999.

La Censure militaire et policière 1914-1918, le cherche midi, 1999.

Souscription pour l’édification d’un monument au policier inconnu, L’Esprit frappeur, 1999.

Police et droits de l’homme, L’Esprit frappeur, 2000.

De la victoire à la débâcle, 1919-1940, le cherche midi, 2000.

Journal discordant, fin de millénaire, Dagorno, 2001.

Les Silences de la police, en collaboration avec Jean-Luc Einaudi, L’Esprit frappeur, 2001.

La Rafle du Vel d’Hiv, 16 juillet 1942, « Que sais-je ? », PUF, 2002.

Paris 1942. Chronique d’un survivant, Noésis, 2002.

Opération Étoile jaune suivi de Jeudi noir, le cherche midi, 2002.

Ordre public, désordre privé, L’Esprit frappeur, 2002.

La police et la peine de mort, L’Esprit frappeur, 2002.

1953. Un 14 juillet sanglant, Agnès Viénot, 2003.

Le Vocabulaire policier, l’Esprit frappeur, 2003.

La Rafle du Vel d’Hiv, adaptation théâtrale de Philippe Ogouz, le cherche midi, 2003.

Face à la Marée bleue, L’Esprit frappeur, 2004.

« La Résistance était révolutionnaire.

Londres et Alger n’étaient que politiques. »

Indomitus (Philippe Viannet)

Nous sommes les rebelles

 

 

« J’ai passé quarante ans à dépister les faux résistants.

Les vrais, eux, sont presque tous morts. Qu’on les laisse tranquilles. »

Témoignage de Roger Cocteau (Gallois)

in Les Résistants de Roger Faligot et Rémi Kauffer

Introduction

UN CONCERT DE FAUSSES NOTES

À chacun sa Résistance ! À chacun sa guerre ! Pourquoi ces deux affirmations qui font apparaître une profonde contradiction entre ceux qui combattaient pour la libération de la France ? Il convient de dire, très nettement, que certains résistants – pas nécessairement les premiers – ont affronté politiquement, même si c’était les armes à la main, le nazisme et ses affidés de Vichy. Pour d’autres, les plus nombreux avec le temps, surtout à partir du printemps 1943, c’est la guerre aux « Boches » qui était à l’ordre du jour.

Bien évidemment, dans l’un et l’autre cas – dans l’un et l’autre camp résistant, finalement – les différences étaient nombreuses, particulièrement sur le projet de société à construire, une fois le pays débarrassé de l’Occupant. À l’approche de la Libération, nécessité faisant loi, l’unanimisme affiché et l’allégeance au général de Gaulle n’étaient surtout que de façade. Cette apparente communion d’idées masquant mal, tout à la fois, la nature du combat mené par les uns et les ambitions politiques mal dissimulées par d’autres. Pour tous, il paraît prioritaire de mettre à bas cet État français instauré par Pétain, le 10 juillet 1940 mais qui n’avait fait que relayer une IIIe République ayant oublié ses principes1. Il n’en reste pas moins que nombre de résistants limitent le sens de leur combat à la simple défaite de l’ennemi.

Au fil des mois et des années, la Résistance était devenue cette auberge espagnole de l’héroïsme où se confondaient les premiers opposants au régime de Vichy, les communistes, ralliés à une union sacrée de circonstance, après le 22 juin 1941, les militaires en rupture de ban, suite au débarquement américain en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, et les jeunes hommes gagnant les maquis après la promulgation de la loi sur l’utilisation et l’orientation de la main-d’œuvre, en septembre 1942, rendue encore plus drastique en février 1943, avec la loi portant institution du service du travail obligatoire (STO) dont le texte ne précise pas expressément que l’Allemagne sera le lieu de résidence de ces jeunes travailleurs, requis pour deux ans2. Ne citons ici, que pour mémoire, les combattants de la 25e heure qui allaient se décorer du brassard FFI, dans la seconde quinzaine d’août 1944.

Depuis Londres, puis Alger, le général de Gaulle s’est surtout engagé dans une guerre classique contre l’Allemagne. Ce stratège, négligé quelques années plus tôt par l’état-major français, tient sa guerre. Certes, le chef de la France libre a ses réseaux en France dont l’essentiel des activités restera longtemps confiné aux renseignements. Bien souvent même, ses « correspondants » n’ont pas toujours tout à fait rompu avec Vichy. Tout au moins jusqu’au débarquement allié en Algérie. Entre celui qui s’est autoproclamé émanation de la France libre, et ses premiers porte-parole agissant sur le lambeau de territoire gouverné par le maréchal Pétain – bien plus qu’en zone occupée – le contrat non écrit consiste surtout à envisager cet avenir lointain où les conditions seraient réunies pour bouter l’Allemand hors de France. Ce qui permettra de recycler progressivement ces « bons Français » ennemis du Front populaire, il y a peu, proches parfois de l’idéologie autoritaire, mais prioritairement nationalistes intransigeants. Il en va de même dans les bureaux de Londres, où anciens Cagoulards et Croix-de-Feu côtoient d’authentiques démocrates, tous dévoués au Général et à son image.

Tout à fait différente est la démarche des résistants opérationnels sur le sol français. Lesquels vont combattre sur un terrain miné, dans les maquis, et peut-être de façon bien plus périlleuse dans la guérilla urbaine. En effet, même si les risques peuvent être partagés, le combat n’est pas identique. Depuis ses bureaux, de Gaulle pérore et prépare son avenir politique, à l’abri des armées alliées, bien que l’inimitié des Américains soit forte à son endroit. De leur côté, les résistants qui se terrent dans les forêts ou dans les villes mènent un combat désespéré qui peut paraître sans issue jusqu’au débarquement sur les côtes de Normandie, le 6 juin 1944. L’espoir a peut-être changé de camp, après cet événement majeur, mais les résistants de l’intérieur n’ont aucune certitude d’assister à la libération du pays car les combats deviennent plus durs.

De belles légendes ont été forgées sur la Résistance française, remontant à l’été 1940. Pourtant, le général de Gaulle, lui-même, ne s’est pas trop attardé sur ce point car, jusqu’au printemps 1941, mis à part quelques initiatives individuelles, il n’y a pas encore de résistance organisée sur le sol français. Ce qui fonctionne le mieux, une année après la défaite, ce sont des réseaux de type contre-espionnage, et les grenouillages dans les antichambres de la France libre. Le général de Gaulle en convient sans détour. « Le terrain de l’action clandestine était pour nous entièrement nouveau. Rien n’avait été préparé en France… Il n’existait rien à quoi notre action pût s’accrocher dans la métropole3. »

Sans nous risquer à trop commenter ce texte, relatif à une période mal datée, il paraît évident que le général de Gaulle veut ignorer un début de résistance intérieure, échappant à son autorité, mais qu’il ne peut encore se résoudre à reconnaître. Qui peut s’aventurer à affirmer ce que représente la résistance française, en 1941 ? Ce qui est certain, c’est qu’après le débarquement américain en Afrique du Nord, au-delà des premiers réseaux confidentiels, les gaullistes, devenus nombreux sur le sol français, songent surtout à préparer les cadres d’une nouvelle armée classique. Face à ces représentants de la France libre, mais avec une base populaire de plus en plus importante, les communistes envisagent déjà la guerre des partisans, à l’image de la geste héroïque soviétique, dès l’été 1941. Ces deux approches, nécessairement antagonistes, préfigurent les débuts d’une lutte pour le pouvoir.

C’est dans ce climat que s’annonce cette guerre souterraine qui va durer jusqu’en août 1944. Il est pourtant impossible de passer le fait que, jusqu’à l’automne 1940, avant la rencontre de Montoire4, malgré tout, nombreux étaient encore ceux des membres des premiers réseaux balbutiants estimant que de Gaulle, à Londres, et Pétain, à Vichy, s’étaient répartis les rôles face à l’Allemagne. Véritable complicité ? Peut-être pas. Ambiguïté ? Certainement. C’est ainsi que le général Frère, siégeant au tribunal de guerre de Clermont-Ferrand, se prononcera pour la peine de mort du général de Gaulle, le 2 août 1940, avant de se retrouver à la tête de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA) à la fin de 1942. Arrêté en juin 1943, le général Frère mourra en déportation5.

Les archives conservées par la Résistance sont plutôt rares. Tout au moins pour les deux premières années. Seule la police de Vichy a effectué ce travail avec une cohérence féroce. Il s’agit surtout des comptes rendus de filatures ou de notes de synthèse sur les différents mouvements ou réseaux et leurs membres activement recherchés pour le compte de la Gestapo. Il est bien connu que d’importants secteurs de la police française ont consacré l’exclusivité de leur activité à la chasse aux résistants. Ainsi, à côté des services anti-juifs de la préfecture de police, on trouvera rapidement le service de police anticommuniste (SPAC) de Charles Detmar.

Comme repères importants, il y a, évidemment, la presse clandestine, à la parution régulière et, au premier rang, L’Humanité et La Vérité qui paraissent durant les premiers mois de l’Occupation. Viendront ensuite Libération Nord, au début de l’année 1941, puis Défense de la France, en août 1941, suivi des Cahiers du Témoignage chrétien, en novembre et de Franc-Tireur puis Combat, en décembre de la même année. Ces petits brûlots, imprimés et diffusés au prix de mille périls, représentent plutôt une presse d’opinion, et les informations au véritable sens du terme n’y sont pas nombreuses.

C’est une période dure, où les premiers résistants songent bien plus à survivre qu’à archiver. Il en va différemment dans les bureaux de la France libre, à Londres, puis Alger. Dans cette petite parcelle du sol national, loin du terrain, une administration de plus en plus nombreuse a laissé des traces de son activité, et les archives du BCRA (Bureau central recherche et action) sont certainement les plus importantes. Ces documents ont sans doute servi pour l’élaboration des Mémoires de guerre du général de Gaulle. Les sources documentaires les plus importantes datent évidemment de la période précédant immédiatement la Libération. Quant aux témoignages oraux, passant ensuite par l’écrit, nous savons qu’ils sont relativement fragiles. Surtout lorsque les durs combats de la Résistance, les luttes souterraines et tragiques se sont transformés en récits approximatifs, à l’imitation de communiqués de guerre triomphants. Nous disposons, bien sûr, de nombreux écrits historiques – sérieux ou approximatifs. Dans sa monumentale Chronique de la Résistance, Alain Guérin nous fournit une bibliographie forte d’environ 2 000 titres, touchant de près ou de loin à ce sujet qui n’a pas fini de faire couler de l’encre.

Les communistes vont jouer un rôle déterminant dans cette guerre de l’ombre. Suite à l’attaque des armées allemandes contre l’Union soviétique, et après quelques jours de flottement, le groupe dirigeant du PCF affiche une nouvelle volonté : se réintégrer dans la communauté nationale et, en tout cas, parmi ceux des Français qui ont commencé à combattre tout à la fois l’occupant nazi au nord, et le régime instauré dans ce qu’il est convenu, à l’époque, de désigner sous l’appellation de « zone libre ».

Ce nouveau revirement, ce changement de ligne à 180°, a le même objet que l’approbation du pacte germano-soviétique, le 23 août 1939. Dans l’un et l’autre cas, la priorité est à la défense des intérêts de l’Union soviétique. Même si ce virage de l’été 1941 paraît nettement plus cohérent, la logique est identique. Jusqu’au printemps 1941, l’ennemi désigné était surtout l’impérialisme britannique, fauteur de guerre, et le régime de Vichy. À cette époque, nulle trace de l’Allemagne hitlérienne dans L’Humanité clandestine, les tracts et même les écrits de Maurice Thorez, depuis Moscou.

De l’été 1941 à l’été 1944, le PCF va réapprendre à ses fidèles anciens la logique du nationalisme, tout en confortant ses nouvelles troupes dans l’ardente mission patriotique qui leur est confiée. Curieusement, il en va de même en Union soviétique où le conflit contre l’Allemagne nazie est qualifié de « Grande guerre patriotique ». Dans la Patrie des Travailleurs, on magnifie Ivan le Terrible ou Alexandre Newski, tandis qu’en France les bons élèves du PCF revisitent la galerie des héros de l’histoire de France. Cette volonté de ratisser large, comme au temps du Front populaire, et la politique de « La main tendue » ont une signification très claire : l’esprit révolutionnaire – ou ce qu’il en reste – est mis en réserve pour laisser place à l’union la plus large possible. Dans une semi-clandestinité, les poètes du Parti sont également mis à contribution, et Louis Aragon gâche une fois de plus son talent avec des œuvrettes de circonstance comme La Rose et le réséda :

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n’y croyait pas

Tous deux adoraient la belle

Prisonnière des soldats…

Les pays impérialistes, Grande-Bretagne et États-Unis, sont devenus de « Grands alliés » et il convient d’être à la hauteur des nouvelles alliances. Dans les maquis et la guérilla urbaine, les combattants communistes ou proches du Parti se retrouvent sous l’appellation de FTP (Francs-tireurs et partisans), les mêmes seront désignés, tardivement, à l’approche de la Libération, comme FTPF ; ce F ajouté signifiant « Français ».

Quel chemin parcouru depuis l’été 1940. Effectivement, le PCF revient de loin. Dans L’Humanité clandestine, datée du 4 juillet 1940, il était possible de lire : « Il est particulièrement réconfortant, en ces temps de malheur, de voir de nombreux travailleurs parisiens s’entretenir amicalement avec des soldats allemands, soit dans la rue, soit au bistrot du coin. Bravo, camarades, continuez, même si cela ne plaît pas à certains bourgeois aussi stupides que malfaisants. La Fraternité des peuples ne sera pas toujours une espérance, elle deviendra une réalité ! »

Quatre ans plus tard, ce sera le grand écart. Le 22 août 1944, en plein combat dans Paris, les militants communistes diffusent le numéro de L’Humanité, qui reparaît au grand jour depuis la veille, avec en titre, sur huit colonnes : « Mort aux Boches et aux traîtres ! » Le 23 août, nouveau titre vengeur, d’où les accents internationalistes ont disparu : « Pas un Boche ne doit sortir vivant de Paris insurgé ! » Le 24 août, enfin, le cri de guerre est encore plus précis, toujours sur toute la largeur de la première page : « À chaque Parisien son Boche ! »

L’Histoire ne s’invente pas. On en fait le constat, puis on tente de l’interpréter, ou en tout cas de la comprendre. L’analyse pose toujours problème. Il en va ainsi de cette guerre de Libération de la France qui, après avoir été magnifiée, utilisée sans vergogne, y compris par les attentistes, est devenue le symbole de l’unité nationale – avec ses multiples placards destinés à camoufler les dérapages, les conflits internes et, finalement, le manque d’unité réelle et de perspectives communes de ceux qui en étaient les principaux acteurs.

Les premiers témoins sérieux de la guerre de Libération – précédant les doctes historiens – ont été largement utilisés. Ainsi Charles Tillon, auteur de l’histoire des FTP, qui se plaint d’avoir été pillé. Bien entendu, et dans d’autres cas, les nombreux emprunts, sans citation des sources, ont été mis au service de causes diverses. Une certaine forme de révisionnisme a même été activée pour dénoncer les « crimes de la Résistance ». Plus généralement, il y a ceux qui ont déformé les faits, tout en les magnifiant, et d’autres, assez habiles pour détourner les événements et expliquer tranquillement les situations contradictoires. Comme s’il s’agissait d’organiser une mise en scène nécessairement glorieuse.

Cette histoire de la Libération, où les souffrances, le sang et les larmes, la torture et la mort ont surtout dominé, ne peut trouver sa place dans un registre classique. Ce n’était nullement une guerre semblable à bien d’autres. Pour les gaullistes, le but était de rétablir la grandeur de la France outragée, alors que pour les communistes, les combats engagés devaient permettre de conforter les visées de l’Union soviétique. Pour le plus grand nombre, la Libération, tellement attendue, ne pouvait que signifier l’avènement d’un monde meilleur, une fois le nazisme écrasé. Par ailleurs, il faut y insister, gaullistes et communistes conduisaient une guerre souterraine dont la cible n’était pas directement le système hitlérien mais l’Allemand, ennemi héréditaire.

Cette Histoire de la Résistance s’est longtemps confinée dans l’imagerie d’Épinal. De Gaulle s’affichant dans la continuité des héros sublimes de ce pays : Clemenceau, Bonaparte, et pourquoi pas Jeanne d’Arc. (Ce dernier rôle ayant déjà été dévolu à Pétain, en 1940.) Facteur non négligeable, dans le récit de cette épopée, la volonté de persuader les jeunes générations de l’après-guerre que le peuple français avait été globalement résistant, alors que la majorité des citoyens de ce pays s’étaient enfermés dans un attentisme qui ne sera réellement rompu qu’après le débarquement du 6 juin 1944.

Sans surprise, il est possible de constater que nombre d’ouvrages consacrés à la gloire des combattants de la France libre minimisent la résistance intérieure, dont les réseaux gaullistes se méfiaient. Plus réalistes, peut-être, sont les livres relatant les temps forts des maquis ou de la guérilla urbaine où transparaissent plus que des soupçons envers les bureaux de Londres, comme envers leurs envoyés. Sans que, paradoxe, l’image du général de Gaulle en souffre outre mesure.

Il n’est pas question, ici, de réécrire l’histoire de la Résistance, mais d’en comprendre les ressorts. Il nous a donc paru indispensable de rendre cohérente la nature des engagements de combattants qui n’avaient pas la même vision d’avenir. Par ailleurs, ce travail n’est pas nécessairement chronologique. Nous avons procédé par touches sur des aspects sensibles permettant de vérifier le manque de cohésion, tout autant que les divergences existant au sein de la Résistance.

Plus simplement, notre ambition s’est surtout limitée à passer au peigne fin certains aspects peu visibles de cette guerre de Libération, et tenter d’en comprendre les mécanismes.

PREMIÈRE PARTIE

UNE RÉSISTANCE MULTIFORME

1

LES PREMIERS RÉSISTANTS

Les acteurs de la Résistance ont toujours eu pour volonté de prouver leur légitimité, mais également le fait qu’ils étaient les premiers à relever le flambeau après la défaite de juin 1940. Il y a, bien entendu, en premier lieu, l’Appel du 18 juin, lancé depuis Londres, par le général de Gaulle, qui sera surtout connu bien après sa diffusion1. Le sous-secrétaire d’État à la guerre du gouvernement Paul Reynaud, qui a quitté cette fonction le 16 juin 1940, ne songe qu’à poursuivre une guerre déjà perdue, suite à la demande d’armistice par Pétain le 17 juin. Le général de brigade – à titre temporaire – de Gaulle, qui s’est embarqué le jour même pour l’Angleterre, est peut-être un homme seul, mais Charles Tillon fait remarquer qu’il se trouve à bord de l’avion du chef de l’Intelligence service en France, le général Spears2.

Qu’en est-il de ce mythique Appel du 18 juin ? Il s’agit essentiellement de reconstituer une armée française sur le sol britannique et non pas de préparer une quelconque guerre de partisans, en France. Dans ce texte, il est question de l’Allemagne mais pas du régime nazi, et le nom même de Hitler n’y est pas prononcé. Le ton utilisé pour cet Appel est nécessairement militaire, et le « moi général de Gaulle » indique que si la démarche est volontariste, elle est également celle d’un chef autoproclamé qui recherche bien plus de troupes qu’un entourage. La volonté est prioritairement la poursuite de la guerre. Reste la conclusion, qui ne fait pas l’économie d’un sursaut possible sur le sol national : « … Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ! » Pourtant, ce n’est pas une hypothétique résistance populaire qu’évoque le général de Gaulle. Par ailleurs, rappelle Robert Aron, le fameux coup de clairon, « La France a perdu une bataille, elle n’a pas perdu la guerre ! » n’a pas été lancé le 18 juin 1940 mais n’apparaît, sur une proclamation affichée sur les murs de Londres, qu’en août 1940, avant d’être prononcé sur les ondes de la BBC3.

Pour le PCF, il était important de figurer au premier rang des résistants mais ses interventions sont plutôt discordantes. Tout comme de Gaulle peut représenter un électron libre, le PCF a, lui aussi, son précurseur : Charles Tillon. Membre du Comité central du PCF, présent à Bordeaux, à l’ultime étape de la débâcle, cet ancien mutin de la marine française, en 1919, intervient sans en référer à ses instances supérieures : « Au matin du 15 juin, j’avais résolu, comme responsable du Parti, à Bordeaux, et face à la débâcle de tous les autres4, de tenter de faire appel à ce qui pourrait demeurer conscient parmi les élus du peuple de 19365. » Faussement naïf, Charles Tillon adresse également un message à Édouard Herriot, président de la Chambre des députés au moment où le gouvernement s’est replié sur les bords de la Gironde.

Le 17 juin 1940, Charles Tillon entend le maréchal Pétain, nouveau chef du gouvernement, demander l’armistice à l’Allemagne, « entre soldats, et dans l’honneur ». Il rédige aussitôt un tract qui est diffusé dans Bordeaux, le jour même. Le ton, offensif, est sans ambiguïté : « (Les gouvernants bourgeois) livrent la France. Ils ont tout trahi… Après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers, ils jugent pouvoir, avec le concours de Hitler, livrer le pays tout entier au fascisme. Mais le peuple français ne veut pas de l’esclavage, de la misère et du fascisme, pas plus qu’il n’a voulu la guerre des capitalistes. Uni, il sera la force6… » Cet Appel du 17 juin préconise la constitution d’un gouvernement « luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes7 ». Le propos est clair et ne laisse que peu de place à l’interprétation hasardeuse.

Si Bordeaux fourmille alors de tout ce que la France compte de personnel politique en déroute, c’est dans un véritable désert moral qu’est diffusé ce tract dont la cohérence ne colle pas toujours à la situation telle qu’elle est analysée dans les hautes sphères du PCF. La direction clandestine du Parti vit une dérive découlant du pacte germano-soviétique, et Tillon, qui vient de recevoir un exemplaire de L’Humanité, daté du 10 juin 1940, peut y lire le rappel d’une consigne émanant de l’Internationale communiste : « … Quand deux gangsters se battent entre eux, les honnêtes gens n’ont pas à secourir l’un d’entre eux sous prétexte que l’autre lui a porté un coup irrégulier. » Difficile de passer outre à cet avertissement mais Charles Tillon s’y hasarde.

L’armistice avec l’Allemagne est signé le 22 juin 1940, et avec l’Italie le 25 juin suivant. Il est impossible d’affirmer sérieusement qu’une quelconque volonté de résistance soit déjà formalisée en France. Depuis Londres, un général inconnu tente d’exister, tandis qu’à Bordeaux, un communiste, plus tout à fait dans la ligne, persiste, contre l’avis de ses camarades, à estimer que le nazisme reste l’ennemi prioritaire.

Pour ne pas être en reste, le PCF fera connaître, tardivement, son Appel au Peuple de France, daté du 10 juillet 1940 : « Jamais un grand peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves. » Ce texte, signé par Maurice Thorez et Jacques Duclos, n’est en rien anti-allemand, pas même antinazi. Il n’est pas question de résistance à l’Occupant, et l’Appel du général de Gaulle n’est même pas évoqué. En revanche, il n’y a pas de mots suffisamment durs pour stigmatiser les démocraties occidentales et les « ploutocrates ». Encore une fois, si le gouvernement de Vichy est la cible de cet Appel du 10 juillet 1940, l’occupant allemand n’y apparaît jamais. Très visiblement, il est question, dans ce texte, des « affairistes notoires, des politiciens tarés » qu’il faut combattre. Il est important de noter que le terme « fasciste » n’est jamais utilisé dans ce long plaidoyer qui semble s’adresser bien plus à l’Occupant qu’au peuple de France, même s’il est pris à témoin : « Le peuple a le droit d’exiger la parution, en toute liberté, des journaux en qui il avait confiance, qui lui disent la vérité, et qui ont été interdits à cause de cela8… » Il ne faut pas oublier que la tentative de reparution légale de L’Humanité, à Paris, a échoué quelque temps plus tôt, bien plus du fait de Vichy que des autorités nazies.

Le souci premier des auteurs de cet Appel est de « remettre la France au travail ». Cela revient à de nombreuses reprises, comme une litanie, dans ce texte que les communistes voudront, plus tard, présenter comme fondateur de la Résistance. Il n’est pas étonnant non plus de constater que ce texte est daté du 10 juillet 1940, jour symbolique puisque c’est ce même 10 juillet que le maréchal Pétain obtient les pleins pouvoirs, à Vichy, grâce au vote déshonorant des deux assemblées parlementaires réunies en congrès – la majorité des députés et sénateurs des élus du Front populaire accordant leur confiance à Pétain.

Antidaté ou pas, cet Appel du 10 juillet 1940 doit être resitué dans le cadre du pacte germano-soviétique, et il ne pouvait y être question de stigmatiser les nazis. Les ennemis du PCF ne peuvent être que ceux qui veulent mettre à bas l’Union soviétique. Il n’est donc pas étonnant que l’Appel de Thorez et de Duclos se termine par un vibrant refrain sur l’URSS, pays du socialisme, bien plus qu’à une forme quelconque de résistance organisée9. Sans qu’il soit possible de dater précisément ce coup de clairon décalé du PCF, il aurait été, selon certains, rédigé à la fin du mois d’août 194010.

En juin 1940, les armées françaises avaient été battues. Pétain demandait l’armistice, provoquant un soulagement général, avant d’instaurer un régime autoritaire à Vichy. Les armées allemandes occupaient les trois cinquièmes du pays. Moralement, les Français étaient anéantis, et nul ne pouvait se risquer à envisager un avenir raisonnable. Deux puissances totalitaires se partageaient désormais l’Europe, tandis que les États-Unis paraissaient encore s’en tenir à une stricte neutralité. Seule l’Angleterre continuait la lutte, et qui pouvait prédire combien de temps ce dernier îlot de démocratie résisterait à la puissance hitlérienne ? En Extrême-Orient, les Japonais occupaient déjà toute la côte chinoise et commençaient à s’enfoncer à l’intérieur du pays. Et puis, surtout, c’étaient encore les beaux jours du pacte germano-soviétique qui, au-delà des accords de non-agression du 23 août 1939, était renforcé par des accords économiques. Qui pouvait alors parier sur l’avenir des démocraties ?

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