De la Zone à l ENA
92 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description


Une énarque pas comme les autres.






Anne Joubert est diplômée de l'ENA (promotion Aristide Briand 2006-2008), mais c'est une énarque à nulle autre comparable dont la vie fut une suite de défis. Elle a vécu l'expérience de la zone au milieu de délinquants, clochards, drogués. Elle a fait la manche, passé des nuits dehors ou dans des squats. La volonté de s'en sortir, d'élever ses filles, l'a menée au journalisme puis à l'enseignement, mais elle voulait aller encore plus loin, prouver que c'était elle qui distribuait les cartes et qu'elle serait désormais aux commandes de sa vie mais toujours au service des autres. Et ce fut la gageure du concours d'entrée de l'ENA.


Quelle magnifique leçon de vie que ce récit sans pathos où l'espoir se construit à force de volonté !





Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 septembre 2011
Nombre de lectures 206
EAN13 9782749118970
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Anne Joubert
DE LA ZONE À L’ENA
COLLECTION DOCUMENTS
Couverture : Studio Chine. Photo de couverture : © Kelly-Mooney Photographie/Corbis © le cherche midi, 2011 23, rue du Cherche-Midi 75006 Paris
Vous pouvez consulter notre catalogue général et l’annonce de nos prochaines parutions sur notre site : www.cherche-midi.com « Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »
ISBN numérique : 978-2-7491-1897-0
À mes parents
P REMIÈRE PARTIE
La zone

« B onjour, vous n’auriez pas un franc s’il vous plaît ? »
Début décembre 1979, place de l’Horloge à Avignon. J’ai 17 ans et demi. Il fait froid et j’ai les mains tellement gelées, assise par terre depuis des heures, que je suis allée voler deux paires de gants en cuir aux Nouvelles Galeries. Je les avais repérées depuis quelques jours et j’avais bien observé les vendeuses, des vieilles femmes acariâtres et soupçonneuses, mais tout s’est bien passé. Pierre et moi avons de beaux cadeaux de Noël un peu en avance ; quant à Cocaïne, le chien, un braque allemand, s’il gémit parfois, il résiste bien. Cela fait quelques mois que nous « faisons la route » tous les trois, heureux, libres, sans contraintes et très fiers d’être traités de marginaux et mis au ban de la société.
1
Je ne serai pas une élite

A vant j’étais élève en terminale C, au lycée du Parc, le meilleur de Lyon. Quand, le jour de la rentrée de septembre 1979, le proviseur nous expliqua que nous étions « l’élite du futur », je répliquai violemment que je ne voulais surtout pas faire partie de « cette élite, égoïste, capitaliste » etc. Cela n’étonna pas beaucoup au lycée car cela faisait déjà deux ans que je désespérais mes professeurs et mes parents en passant plus de temps sur les bancs de la zone que sur ceux de l’école. Ils disaient que j’avais des capacités, mais justement je ne voulais pas en faire n’importe quoi. Alors je redoublais ma terminale puisque l’Éducation nationale, très psychologue, avait estimé que plutôt que de m’offrir le bac pour un demi-point, il valait mieux que je l’obtienne avec mention l’année suivante, vu mon jeune âge et mon bel avenir ! Donc à défaut de bac, je décidai d’apprendre la vie sur les routes, de faire les vendanges, de me balader en stop et surtout de ne plus voir tous ces abrutis du lycée.
Finalement, ils ont dû être contents de me voir disparaître de la circulation le lendemain de la rentrée. Ils n’avaient pas beaucoup apprécié que quatre ou cinq de leurs si bons élèves veuillent faire la révolution. On avait créé l’année précédente un super groupe, le CRI, quelque chose comme « création, révolution, imagination ». On avait badigeonné les murs du lycée, l’immeuble de mes parents et quelques autres bâtiments de graffitis artistiques et révolutionnaires, on ne disait pas encore des tags !
Et puis surtout on avait monté deux gros coups. La première fois, on rédigea pendant des heures des slogans anticapitalistes hyper intellos sur des morceaux de papier de toilette, mélangés avec des peaux de bananes, des épluchures d’oranges et on les jeta sur la tête des boursiers du haut de la corbeille de la Bourse de Lyon en faisant éclater des boules puantes et en criant bien fort : « Votre fric, c’est du PQ ! » Ils évacuèrent la Bourse et suspendirent la séance car on avait incommodé ces pauvres costumes-cravates. C’est vrai, c’était dégueulasse. Comme on avait bien repéré les lieux et répété plusieurs fois l’opération chez Frédéric, aucun d’entre nous ne s’était fait attraper et même Le Progrès de Lyon en avait parlé, en s’interrogeant sur le CRI, ce nouveau groupe anarchiste inconnu entre Rhône et Saône.
Puis nous étions montés en puissance. Le métro de Lyon, tout neuf, tout beau, diffusait des publicités sur les murs des stations à l’aide de diapositives. Scandalisés par l’utilisation abusive d’un service public aux fins d’une infâme consommation, nous avions décidé une action de grande envergure. Après avoir volé des bombes de peinture et passé de longues heures à rédiger des textes poétiques et philosophiques, l’objectif était de se faire enfermer une nuit entière dans le métro et de tout badigeonner, de Perrache à Charpennes, ligne unique à l’époque. La question centrale consistait à comprendre le fonctionnement électrique afin de ne pas se faire électrocuter en se promenant sur les rails comme pouvaient le laisser penser les avertissements « Danger ». Heureusement, les forts en physique, future élite scientifique de la nation, m’avaient expliqué qu’en marchant sur un seul rail il n’y avait aucun risque.
Une nuit entière, enfermés dans le métro, munis de lampes électriques et armés de bombes (de peinture), les petits lycéens ont réussi le plus gros attentat à Lyon depuis longtemps. D’une campagne antipublicitaire, au fil des stations, nos textes se sont mis à dénoncer pêle-mêle le racisme, la pauvreté, le sexisme, l’injustice – j’en passe et des meilleures –, sans compter quelques délires littéraires dadaïstes.
Quel plaisir, le lendemain, de lire les gros titres de la presse locale et de faire l’école buissonnière pour arpenter les stations en écoutant les commentaires des usagers sur notre œuvre ! C’était l’événement à Lyon. Las ! la nuit suivante tout a été repeint de blanc mais l’art, nous le savions, demeure éphémère.
Si on ajoute les grèves organisées au lycée – notamment pour protester contre « l’assassinat » d’Andreas Baader dans sa cellule – ou les pamphlets contre le port « d’une tenue correcte » en cours, nos enthousiasmes soudains et fulgurants pour la poésie, la peinture ou les luttes tiers-mondistes, il devenait évident que quelques minoritaires de « l’élite de la nation » trahissaient la réputation de l’établissement et le proviseur crut bon de séparer ces trublions. Je ne voyais plus l’intérêt de continuer à venir de temps à autre en cours.
Ayant lu Le Capital de Marx à 12 ans (sans tout comprendre, rassurez-vous !) et fréquenté les Jeunesses communistes à 14, je cherchais désespérément comment faire la Révolution. Mais je n’avais pas confiance dans les partis politiques et pour moi, une cellule a toujours été synonyme de prison, sans compter que j’avais aussi lu Soljenitsyne. Je reprochais à mes parents de m’avoir fait naître trop tard puisque je n’avais que 6 ans en mai 1968... J’aurais pu rencontrer les Brigades rouges ou Action directe mais je refusais la violence aveugle et le banditisme. Je décidai alors de m’exclure d’une société que je ne savais comment transformer. Il ne restait plus que Jack Kerouac et la petite-bourgeoise rebelle prit la clef des champs !
Jusqu’à l’âge de 14 ans, tout s’était pourtant bien passé. Petite fille modèle, je réussissais bien à l’école, sans trop me fatiguer. Élevée dans un milieu à la fois bourgeois, intello et engagé, je me sentais heureuse mais différente des autres. Mes parents s’étaient rencontrés, à l’approche de la quarantaine et pendant la guerre d’Algérie, dans l’action civique non violente. Mon père surtout, ancien résistant, avait renvoyé son livret militaire, entrepris quelques grèves de la faim et avait été poursuivi pour avoir incité les jeunes appelés à la désertion. Cela lui avait valu un procès où quelques grandes figures de la Résistance étaient venues témoigner en sa faveur alors que j’étais dans le ventre de ma mère.
Scolarisée chez d’infâmes bonnes sœurs auxquelles je rêvais de casser la figure quand je serais grande, je passais une partie de mes vacances dans la communau

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