NOTRE CENTRE DE RETENTION
92 pages
Français

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NOTRE CENTRE DE RETENTION , livre ebook

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92 pages
Français

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Description

A l'heure où la France participe à une nouvelle politique migratoire européenne, le parcours des sans-papiers s'achève dans un fourgon cellulaire, puis devant un juge des libertés et, bien souvent, dans un centre de rétention. C'est dans ce centre de rétention que débute ce récit : une dernière journée au milieu de ces sans-papiers coupés du monde et de leurs familles, depuis le matin où on leur annonce l'heure de leur vol charter jusqu'à l'aéroport où un avion affrété les attend.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 septembre 2008
Nombre de lectures 234
EAN13 9782296658479
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Notre centre de rétention
© L’Harmattan, 2008
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-06095-1
EAN : 9782296060951

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Ahmed ALIMZÉ


Notre centre de rétention


L’Harmattan
A Ousseni HAMADA et sa femme Nourou
« La présence d’immigrés, non seulement avides mais également hautement appréciés pour la qualité de leurs rapports humains, est une véritable bénédiction. » L’ex-ministre des Finances italien, Tommaso Padoa-Schioppa dans Matin Plus du 04 octobre 2007.
Nous n’avons plus que quelques heures à attendre pour sortir de notre centre de rétention, au terme des vingt-neuf jours légaux. C’est alors que douze policiers de la police de l’air et des frontières viennent nous chercher ce lundi, pour nous encadrer jusqu’à l’aéroport et bien au-delà de celui-ci. Drôle de retournement quand, il y a quelques instants encore, nous évoquions l’idée de fêter notre sortie dans un endroit branché en attendant notre prochaine arrestation. Maintenant nous savons qu’il n’y aura pas de prochaine arrestation et une pensée domine : Dieu du ciel, dire qu’on a fait un si long chemin, et tout cela pour rien ! Naturellement nous nous empressons d’envisager un recours mais nous nous rendons à l’évidence : arrêter la machine de l’expulsion tient de la gageure ! Alors sans hâte ni impatience, mais parce qu’il le faut, nous nous levons, nous nous approchons du mur de la cellule et contre le mur de cette cellule nous posons la main pour mieux sentir la froideur du mur. Puis nous y collons l’oreille pour entendre ceux qui ont pris la décision de nous reconduire à la frontière, entendre leur respiration, un signe quelconque, un grincement de chaise par exemple, qui puisse témoigner de leur présence, mais nous n’entendons rien. Aussi comme personne ne dit rien, ne manifeste aucun signe de vie, nous entendons nos cœurs marteler, marteler, mais ils n’explosent pas. Nos genoux mollissent, mais ne lâchent pas. Et après un temps de répit, la pensée nous revient à nouveau que les personnes qui ont pris la décision de nous expulser sont encore là et qu’elles entendent tout à travers le mur. Naturellement, nous ne doutons en aucune façon que notre heure était venue. Nous pensons qu’il nous en reste encore à espérer : peut-être cinq, peut-être dix, ou même quinze. Nous ne savons pas à combien d’heures nos avocats s’attendent encore ; ils ne nous l’ont pas dit. Risible, ce mutisme des avocats qui, au fond, ne nous avaient pas habitués à cela. Encore plus étrange et risible, l’excitation des douze policiers, complètement étrangers à notre indignation. C’est avec fracas qu’ils descendent de leurs fourgons. Ils font autant de raffut et attirent autant l’attention sur leur présence qu’il est possible.
Et au même instant nous nous apercevons qu’un essaim de journalistes et de photographes tourne autour du Centre de rétention, autour du parking, un essaim qui, on en jurerait, est tombé pile, comme par miracle, car il se trouve que notre expulsion a précisément lieu au début de cet après-midi même, à peu près dans cinq heures. Et après être descendus de leurs voitures et avoir tourné autour, désemparés, dans le brouhaha d’une école venue s’opposer à l’expulsion d’un de ses élèves, il leur apparu que la forte mobilisation des écoles que l’on rencontre un peu partout dans le pays est sans doute encore plus forte, plus présente, plus déterminée ici. Ils n’ont jamais rien vu de pareil. Rien dans leur carrière, et certainement rien dans leur expérience de terrain, ne les a préparés à quoi que ce soit de ce genre.
En face d’eux, des représentants du Réseau (international) Education Sans Frontière. Plus loin, plusieurs collectifs de sans-papiers. Et puis, et surtout, des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, toutes origines confondues, manifestent devant un centre de demandeurs d’asile aménagé pour les temps qui courent en centre de rétention (tout un symbole ?). Naturellement, on n’a pas gardé le bâtiment tel qu’il était ; on y a changé deux ou trois choses, l’aspect extérieur, notamment, avec des barbelés d’enceinte hauts, très hauts. Les accès sont ultra-sécurisés par des portiques et un système de vidéosurveillance. Une pancarte prévient le visiteur qu’une fois à l’intérieur il pourra faire l’objet de contrôles. On n’entre pas dans un centre de rétention comme on entrait dans l’Office d’immigration.
Dos tourné à la pancarte, micro en main, une femme s’époumone : « Allez ! Tous avec moi ! Le lycée Gagarine solidaire avec Maoulida ! » Derrière elle, des enseignants en colère, effleurant du regard les douze policiers ou regardant à travers eux, reprend en chœur le slogan. Aux fenêtres des immeubles, quelques têtes embrumées surgissent alors. Sur le chemin de l’école, des gamins lâchent la main de leurs parents et s’arrêtent pour demander : C’est pour les sans-papiers, c’est ça ? Les parents s’arrêtent aussi pour demander ce qui se passe.
Sur les visages clairs et bien irrigués de ces hommes et femmes à la banderole, il y a une telle vivacité que nous nous demandons depuis quand nous n’avons pas vu d’hommes et de femmes au regard si éveillé, si bienveillant. Nous les aimons d’emblée. Nous sommes heureux ; nous ne savons pas comment nous avons pu supporter tant de regards vides manifestant l’incompréhension et l’indifférence par-dessus le marché, heureux également de voir les yeux d’hommes et de femmes qui, certes, savent qu’ils ne pourront rien faire pour nous, mais sont animés de bonnes intentions à notre égard. Nous voyons souvent des femmes et des hommes dans la rue. Une image jaillit, celle des milliers et des milliers de salariés en provenance de leur point de rassemblement, portant des banderoles ; beaucoup sont accompagnés de leur famille mais ils ont le visage figé, marqué, comme s’ils venaient de perdre un des leurs là d’où ils viennent. C’est la télévision qui diffuse ces images, et lentement se dessine l’idée que quelque chose de grave vient de se produire ; la voix télévisée ajoute des détails que nous n’entendons pas, ou plutôt que nous entendons à moitié. Dernièrement, dans le coin supérieur gauche de la télévision, se trouvait une télécommande noire et grise à laquelle il ne fallait pas que nous touchions et dont nous comptons cependant faire usage mais qui pour l’instant doit traîner quelque part, nous ne savons où. Aussi quand la télévision montre d’autres images du même événement prises dans d’autres pays, nous les regardons sans pouvoir nous servir de la télécommande. Mais cela nous importe peu ; le bulletin d’information, c’est la pierre angulaire de notre rituel : nous pouvons être enfermés vingt-quatre heures sur vingt-quatre et être privés ainsi de notre sortie quotidienne, mais rien au monde ne pourrait nous arracher au journal télévisé de l’heure du dîner. Nous sommes sur ce point d’une rigueur fanatique. Ce soir-là évidemment, nous sommes travaillés par une seule question d’abord : Que s’est-il passé dans la vie de ces hommes et de ces femmes pour qu’ils veuillent maintenant manifester ? Nous ne pouvons pas répondre. Après un certain temps, nous passons donc à la question suivante, celle de savoir ceux qui seront expulsés en premier d’abord, nous ou les autres : des Latinos toujours râleurs, bien qu’ils se laissent reconduire à la frontière sans lever le petit doigt, mais aussi des Asiatiques, qui ont dû entreprendre un voyage coûteux et difficile, certains dans des camions frigorifiques, pour arriver jusqu’ici et aussi des ressortissants de l’Europe de l’Est qui sont venus gonfler les rangs des sans-papiers après avoir été déboutés du droit d’asile. Nous, les Africains, nous nous entendons bien avec tout le monde, parce que nous sommes tous victimes de la xénophobie qui s’affiche avec de moins en moins de retenue – dans notre cas, cependant, c’est de manière tout à fait directe. De nous tous, c’est nous qui sommes soumis à des contrôles au faciès récurrents et vexatoires. Et c’est peut-être nous qui serons expulsés en premier. Mais rien que l’apparition du verbe expulser nous 

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