Jésus, le Christ et les christologies
308 pages
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Description

Comment Jésus-Christ est-il à la fois Jésus, homme inscrit dans son temps, et Christ : Messie et Fils de Dieu ? Cette question s'est posée dès l'origine aux disciples et se pose bien au-delà aujourd'hui à toute personne, croyante ou non, qui s'interroge sur son existence. C'est à cette question précisément que s'est consacrée la collection "Jésus et Jésus-Christ", créée et suivie depuis plus de trente ans par le père Joseph Doré entre-temps devenu évêque de Strasbourg.

Un à un il a choisi et convaincu les artisans des cent livres du projet. Jésus-Christ y est ainsi étudié à travers les différentes étapes de sa vie, de son enfance à sa résurrection, et dans sa postérité : celle des Pères de l'Église, des mystiques ou des théologiens, et à travers les différentes confessions chrétiennes. La Tradition et le magistère donc, mais pas seulement, car Mgr Doré a tenu à se faire attentif au regard des "autres" sur le Christ : celui des différents continents et des grandes traditions religieuses : le judaïsme, l'islam, l'hindouisme et le bouddhisme, mais aussi celui des philosophes et en particulier ceux du soupçon, Marx, Nietzsche, et Freud, ou celui des artistes, de la littérature au cinéma.

C'est donc un travail christologique hors du commun qui est présenté dans ce dernier numéro de la collection en forme de conclusion : chaque ouvrage y est résumé et replacé dans une perspective plus globale, celle de son intérêt pour la christologie.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 décembre 2012
Nombre de lectures 48
EAN13 9782718908670
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0172€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Image couverture
Image pagetitre
À propos de l’iconographie de couverture :
Il s’agit du plus ancien vitrail figuratif conservé en France. Il fut composé il y a plus de mille ans pour la belle abbatiale de Wissembourg, tout au nord de l’Alsace. On peut désormais le voir au musée de l’Œuvre Notre-Dame de Strasbourg.
Selon l’identification la plus habituelle, il représenterait le Christ ; cela explique qu’on le désigne usuellement comme « Christ de Wissembourg ». Il faut bien admettre cependant que rien n’impose d’y reconnaître un personnage précis, et l’appellation « Tête de Wissembourg » se rencontre aussi : on se trouverait, en somme, devant une évocation de « l’homme en général ».
On a dès lors le choix entre deux éventualités… qui sont néanmoins l’une et l’autre riches de signification christologique :
– Si ce vitrail renvoie au Christ, il constitue une preuve de plus de cette situation paradoxale : le Christ de la foi a été souvent représenté (en Orient et en Occident) bien avant que des artistes ou des cinéastes s’aventurent à fixer les traits du Jésus de l’histoire.
– Si, en revanche, il représente l’Homme, il nous ouvre alors à une compréhension unique de l’existence humaine. Selon Karl Rahner en effet, « la christologie est la fin et le commencement de l’anthropologie », on peut donc en déduire avec lui que : « Wenn Gott will nicht-Gott sein, entsteht der Mensch / Quand Dieu veut être non-Dieu, apparaît l’homme » !
B. X. et J. D.
Chacun des 100 numéros de « Jésus et Jésus-Christ » paraissait précédé d’une « Présentation » signée du directeur de la collection. L’essentiel du présent ouvrage (le no 101, ou si l’on préfère, 100 + 1 !) est constitué de la reprise des 100 présentations effectivement publiées.
Cette partie non seulement centrale mais essentielle (elle s’étend de la p. 55 à la p. 506 !) est, cependant, encadrée de deux ensembles de textes destinés à en faciliter à la fois la compréhension à l’exploitation.
1. Se succéderont d’abord (de la p. 7 à la p. 53) quatre éléments à caractère introductif :
– un avant-propos signé de Bernard Xibaut qui fournit une première approche synthétique de la collection, telle qu’elle apparaît à son terme désormais dûment atteint ;
– une brève ouverture qui reprend un texte antérieur de Joseph Doré introduisant et commentant les « quatre images » du Christ qui ont été choisies pour illustrer le présent ouvrage ;
– une série de cinq Présentations de la collection, ayant jalonné son développement progressif sur une bonne trentaine d’années : 1977, 1984, 1992, 1997, 2011 ;
– sur trois pages, la structure de la collection, son « organigramme » d’ensemble démarqué du simple relevé des titres de ses cent numéros dans l’ordre successif de leur publication effective que l’on trouvera, mais cette fois complet, à la fin du présent ouvrage, comme à la fin de chacun des numéros qui ont précédé (mais alors, bien entendu, seulement au point d’avancement atteint par la collection au moment de la parution !)
2. On terminera sur deux textes à caractères conclusif :
– un bilan dont le sous-titre précise qu’il s’agit d’un « État de la christologie aujourd’hui » (p. 507-535) et qui reproduit la conférence donnée par le cardinal Karl Lehmann au cœur du second colloque conclusif de la collection, au Theologicum de Paris, le 14 mars 2011 ;
– la conclusion de Joseph Doré, directeur de la collection (p. 537-560) : « La collection “Jésus et Jésus-Christ” : quelle histoire ? quelle histoire ! »
Avant-propos
Une collection exceptionnelle
Une bonne manière de présenter la collection « Jésus et Jésus-Christ » est sans doute de faire état de son caractère exceptionnel. D’autant que celle-ci paraît bien se vérifier à trois niveaux au moins.
1. C’est d’abord une collection bénéficiant d’une réelle gouvernance
Les spécialistes de la stratégie économique nous ont habitués à distinguer entre la maintenance – qui consiste à veiller à l’état de marche d’une réalité et à lui fournir les moyens de sa continuation – et la véritable gouvernance – qui exige une vision stratégique à long terme.
Ces mêmes spécialistes nous enseignent que la gouvernance, pour être efficace, suppose un recensement des tâches majeures à accomplir, une convocation des acteurs incontournables pour réaliser le projet et la mise en œuvre de procédures adaptées et concrètes. Or tous ces ingrédients se retrouvent dans la manière dont, depuis sa fondation, Joseph Doré dirige la collection « Jésus et Jésus-Christ ».
Dès l’origine, c’est-à-dire dans la postface du premier volume, le directeur a présenté sa collection comme un projet et il lui a assigné un programme. Il a également annoncé – ce qui n’a pas manqué de surprendre – que cette nouvelle collection comprendrait un nombre limité de volumes et il s’est assez rapidement déterminé pour le nombre de cent.
Avec l’humour malicieux qui le caractérise, Mgr Doré évoque aujourd’hui la manière sceptique dont cette annonce a été accueillie par la critique théologique. Au début, on affirmait avec des sourires entendus : « Il n’ira jamais jusqu’à cent. » À la fin, on murmurait doctement : « Il ne s’arrêtera jamais à cent ! »
Ces critiques reflètent non pas tant le mauvais esprit de leurs auteurs que la manière dont fonctionnent généralement les collections – qu’elles soient théologiques ou profanes –, sous l’angle de la seule maintenance. Une fois une collection fondée, elle accueille plus ou moins généreusement tout ouvrage en lien avec son objet, le directeur se contentant de sélectionner, parmi les manuscrits qui lui parviennent, ceux qui lui semblent répondre aux critères établis. Il n’est pas rare, d’ailleurs, que les critères primitifs connaissent des évolutions significatives justifiées par l’opportunité éditoriale.
Dans cette logique, le nombre de volumes d’une collection ne saurait être d’avance limité et le directeur peut fort bien, à la suite de retraite, de maladie ou de décès, se trouver relayé par un autre, qui poursuivra l’œuvre entreprise. Quel lecteur connaît d’ailleurs son nom ?
Tel n’est pas le cas de « Jésus et Jésus-Christ ».
2. C’est ensuite une collection profondément liée à son initiateur
Ce qui distingue en effet « Jésus et Jésus-Christ », c’est l’implication très forte de son initiateur, au point que la collection lui est viscéralement configurée et que l’idée d’un autre rattachement semble difficile à envisager. Ce lien viscéral est évidemment le corollaire du style de gouvernance évoqué plus haut. La collection est née dans la tête et dans le cœur d’un homme et toute transplantation se serait montrée plus que délicate.
Le signe le plus visible de l’implication du directeur est bien évidemment la présentation qu’il a systématiquement rédigée en début de chaque volume, afin de le replacer dans le projet organique de la collection et de signaler son intérêt pour le chantier de la christologie. Mais cet élément ne constitue que la partie émergée d’un iceberg qui plonge bien plus profondément son matériau dans les eaux.
En effet, en dehors des cinq premiers titres et de rares exceptions en cours de série, chacun des volumes a fait l’objet d’une commande précise de la part de Joseph Doré à un auteur qu’il avait préalablement repéré pour sa compétence spécialisée dans un domaine de la christologie.
On voudra bien ici reconnaître qu’il ne suffit pas de rencontrer un théologien, fût-il le spécialiste incontesté du sujet envisagé, pour que ce dernier remette un manuscrit quelques mois plus tard… Seul Mgr Doré pourra un jour, s’il le souhaite, rédiger une histoire « secrète » de la collection, qui rapporte les multiples embûches qu’il lui a fallu contourner, les innombrables problèmes qu’il a dû résoudre, et cela du no 1 au no 100 ! Le décès de l’auteur pressenti ou une maladie grave frappant son conjoint ont pu entraîner des retards importants pour tel ou tel numéro, mais il faudrait encore parler des multiples promesses de délais non tenues, que ce soit pour la remise d’un manuscrit ou pour une traduction, ou encore des péripéties liées à l’édition et à l’impression… Sur tous ces fronts, les combats auront été permanents pour le directeur. Certains volumes parus en fin de collection figurent en fait parmi les premiers à avoir été commandés, mais – grâce à la délicatesse du directeur – le lecteur ne relève que des remerciements dans la présentation.
Il fallait une détermination hors du commun pour mener un tel projet à son terme. L’un ou l’autre événement extérieur a d’ailleurs bien failli entraîner son abandon. On comprend ainsi que la question se soit sérieusement posée au moment de l’accession à l’épiscopat du directeur et qu’elle a même probablement pesé dans son acceptation de la charge : pouvait-il abandonner un tel chantier, fût-ce pour servir l’Église en qualité de successeur des Apôtres ? « À cause de Jésus », Joseph Doré a fait le choix d’entrer dans cette nouvelle mission tout en poursuivant, parmi d’autres activités théologiques, la direction de la collection. Il va de soi, cependant, que la charge en est devenue encore plus lourde, aussi bien son activité d’éditeur que sa responsabilité d’évêque… même si elles n’ont pas manqué de s’enrichir l’une l’autre. En dehors de l’un ou l’autre léger retard, la collection a cependant poursuivi son rythme durant les dix ans d’épiscopat strasbourgeois. Et chacun a trouvé naturel qu’il en soit ainsi.
3. C’est enfin une collection entièrement dédiée à Jésus et Jésus-Christ
C’est encore une exception notable dans le paysage théologique, où la plupart des collections se sont largement ouvertes à une pluralité de disciplines ou, du moins, à une diversité de sujets au sein d’une même discipline. Ici, la collection tout entière n’a jamais voulu « rien connaître d’autre », comme dirait saint Paul, « que Jésus Christ » (1 Co 2, 2).
La tentation était pourtant grande d’ouvrir la perspective, mais l’objectif n’a jamais dévié. Dieu lui-même ne doit son entrée dans la collection qu’à sa qualité de « Père de Jésus Christ » (no 60) ; l’Esprit Saint y est honoré en parallèle avec le Fils dans La Parole et le Souffle (no 20) ou en vertu de sa procession de lui (dans l’ouvrage « Résonances » L’Esprit, Souffle du Seigneur). Il en va de même pour la Vierge Marie, reconnue dans le mystère de l’Alliance scellée par son Fils (no 34) et comme « mère du Seigneur » (dans un autre ouvrage de la série « Annexe »).
Un regard sur l’ensemble de la collection nous amène à constater que Jésus y est étudié de sa petite enfance (le Jésus enfant de France Quéré, no 55) jusqu’à sa mort sur la Croix (nos 38 et 49) et à sa résurrection/exaltation (Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens, no 70). Nous découvrons le Christ tel qu’il est annoncé par les principaux Pères de l’Église (nos 36, 45, 64, 80, 88, 99, etc.), par les grandes figures mystiques et spirituelles (nos 15, 22, 58, 59, 68, 72, 81, 83, 89, etc.), par les théologiens marquants (nos 9, 24, 30, 41, 50, 57, 65, 96, etc.). Nous recevons l’apport de l’ensemble des diverses confessions chrétiennes : les orthodoxes (nos 63, 67, 91), les luthériens (no 48), les calvinistes (no 44), les anglicans (no 97), les évangélistes (no 54), mais aussi des grandes traditions religieuses : le judaïsme (nos 2 et 4), l’islam (nos 13, 32 et 69), l’hindouisme (no 8) et le bouddhisme (no 31).
La collection nous entraîne encore sur les différents continents : l’Afrique Noire (nos 25 et 37), l’Amérique du Nord et du Sud (nos 21, 26, 41) et l’Asie (no 77). Enfin, et selon une volonté affichée dès le départ, « Jésus et Jésus-Christ » s’ouvre largement au regard des « autres », non seulement les autres religions, mais encore le monde de la philosophie, marqué fortement au XIXe siècle par les grands soupçons – Marx (nos 1 et 5), Freud (nos 16 et 42) et Nietzsche (no 10) – et le champ immense de la culture, habilement honoré par la publication d’annexes et de résonances consacrées à l’art visuel, à la musique, à la littérature et au cinéma1.
Comme cela a été remarqué par l’un ou l’autre commentateur, la collection n’a jamais cédé à la tentation de l’exhaustivité, qui l’aurait condamnée à s’épuiser dans la publication d’innombrables volumes sur le moindre Père grec ou le plus obscur fondateur de congrégation. Même si l’on pourra toujours regretter l’une ou l’autre absence, elle a parfaitement rempli son rôle de présenter la quintessence du discours produit, en deux mille ans, sur le fondateur du christianisme, qu’il émane de ses disciples, de ses sympathisants extérieurs ou de ses contradicteurs.
Dans la présentation du no 90, Joseph Doré dissertait sur quelques qualificatifs du Christ, entre autres sa « richesse » et sa « plénitude ». Il faisait judicieusement remarquer que ces qualificatifs pouvaient s’appliquer, mutatis mutandis, à la christologie. La contemplation de ce monument, jusque-là jamais élevé en hommage à la personne de Jésus Christ, nous conduit elle-même à un semblable sentiment de richesse et de plénitude. Il aura fallu exactement trente-trois ans – l’âge du Christ ! – pour l’édifier.
*
C’est d’abord un sentiment d’effroi qui m’a saisi lorsqu’en septembre 2009 Mgr Doré m’a fait la proposition de réaliser ce Jésus, le Christ et les christologies qu’il avait depuis longtemps programmé en conclusion de sa collection. Sans avoir connaissance de la totalité de la matière, ce que j’en avais lu me rendait bien conscient de l’ampleur qu’elle revêtait.
Je me suis soudain trouvé dans la situation de tous les auteurs à qui, un jour, Joseph Doré a fait l’honneur d’entrer dans sa collection en leur proposant un sujet à traiter. Pour ma part, dans la mesure où mon sujet était « le Christ » et « les christologies », je comprenais bien que cette étude, si je l’acceptais, allait considérablement développer ma connaissance des unes – les christologies – et de l’Autre – le Christ.
En même temps que je rendrais mieux visible l’importance du chemin parcouru par la collection et du travail accompli par son initiateur, j’enrichirais donc ma propre science et ma propre foi.
Mgr Doré a une capacité prodigieuse à mobiliser des individus et des équipes dans le travail théologique. Comment pouvais-je me dérober, alors qu’il m’associait de si près à une œuvre majeure de sa carrière théologique et, plus profondément encore, de son existence ?
J’ai donc accepté, d’abord à cause de lui – en reconnaissance pour les encouragements et la confiance qu’il m’a toujours prodigués – mais aussi – comme sa devise épiscopale nous le fait si bien comprendre – « à cause de Jésus »… et de Jésus Christ.
Bernard Xibaut

1. Ce point a déjà été évoqué ci-dessus à propos de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie : une série « Annexe » puis une série « Résonances » ont publié respectivement plusieurs ouvrages destinés à élargir en divers sens le champ couvert par la collection comme telle. En voici la liste, par ordre chronologique :
Série « Annexe »
1. Paul Poupard (éd.), Nous croyons en Jésus-Christ. 115 chrétiens répondent à Mgr Poupard, 1980.
2. Joseph Doré (éd.), Jésus, le Christ et les chrétiens. Théologiens, pasteurs et témoins dans l’annonce de Jésus-Christ, 1981.
3. René Laurentin, Marie, mère du Seigneur. Les plus beaux textes depuis deux millénaires, 1984.
4. Henri Agel, Le Visage du Christ à l’écran, 1985.

Série « Résonances »
1. Jean Guitton, Le Christ de ma vie. Dialogue avec J. Doré, 1987.
2. André Dabezies et collaborateurs, Jésus-Christ dans la littérature française, t. I Moyen Âge, XVIe et XVIIe siècles ; t. II Du XVIIIe au XXe siècles, 1987.
3. Michel Dupuy, L’Esprit, Souffle du Seigneur, 1988.
4. Jean-Marie Tézé, Théophanies du Christ, 1988.En coédition avec Fayard : Jean-François Labie, Le Visage du Christ dans la musique baroque, 1992.

Ouverture
Quatre images du christ
Joseph Doré, in Nous croyons en Jésus-Christ.
115 chrétiens répondent à Mgr Poupard
,
« Annexe JJC » 1, 1980, p. 11-13.
Sa trace s’est inscrite dans l’histoire et son empreinte a marqué nos vies. Son message a illuminé les siècles et son espérance n’a pas quitté la terre. Mais son visage, qui nous le rendra ?
Ne nous leurrons pas : il est inutile, ce visage, de le chercher ! Aucun de ceux qui nous parlent de Jésus, l’ayant rencontré aux chemins de Palestine, ne s’est arrêté à nous le dépeindre. Et Paul déjà, disciple s’il en fut de l’homme de Nazareth, ne voulait plus connaître « le Christ selon la chair » ! N’est-ce pas dire qu’à tout jamais Il nous est livré ?
Nous sommes le Corps du Christ. Qu’avons-nous fait de lui ?
*
1. Au IIIe siècle, l’image d’un berger1. Son pas est léger sur les routes des hommes et son regard porte au loin. Mais l’important c’est, sur ses épaules, la brebis perdue, qu’il ramène à sa maison. C’est pour elle, la centième devenue la première, qu’il est venu. Et il nous est annoncé qu’en ces retrouvailles est la joie du Père.
Nous ne l’aurions pas cru si jeune assurément ; mais n’est-ce pas nous qui avons vieilli ? – éternelle jeunesse de Dieu, Dieu « jeune ensemble qu’éternel » ! En cet enfant des hommes qui n’a pas connu nos errements, il s’offre à nous, vieillards précoces dans ce monde usé, pour nous rajeunir : pour nous rafraîchir aux eaux de la vie éternelle et nous conduire à la table de son festin.
2. Il a pourtant subi la mort, après la détresse de l’abandon par tous, aux portes de Jérusalem. Son espérance même a vacillé au moment du grand cri : « Pourquoi ? » Tristesse infinie d’une vie brisée en son élan : pour laquelle de ses fautes fut-il ainsi frappé ? Le berger est devenu l’agneau mais le fardeau est toujours sur ses épaules – et le fardeau c’est désormais le péché du monde, car il est venu pour le porter. Il nous faut regarder encore celui qui fut transpercé, sa face humiliée, son corps brisé.
En une époque profondément meurtrie par les ravages d’une guerre mondiale, Rouault a voulu peindre un « Miserere »2. Miserere nobis, car ce n’est pas sur lui qu’il faut pleurer ! Dans le grand sursaut de la foi en celui qui pouvait le délivrer des affres de l’Hadès, il a su, lui, remettre son souffle aux mains du Dieu vivant. Et voyez comme rayonne, sur son visage douloureux aux yeux désormais fermés, la paix de celui qui ne craint plus.
3. « C’est pourquoi Dieu l’a exalté », chante l’hymne aux Philippiens. Et cela, certes, les chrétiens l’ont toujours su. Mais ne leur est-il pas trop souvent arrivé d’oublier qu’il n’y a pas de court chemin pour « entrer dans la gloire » ? Le chemin, c’est celui de Jésus ; et ce chemin est celui de la Croix. Ce ne sont pas ceux qui disent : « Seigneur, Seigneur », qui entreront dans le royaume des cieux, mais ceux qui font sur terre la volonté du Père qui est aux cieux.
L’artiste anonyme du XVIe siècle qui a sculpté le Christ de la chapelle de la Bourgonnière en Anjou3 n’avait pas seulement compris qu’« il fallait que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire » : il avait réalisé que « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » et que le ciel qui les réunit succède moins à la vie et à la mort des hommes qu’il n’en consacre la plénitude lorsque, véritablement, elles sont livrées. C’est le Crucifié et nul autre qui est le Ressuscité. Celui qui croit a déjà « vaincu le monde » et le Malin. Celui qui aime Dieu et son frère est déjà « passé de la mort à la vie ».
4. Mais si la gloire même du Dieu trois fois saint peut ainsi resplendir sur la face humiliée de son Serviteur élevé de terre et exalté en Croix, c’est que Dieu est Amour, qu’en Jésus Christ il a « visage humain » – et que c’est donc là où il nous est le plus livré qu’il est le plus divin. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » ; « Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son propre Fils ».
Or les dons de Dieu sont sans repentance, à jamais. « Voici mon corps livré pour vous » ; « voici mon sang versé pour la multitude ». La table est toujours largement ouverte, qu’ouvre sous nos yeux maintenant le bas-relief de la Cène sculpté au XIVe siècle au maître-autel de l’église Saint-Joseph des Carmes à Paris4. Là où deux ou trois sont rassemblés en son nom, il est là au milieu d’eux. Là où sont partagés le pain et le vin se construit son Corps. Et ceux qui communient à son Corps et à son Sang eucharistiques sont « transformés en son image » par la vertu de son Esprit.
De sorte que, désormais, « son image c’est nous ». Le verbe qu’en 2 Co 3, 18 saint Paul emploie pour dire que les chrétiens contemplent la gloire du Seigneur peut aussi bien signifier qu’ils la reflètent. Le visage qui a été ravi à nos yeux et que nul témoin oculaire n’a voulu fixer pour les générations qui le suivraient, il revient à ceux qui croient en Jésus Christ de le refléter en leurs existences mêmes. De le représenter jusqu’à ce que, un jour – car c’est leur espérance –, sur eux il resplendisse.
Paris, le 20 novembre 1979

1. Le Christ berger, ivoire, Louvre, Paris © Bridgeman Giraudon/Peter Willi.

2. Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde, ROUAULT Georges-Henri (1871-1958) © Collection Centre Pompidou, Dist. RMN/Georges Meguerditchian © ADAGP, 2011.

3. Le Christ habillé, dit « de Lucques » ou « de Nicodème », XVIe siècle. Retable du Christ-Roi, chapelle du château de la Bourgonnière, Bouzillé (Maine-et-Loire). Cliché Éric Rougier.

4. La Cène, autel de l’église Saint-Joseph des Carmes, 70, rue de Vaugirard, 75006 Paris © Photo Institut catholique de Paris.

Présentations de la collection
« Jésus et Jésus-Christ »
(1977, 1984, 1992, 1997, 2011)
Présentation no I : 1977 (no 1)
Joseph Doré, « Post-scriptum » in J.-M. Lochman,
Christ ou Prométhée ?, JJC no 1.
1. Le lancement de la série qui s’inaugure avec cet ouvrage procède de trois convictions fondamentales :
– la conviction, d’abord, que les questions les plus radicales que l’individu est amené à se poser sur sa propre existence en ce monde avec les autres, convergent en une interrogation fondamentale qui n’est rien d’autre que la question même de Dieu, laquelle apparaît du même coup comme la plus décisive de toutes celles qui se sont jamais posées à l’espèce humaine ;
– la conviction, ensuite, que la manière dont Jésus pose, pour son compte, cette question est, à la lettre, incontournable pour tout Occidental (au moins) qui ne pratique pas ici de censure a priori ;
– la conviction, enfin, que si Jésus est ici pertinent et pour la question et pour la réponse, c’est dans la mesure où les hommes, leschrétiens, continuent de se réclamer de lui : parlent, écrivent, pratiquent, vivent et meurent « en mémoire de lui ».
2. Exposer, dans tous les sens du terme, ces convictions et ce qui peut les fonder : tel est le premier objectif que s’est donné cette série. On souhaite que, dans un monde qui risque toujours de ne vivre que sur ses oublis, ses myopies ou ses phobies, se trouvent par là même réactivées, et les questions que suscitent et les réponses qu’appellent de telles convictions. On sait que le jeu des uns et des autres ne peut jamais être considéré comme définitivement clos.
3. Si cette série s’intitule « Jésus et Jésus-Christ », c’est qu’elle entend examiner, précisément, le problème du titre auquel Jésus mérite d’être à la fois entendu et questionné. Est-ce :
– comme, simplement, le témoin et prophète – insigne mais non unique ! – Jésus… qu’alors il conviendrait de soigneusement « dé-christologiser » : c’est-à-dire de ramener à « sa plus simple expression » (humaine) d’où ses semblables n’auraient finalement jamais dû le tirer ?
– comme, plutôt, la figure du Christ, sous laquelle se trouveraient avoir pris densité et fait carrière un certain nombre d’interrogations humaines radicales… de sorte qu’il faudrait en vérité, cette fois, « dé-jésuifier » : autrement dit désolidariser du personnage historique, auquel elle a été associée de manière tout à fait fortuite et occasionnelle, une « fonction christique dans l’humanité » dont la pertinence se perpétuerait hors même de toute référence, désormais, à Jésus ?
– ou bien comme Jésus Christ, selon ce que prétendent les chrétiens… auxquels il revient dès lors de s’expliquer aussi bien sur l’intérêt qu’ils portent et la portée qu’ils donnent aux deux termes Jésus et Christ que sur l’audace – dans quelle mesure toujours et réellement consciente ? – qui les pousse à les réunir (dans : Jésus-Christ) ?
4. On ne se donnera pas ici pour tâche une défense et illustration de ce qui serait la réponse chrétienne, considérée, sans plus, comme de soi acquise ou d’emblée donnée ! Dans la ligne de ce que donnent clairement à entendre les convictions ci-dessus énoncées, on cherchera bien plutôt, d’abord, à vérifier que et comment la question de Jésus/Jésus Christ est une question de fait posée parmi nous. C’est ainsi qu’on se proposera d’écouter les voix qui, de fait, présentement, viennent nous en parler ; et qu’on s’emploiera à repérer les voies qui, de fait, présentement, s’offrent à nous pour venir à lui. Dans les deux cas, sera susceptible d’être retenu ce qui se présentera comme vivant et actuel, réfléchi et lucide – sans sectarisme.
Ne sera-t-il pas plein d’enseignements, en effet, d’affiner et de circonstancier quelque peu le constat, qu’un peu d’attention suffit à imposer, d’une actualité et même d’un regain de l’intérêt pour la figure à laquelle on entend ici faire écho ?
Actualité et regain d’intérêt dont on s’efforcera de prendre la mesure dans la présente série et qui se manifestent :
– aussi bien dans les pays socialistes de l’Europe de l’Est – deux ouvrages au moins, dont celui-ci déjà, l’attesteront – que dans les deux Amériques : du « Jesus movement » et des « Jesus people » aux théo(christo)logies de la libération et de la révolution… ou dans le vieux monde méditerranéen-européen qui a été le lieu de la première floraison et où – on s’en apercevra – la théologie germanique se taille, pour l’heure, la première place ;
– aussi bien du côté du marxisme – ce qui ne sera pas sans étonner certains – que du côté du judaïsme lui-même… voire, peut-être, du côté de l’islam ;
– aussi bien dans ce que peut révéler le traitement de la « chose chrétienne » par les sciences humaines, psychanalyse ou sociologie par exemple, que dans le champ de la réflexion philosophique comme telle puisque, comme on le verra, on fait bel et bien état désormais d’un « Jésus des philosophes » et que se trouve posé le problème d’une/de « christologie(s) philosophique(s) » ;
– aussi bien dans l’ordre de la réflexion proprement théologique, où l’on voit se produire une sorte de « concentration christologique » (que ce premier ouvrage commencera, à sa manière, à mettre en valeur), que dans celui de la pratique pastorale, ainsi qu’on réussira peut-être à le montrer, et dans la vie des communautés chrétiennes.
5. Cela dit, on ne s’en tiendra pas à un relevé, qui ne pourrait se proposer d’autre ambition que celle, narcissique et obsessionnelle, de l’exhaustivité !
À chaque fois que s’ajoutera à la série un nouvel ouvrage – les degrés de technicité seront à dessein largement variables –, on s’efforcera, respectant scrupuleusement, cela va de soi, sa perspective propre, de le situer par rapport à l’ensemble du projet dans la réalisation duquel il viendra représenter une nouvelle avancée. De sorte qu’au fur et à mesure de la progression se dégageront des problèmes et se profilera une problématique qu’il faudra bien, au terme, trouver, d’une manière ou d’une autre, le moyen d’honorer. À quels résultats homologables auront, au bout du compte, conduit les investigations effectuées dans tant de directions ? Et comment pourront être reconsidérées, au terme de l’entreprise, les convictions qui auront présidé au lancement de la série ? Quelles réponses sa réalisation rendra-t-elle possibles aux questions qu’elles suscitaient ? On s’attachera, le moment venu, à la prise en compte de ces interrogations.
6. Ainsi se développera et se précisera de plus en plus le caractère proprement et résolument théologique de l’entreprise, mais se manifestera aussi, et de mieux en mieux, la modalité particulière selon laquelle ce caractère se mettra ici en œuvre, et se fera valoir lui-même. Il s’agira bien, certes, de (Jesu)christologie – et donc bien de théologie – mais en lien indécrochable avec ce qu’on pourrait appeler, d’autre part, une « Jesuchristographie » : puisque c’est dans l’actualité et l’effectivité parmi nous aujourd’hui, de la « chose de Jésus », que la présente série non seulement trouve l’intérêt et même l’inévitabilité des questions qu’elle pose sur « Jésus et le Christ », mais se propose de trouver, aussi, les moyens d’y apporter réponse !
7. Dans quel esprit et selon quelles orientations ? L’entreprise est conduite par quelqu’un qui ne fera pas mystère de ses positions personnelles et de son appartenance confessionnelle. S’il estime – et précisément pour réaliser un projet théologique… mais conçu comme on vient de le dire ! – pouvoir et même devoir prendre sous sa responsabilité de « directeur de série » la publication de positions qu’il ne partage pas, il se reconnaît lui-même croyant, chrétien, catholique ; et il annonce que c’est en tant que tel qu’il intervient et interviendra ici. Parce qu’il est superflu, semble-t-il, de faire plus à cette place, il suffira pour l’instant d’apporter une seule précision – sur laquelle d’ailleurs on mettra fin à cette présentation de l’ensemble de la série « Jésus et Jésus-Christ » : l’intérêt de Jésus/Jésus Christ tient, pour nous, en ceci : l’essentiel de ce qu’il a dit, fait et a été comme de ce qu’il a, du même coup, induit dans le monde et qu’on peut voir se continuer jusque sous nos yeux, c’est qu’il nous invite à comprendre – à croire et à vivre –
que s’il y a un Dieu, il n’y a pas deux mondes :
que son Monde est bien celui que nous faisons nôtre – et qui est le seul
que son Dieu est bien le seul – mais qui s’est fait nôtre.
Le 24 octobre 1976
Présentation no II : 1984 (no 20)
Joseph Doré, « La collection “Jésus et Jésus-Christ” »,
in Croire aujourd’hui, novembre 1984, no 156, p. 617-627.
La collection « Jésus et Jésus-Christ » vient de publier son vingtième numéro : Y. Congar, La Parole et le Souffle. L’occasion est bonne pour rappeler le projet général qui anime cette série théologique depuis son lancement en 1977, et pour faire le point sur les réalisations dont elle peut à ce jour faire état.
1. Une double opération : concentration et désenclavement
a) Concentration
Première chose à dire : le fait que la collection se consacre précisément à Jésus Christ correspond à l’intention déclarée de concentrer toute l’attention sur ce qui représente en fait le cœur même de la foi chrétienne. Car si, assurément, les chrétiens croient en Dieu, pratiquent un certain nombre de rites (les sacrements surtout) et s’efforcent d’adopter un style de vie bien déterminé (aimez-vous les uns les autres), rien de tout cela ne suffit pourtant à les spécifier comme tels parmi les hommes. Ce qui à proprement parler les distingue c’est que, tout cela, ils le croient, le pratiquent et le vivent précisément au nom de Jésus Christ. C’est dire l’importance qui revient à ce dernier dans l’ensemble de la foi chrétienne.
C’est dire aussi, par voie de conséquence, l’intérêt d’une réflexion spécialement consacrée à sa figure et à son destin dans l’histoire, à sa fonction et à sa signification dans l’humanité.
b) Désenclavement
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