Nicolas de Cues ou l autre modernité
137 pages
Français

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Nicolas de Cues ou l'autre modernité , livre ebook

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Description

A la jointure du Moyen Age et de la Renaissance, Nicolas de Cues, initiateur de la pensée moderne, propose un modèle du monde qui, en renonçant au principe hiérarchique, célèbre les singularités non comparables des êtres. La modernité selon Nicolas de Cues se fonde sur la distance mise en tension entre le monde et la transcendance. C'est cette modernité alternative, où la personne humaine se fait suite convergente vers l'infini et où la diversité culturelle et religieuse acquiert une légitimité de principe, que cet ouvrage interroge.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2010
Nombre de lectures 59
EAN13 9782296700499
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

NICOLAS DE CUES
OU L’AUTRE MODERNITÉ
Anca MANOLESCU


NICOLAS DE CUES
OU L’AUTRE MODERNITÉ


L’Harmattan
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-12005-1
EAN : 9782296120051

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
AVANT-PROPOS
Ce recueil d’études est le fruit de plusieurs rencontres. Il y a quelques années, j’ai commencé à m’intéresser au thème de la diversité religieuse. Il me semblait, d’un point de vue anthropologique, que « le terrain » européen imposait ce sujet de recherche. L’accueil des cultures et des religions dont l’Europe actuelle se fait un devoir, d’une part, la montée des fondamentalismes agressifs, d’autre part et, enfin, l’entrée de la Roumanie post-communiste dans un espace culturel et religieux polychrome dont elle avait été tenue de force à l’écart pendant un demi-siècle en étaient autant de raisons. Mais il me semblait également qu’il valait la peine d’approcher ce thème selon un point de vue « positif », en mettant l’accent sur ce que j’ai appelé « le bénéfice métaphysique » qu’on peut tirer de la rencontre des religions, que la mondialisation rend inévitable. Au-delà de l’âpre problème identitaire – car chaque religion garde un noyau dur, où elle se perçoit comme revêtue de l’absolu vers lequel elle conduit – il reste justement ce but commun que chacune d’elles est tentée de s’approprier. Ne pourrait-on pas alors investiguer la diversité comme une provocation, mise devant tous les acteurs religieux actuels, de revisiter la distance entre la religion/ les religions objectivées dans leur institutions, et une transcendance que toutes présupposent, que toutes visent à atteindre ?
Je me suis donc tournée vers quelques penseurs du XXe siècle dont la philosophie religieuse conçoit les traditions selon leur convergence vers le Pôle transcendant : Simone Weil, Henry Corbin, René Guénon, André Scrima {1} , Nikolaï Berdiaev aussi. Une bourse du New Europe College. Institut d’études avancées de Bucarest m’a permis en 2000-2001 de faire un premier repérage du thème {2} . Mais il m’a semblé encore plus significatif de me référer, en ce sens, à la pensée de Nicolas de Cues. Au seuil de la modernité, il thématise la convergence d’une manière étonnement hardie et rigoureuse, en la concevant à l’intérieur d’un modèle du monde qui, s’il annonce l’âge moderne, ne perd pas toutefois sa verticale métaphysique. C’est de ce modèle, celui d’une « autre modernité », que traitent les textes du présent recueil.
Je n’aurais pas toutefois persisté à interroger la pensée du Cusain sans les suggestions et l’encouragement que j’ai reçus au fil du temps du professeur Andrei Ple ş u, Recteur du New Europe College, dont « la philosophie de l’intervalle » se construit en invoquant la diversité des cultures spirituelles, et du professeur Jad Hatem, de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, dont les travaux sur la mystique comparée sont nombreux. Une problématique commune, les débats sur le thème de la convergence, les lignes d’étude qu’ils m’ont proposées ont une part significative dans mon effort de recherche. Les deux premiers chapitres du recueil représentent d’ailleurs des articles, légèrement revus, que j’ai publiés à l’invitation de Jad Hatem {3} .
Les redites qui, d’un chapitre à l’autre du volume, peuvent paraître trop insistantes sont dues non pas tant à la rédaction indépendante des textes, mais plutôt au caractère de la doctrine cusaine : la construction en est si serrée que chaque thème ne reçoit son sens et son envergure qu’en le rattachant aux principes de cette pensée. C’est ce lien que j’ai essayé de marquer.
Tout aussi importante fut pour moi la présence à Bucarest d’André Scrima. Intellectuel et moine, universitaire et « voyageur spirituel », il avait fait de l’interprétation en convergence des traditions religieuses une vocation. Son volume Le temps du Buisson ardent. Le maître spirituel dans la tradition de l’Orient chrétien {4} , où il met à l’oeuvre une « hospitalité métaphysique » envers les autres traditions, le prouve pleinement. C’est toujours grâce à lui et au New Europe College, que j’ai rencontré le professeur Claude Geffré, théologien du dialogue interreligieux qui m’a fait découvrir l’effort systématique de penser une vérité religieuse relationnelle. Je dois également beaucoup à l’amitié du professeur André Godin et à Bogdan Tâtaru-Cazaban, chercheur en philosophie médiévale à l’Institut d’histoire des religions de Bucarest, tant pour les ouvrages auxquels ils m’ont donné accès et que pour les échanges sur le sujet. Enfin, Jad Hatem a eu la bienveillance de proposer ce volume à l’éditeur français. Ma gratitude s’adresse à tous.
CHAPITRE I UN UNIVERS INFINI OU NON FINI ? LA MODERNITÉ SELON NICOLAS DE CUES
Au point de jonction et de séparation du Moyen Âge et de la Renaissance, Nicolas de Cues propose un modèle du monde qui n’est plus hiérarchique, mais « républicain » {5} , où la diversité culturelle et religieuse acquiert par conséquent une légitimité de principe. Il propose un modèle épistémologique selon lequel l’univers – pensé apparemment comme infini – devient un objet légitime d’étude pour les sciences spécialisées, sous l’égide de la spéculation mathématique, ce qui entraîne l’éloge de l’inventivité technique. Voilà autant de raisons pour que, à la suite de Hermann Cohen et d’Ernst Cassirer, on considère Nicolas de Cues un initiateur de la pensée moderne. Toutefois sa démarche théologique, philosophique, scientifique contient in nuce une modernité différente de celle qui a triomphé historiquement pour vivre de nos jours son âge tardif. « Notre » modernité se fonde sur une distance entre l’univers et la transcendance de type séparation , non de communication entre les deux termes, ce qui conduit à la disparition de l’un d’entre eux. La modernité selon Nicolas de Cues a toujours comme prémisse la distance, mais une distance mise en tension, mobilisatrice.
En partant de cette différence, j’insisterai sur les modèles à travers lesquels le Cusain pense le problème de la distance et sur les conséquences qu’il en tire. Nicolas de Cues nous met devant une autre modernité, qui reste à interroger, à thématiser et éventuellement à assumer par la conscience de l’homme actuel.

La distance comme séparation

Au début du XIVe siècle, lors du procès de Maître Eckhart, les censeurs de ses textes incriminaient la thèse (que le Cusain fait sienne) selon laquelle Dieu ne pouvait pas créer le monde « plus tôt » ou « avant » qu’il ne l’avait fait. Pour les experts d’Avignon, cette proposition aurait imposé des limites à la toute-puissance divine. Leur attitude montre à quel point le discours théologique officiel s’était sécularisé. Celui-ci temporalisait non seulement l’acte créateur, mais la toute-possibilité divine même {6} . Il concevait la transcendance dans un cadre spatio-temporel, dans l’horizon de la contingence, sans différence de niveau et, en fait, de nature entre les deux sphères. La hiérarchie scolastique des concepts et des pouvoirs spirituels ou politiques se refermait selon un ordre parfait, assuré par un Dieu pensé comme maximum du monde {7} . Complément architectural de la scolastique « classique », la cathédrale gothique reflète elle aussi quelque chose de la continuité que le Moyen Âge tardif institua entre le monde et la transcendance. À la différence de l’église romane – dont la matérialité suggère un espace impénétrable, tout autre que l’espace « profane » – la façade de l’édifice gothique laisse transparaître la structure du sanctuaire, extériorise celle-ci, en diminuant ainsi la rupture de niveau entre les deux espaces {8} .
Selon une thèse largement acceptée, la modernité tire ses racines de la protestation contre cette sécularisation du divin, évidente et presque suffocante à la fin du Moyen Âge, qui, en postulant la continuité en

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