Mémoire et histoires de l automatisation du contrôle aérien
255 pages
Français

Mémoire et histoires de l'automatisation du contrôle aérien , livre ebook

-

255 pages
Français

Description

Ce récit de la genèse du CAUTRA (Coordinateur Automatique du Trafic Aérien), en adoptant la manière biographique pour parler d'un système technique, cherche à saisir le processus à travers lequel un objet technique devient un acteur parmi d'autres de l'histoire humaine. En effet, technicien ou ingénieur ne se souviennent pas, tant les objets techniques inscrivent l'oubli dans leur matérialité et transforment en évidence efficace ce qui était circonstances et controverses.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2009
Nombre de lectures 301
EAN13 9782296230132
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Que l'on dise encore, par un abus de
mots courant, qu'il y a trois temps, le passé,
le présent, le futur, oui qu'on le dise : après
tout, cela m'est égal et je ne m' y oppose ni
ne le blâme, pourvu toutefois que
l'on entende ce que l'on dit et que ni le futur
ni le passé ne sont quelque chose d'actuel.
De fait, il y a dans le langage peu de mots
propres pour beaucoup de mots impropres,
mais on sait bien ce que parler veut dire.

Augustin, LesConfessions, Livre XI

AVANT- PROPOS

Pourquoi publier, plus de dix ans après sa réalisation cette
recherche de sociologie et d’histoire sur le Coordinateur
Automatique du Trafic Aérien (CAUTRA)? Bien des raisons
pourraient militer pour la décision inverse, ne serait-ce que
l’importance prise depuis par la sociologie des techniques (un
travail entrepris aujourd’hui serait sans aucun doute
considérablement enrichi de ces nouveaux apports). Par ailleurs,
l’automatisation du contrôle aérien a connu des évolutions non
négligeables dont la prise en compte modifierait sensiblement
(quoique non fondamentalement) ce texte, surtout si l’on prend en
considération la perspective centrale adoptée ici d’une
« sociobiographie »fondée sur la conscience du présent et de ses
enjeux.
Il apparaît cependant que, malgré ces limites inhérentes au
temps qui passe et à la dimension exploratoire du texte (il s’agit
d’un travail de thèse), les raisons d’ouvrir ce travail à un plus large
public l’emportent. D’abord par l’émergence d’un réel intérêt pour
l’histoire de cette part cachée de l’histoire de l’aéronautique qui est
celle du contrôle aérien. L’installation prochaine de la tour de
contrôle de l’aéroport du Bourget comme espace dédié à la
mémoire de la navigation aérienne marque symboliquement cette
reconnaissance tardive de l’activité du contrôle aérien comme un
fait d’histoire, c’est-à-dire de culture. Ensuite parce qu’il semble
que le parti adopté ici de rendre compte des représentations et des
pratiques des acteurs, sans occulter leurs dimensions techniques et
en insistant sur la puissance du sens donné aux objets techniques
par leurs concepteurs et leurs usagers,conserve une certaine
singularité.

Ma reconnaissance va d’abord aux acteurs de la DGAC qui,
de diverses manières, ont rendu possible ce travail et en particulier
à Jean-Marc Garotpour m’avoir accueillie auCENA etpour sa
confiance. Je remercie aussi mes amis etcollègues duCETCOPRA
dontla réflexion s’estconstammentmêlée à la mienne eten
particulier Cécile qui a accompagné cette publicatoion. Sansublier
FlorentGauBruno Péquignot qui ont recueilli ce tedez etxte dans
leur collection.

PRÉFACE
Bernadette Bensaude-Vincent

Décrire un objet technique comme une personne, dont on
raconte la biographie cela pourrait passer à première vue pour une
coquetterie de style. La métaphore paraît d’autant plus osée que le
nom propre CAUTRA ne désigne même pas un objet technique
visible, qui serait construit pièce à pièce et soumis à l’usure de tout
matériau. Cet acronyme désigne un système informatique de
contrôle de la navigation aérienne, totalement immatériel et
d’autant plus efficace qu’il demeure invisible, effacé derrière le
ballet bien réglé des avions évoluant dans un trafic qu’on voudrait
aussi fluide que le milieu aérien.
Pourquoi donc personnifier un système d’automatisation?
Serait-ce une façon indirecte de suggérer que les automates sont
appelés à remplacer les humains ? En choisissant la métaphore de
la biographie, Sophie Poirot-Delpech adopte en effet une position
très engagée sur la place des techniques. Mais ce n’est pas pour
transmettre le message claironné par les technocrates de tous bords.
Loin de suggérer que les humains doivent inexorablement céder la
place aux machines et n’ont d’autre choix que de se soumettre, loin
de suggérer l’autonomie des techniques, elle propose au contraire
de traiter l’objet technique comme un acteur parmi d’autres dans
l’histoire humaine. Le système de contrôle aérien n’est pas le
nième épisode dans le progrès inexorable de la maîtrise et de la
rationalisation du monde. Il s’inscrit certes dans l’histoire des
plans-calculs du contexte militaro-industriel d’après guerre. Mais il
n’est pas le produit de ce contexte. Il est décrit comme une
singularité qui fait événement dans l’histoire. Il engage des
porteparole passionnés, qui ont incorporé le projet. Il crée des conflits
entre compagnies informatiques rivales, entre corps d’ingénieurs et
hommes de terrain, etc. Mais tout en suscitant des controverses, le

CAUTRA soude un collectif. En s’immisçant et circulant parmi les
hommes, il unit le personnel de la tour de contrôle, qui crée peu à
peu ses propres normes, mais aussi crée des liens avec les pilotes et
le personnel au sol. Cette biographie est bien celle d’un
«quasiobjet » au sens de Michel Serres.
En adoptant ce regard très nouveau sur une innovation
technologique, Sophie Poirot-Delpech avance des thèses aussi
hardies qu’originales et profondes. L’objet technique a certes pour
vocation de fonctionner en accomplissant des opérations, mais il
est aussi producteur de sens. Non seulement il vise l’efficacité,
mais il tisse un «monde »,en croisant un environnement naturel
avec un univers culturel. Ainsi dans le conflit entre deux
calculateurs qu’évoque le chapitre sur «le CAUTRA divisé»,
l’affrontement entre les options techniques, également efficaces,
recouvre un affrontement entre des visions du monde rivales. Toute
alternative technique qui tente sa chance sur le marché
concurrentiel fait d’altermondialisme et trouvera ses partisans
grâce au monde qu’elle laisse entrevoir.
Pour déchiffrer le sens plus ou moins caché dans les objets
techniques et leur monde associé, il faut accéder à leur histoire
enfouie, grâce à un travail de terrain, en dialogue et en immersion.
Car la réalité des objets techniques, même exposés dans un musée,
dissimule leur vérité, ce qui a été vécu, incorporé et mis au travail
pour agir sur le monde. L’aviation est un terrain idéal qui permet à
Sophie Poirot Delpech d’avancer une autre thèse majeure qui a
déjà marqué toute une génération d’étudiants. La technique, alors
même qu’elle avance grâce à la mémoire desbugs, des pannes, des
accidents, est fondamentalement amnésique. Le succès passe par
l’oubli et suppose une part d’aveuglement pour s’imposer dans une
relation de confiance avec les usagers. Comme l’histoire des
sciences, l’histoire des techniques efface les traces de ses
errements, des «casualties» et autres sortes de contingences qui
ont escorté ses débuts.
En un temps oùl’on s’efforce d’accompagner les
technologies émergentes en mobilisantles sciences humaines, de
« monitorer » leur développementdansune démarche proactive et
non plus « réactive », à grands renforts de feuilles de route etautres

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exercices de prospective, ce livre ose dire qu’on ne peut maîtriser
l’avenir d’une technique, qu’elle est toujours en devenir en
suspens. L’automate qui permet d’afficher sur les écrans la
trajectoire des avions en vol est emblématique d’une nouvelle
génération d’objets techniques qui se rapporte non pas directement
à la nature mais à d’autres objets techniques. Ce n’est pas un
automate cartésien qui permettrait de se « rendre comme maître et
possesseur de la nature», il ne contrôle qu’une petite portion,
quelques mètres carré de ciel et il est assujetti aux avions qui eux
mêmes sont asservis à la tour de contrôle. On est dans un système
complexe de dépendances mutuelles, Sophie Poirot Delpech y
insiste :les techniques de contrôle ne confèrent pas la maîtrise,
elles transforment le monde en un laboratoire où nos capacités
techniques sont toujours testées, à l’épreuve des circonstances.

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INTRODUCTION

Vers la fin des années 1950, les possibilités qu’offre pour la
c

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