Archéologie de la pensée sexiste
390 pages
Français

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Archéologie de la pensée sexiste , livre ebook

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Description

Bien des oeuvres révèlent, dans divers domaines de la pensée, le mépris adressé à la femme et inspiré de manuscrits remontant à l'Antiquité. Du Moyen Âge à aujourd'hui, des femmes ont voulu dénoncer ces injustices dans des documents d'autant plus remarquables qu'elles ont été peu nombreuses à prendre la plume. Quelle sera la relève au XXIe siècle ? Cet ouvrage propose de nombreux manuscrits et montre que les préjudices subis aujourd'hui par les femmes plongent leurs racines dans un passé lointain et se manifestent sous diverses formes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 juin 2017
Nombre de lectures 7
EAN13 9782336792118
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

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Extrait

Couverture

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4e de couverture

4e Image couverture

Copyright

 

© L’Harmattan, 2017

5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

 

www.harmattan.com

 

EAN Epub : 978-2-336-79211-8

Titre

Georges LABRECQUE

 

 

 

 

 

Archéologie

de la pensée sexiste

 

 

 

Du Moyen Âge au XXIesiècle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DU MÊME AUTEUR, CHEZ L’HARMATTAN :

Archéologie de la pensée sexiste. L’Antiquité, 2016, 366 p.

Les différends territoriaux en Amérique latine, 2011, 315 p.

Les différends territoriaux en Europe, 2009, 350 p.

Les différends internationaux en Asie, 2007, 306 p.

Les différends territoriaux en Afrique, 2005, 482 p.

Les frontières maritimes internationales, 2e édition, 2004, 531 p.

 

DU MÊME AUTEUR, CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS :

International Law of the Sea, 2015, 612 p.

À qui l’Arctique ?, 2012, 679 p.

La force et le droit, 2008, 646 p.

L’Affaire du golfe du Maine, 1995, 247 p.

Dédicace

 

Pour Étienne

INTRODUCTION

Dans un ouvrage précédent consacré à l’Antiquité1, l’auteur eut l’occasion d’observer que la femme, ou les femmes, avaient été traitées de tous les noms et qualifiées avec les termes les plus méprisants : « un anneau d’or au nez d’un pourceau » (le livre des Proverbes) ; « un piège profond », de même qu’« un cœur de chienne et des façons sournoises » (Hésiode) ; « le plus grand fléau que Jupiter ait créé » (Simonide d’Amorgos) ; « des bêtes brutes » (Eschyle) ; « sexe tout à fait débauché » (Aristophane) ; « un être manqué », « une défectuosité naturelle » et « ce qui sert de réceptacle » (Aristote) ; « un cheval irascible » (Ménandre) ; « véritable sentine d’impureté » (Ovide) ; « une débauche contre nature » (Sénèque) ; « difforme à faire peur » (Martial) ; « un gouffre sans issue » (Lucien) ; « les portes de l’enfer » (Tertullien) ; « la partie la plus faible du couple humain » et « l’auxiliaire de l’homme » (Saint Augustin) ; « la racine du mal » (Pierre Chrysologue).

Ces qualificatifs ne sont pas exclusifs à l’Antiquité puisqu’on les trouve disséminés dans un grand nombre d’œuvres des périodes subséquentes, du Moyen Âge au XXe siècle : un « sac de fiente » (le moine bénédictin Odon de Cluny) ; un « être imparfait » (Saint Thomas d’Aquin) ; « l’os surnuméraire de l’homme » (Bossuet) ; « un animal domestique » (Kant) ; « état bestial » (Proudhon) ; « cette forme rabougrie de l’être humain » (Strindberg) ; « abondance de bacilles en forme de yoni » (Montherlant).

Ces insultes choquent mais ne doivent pas occulter le fait que les femmes, trop peu nombreuses à prendre la plume, ont été par ailleurs défendues par bien des hommes qui les ont sincèrement aimées et appréciées.

L’Antiquité

Du Moyen Âge au XXe siècle, bien des préjugés sexistes, souvent hérités de l’Antiquité, ont marqué la pensée. Par exemple, on trouve, chez Luther, Bossuet et Malebranche, l’affirmation dans la Genèse et chez les Pères de l’Église selon laquelle l’homme a été tenté par le diable à travers la femme ; chez Hobbes et Locke, l’idée aristotélicienne de l’autorité naturelle de l’homme sur la femme ; chez les dramaturges Corneille, Racine et Molière, certains portraits misogynes d’Aristophane et de Térence ; chez les moralistes français, les satires mordantes rappelant celles de Martial et de Juvénal ; dans le Code Napoléon de 1804, l’incapacité juridique que le droit romain attachait généralement à la femme ; en médecine et en psychanalyse, les théories freudiennes qui évoquent certains mythes de l’Antiquité.

Si l’Antiquité a marqué profondément la pensée des siècles suivants, il faut aussi se demander – et nous le ferons en conclusion générale – quelle est la postérité des œuvres du Moyen Âge et celle des périodes subséquentes. Par exemple, on peut spéculer sur l’interprétation du Coran en ce début du XXIe siècle, quant aux relations femme/homme en général et, plus particulièrement, à l’usage du voile ou à la peine en cas d’adultère de la femme. Ou encore, on peut examiner la question de savoir si la Cléopâtre de Philippe Sollers dans ses Portraits de femmes est bien différente de celle que peint Shakespeare dans Antoine et Cléopâtre.

Du Moyen Âge au XXe siècle

Quelques femmes seulement ont laissé leur signature au cours du Moyen Âge (Râbi’a al-Adawiyya, Hildegarde de Bingen, Marie de France, Christine de Pisan), tandis qu’elles sont partout présentes, comme muses ou inspiratrices, objets de l’amour courtois ou personnages principaux : Boèce dit de la Philosophie qu’elle est une femme majestueuse ; Shéhérazade est au centre des Mille et une nuits ; Tristan et Iseult n’existent pas l’un sans l’autre ; Dante, Boccace et Pétrarque ont chanté leur muse ; Chaucer a vanté les mérites de certaines femmes et dénoncé les travers de bien d’autres ; Jacques de Voragine a fait l’éloge des saintes ; les juristes s’intéressent à son statut, de même que les théologiens et les philosophes, notamment Mahomet, Thomas d’Aquin, Marsile de Padoue et Guillaume d’Ockham.

À l’instar du Moyen Âge, les femmes, au cours de la Renaissance, laissent une maigre production, à l’exception de Marguerite de Navarre, Marie de Gournay et Thérèse d’Avila ; mais elles sauront en revanche inspirer bien des hommes (notamment Rabelais, Ronsard, Honoré d’Urfé, Cervantès et Shakespeare), outre qu’elles seront l’objet de travaux de philosophes, de penseurs politiques et de juristes (Érasme, Machiavel, Montaigne, More, Bodin et Pasquier), de même que de théologiens (Luther, Calvin, Knox et François de Sales).

Au cours du XVIIe siècle – celui de « l’honnête homme » français –, quelques femmes brillent par leur production littéraire : Madame de Sévigné, Madame de La Fayette et Mary Astell. Par ailleurs, les hommes ont mis les femmes au cœur de leurs œuvres en de multiples occasions, tout particulièrement dans la poésie avec Milton et le théâtre avec Corneille, Racine et Molière, mais aussi dans le conte, le moralisme et la satire avec Perrault, La Fontaine, Boileau, La Rochefoucauld et La Bruyère, tandis que les théologiens, les philosophes et les juristes ont apporté diverses contributions dont Bossuet, Fénelon, Bayle, Malebranche, Grotius, Filmer, Pufendorf, Leibniz, Hobbes, Locke, Spinoza et Poullain de La Barre.

Le XVIIIe siècle, a-t-on dit, est celui des femmes, en tout cas celles qui reçoivent dans les salons. Plusieurs écrivent en plaidant en faveur de leur sexe, notamment Olympe de Gouges, Mary Wollstonecraft et la plus connue de toutes, Madame de Staël – qui appartient également au siècle suivant. Le siècle des Lumières est aussi celui des grands penseurs, qui ont beaucoup écrit sur les femmes (notamment Montesquieu, Voltaire, Hume, Rousseau, Diderot et Kant), de même que nombre d’écrivains dont Marivaux, l’abbé Prévost, Sade, Laclos, Beaumarchais, Vauvenargues, Chamfort, Saint-Simon et Condorcet – qui a pris nettement la défense des femmes –, tandis que d’autres penseurs de la politique ou du droit y ont consacré quelques développements, notamment Burke, Beccaria, Sieyès et Fichte.

Période de foisonnement social, économique et politique où apparaissent de nouveaux genres (critique littéraire et journalisme), le XIXe siècle voit pourtant assez peu de femmes prendre la plume, à l’exception de quelques noms marquants dont Jane Austen, les sœurs Brontë, George Sand et Lou Andreas-Salomé – qui poursuivra son œuvre au XXe siècle. Les femmes sont en outre au cœur de nombreux écrits produits par des hommes dans divers domaines : droit et politique (de Maistre, de Bonald, Cabet, Leroux, Mill et Bebel) ; en littérature (Sainte-Beuve, Andersen, Ibsen, Scholl et Strindberg) ; en philosophie (Hegel, Schopenhauer, Kierkegaard, Marx, Engels et Nietzsche) ; en sociologie (Fourier, Comte, Tocqueville, Proudhon et Durkheim).

Au XXe siècle, les femmes ont multiplié les œuvres écrites, en sociologie et en politique (notamment Brion et Ernaux), en littérature (Colette et Yourcenar), en psychanalyse (Pelletier et Kristeva), en philosophie (Arendt), en études féministes (de très nombreux essais, tout particulièrement à la suite de Simone de Beauvoir). Chez les hommes, la contribution est encore plus importante : en médecine et en psychanalyse (Freud et Lacan) ; en littérature (Montherlant, Bataille, Citati et Sollers) ; en sociologie et en politique (Simmel, Adorno et Bourdieu) ; en philosophie (Sartre, Levinas et Derrida). Le XXe siècle est aussi celui des grandes conventions internationales, notamment la Charte des Nations Unies de 1945 et, à sa suite, d’autres instruments juridiques dont la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Quant aux œuvres de théologie ou à leur interprétation, toutes religions confondues, elles sont essentiellement celles des hommes et empreintes généralement de conservatisme, encore que certains documents, par exemple chez les Catholiques, révèlent une ouverture favorable à la femme (ainsi, la lettre apostolique Mulieris Dignitatem de Jean-Paul II).

La pensée sexiste

Certains textes rédigés au cours du Moyen Âge et de la Renaissance ont été, à tort ou à raison, tenus a posteriori pour sexistes. C’est le cas du Coran, qui parle beaucoup des femmes (mères, filles, vierges, épouses, concubines, captives ou prostituées), notamment dans certaines sourates dont les Femmes et la Vache, mais sans jamais les mentionner ad nominem, à l’exception de Marie, qui est un modèle de pureté et de pudeur – deux qualités auxquelles le texte sacré accorde la plus haute importance pour chacun des deux sexes, la femme devant être par ailleurs soumise au mari, qui a sur elle un droit de correction. Longtemps après la rédaction du Coran, Boccace, dans certains de ses textes, fera preuve de misogynie, notamment dans le Labyrinthe d’amour, que l’auteur, éconduit par une femme, appelle aussi Porcherie de Vénus.

Deux siècles après Boccace, François de Sales, dans son Introduction à la vie dévote, évoque la création du premier couple dans la Genèse, tout en affirmant que la faiblesse de la femme ne doit pas être un obstacle à l’amour que lui voue l’homme. Au cours de la Renaissance, d’autres théologiens, réformistes, font souvent référence à la Bible en multipliant les commentaires sexistes : Martin Luther, dans Le livre de la Genèse, affirme la soumission de la femme, de même que dans La Vie conjugale et Le petit catéchisme ; le calviniste écossais John Knox, dans Le premier son de la trompette contre le gouvernement monstrueux des femmes, réalise un pamphlet très misogyne ; tandis que Jean Calvin, plus modéré dans ses Commentaires sur la Genèse, insiste sur la réciprocité des devoirs entre femme et homme.

À l’instar de ces théologiens, Bossuet, au siècle suivant, reprendra les mêmes propos sexistes, notamment dans La Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte et, dans une moindre mesure, dans son Traité de la concupiscence. Malebranche, dans son Traité de Morale, énumère la femme dans sa liste des individus inférieurs, tandis que Fénelon, dans le Traité sur l’éducation des filles, les confine à la maison, encore qu’elles doivent être ménagées, compte tenu de la faiblesse de leur sexe, écrit-il dans les Instructions sur les sacrements. La Fontaine, connu encore aujourd’hui pour ses célébrissimes Fables, l’est moins pour ses Contes, certains étant à la fois très licencieux et très misogynes, par exemple celui intitulé Comment l’esprit vint aux filles, évoquant la relation sexuelle entre une fille et son confesseur. Boileau, l’auteur de l‘Art poétique, a rédigé des Satires, notamment la Satire X, sous-titrée Sur les femmes, dans laquelle il reconnait que trois ou quatre de celles-là sont encore fidèles. Moins féroce, La Bruyère, dans ses Caractères, a consacré un chapitre entier aux femmes, qu’il décrit comme coquettes, perfides, jalouses, infidèles et prudes, encore qu’il les dise extrêmes, c’est-à-dire pires ou meilleures que les hommes.

En matière de misogynie, le nom le plus connu du XVIIIe siècle est probablement Sade, bien que mis à l’index, auteur de nombreux romans, notamment Justine ou les Malheurs de la vertu – histoire de deux sœurs, l’une sombrant dans le vice, l’autre attachée à la vertu. Chez les moralistes, les travers des femmes, notamment leur infidélité et leur coquetterie, sont décrits par Vauvenargues dans l’Introduction à la connaissance de l’esprit humain et par Chamfort dans ses Maximes et pensées, caractères et anecdotes. En philosophie, Kant, qui a très peu fréquenté les femmes, leur a néanmoins consacré plusieurs pages, notamment Sur la différence des sexes et autres essais, de même que des notes de cours dans lesquelles il tient les femmes à la cuisine, à l’église, auprès des enfants et des malades.

Le nom de Schopenhauer, l’un des héritiers de Kant au siècle suivant, devrait être inscrit, selon plusieurs, sur la liste des penseurs les plus misogynes du XIXe, notamment pour ses textes Sur les femmes, Le ménage à trois et, dans une moindre mesure, Métaphysique de l’amour. Nietzsche, l’un de ses admirateurs et héritiers, y prend ses distances à maints égards, mais ne cache pas sa pensée sexiste dans certaines parties de son œuvre, par exemple dans Ainsi parlait Zarathoustra dans une section intitulée De la chasteté, De l’homme supérieur, dans laquelle il dit que le féminin est issu de la servilité. Le dramaturge suédois Strindberg, un autre héritier de la pensée de Schopenhauer, fait dans Mariés un violent réquisitoire contre l’émancipation féminine, mais il est surtout connu pour Mademoiselle Julie – que les meilleures actrices du temps auront refusé de jouer –, pièce dans laquelle l’un des personnages masculins déplore que la loi ne décrète pas de châtiment pour la femme qui séduit un homme, tandis que dans Le Père, l’homme ne peut que douter de sa paternité. Ajoutons à cette liste des misogynes le nom d’Aurélien Scholl, chroniqueur de la bohème littéraire de Paris et auteur de L’Art de rendre les femmes fidèles, encore qu’il faille dire à sa décharge qu’il plaida en faveur de l’amélioration de la condition ouvrière, y compris celle des femmes.

Au XXe siècle, le célébrissime Freud n’a pas toujours résisté à la misogynie ambiante, par exemple dans son exposé intitulé La Féminité, quand il reconnaît n’avoir traité de la femme que dans la mesure où elle est déterminée par sa fonction sexuelle, tandis que cette importante fonction, ajoute-t-il, ne doit pas occulter le fait que chaque femme « peut être aussi un être humain », Freud ajoutant qu’être aimée est pour la femme un besoin plus fort que d’aimer et que, par ailleurs, si elle a peu contribué aux découvertes et aux inventions, elle a peut-être inventé une technique, celle du tressage et du tissage, en s’inspirant du modèle de la nature qu’est la toison pubienne.

Henry de Montherlant, pourtant adulé par les femmes, a fait paraître dans les années 1930 sa fameuse tétralogie empreinte de misogynie et de mépris (Les Jeunes Filles, Pitié pour les femmes, Le Démon du bien et Les Lépreuses), dans laquelle il fait dire à Costals qu’elles sont comme les chiens abandonnés, faites pour un seul homme, tandis que ce dernier est fait pour toutes les femmes, qu’il prend puis rejette, elles qui sont dans un état de mendicité éternelle, étant donné leur infériorité morale et physiologique, leur besoin constant d’être aimées et baisées.

D’autres se sont exprimés sous couvert de pseudonyme. Le philosophe Frédéric Pagès, journaliste au Canard enchaîné, fait la promotion d’un philosophe fictif, Jean-Baptiste Botul, qui a publié en 1999 La vie sexuelled’Emmanuel Kant, et en 2004 Nietzsche et le démon du midi. Pagès lui-même fait paraître sous son nom Botul au bordel, de même que Philosopher ou l’artde clouer le bec aux femmes dans lequel il affirme d’emblée que tout le XXe siècle n’a produit que trois femmes philosophes (Simone Weil, Simone de Beauvoir et Hannah Arendt), tandis qu’elles sont nombreuses, ajoute-t-il, en psychanalyse (Anna Freud, Melanie Klein, Lou Andreas-Salomé, Helene Deutsch, Karen Horney et Marie Bonaparte), leur bavardage étant bien reçu dans les cercles du père de la psychanalyse, Sigmund Freud.

Des plaidoyers féminins en faveur des femmes

Contrairement à l’Antiquité, alors que les femmes n’écrivent pas – sauf de rarissimes exceptions dont Sappho de Lesbos –, elles seront de plus en plus nombreuses, au cours des périodes suivantes, à prendre la plume pour dénoncer ce qu’elles estiment être, à tort ou à raison, des préjugés entretenus par les hommes. Parfois, elles le font en termes généraux et de façon diffuse, notamment dans la poésie et le roman, parfois elles présentent de véritables plaidoyers dans des ouvrages ou opuscules dont les titres mêmes ne laissent subsister aucun doute quant à leurs objectifs.

Au XIIe siècle, la religieuse bénédictine Hildegarde de Bingen évoque ses visions mystiques, dans le Scivias seu Visionnes, et dit être éclairée par Dieu, elle, une faible femme qui n’a pas la science du philosophe. Quelques décennies plus tard, Marie de France rédige ses Lais, lesquels constituent un recueil de contes, parfois inspirés du Roman de la Rose, et dans lesquels elle exprime l’amour, notamment le thème de la femme mal mariée. Deux siècles après, Christine de Pisan rédige un Débat sur le Roman de la Rose, de même que le Livre de la Cité des dames, dans lequel elle dénonce la misogynie, inspiré du De claris mulieribus de Boccace et qui met en scène trois princesses vertueuses dans la cité construite par Raison, Justice et Droiture.

Au cours de la Renaissance, Thérèse d’Avila, dans Le Chemin de la perfection, compare le mariage des sœurs avec Dieu et le mariage avec les hommes, et Julia Kristeva lui consacrera un récit (Thérèse mon amour). Quelques décennies plus tard, Marie de Gournay, « fille d’alliance » de Montaigne et grande admiratrice de ses Essais, écrira Égalité entre les hommes, de même que L’Ombre de la Damoiselle de Gournay ainsi que des mélanges incluant le Grief des Dames.

Le Grand siècle, celui du XVIIe, a vu naître deux femmes exceptionnelles, qui se sont connues et qui ont marqué la littérature, l’une par ses lettres, l’autre dans le genre romanesque. La première, Madame de Sévigné, auteure de plus de 1 000 lettres dont un grand nombre à sa propre fille, plusieurs d’entre elles révélant la tendresse que lui avait prodiguée sa mère, d’autres disant la douceur de son veuvage ou de celui d’autres femmes libérées du joug du mariage. Quant à Madame de La Fayette, plusieurs de ses romans mettent une femme au centre de l’intrigue, notamment La Princesse de Montpensier et La Comtesse de Tende, de même que son chef-d’œuvre, La Princesse de Clèves – une beauté parfaite, mariée sans amour, nourrissant pour quelqu’un d’autre un amour platonique, puis veuve retirée dans un couvent.

À la fin du XVIIIe siècle, dans la mouvance des révolutions en France et aux États-Unis, deux noms féminins ont une importance toute particulière. Olympe de Gouges, montée sur l’échafaud, auteure de plusieurs ouvrages (notamment Le Couvent, la Préface pour les dames ou Le Portrait des femmes et La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne – une parodie de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen). L’une de ses contemporaines, l’Anglaise Mary Wollstonecraft, a écrit une Défense des droits des femmes, de même que Pensées sur l’éducation des filles, mais aussi une Défense des droits des hommes. Quelques décennies avant de Gouges et Wollstonecraft, la théologienne britannique Mary Astell publiait notamment Serious Proposal to the Ladies for the Advancement of their True and Greatest Interest et Reflections Upon Marriage.

L’une des plus importantes romancières de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe, lue encore aujourd’hui, est l’Anglaise Jane Austen, qui a laissé notamment Raison et sensibilité, Emma et Persuasion, de même qu’Orgueil et préjugés, où l’auteure exploite le thème de la condition de la femme étroitement liée à la recherche d’un mariage qui lui donnera un statut social. Contemporaine de Jane Austen, Madame de Staël fait paraître, elle aussi, des romans dans lesquels la femme est l’héroïne principale, notamment Sophie ou les Sentiments secrets, de même que Corinne ou l’Italie – l’histoire de cette femme amoureuse qui finit par se suicider après avoir voulu arranger le mariage d’une parente. Quelques décennies plus tard, Aurore Dupin, sous le pseudonyme masculin de George Sand, publiera notamment, outre sa célèbre Mare au diable, Indiana, – la jeune mariée avec un vieux –, Lélia, Jeanne et La petite Fadette, de même qu’Elle et Lui – évocation de sa liaison avec Musset – œuvre à laquelle répliquera durement Paul, frère du poète, avec Lui et Elle.

À l’instar de Sand, Colette (fin XIXe-début XXe siècle) utilisera aussi un pseudonyme masculin, certains de ses romans paraissant sous le nom de son mari – Claudine à l’école, Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s’en va, La retraite sentimentale –, puis d’autres sous son nom à elle : L’envers du music-hall, Chéri, Le blé en herbe, Mes années d’apprentissage, Julie de Carneilhan, La Naissance du jour, Paris de ma fenêtre, de même que LaVagabonde, récit d’une femme qui quitte son mari infidèle et qui doit subvenir à ses besoins ; ainsi que Sido, qui évoque l’amour liant ses deux parents.

Contemporaine de Colette, la Russe puis Allemande Lou Andreas-Salomé, féministe, amoureuse platonique, bohème et grande voyageuse, muse de Rainer Maria Rilke, qui refusa le mariage avec Nietzsche qui l’appelait son âme-sœur, nous a laissé de lui un portrait saisissant dans Friedrich Nietzsche à travers ses œuvres, de même qu’une autobiographie (Ma vie : esquisse de quelques souvenirs), des romans et des essais (Ruth, Rodinka, L’Amour du narcissisme, Éros, La Maison et À l’ombre du père : correspondance avec Anna Freud). Lou, qui s’intéressait beaucoup à la psychanalyse, eut également une importante correspondance avec le père d’Anna, Sigmund Freud. Quelques décennies après Lou, l’enseignante française Hélène Brion, collaboratrice à la revue La Lutte féministe, est l’auteure de La Voix féministe et d’une Encyclopédie féministe. Anticonformiste, ses opinions pacifistes au cours de la Première grande guerre lui vaudront d’être suspendue de son emploi et d’être condamnée à trois années de prison avec sursis.

Simone de Beauvoir, la célébrissime auteure du Deuxième sexe (« On ne naît pas femme, on le devient »), disait de Sartre, qui devint son compagnon, que pour la première fois elle se sentait dominée intellectuellement par quelqu’un (Mémoires d’une jeune fille rangée), alors que dans une autre autobiographie qu’elle lui dédia, elle nous dit de ce dernier qu’il voulait entre eux, outre un amour nécessaire, des amours contingentes (La force de l’âge). Elle n’hésite pas à raconter les siennes dans L’Invitée, Le sang des autres, Pour une morale de l’ambiguïté, Les Mandarins et L’Amérique au jour le jour. Contemporaine de Simone de Beauvoir, Hannah Arendt, disciple des philosophes allemands Martin Heidegger et Karl Jaspers, mais aussi amoureuse du premier, est l’auteure de nombreux ouvrages rédigés à la suite d’une thèse intitulée Le concept d’amour chez Augustin. On peut mentionner notamment Les Origines du totalitarisme, La Crise de la culture, La Vie de l’esprit, de même que Condition de l’homme moderne, où elle propose une relecture de la pensée politique des Anciens, qui, dit-elle, concevaient la famille, comme le siège de la plus grande inégalité, dominée qu’elle était par son chef.

Julia Kristeva a publié notamment Le Féminin et le sacré, Le Génie féminin… (trilogie consacrée à Hannah Arendt, Melanie Klein et Colette), Thérèse mon amour, Beauvoir présente, de même que Seule une femme où, à l’instar de Lacan, elle dit que LA femme n’existe pas, sans cacher son admiration pour Freud, l’auteur de La Féminité, qui a su écouter les femmes – bien qu’elle ne partage pas son rejet de la libido féminine –, et pour Simone de Beauvoir, encore qu’elle reformule la proposition « On ne naît pas femme, on le devient », en affirmant plutôt : « ’On’ naît, mais ‘je’ deviens ». Quelques décennies avant Kristeva, une autre psychanalyste, Madeleine Pelletier, fondatrice de la revue La Suffragiste, afficha à la fois son rejet du sexisme et son féminisme avec de nombreux ouvrages, outre son roman en partie autobiographique intitulé La Femme vierge : notamment La femme en luttepour ses droits, L’émancipation sexuelle de la femme, La femme seule, Les femmes et le féminisme, La Prétendue infériorité psychophysiologique des femmes, La tactique féministe, Le génie et la femme, La lutte des sexes et L’Éducation féministe des filles.

Quant à Annie Ernaux, qui se définit comme une « auto-socio-biographe », elle appartient à la fois au XXe et au XXIe siècle. Elle a collaboré à la publication d’un ouvrage collectif intitulé Pierre Bourdieu. L’insoumission en héritage, comparant cet auteur, quant à l’influence qu’il eut sur elle, au Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. Auteure de plusieurs romans autobiographiques, on lui doit notamment La Femmegelée, La Place, Une Femme, Passion simple, La Honte, L’Autre fille et Mémoire de fille.

Des plaidoyers masculins en faveur des femmes

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