La jungle de Calais
133 pages
Français

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Description

Ecrit avant la fermeture de la "jungle" de Calais, l'auteur raconte le quotidien de ces hommes qui déploient des forces inouïes pour survivre, aidés par des bénévoles. Afghans, Erythréens, Irakiens... Ils étaient cinq cents à attendre chaque jour leur ration de nourriture à la Belle Etoile, une association du Secours Catholique (...). C'étaient des gamins de quinze, seize ans. Loin de leurs parents restés dans la guerre mais qui espéraient pour eux un avenir de paix, où l'on peut travailler et manger à sa faim.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2010
Nombre de lectures 185
EAN13 9782336268064
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
Le Fiu (L’Harmattan) Traumas (Grandvaux) Le silence des étoiles (L’Harmattan)
Les photographies présentes dans cet ouvrage sont de l’auteur. Les photographies de Jérôme Equer (Agence Vu) font l’objet d’expositions en France et à l’étranger.
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296119765
EAN : 9782296119765
Sommaire
Du même auteur Page de Copyright Page de titre Dedicace De la fermeture de Sangatte à la fermeture de la jungle Calais Jungle Le camion de Maurice Zadran Catherine Safia Tufan Luwan Nazareth Opération de police Lakdhar Se battre Élisabeth et Jean-Pierre La chemise Moustache Le père Boutoille Le cercle de silence Les trois sœurs Camelia Sylvie Associations Reza Le Docteur Franco Jamal, Karim, Dominique et Bernard L’école d’ingénieurs
La Jungle de Calais
Misère et solidarité

Philippe Eurin
Aux bénévoles du Secours Catholique et de Salam.
Et tout particulièrement à Mariam et à Moustache.
Pendant près de deux ans, avec le photographe Jérôme Equer, je suis allé à Calais. Nous voulions voir cette ville devenue terre migrante. Afghans, Erythréens, Irakiens… Ils étaient cinq cents à attendre chaque jour leur ration de nourriture à la Belle Etoile, une association du Secours Catholique, au hangar Paul Devot tenu par l’association Salam. A attendre des vêtements propres au vestiaire Notre Dame, ou des baskets non trouées pour continuer leur longue marche. C’étaient des gamins de quinze, seize ans. Loin de leurs parents restés dans la guerre mais qui espéraient pour eux un avenir de paix, où l’on peut travailler et manger à sa faim.

La fréquentation de ces adolescents qui auraient pu être nos fils nous bouleversa. Leur incroyable force — ils avaient parcouru des milliers de kilomètres pour être ici — leur espérance toujours si souriante nous marquèrent profondément. Et les bénévoles, ces Samaritains de Calais qui leur viennent en aide tous les jours, laissèrent en nous un sentiment de fraternité plein de réconfort : Moustache, le père Boutoille, sœur Cécile, le docteur Franco, Reza, Mariam, Sylvie…

Au fil des mois, nous avons vu vivre ces hommes et ces femmes, aidants et aidés, aimants et aimés, migrants de leur terre d’enfance ou migrants dans leur propre existence ; Nous avons pénétré dans la jungle. Ni lions, ni serpents venimeux mais beaucoup de policiers sans cesse aux aguets. Les Afghans nous y offraient toujours un thé bien chaud pour nous saluer. Déjà, les autorités s’entraînaient à la supprimer. Un signe fort serait ainsi donné au reste du monde. Ce livre raconte Calais avant la fermeture de la jungle, cette triste démonstration de l’identité nationale qui exclut.
De la fermeture de Sangatte à la fermeture de la jungle
1999 : la guerre du Kosovo crée un afflux important de réfugiés dont beaucoup échouent à Calais. Le 23 septembre, dans un ancien hangar d’Eurotunnel, le centre de Sangatte est ouvert et est confié à la Croix Rouge. Prévu pour accueillir 200 personnes, il en accueillera jusqu’à 2000. Les réfugiés sont surtout kosovars, afghans, iraniens, irakiens, érythréens, somaliens, soudanais… Ils fuient les guerres, les persécutions, les dictatures, l’enrôlement de force dans l’armée, la misère…

Mai 2002 : Nicolas Sarkozy devient ministre de l’Intérieur. Il se rend à Sangatte et décide de fermer le centre. Le hangar est démoli en décembre de la même année.

2007 : la fermeture du centre de Sangatte n’a pas réglé le problème de l’immigration. Les migrants sont toujours aussi nombreux et répartis tout le long de la côte, dans des villages de l’arrière-pays, au centre-ville de Calais et aux abords, dans la « jungle ».

2009 : maintenant président de la République, Nicolas Sarkozy demande à Eric Besson, ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, de fermer la jungle.
Calais
1347 : les six bourgeois de Calais- illustrés par le sculpteur Rodin- remettent les clés de la ville aux anglais qui la placent sous leur domination pendant deux cents ans.

19 ème siècle : la ville connaît un nouvel essor maritime, notamment par le trafic des voyageurs entre Calais et Douvres.

Des ouvriers anglais importent leurs métiers « à tulle » à Calais. Ils en font la capitale mondiale de la dentelle. De nombreuses crises diminueront considérablement cette activité qui subsiste encore aujourd’hui.

1994 : l’ouverture du Tunnel sous la Manche, l’Eurostar, l’autoroute A 16, font de Calais la capitale du Transmanche.

2010 : avec ses 73 000 habitants, Calais est le deuxième port mondial de voyageurs, le quatrième port de commerce de France.

Gare du Nord. Les pigeons s’usent contre le toit de verre. Marquent de milliers de pattes le sol gris, entre les pas des hommes. Les pas des hommes sont permis. Pas leurs mains. Interdites les mains mendiantes des pauvres hères, disparues à la sauvette à la première patrouille de cuir.

Le rail est unique qui destine Calais. Dans la somnolence du jour et la cohue misérable des voyageurs, nous prenons le train. Les compartiments dorment dans les habitudes indolentes, fourmillent d’écrans mous qui jouent, jouissent du monde. Les nouvelles y déboulent, s’indifférent, aujourd’hui on y entend la voix héroïque d’un navigateur solitaire du Vendée Globe. Il a démâté. Le beau bateau est en danger.

Quand nos yeux clos se rouvrent, la gare de Calais s’annonce. Les pigeons y sont des mouettes, mais elles en refusent la prison et gardent le ciel. Maintenant, il faut nous réveiller et voir.

Voir le Quai Moselle. Les marmites de la Belle Etoile. La lente avancée des petits pas jusqu’à la roulotte chaude. Les bras de Monique. La plongée des louches, les barquettes que leurs doigts agrippent.

Assis en rond sur les graviers, les tessons de bouteille, ils mangent, parlent, et leurs dents, leurs yeux brillants s’activent de vie, de force.

Au-dessus des têtes, les mouettes balancent, crient le large, le combat.

Distribution des repas par La Belle Étoile

Bachir revient du vestiaire Notre-Dame
Sous l’unique arbre du Quai Moselle, les Erythréens, les Soudanais se regroupent, isolés. Car même ici les peuples nus s’excluent. Les méfiances serpentent entre les groupes. Le sang des guerres noie-t-il les hommes ? Que faudra-t-il donc pour que s’assèchent les rivages ? Et qu’ils puissent aborder.

Les hautes grues du Port-est respirent le ciel, veillent, vers le phare blanc tournées. Veillent-elles le Quai Moselle ? La Belle Etoile que le beffroi de briques domine ?

Au chenal, les gros Sealink blancs, joyeux, manœuvrent pleins de monde.

Sur le pont les voyageurs font des au revoir frétillants coupés des traits de goélands bonasses.

A Contre mer, eux, se remettent à marcher. Ils marchent tout le temps. Ils ont grandi en marchant. Ils sont partis enfants, ont traversé la moitié du monde. Des mers, des déserts, des terres, des cailloux, des mers. Des bateaux tombaient leurs frères, au fond de l’eau. Des camions ils étouffaient, glaçaient comme des bouts de viande. Ils ont marché, marché, marché. Près des chameaux brûlés au soleil brûlant, ils ont marché. Ont avalé le sable et le sel, tordu leurs pieds, pansé les blessures rouges. Sont repartis. Le long des routes, des rails, par-dessus les clôtures, à bout de ciel, toujours plus loin du pays meurtri, de la mère épuisée, la fratrie éclatée.

Ils fuient. Arrivent en hommes. Debout, face au port. Aux camions, encore.

La nuit. Attendre la nuit pour passer.

Muhammad a des yeux de nuit. Le mystère d’un pays. D’où vient-il ? De l’Erythrée , dit-il, mais je ne pourrai plus jamais y retourner et je ne peux pas rester ici. Je dois continuer. Ne plus avoir d’amis, ni de famille, c’est très dur. Les yeux de nuit mouillent dans l’aube incertaine. Rectifient aussitôt l’idée de l’autre. Je n’ai pas fui pour des raisons économiques. Non. Je veux être libre, c’est tout. Pouvoir parler.

Autour du café on se réchauffe. Avec les Camel aussi. Merci. Les cheveux noirs de Muhammad ondulent jusqu’à son épaule au cimeterre tatoué. Sous la fine moustache, les lèvres sont sûres. Il protège, tel un d’Artagnan d’Arabie, le jeune Foré, aventurier du Soudan. Un an de voyage jusque Calais. Un an sans nouvelle de la mère et du père laissés. Il s’amuse de la multitude des autos, ici. Dans mon pays, il n’y a que les soldats qui ont des autos.

Ils sont levés et marchent ensemble, disparaissent derrière la Belle Etoile. Beaucoup se blessent ou se tuent en tom

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