Développons : dissolution des formes traditionnelles de la démocratie, de la mobilisation et de l'organisation des citoyens en partis, de la liaison entre cette mobilisation organisée et la représentation nationale. Crise en même temps, et profonde, des institutions, notamment de l'institution judiciaire contestée en dedans comme au-dehors (cette époque fut celle où un président de l'Assemblée nationale socialiste, Henri Emmanuelli, pouvait déclarer publiquement que les jurys populaires étaient une aberration), crise de l'État — crise en profondeur de ce qu'on peut appeler « le sens de l'État ». Cette situation est lourde de menaces et elle nous promet pour demain les heures les plus sombres. C'est cela qui compte assurément, mais nous ne saurions nous y prépaper rer sans faire le bilan exact de ce que nous venons de vivre. S'il y a une responsabilité historique du mitterrandisme comme système, elle ne tient pas seulement à ce que ce dernier a été de toute évidence partie prenante dans ces figures de la dissolution, elle tient aussi, elle tient surtout, à ce que ce pouvoir-là s'est proclamé « de gauche » dans le temps même où, affaiblissant d'un côté les institutions, il aboutissait de l'autre à barrer toute forme de mobilisation populaire. Comment pouvait-il en être autrement dès lors que, d'année en année, la gauche socialiste abandonnait tout ancrage populaire, opérait un brouillage systématique de tous les signes idéologiques, effaçait toute idée de mobilisation partisane au profit d'un consensus sans rivages et vantait la puissance irrésistible du capital ? Jamais en même temps on n'avait vu au sommet tant de sombres secrets, de domaines réservés, d'agissements autocratiques, de morts étranges et d'affaires louches, à la base tant d'individus désemparés, broyés par la machine économique, incapables de faire entendre leur voix et leurs droits, arrachés à toute structure collective et violemment privés d'idéal au nom d'un cynisme généralisé. Or c'est tout cela que le nom « Tapie » signifie : à la fois la fin de la politique, la fin de la pensée, la fin de la morale. Et si les intellectuels ne le disent pas, qui va le dire ?