Chroniques d une autre France : La Réunion
251 pages
Français

Chroniques d'une autre France : La Réunion , livre ebook

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251 pages
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Description

Ces "Chroniques" qui se réclament d'une sociologie de l'intime et du quotidien, sont animées par un seul et même objectif : celui de "donner à voir la société française autrement". Aussi, au moment même où le traitement des questions complexes de l'identité et de l'altérité est laissé au sens commun sous la forme d'un "grand débat national", les auteurs ont trouvé opportun de déplacer leur regard, le temps d'un volume, sur cette société française, postcoloniale et multiculturelle? que représente La Réunion.

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Publié par
Date de parution 01 octobre 2010
Nombre de lectures 244
EAN13 9782296262942
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

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Extrait

Chroniques d’une autre France : La Réunion Genres de vie et intimités créoles
CollectionSociologies et environnement dirigée par Salvador JUAN Le « progrès » est aussi progrès d’une menace de plus en plus exportée vers les pays les plus dépendants. Trop peu de travaux sociologiques émergent pour rendre intelligibles les tendances profondes d’une société à la fois plus inhumaine, plus dangereuse pour les équilibres du milieu et plus riche. La collectionSociologies et environnementest née de ce constat. Certes, selon le mot du poète Hölderlin,avec la menace croît ce qui sauve, mais seule une conscience informée des risques et de ce qui provoque la dégradation tant de la qualité que des conditions de vie est susceptible de se concrétiser en réformes humainement supportables et socialement admissibles... Dans une perspective socioanthropologique et critique, tant des questions d’environnement global que d’écologie urbaine et de vie quotidienne, en articulant les interprétations théoriques et les résultats empiriques, la collectionSociologies et environnemententend participer à l’émergence de cette conscience sociale. Elle présente aussi les alternatives portées par les mouvements sociaux et les pratiques de résistance contestant le productivisme ou la domination des appareils technocratiques. Ouvrages parus dans la collection : La société inhumaine(Salvador JUAN), 2001 La vie contaminée(Frédérick LEMARCHAND), 2002 L’écologie au quotidien(Michelle DOBRÉ), 2002 Conditions et genres de vie(dirs. S. JUAN & D. LE GALL), 2002 La vie associative à SaintLô(Stéphane CORBIN), 2003 CPNT entre écologisme et poujadisme(Céline VIVENT), 2005 Genres de vie et intimités(dir. Didier LE GALL), 2005 Ecologisme et travail(Gérard BOUDESSEUL),2005 L’eau comme fait social(C. BERGER & J.L. ROQUES), 2005 Critique de la déraison évolutionniste(Salvador JUAN), 2006 Socioanthropologie de la haute montagne(Viviane SEIGNEUR), 2006 Pourquoi tardonsnous tant à devenir écologistes(dir. D. DUCLOS), 2006 L’usine à la campagne(Maxime PREVEL), 2007 Actions et enjeux spatiaux en matière d’environnement(dir. S. JUAN), 2007 La terre comme objet de convoitise(C. BERGER & J.L. ROQUES), 2008 Identités et genres de vie et intimités(dir. Didier LE GALL), 2008 Risques et environnement(dirs. S. BECERRA & A. PELTIER), 2009 Disposer de la nature(Igor BABOU), 2009 Consommer autrement(dirs. M. DOBRÉ & S. JUAN), 2009
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© L’Harmattan, 2010 57, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 9782296125230 EAN : 9782296125230
Sous la direction de Didier Le Gall et Nicolas Roinsard
Chroniques d’une autre France : La Réunion Genres de vie et intimités créoles
DES MEMES AUTEURS Chez le même éditeur : D. Le Gall, C. Martin (dirs.),Familles et politiques familiales. Dix questions sur le lien familial contemporain, Paris, éditions L’Harmattan, Coll. « Logiques sociales », 1996, 272 pages. S. Juan, D. Le Gall (dirs.),Conditions et genres de vie. Chroniques d’une autre France, Paris, L’Harmattan, Coll. « Sociologies et environnement », 2002, 434 pages. D. Le Gall (dir.),Genres de vie et intimités. Chroniques d’une autre France, Paris, L’Harmattan, Coll. « », 2005,Sociologies et environnement 304 pages. D. Le Gall (dir.),Identités et genres de vie. Chroniques d’une autre France, Paris, L’Harmattan, Coll. « Sociologies et environnement », 2008, 314 pages. Chez d’autres éditeurs : D. Le Gall, C. Martin,Pas de social sans bricolage, Publication de la Caf et de la Ddass du Cher, 1985, 220 pages. D. Le Gall, C. Martin,Les familles monoparentales. Evolution et traitement social, Préf. De Jacques Commaille, Paris, éditions E.S.F., 1987, 119 pages. D. Le Gall, C. Martin, M.H. Soulet (dirs.),L’éclatement du social : crise de l’objet, crise des savoirs ?Les frontières du social , Crts, Coll. « », Université de Caen BasseNormandie, 1989, 307 pages. D. Le Gall (dir.),Régulation sociale et contextes sociaux européens, Ministère de la recherche et de la technologie, Crts, Coll. « Les frontières du social », Université de Caen BasseNormandie, 1992, 166 pages.
D. Le Gall,Approximacion Sociologica al Estudio de la Familia, Maracaibo, Ediluz, Universidad del Zulia, Venezuela, 1994, 199 pages. D. Le Gall (dir.), « Approches sociologiques de l’intime »,Mana3,, n° Université de Caen BasseNormandie, 1997, 327 pages. D. Le Gall, Y. Bettahar (dirs.),La pluriparentalité, Paris, Presses Universitaires de France, Coll. « Sociologie d’aujourd’hui », 2001, 294 pages. D. Le Gall, C. Le Van,La première fois. Le passage à la sexualité adulte, Paris, Payot, 2007, 300 pages. N. Roinsard,La Réunion face au chômage de masse. Sociologie d’une société intégrée, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, 313 pages.
SOMMAIRE
INTRODUCTION Penser la France autrement : introduction à la sociologie de La Réunion, par Didier Le Gall et Nicolas Roinsard .......................................... p. 7
PREMIERE PARTIEIDENTITES,MODES DE VIE ET ORGANISATION SOCIALE DANS UN CONTEXTE POSTCOLONIAL ET MULTICULTURELTravailler, chômer, s’entraider. Discontinuité du travail et organisation sociale à La Réunion, par Nicolas Roinsard ..................................................................... p. 21
Le milieu de vie, le sentiment communautaire : pour une autre approche de la santé publique à La Réunion, par Bernard Cherubini .................................................................... p. 43
‘Coup’ pas nout tradition ! Des sacrifices hindous face aux régulations européennes, par Christian Ghasarian ................................................................. p. 61
Les problèmes de représentation de soi et de l’autre dans le contexte postcolonial réunionnais, par Laurence Pourchez .................................................................. p. 85
Alimentation, créolité et identités réunionnaises, par Laurence Tibère ..................................................................... p. 103
Le loisir chez les jeunes adultes à La Réunion. L’exemple d’une pratique sportive auto organisée, le football du dimanche matin, par Sylvain Cubizolles ................................................................. p. 115
DEUIXIEME PARTIECOUPLES,FAMILLES ET PARENTE EN SOCIETE CREOLECouples mixtes, intimité et cohérence identitaire, par Pascal Duret et Marie ThiannBo .......................................... p. 135
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La fraternité d’accueil à La Réunion. Un autre regard sur le placement familial, par Didier Le Gall et Pascale Joron.................................................... p. 151La recomposition familiale à la suite d’une union féconde défaite à l’île de La Réunion. La place centrale de la mère, par Rachelle Taïlée....................................................................... p. 187
Généalogies et représentations de l’hérédité dans les familles réunionnaises, par Thierry Malbert ...................................................................... p. 221 Présentation des auteurs..................................................................p. 241 Sommaire de........................................Conditions et genres de vie p. 245 Sommaire de...........................................Genres de vie et intimités p. 247 Sommaire deIdentités et genres de vie............................................p. 249
INTRODUCTION Penser la France autrement : introduction à la sociologie de La Réunion
Didier LE GALL, Nicolas ROINSARD
Un ouvrage consacré à La Réunion trouve incontestablement sa place dans ces 1 « Chroniques d’une autre France » . Que l’on se réfère à son histoire singulière de société de plantation coloniale, à la composition originale de sa population métissée 2 et polyethnique ou encore à sa position géographique ultramarine – située dans la zone sudouest de l’océan Indien, La Réunion fait partie, avec les autres départements et territoires d’OutreMer, de ces « confettis de l’Empire » (Guillebaud, 1976) influencés autant par la métropole que par l’environnement géopolitique singulier dans lequel ils sont insérés –, nul doute que la sociologie de La Réunion s’inscrit pleinement dans la veine de cette collection dont l’objectif, rappelonsle, est de « donner à voir la société française autrement » à partir d’un matériau original, de nature essentiellement ethnographique. Il s’agit, autrement dit, de décrire la société française à l’aide d’autres indicateurs que ceux utilisés généralement par l’INSEE pour dresser et actualiser tous les ans le « portrait social » de notre pays. Aussi, que l’on se place du point de vue de la méthode ou de celui de l’objet, il nous a semblé important sinon pertinent de focaliser notre attention, le temps d’un volume de ces « Chroniques », sur une société d’OutreMer.
1 Pour les autres volumes,Cf.S. Juan, D. Le Gall (dirs.),Conditions et genres de vie. Chroniques d’une autre France, Paris, L’Harmattan, Coll. « Sociologies et environnement, 2002 ; D. Le Gall (dir.),Genres de vie et intimités. Chroniques d’une autre FranceSociologies et, Paris, L’Harmattan, Coll. « environnement », 2005 ; D. Le Gall (dir.),Identités et genres de vie. Chroniques d’une autre France, Paris, L’Harmattan, Coll. « Sociologies et environnement », 2008. Le sommaire des précédents volumes est rappelé en fin d’ouvrage. 2  Parmi les populations solidement ancrées à La Réunion, on retrouve lesCafres, descendants des esclaves africains et malgaches ; les MalbarsetTamouls, provenant du sud de l’Inde et engagés en qualité de « travailleurs libres » à la suite de l’abolition de l’esclavage (1848) ; lesPetits Blancs, descendants des e premiers colons et historiquement sujets à un processus de « prolétarisation » dès la fin du 17 siècle (Scherer, 1998 : 3133) ; lesGros Blancs, également descendants des premiers colons mais situés pour leur part dans une position dominante en qualité de grands propriétaires terriens ; les Gujaratis ouZarabs, indomusulmans provenant du nordouest de l’Inde (Gujarat) ; les Chinois, pour l’essentiel desCantonnais et des Hakkas ; puis enfin lesMétis,issus de couples mixtes. En plus de ces divers groupes, on recense encore des Métropolitains (appelésZorey), des Malgaches, des Comoriens, des Mahorais, puis, dans une moindre mesure, des Mauriciens et des Rodriguais. Polyethnique, la société réunionnaise est de ce fait une société au sein de laquelle se côtoient, et ce de manière tout à fait pacifique, les religions catholique, musulmane et hindouiste ainsi que diverses formes de syncrétismes religieux.
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Différents faits récents de l’actualité française et OutreMer nous ont d’ailleurs confortés dans ce choix. Ainsi, les mouvements sociaux observés dans les Antilles et à La Réunion courant 2009 au sujet de « la vie chère » et des inégalités sociales ou encore le débat très controversé sur « les valeurs de l’identité nationale » lancé par le gouvernement à l’automne de cette même année nous auront encouragé un peu plus, en effet, à faire connaître cette sociétéfrançaise, postcolonialeet multiculturelle.Audelà de l’intérêt manifeste d’étudier les sociétés créoles en soi, nous pensons plus largement que ce type d’investigation est à même de ressourcer certaines recherches en métropole et dans bien d’autres sociétés modernes, à l’heure notamment – pour revenir au seul cas français – où le traitement des questions complexes de l’identité et de l’altérité est laissé au sens commun, avec les risques d’interprétation que cela comporte... Dans notre esprit, et comme nous le développons tout au long de cette introduction, l’attention portée à la société multiculturelle réunionnaise permet en effet, et avec force, de « penser la France autrement », bien plus que de penser une « autre France » si cette expression ne devait exprimer qu’un rapport d’altérité entre l’île et la métropole. Comme le soulignait récemment Ph. Vitale (2008 : 4) en introduction d’un dossier publié dans la revueFaire SavoirsL’île, comme laentièrement consacré à La Réunion : «  et e ville de Chicago du début du XX siècle qu’étudiaient les sociologues qui donneront le label à une école aujourd’hui bien connue – L’école de Chicago – se présente, pour reprendre les mots de Robert Park, comme un véritable "laboratoire social" » du fait, en particulier, des diverses composantes de sa population, fruit d’un peuplement sans cesse renouvelé par les apports migratoires qui se sont succédés e depuis le 18 siècle. Tirée de la contribution qu’elle publie ici, la remarque suivante de Laurence Tibère sur l’intérêt de mettre en relation l’analyse des sociétés créoles et celle des sociétés modernes en général, et de la société française en particulier – qui est devenue, elle aussi et à sa manière, une société multiculturelle sous l’effet des différentes vagues migratoires observées ces deux derniers siècles (Noiriel, 1988) – est, sur ce point, très éclairante, et très stimulante : «(…) l’étude de la créolité et des phénomènes de créolisation contemporains constituent des territoires d’investigation précieux, d’abord parce qu’ils sont le résultat des mouvements de globalisation débutés il y a plus de trois cents ans et que des phénomènes de rencontres et d’interactions culturelles proches de ceux qui surviennent aujourd’hui à l’échelle des "grandes sociétés", s’y sont produits et s’y poursuivent. Les phénomènes d’individuation et de différenciation qui s’accélèrent et augmentent dans la modernité et les mouvements identitaires qui leurs sont associés, la perméabilité relative des frontières et la globalisation des influences… rendent plus aiguë et plus complexe la "gestion" de l’altérité. Les sociétés créoles et la créolité permettent de penser ces faits sociaux en termes de manipulation de signes, symboles : quels sontils et comment sontils déployés au sein de la société française hexagonale ? Quels sont les dispositifs identitaires mis en place pour nourrir les liens avec les origines ? Autant de questions qui ouvrent de vastes perspectives de recherche ». Si l’analyse des sociétés créoles peut ainsi nous aider à mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre au sein des sociétés modernes, encore fautil produire au
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préalable une sociologie éclairée de cessociétés originales… De l’avis même des sociologues et anthropologues qui étudient La Réunion et/ou les autres départements et territoires français d’OutreMer, les sociétés créoles sont, en effet, des sociétés aux structures complexes d’une part (Benoist, 1983 ; Alber, 1990 ; Ghasarian, 2000 et 2008), en profonde mutation économique, sociale et culturelle d’autre part (ChaneKune, 1996 ; Benoist, 1999 ; Ghasarian, 2002 ; Roinsard, 2007) et qui, par ailleurs, ne se donnent pas facilement à voir (Wolff, 1989 ; Cherubini, 1999). L’analyse des représentations sociales, des modes de vie, des rapports sociaux, des constructions identitaires, des processus d’acculturation et de transferts culturels, etc., dans la société réunionnaise et plus largement dans les sociétés créoles requiert ainsi un certain niveau de description – et donc d’immersion – que seule une instrumentation empirique conséquente est à même de garantir. Aussi espéronsnous que les quelques contributions proposées dans cet ouvrage traitant des « genres de vie et intimités créoles » inspireront et attireront de nouveaux chercheurs en sciences sociales sur ces terrains sociologiquement riches, mais encore largement sous investis compte tenu de la diversité des objets à couvrir.
L’originalité, la complexité, la richesse sociologique de la société réunionnaise et 3 en particulier l’interconnexion des cultures et des influences culturelles est un fait que bien des observateurs profanes ont également pu percevoir par euxmêmes. Il suffit en effet de faire un peu de tourisme dans l’île pour avoir la vague impression que La Réunion, c’est à la fois la France – sous l’angle notamment du droit, des équipements et des services publics dont la mise en œuvre est favorisée par le principe de la « continuité territoriale » – et une société à part entière, une société créole qui, de ce fait, ne se confond nullement avec la société française telle qu’on se 4 la représente communément . Autrement dit, comme le suggère parfaitement l’anthropologue B. Champion : La Réunion, pour un métropolitain qui découvre l’île, c’est un curieux mélange de proche et de lointain :
«Le premier choc, diraisje, quand on descend de l’avion et qu’on a un peu voyagé, passé l’éblouissement de la diversité humaine, c’est l’absence de choc : qu’à 10 000 kilomètres de la métropole, l’infrastructure routière soit semblable, les voitures de la poste jaunes, les poubelles de même facture, l’enseigne des supermarchés, la disposition des rayons, les denrées et les articles, à l’identique :La Réunion est un département français. Le second choc c’est, bien entendu, lorsqu’on s’écarte de la frange de la prospérité littorale, celui des signes évidents de sousdéveloppement : La Réunion, profondément marquée dans sa constitution et dans son peuplement par la colonisation, est une "isle à sucre" et son entrée dans le monde moderne est commandée par cette histoire.»(Champion, 1999 : 154). 3  Lire à ce sujet les travaux de J. Poirier et S. Fuma sur ce qu’ils nomment « l’hétéroculture réunionnaise » pour exprimer les tensions à l’œuvre entre les références identitaires à la France et les références à la société créole (Fuma et Poirier, 1992 ; Poirier, 1999). 4  Il est significatif, sur ce point, de constater combien les résidents (créoles ou métropolitains) des Départements d’OutreMer opèrent, dans leur discours, une distinction souvent très claire entre la France (dont ils font partie, dans une perspective républicaine) et la métropole, l’hexagone, la France continentale qui évoque en revanche une certaine altérité : c’est une autre société, avec une autre culture et dont la langue dominante – le français – se différencie de la langue vernaculaire parlée localement.
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Département français et ancienne société de plantation : telles sont en effet deux propriétés sociales incontournables pour décrire la société réunionnaise contemporaine et les tensions permanentes qui la caractérisent. Si les signes de la départementalisation et du développement économique que celleci a impulsé sous l’effet notamment des transferts publics sont matérialisés dans l’espace physique comme le fait remarquer B. Champion, les signes de l’histoire sociale de cette ancienne Colonie fondée sur une économie de plantation sont, pour leur part, beaucoup plus difficiles à percevoir dans la mesure où ils relèvent davantage des représentations mentales d’une part, et de la structure sociale d’autre part. Plus invisibles certes, les signes de cette histoire n’en sont pas moins sociologiquement déterminants. On ne peut saisir en effet les modes de détermination et les formes contemporaines de la structure et de l’organisation sociales à La Réunion sans prendre en compte l’héritage social de la société de plantation (Roinsard, 2007). Les anthropologues qui ont étudié ces sociétés profondément duales insistent en particulier sur le caractère durable de l’intériorisation des inégalités sociales et de la quasiimpossibilité de franchir les barrières de classe par les populations défavorisées et dominées dans le système de relations et de dépendances qui les unissent aux grands propriétaires terriens (Mintz, 1991 ; Benoist, 1983). Ceci s’observe à La Réunion tout au long de la seconde moitié du vingtième siècle alors même que la départementalisation votée en 1946 ouvre de nouvelles perspectives en matière d’emploi et de promotion sociale. Si, dans les faits, la plantation décline, les inégalités et les relations de dépendance quant à elles ne font que se reproduire, dans un nouveau cadre sociologique certes, mais selon un ordre social amplement intériorisé (Ottino, 1977 ; Pelletier, 1983). La Réunion connaît alors simultanément le déclin de sa société rurale, le développement du salariat et l’avènement d’un chômage de masse dont les paysans, colons et journaliers agricoles, parce qu’ils ne seront pas qualifiés pour occuper les emplois du tertiaire, seront les premiers « à faire les frais »… tout en restant par ailleurs fondamentalement intégrés dans l’espace social. A La Réunion, et contrairement à ce qui était observé à la même époque dans la France des Trente Glorieuses, la socialisation et la protection des individus repose alors davantage sur un réseau dense et opérant de relations privées déterminées par les appartenances familiales, territoriales et ethnicoreligieuses des individus que sur l’occupation d’un emploi salarié et garanti. Les travaux menés ces dernières années par N. Roinsard (2005) auprès des populations bénéficiaires du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) ont largement conclu, à leur tour, à la reproduction de formes intériorisées de pauvreté et de relations de dépendance dans le réseau hiérarchique inférieur de la société créole, réseau structuré non plus autour de l’économie de plantation mais autour de l’économie de transferts. Adossés aux solidarités traditionnelles et privées, le RMI (qui est attribué en moyenne à une famille sur quatre), les emplois aidés et l’ensemble des dispositifs de solidarité nationale mis en place à partir des années 1980 et 1990 ont contribué en effet à la reproduction d’une société intégrée malgré une situation de chômage de masse.
Cette continuité sociologique entre l’histoire de la Plantation intégrée et les formes d’intégration économique et sociale observées de nos jours chez les populations défavorisées de l’île constitue le propos central de la contribution de Nicolas Roinsard, laquelle ouvre la première partie de cet ouvrage :Identités, modes de vie et organisation sociale dans un contexte postcolonial et multiculturel. Les
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