Du repli sur soi au cosmopolitisme
236 pages
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Description

Carl Fehrman, éminent spécialiste suédois, retrace l´évolution de la littérature comparée depuis sa naissance comme discipline académique à la fin du XIXe siècle jusqu´aux discussions qu'elle suscite encore de nos jours.

Cette exploration dans le temps nous convie aussi à un voyage dans l´espace, l´accent étant mis successivement sur les divers foyers au sein desquels la recherche comparatiste s´est élaborée, affinée ou renouvelée. Sont évoqués successivement les pionniers allemands, le rôle international du Danois Brandes, l´apport historique des Français, l´évolution du comparatisme aux États-Unis, et enfin la mise en question parfois vive de la position hégémonique accordée à l´héritage culturel occidental.

Depuis son horizon nordique, Carl Fehrman possède la distance nécessaire pour mettre en perspective et juger en toute indépendance les courants, tendances ou personnalités qu´il évoque. La France, comme de juste, occupe une place de choix dans ce livre, ainsi que les relations franco-nordiques en matière d´histoire littéraire comparée. Sur ce dernier point, l´auteur a bien voulu remanier et enrichir son texte en vue de la version française en incorporant de précieuses informations inédites.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2003
Nombre de lectures 76
EAN13 9782876232167
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

AVERTISSEMENT DES TRADUCTEURS
UN REGARD NORDIQUE
Les historiens de la littérature se sont d´abord intéressés aux écrivains de leur patrie, ce qui est légitime, chaque pays ayant le devoir de gérer au mieux l´héritage culturel reçu. Toutefois, l´attention trop exclusive portée à la langue natio-nale et aux œuvres qu´elle avait suscitées risquait de creuser un fossé entre les différentes aires culturelles, comme on a pu e l´observer auXIXsiècle, époque où triomphe l´idée de natio-nalité. Si chaque langue était porteuse d´une vision du monde spécifique et chaque littérature le reflet de l´âme du peuple dont elle était l´émanation, il en résultait une sorte d´insularité qui risquait d´être préjudiciable au dialogue e interculturel. À la fin duXIXsiècle, la littérature comparée au sens moderne du terme est apparue dans les milieux libé-raux et cosmopolites en réaction à ces visions nationales jux-taposées – soit pour les compléter, soit en polémique directe contre les excès ou les dérives du nationalisme culturel. De fait, il n´est guère aisé de définir de ce qui est spécifi-quement national. À l’origine de toute œuvre littéraire, il y a d´abord, et fondamentalement, toutes celles qui l´ont précé-dé. C´est au cœur de cette vaste bibliothèque du monde que
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l’on trouve la substance même de la littérature – thèmes, sym-boles, mythes, genres et styles. Et les grands courants intel-lectuels et esthétiques, pas plus que les nuées radioactives, n´ont coutume de s´arrêter docilement aux frontières ! À cer-taines périodes autoritaires, l´État ou l´Église ont certes pu essayer d´empêcher l´importation de ferments culturels jugés subversifs, mais sans grand succès. Le comparatisme naissant se donnait donc pour tâche de susciter des recherches translinguistiques et transnationales, de jeter des ponts entre les cultures dans un esprit de respect mutuel et de réciprocité, de mettre en lumière les chaînes multiples reliant le passé et le présent, ainsi que les nations entre elles. Ce noble programme d´inspiration humaniste a-t-il toujours été respecté ? Non, sans doute, en vertu du déca-lage qui s´observe inévitablement entre la réalité et les idéaux affirmés. Même au sein d´une discipline qui se proposait de combattre toute forme de chauvinisme culturel, les représen-tants des « grandes nations » ont parfois manifesté une cer-taine volonté de puissance, leurs prétentions hégémoniques se trouvant du reste renforcées par un certain type de métho-dologie, disons positiviste, qui tendait à concevoir les échanges entre nations de manière purement factuelle, quantitative, comme si la circulation des biens culturels obéis-sait aux mêmes règles que celle des marchandises ; à ce jeu, les pays les plus puissants et les plus peuplés sortaient vain-queurs à tout coup ! Quand bien même l´on parvenait à éviter de tels écueils, l´internationalisme souhaité par les comparatistes ne se limi-tait-il pas, à quelques exceptions près, au monde occidental ? Les grandes œuvres de notre panthéon sont issues d´Europe et d´Amérique du Nord, comme si l´horizon littéraire se limi-tait à ces aires géographiquement et linguistiquement déter-minées. Trop de frontières, trop de barrières, font encore
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obstacle à la constitution de cette littérature vraiment géné-rale dans laquelle Etiemble, un pionnier en la matière, voyait « la fin suprême du comparatisme ». Les discussions parfois acharnées sur les méthodes et les fins de la littérature comparée se poursuivent de plus belle, ce qui témoigne de la vitalité d´une discipline qu´on a parfois jugée dépassée mais qui, tel l´oiseau Phénix, semble avoir le don de renaître de ses cendres. Carl Fehrman nous convie à en suivre les destinées pendant plus d´un siècle, l´accent étant mis successivement sur les foyers actifs qui – de l´Allemagne aux États-Unis en passant par le Danemark et la France – ont successivement marqué de leur empreinte la recherche internationale. L´intérêt du propos de Carl Fehrman réside d´abord dans la perspective vraiment internationale qu´il adopte. Il tient aussi à la qualité d´un regard à la fois bienveillant et distan-cié. Les Suédois, et les Nordiques en général, ont très tôt appris à porter leur attention au-delà de leurs frontières nationales. Disposant de langues de faible diffusion, ils ont su compenser ce handicap en s´ouvrant au maximum sur le monde extérieur, recevant ainsi des impulsions multiples qu´ils ont filtrées et adaptées à leurs propres besoins. En ce sens, les « petites nations » constituent une base idéale pour une démarche comparative vraiment ouverte, et libre de toute prétention hégémonique. Lorsque par exemple Carl Fehrman évoque le développement du comparatisme fran-çais depuis son observatoire nordique, nous retrouvons certes des choses connues, mais éclairées différemment. Quelque temps après la parution de l´original suédois de son ouvrage, laRevue de Littérature Comparéea publié un numéro spécial intitulé « Relire les comparatistes ». S´il nous invite lui aussi à revisiter nos classiques, sa démarche ne fait nullement double emploi avec celle de ses collègues français.
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Aussi large que soit son horizon, l´auteur est d´abord ancré dans le Nord de l´Europe, ce qui nous vaut de pré-cieuses informations inédites sur les relations culturelles entre la France et les pays nordiques. Il s´est avéré que dans ce domaine, il n´avait utilisé qu´une partie des documents d´archives inédits dont il disposait dans le livre publié en sué-dois. À la demande des traducteurs, il a bien voulu étoffer et compléter son propos en vue de l´édition française. Qu´il en soit remercié ici. Pour étayer cette dimension franco-nor-dique, nous avons inséré dans la bibliographie un nombre assez important de références scandinaves. Même si les langues concernées ne sont pas d´usage très courant, il eût été dommage de ne pas prendre en compte des ouvrages qui contribuent à éclairer les relations intellectuelles entre la France et l´Europe du Nord. Celles-ci ont été plus fortes et plus riches qu´on ne l´imagine d´ordinaire. Pour ne prendre que cet exemple, le Danois Georg Brandes, un des pères fon-dateurs du comparatisme moderne, a tissé de nombreux liens avec notre pays, ainsi que le rappelle opportunément Carl Fehrman à la suite de Henning Fenger (Brandes et la France, PUF, 1963). Et l´on ignore généralement qu´il se mobilisa en 1904, conjointement avec quelques illustres compatriotes dont le philosophe Harald Høffding, pour que soit créée à la Sorbonne une chaire de langues et littératures scandinaves. Le premier titulaire en fut Paul Verrier (1886-1938) qui entre autres donna une série de cours sur l´individualisme scandi-nave – représenté notamment par Ibsen et Kierkegaard. Refermons cette parenthèse nordique, car il ne s´agit que de l´une des multiples facettes d´un ouvrage qui, hors de tout pédantisme, propose sous la forme de l´essai une réflexion d´ensemble sur un des domaines clés de l´humanisme occi-dental. Le bilan que dresse Carl Fehrman présente un intérêt particulier à l´heure de l´élargissement de la construction
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européenne. Plus que jamais, nous avons besoin de passeurs, de créateurs de liens. Au sein de l´Ancien Continent, nous sommes assez proches pour nous comprendre, assez diffé-rents pour pouvoir nous enrichir mutuellement. Encore faut-il y travailler activement, car rien n´est jamais définitivement acquis dans le domaine des relations interculturelles. Tirer les leçons du passé, y compris des erreurs commises, c´est aussi une manière de préparer l´avenir.
AVANT-PROPOS
En 1964 se tint dans la ville suisse de Fribourg un de ces congrès internationaux qui réunissent régulièrement les spé-cialistes de la littérature. L´un des thèmes majeurs porta alors sur « nationalisme et cosmopolitisme en littérature et dans les sciences de la littérature ». Un des intervenants appela de ses vœux un historique approfondi et détaillé de ce qui avait été accompli jusqu’alors dans le domaine de la littérature com-parée, cette discipline internationale qui entend dépasser les frontières des nations et des langues. Il espérait qu’une telle entreprise, qui impliquait une collaboration entre les insti-tuts de littérature de divers pays, pourrait voir le jour sous les auspices de l’UNESCO. Ce projet n’a jamais été réalisé sous cette forme. À l’aube du troisième millénaire, il serait particulièrement opportun de relever le défi en dressant un bilan des apports majeurs e qui ont marqué leXXsiècle. Les pages qui suivent se propo-sent plus modestement d’évoquer en bref quelques étapes de l’histoire du comparatisme en mettant l’accent sur les pays qui ont successivement été en pointe : la France, l’Allemagne, le Danemark et les États-Unis. Pour des raisons aisément
compréhensibles, l’auteur a particulièrement mis en exergue les relations littéraires franco-nordiques. Dans les discussions méthodologiques actuelles, le compa-ratisme « classique » n’est plus au centre des préoccupations. Aussi pourrait-on avec quelque raison qualifier cette étude de notice nécrologique sur un paradigme défunt. On ne sau-rait nier qu’une méthode comparative mécaniquement appliquée puisse aisément tourner à sa propre caricature. Pourtant, il ne saurait être question de se détourner du com-paratisme comme s’il s’agissait d’un chapitre révolu. Il vit toujours sous de nouvelles formes, avec une nouvelle termi-nologie et dans des perspectives élargies. Comme il est juste-ment dit dans « The Bernheimer Report » (inComparative Literature in the Age of Multiculturalism, The Johns Hopkins University Press, 1995) : « Given that our object of study has never had the kind of fixity which is determined by national boundaries and linguistic usage, comparative literature is no stranger to the need to redefinite itself. The present moment is particularly propitious for such a review, since progressive tendencies in literary studies, toward a multicul-tural, global, and interdisciplinary curriculum, are compara-tive in nature ».
I. L’HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE DANS LA MAISON EUROPELÉMERGENCE DE LA LITTÉRATURE COMPARÉE.
e Au cours duXIXsiècle, l’histoire de la littérature émerge en Europe en tant que discipline scientifique ; ancrée dans l’université, elle est axée sur la production nationale de chaque pays concerné. En Allemagne, Georg Gottfried Gervinus écrivit saGes-chichte der deutschen Nationalliteraturentre 1835 et 1842. Sa vision de l’histoire était d’inspiration hégélienne : il voyait dans la nation une idée en voie de réalisation. Il composa son ouvrage à une époque où le pays était encore morcelé en petits États. Pour lui comme pour ses lecteurs, l’héritage lit-téraire allemand, avec l’époque de Goethe en position cen-trale, servit de substitut à une identité politique nationale non encore réalisée. Poésie et nationalité étaient perçues comme des facteurs intimement liés dans le processus histo-rique. Une génération plus tard, Wilhelm Scherer publiaGes-chichte der deutschen Literaturdont la première édition est datée de 1883 et donc postérieure à la fondation de l’empire allemand et à la guerre franco-allemande. Dans sonHistory of
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Modern Criticism, René Wellek présente l’éthos de ce livre comme « nationaliste, prussien et protestant ». Scherer était lui-même professeur de langueetde littérature, une combi-naison courante en Allemagne. Il vint aux belles-lettres à par-tir de la philologie, et celle-ci était, selon ses propres termes, « la science de la nationalité ». Pour présenter la littérature, il entendait appliquer les mêmes méthodes empiriques que celles des sciences du langage. De manière toute positiviste, il voulait essayer de déterminer les lois auxquelles obéissait le processus littéraire. Dans les milieux universitaires, son livre fut considéré comme un ouvrage de référence et maintes fois réédité jusque dans les années 1930. Ajoutons que jusqu’à un certain point, il servit également de modèle en Scandinavie. En Italie, Francesco de Sanctis publia en 1872 un ouvrage qui exerça une grande influence,Storia della letteratura italia-na. Pendant des décennies, il s’était activement engagé dans le combat pour l’unification de l’Italie, avait connu l’exil par périodes et n’était retourné dans son pays qu’en 1860. Sa conception de l’histoire de la littérature fut liée elle aussi à des aspirations politiques nationales, et sa vision historique demeura hégélienne, avec coloration libérale : pour lui, le cheminement de l’histoire conduisait vers la liberté. Les histoires nationales de la littérature qui furent écrites e dans les autres pays au cours duXIXsiècle firent également office de déclarations nationales d’indépendance culturelle. Ce fut par exemple le cas en France des ouvrages de Désiré Nisard et de Gustave Lanson, fondés sur une tradition inébranlable qui affirmait l’existence d’un esprit français spé-cifique dont la manifestation la plus évidente était le classi-e cisme duXVIIsiècle. On retrouve cette conception de la littérature comme quintessence de l’histoire politique, reli-gieuse et scientifique d’un peuple dans les quatre parties de l’Histoire de la littérature anglaisequ’Hippolyte Taine acheva en
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1864. Taine, à l’aide de la fameuse triade qui allait devenir célèbre – « la race, le milieu et le moment » – y brosse le tableau de la littérature anglaise dans sa spécificité. Dans les îles britanniques même, George Saintsbury, professeur à Edimbourg, décrivit dans plusieurs ouvrages diverses époques de l’histoire de la littérature de son pays et résuma les résultats de ses recherches dansA Short History of English Literature(1898). Dans les pays nordiques aussi, les histoires de la littérature e élaborées au cours duXIXsiècle peuvent être considérées comme des déclarations d’indépendance nationale. Atter-bom écrivitSvenska siare och skalder[Prophètes et poètes sué-dois, 1841-1855] dans une Suède qui avait perdu la Finlande quelques décennies auparavant. Henrik Schück publia en collaboration avec Karl WarburgIllustrerad svensk litteraturhis-toria[Histoire illustrée de la littérature suédoise, 1895-97] à une époque où la crise de l’Union avec la Norvège prenait de l’ampleur. Il n’est pas sans intérêt de savoir que Karl War-burg, au début de sa collaboration avec Schück, avait évoqué par lettre la possibilité d’inclure aussi la littérature norvé-gienne dans leur projet commun. Le critère retenu fut en fin de compte la tradition littéraire nationale, non le royaume en tant qu’entité politique liée à la conjoncture historique. À peu près à la même époque parut l’ouvrage en trois volumes de Henrik Jaeger,Illustreret norsk litteraturhistorie [Histoire illustrée de la littérature norvégienne, 1892-1896]. Plus tard, en 1911 – la dissolution de l’Union avait eu lieu en 1905 –, un éditeur norvégien prit contact avec deux jeunes historiens de la littérature, Francis Bull et Fredrik Paasche, pour qu’ils mettent en chantier, comme il était précisé dans le contrat, « un ouvrage national étroitement lié à l’histoire norvégienne ». L’une et l’autre de ces entreprises sont insé-parables du sentiment national tel qu’il se manifestait à
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