HISTOIRE
ANCIENNE
DES
PEUPLES DE
L'ORIENT
Gaston MASPERO
Membre de l’Institut
Professeur de langue et d’archéologie
égyptiennes au Collège de France
Directeur Général des Antiquités de l’Égypte
LIVRE II – L’ASIE
ANTÉRIEURE AVANT ET
PENDANT LA DOMINATION
ÉGYPTIENNE
CHAPITRE IV – LA CHALDEE
Les populations primitives de la Chaldée.
Au nord et à l'est de l'Afrique, sur l'immense étendue de territoire comprise entre
la Méditerranée, la mer Noire, le Caucase, la Caspienne, l'Indus et les mers qui
baignent les côtes méridionales de l'Asie, s'agitaient confusément des nations
d'origine diverse, pour la plupart inconnues aux premiers Pharaons. Séparée d'el-
les par le désert et par la mer, l'Égypte ne s'était jamais jusqu'alors entremise
dans leurs affaires : tout au plus avait-elle poussé ses colonies minières sur le
revers du Sinaï et bâti quelques forteresses afin de protéger les colons. Pour le
reste, une muraille, tirée en travers de l'isthme et garnie de postes crénelés, lui
servait de barrière contre tout ce qui la menaçait de Syrie et lui permettait de
suivre à l'abri des invasions du Nord le cours de ses destinées.
Quelques-unes de ces nations sans nom encore et sans histoire appartenaient
sans doute à cette humanité primitive qui couvrait le sol à des époques si recu-
lées, qu'il appartient au seul géologue d'en rechercher la date. La plupart se rat-
tachaient à des races plus fortes et plus nobles, répandues des bords de la mer
Caspienne à ceux de la mer Méditerranée. Elles venaient, à ce qu'il semble, des
steppes de l'Asie septentrionale, et elles en descendirent vers le sud, à la recher-
che de climats plus doux et de contrées plus fertiles. Une partie des émigrants
occupa les districts montagneux qui s'étendent au sud de la Caspienne et qui
bordent le plateau de l'Iran. Au pied même de la montagne, le pays est bien boi-
sé et bien arrosé ; à mesure qu'on avance vers l'intérieur, les rivières diminuent
de volume. Elles finissent par se perdre dans les sables, à l'exception de deux ou
trois qui tombent dans le grand lac Hamoun. Sauf la bande de terre qui court le
long de leurs rives, le reste du pays n'est qu'un vaste désert salé, dont le sol est
formé, tan tôt de gravier, tantôt d'un sable fin et mouvant que le vent ballotte en
immenses vagues longitudinales, tantôt d'une argile durcie et cuite au soleil. La
masse de la nation s'établit solidement sur la lisière occidentale du plateau, dans
la région à laquelle on attribua plus tard le nom de Médie. Plusieurs tribus allè-
rent à l'ouest, en Atropatène, en Arménie, et jusqu'en Asie Mineure. D'autres
gagnèrent vers le sud, et se fixèrent au delà des montagnes, dans les plaines de
la Susiane et sur les bords du Tigre et de l'Euphrate1.
1 Sur la parenté des tribus non sémitiques de la Chaldée avec les Susiens et ceux des Mèdes qui
n'étaient pas Aryens, voir Oppert, Etudes sumériennes, p. 83-85 ; Lenormant, la Magie chez les Le Tigre1 et l'Euphrate2 prennent leur source en Arménie, au mont Niphatés3, la
plus haute des chaînes qui se développent entre le Pont-Euxin et la Mésopota-
mie, la seule qui atteigne en quelques endroits la limite des neiges éternelles. Ils
coulent d'abord parallèlement l'un à l'autre, l'Euphrate de l'est à l'ouest jusqu'à
Malatiyéh, le Tigre de l'ouest vers l'est, dans la direction de l'Assyrie4. Au delà de
Malatiyéh, l'Euphrate dévie brusquement au sud-ouest, se fraye un chemin à tra-
vers le Tauros, comme s'il voulait rallier la Méditerranée5, puis il tourne vers le
sud-est, dans la direction du golfe Persique. Au débouché des montagnes, le Ti-
gre incline au sud sans hésiter et se rapproche graduellement de l'Euphrate : au
voisinage de Bagdad, les deux fleuves ne sont plus divisés l'un de l'autre que par
quelques lieues d'un terrain bas et uni. Toutefois, ils ne se mêlent pas encore ;
après avoir filé presque de conserve l'espace de vingt à trente milles, ils s'écar-
tent de nouveau pour ne se rejoindre qu'à prés de quatre-vingts lieues plus bas,
former le Shatt-el-Arab et se jeter dans le golfe Persique. Dans sa partie
moyenne, l'Euphrate reçoit sur la gauche deux affluents assez considérables, le
Balikh6 et le Khabour7, qui lui versent les eaux du Karadjah-Dagh8 : depuis son
confluent avec le Khabour jusqu'à son embouchure, il n'a plus aucun tributaire.
Le Tigre au contraire se grossit sur la gauche des apports du Bitlis Khaï9, des
deux Zab10, de l'Adhem11, du Divâléh12. Aussi les deux fleuves sont-ils naviga-
bles sur une grande partie de leur cours, l'Euphrate dés Souméîsat, le Tigre prés
de Mossoul : au moment de la fonte des neiges, vers le commencement ou le
milieu d'avril, ils se gonflent, débordent et ne rentrent dans leur lit qu'en juin, au
temps des plus fortes chaleurs13.
Le bassin du Tigre et de l'Euphrate n'avait pas à toutes les époques l'aspect qu'il
présente aujourd'hui. Au commencement de notre période géologique, les deux
fleuves se traînaient, l'espace d'environ cinq degrés, dans une grande plaine on-
dulée, de formation secondaire, sillonnée par les quelques cours d'eau qui lui
tombent du mont Masios14. C'est un territoire fertile au bord des rivières et dans
Chaldéens et les Origines Accadiennes, p 515, sqq. ; Sayce, The Languages of the Cuneiform ins-
criptions of Elam and Media dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. III, p.
465-485 et, pour ces derniers temps, aux divers mémoires de Weissbach et de Hüsing.
1 En accadien, Idigna ou Idignou, « le fleuve aux hautes berges » ; la forme sémitique est Idiklat
ou Diklat (Fr. Delitzsch, Wo lag das Paradies ? p. 171). L'étymologie classique qui donnait au nom
du Tigre le sens de flèche, soi-disant à cause de sa rapidité (Pline, H. N., VI, 127 ; Q. Curce, IV,
9,16 ; Strabon, XI, 14, 8) est d'origine iranienne.
2 En accadien, Poura-nounou, le grand fleuve, abrégé en Poura et devenu Pourat, Pouraton, dans
l'idiome sémitique de la Chaldée (Delitzsch, op. l. p. 169-170).
3 Aujourd'hui le Keleshin-Dagh.
4 Genèse, II, 14
5 Pomponius Mela, De Situ Orbis, III, 8 : « Occidentem petit, ni Taurus obstet, in nostra maria
venturus ».
6 En assyrien, Balikhi : le Bilichos des Grecs.
7 Aborras ou Chaborras des écrivains classiques.
8 Le Masios des Grecs (Strabon, XI, 12, 4 ; 14, 2).
9 Le Kentritès des Grecs (Xénophon, Anabase, IV, 3,1).
10 Le Zab supérieur portait en assyrien le nom de Zabou êlou, et le Zab inférieur celui de Zabou
shoupalou (Delitzsch, Wo lag das Paradies ? p. 186) : chez les Grecs, Lycos et Kapros.
11 Chez les Assyriens, Râdânou