Le Village retrouvé
230 pages
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Description

Le retour de l'enfant du pays après trente ans d'absence. Trente ans qu'Isidore n'est pas revenu sur la terre de ses origines. À l'époque, il s'était engagé dans l'armée sans état d'âme pour fuir une vie qu'il jugeait misérable.

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 42
EAN13 9782812917318
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La notoriété deMarie de Palets’est développée à l’heure de la retraite, lorsqu’elle a abandonné son stylo rouge d’institutrice pour sa plume d’écrivain. Lozérienne de racines et de cœur, elle met en scène sa province d’origine dans ses livres, dans lesquels elle dévoile sa connaissance intime du monde paysan d’autrefois. Un succès mérité jamais démenti.
LEVILLAGE RETROUVÉ
Du même auteur Aux éditions De Borée
Amandine, collection Romans, De Borée, 2007 ; collection Terre de poche, De Borée, 2010. Sidonie des Bastides, collection Romans, De Borée, 2009. Retour à la terre, collection Romans, De Borée, 2004 ; collection Terre de poche, De Borée, 2009. Céline, une vie toute simple, collection Romans, De Borée 2008. Mademoiselle Fine, collection Romans, De Borée, 2006. Le Sentier aride, collection Romans, De Borée, 1999 ; collection Terre de poche, De Borée, 2006. Tistou, collection Romans, De Borée, 2005. L’Enfant oublié, collection Romans, De Borée, 2001 ; collection Terre de poche, De Borée, 2004. La Demoiselle, collection Romans, De Borée, 2003. La Tondue, collection Romans, De Borée, 2000 ; collection Terre de poche, De Borée, 2002. Les Terres bleues, collection Romans, De Borée, 2002.
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. © , 2010
MARIE DEPALET
LE VILLAGE
RETROUVÉ
I
Le retour
’HOMME MARCHAIT à grandes enjambées. Il avait traversé des plaines et L des landes et, maintenant, il arrivait en vue de sa vallée… Une vallée qui n’avait pas changé: toujours aussi étroite avec ses versants si raides que la charrue se renversait à chaque virage. L’automne arrivait. Le soir sentait la pomme et le regain coupé. Les haies avaient perdu leur éclat et des touches de couleur parsemaient, çà et là, leur feuillage serré. Une petite brume montait de la riv ière et rampait insidieusement. Elle grimpait le coteau et, dans quelques heures, a tteindrait le haut du versant noyant tout le paysage dans sa chape de coton. Les villages s’étiraient de part et d’autre du ruba n bleu de la route, et des cheminées s’échappaient des dentelles de fumée qui se dispersaient dans l’azur qui s’assombrissait. Il faisait froid. Pas un froid d’hiver, non; un fro id d’avant-garde qui engourdissait la terre avant l’arrivée de la longue nuit hivernale. Le jour hésitait encore à céder la place à la nuit et le pays tout e ntier attendait, dans un silence religieux, la venue des ténèbres. Au loin, un char attardé se hâtait vers sa grange, et le grincement de ses roues ferrées sur les cailloux du chemin faisait monter d ans l’air immobile une longue plainte sans fin… L’homme s’arrêta, la tête pleine de souvenirs. Il p osa sa besace et s’assit appuyé contre le tronc d’un arbre. «Bon Dieu, s’exclama-t-il, mais rien n’a changé, pa r ici! Il me semble que je suis parti hier!» Il réfléchit: hier, c’était une bonne vingtaine d’a nnées, presque trente à bourlinguer à droite et à gauche, à s’user la santé dans des pays aux climats étranges qui vous amollissaient la peau et vous sor taient toute l’eau du corps vous laissant épuisé comme une vieille femme… Il avait vu de belles contrées où le riz se cultive comme par magie; il avait traversé des forêts de bambous ces arbres qui pouss ent si vite qu’on pourrait presque les voir grandir… Ah, il en avait vu des ch oses pendant ces quelques années! Des indigènes aux petits yeux bridés dont i l était bien difficile de deviner les pensées sous le sourire et les courbettes…. Il ferma les yeux quelques instants pour revivre ce tte épopée coloniale qui l’avait amené si loin de son village; si loin de ce tte vallée qui s’étalait à ses pieds. Il hocha la tête: que de larmes lui avait fa it verser ce départ pour l’inconnu, à l’aube de ses dix-huit ans! Mais que faire d’autre quand personne ne vous aime; quand personne ne croit plus en vous? S’ engager avait été encore l’aventure qui lui avait le mieux réussi… Oh, il ne l’avait pas fait de gaîté de cœur ni même de par sa seule volonté, mais il l’avait fa it conscient que, pour lui, c’était la meilleure des solutions. Il se rappelait encore cette foire de Toussaint, à Mende, au café de la Caille. Ils avaient fait les fous, toute la soirée, les autres et lui. Avec les quelques francs qu’ils avaient reçus de leurs patrons, pour leur pa ye annuelle, ils étaient allés de
bistrot en bistrot, boire du mauvais vin, rire, cha nter et zieuter les filles qui passaient dans la rue. Enfin, au dernier café, celu i de la Caille, ils avaient rencontré ce sergent recruteur qui leur avait vanté la beauté des paysages exotiques, le dépaysement, la langueur des filles d es pays chauds, la douceur de vivre dans les colonies… Les autres, malgré leur ivresse, restaient méfiants; mais lui, il y avait cru tout de suite: partir, pou rquoi pas? Quitter ce pays hostile, cette vallée monotone plus triste que la mort… Fuir le travail harassant pour une paie misérable que sa mère et son beau-père lui con fisquaient dès son entrée à la maison! Sa mère ne l’aimait pas et, à part quelq ues amourettes sans lendemains, il n’avait jamais connu l’amour; ses fr ères étaient trop jeunes pour lui être d’aucun secours; que pouvait-il regretter? Il signa son incorporation et ne voulait même pas r etourner au village dire au revoir à sa mère. De toute façon, elle aurait été b ien contente d’être débarrassée de lui, le gêneur, celui qui lui rappelait un homme qu’elle voulait oublier… Ah, si son père avait vécu, ce n’aurait pas été la même ch ose; mais voilà, son père était mort, à vingt-sept ans, d’une mauvaise fièvre contractée au cours de l’été de ses cinq ans! Il se rappelait à peine un géant r oux qui le prenait dans ses bras… Bien sûr, on n’était pas riche, à la maison, mais on mangeait à sa faim, et sa mère n’était pas la garce qu’elle était devenue après quand elle avait connu René Boudrieu surnommé Boudif… Il en voulait à cett e dernière d’avoir si peu porté le deuil et d’avoir enterré son père une seco nde fois en épousant ce minable… C’était un petit homme chafouin avec des yeux diver gents qui avaient toujours l’air de regarder à côté des choses, chauve avec qu elques poils de barbe presque invisibles et qui parlait toujours très for t pour compenser sûrement la petitesse de sa taille, pensait-il. Il détestait qu ’on l’appelle Boudif et, il pouvait piquer d’homériques colères si quelqu’un, par malic e ou par simple inattention, lui donnait son surnom. Boudif était venu, un jour, il avait subjugué sa mère car il était beau parleur et il était resté… Personne ne s ’était plus aventuré à la maison. Il s’était comporté en chef, avait épousé s a mère et depuis, avait régné sans partage sur la femme et la maison. Lui, Isidore, on le supportait, s’il n’était pas tr op exigeant, mais il devait obéir au doigt et à l’œil et faire tout ce que commandait Boudif ou sa mère sinon les coups pleuvaient. Il s’était toujours demandé comment un homme chétif comme Boudif pouvait taper si fort. Obligé de plier, il avait dû supporter les caprices du couple sans rien laisser paraître mais il était bien décidé à se ven ger un jour. Deux autres garçons étaient nés au foyer de Boudif et de sa mère: Jean et Pierre, à un an d’intervalle. Il les avait très peu connus car, dès ses six ans, il avait été loué chez Baptiste Plan comme toucheur de bœufs. Malgré son jeune âge, il devait s’acquitter de sa tâche sans aucune faute. Baptiste était sévère mais juste. Jamais il n’avait levé la main sur lui malgré quelques étourderies dues à son âge tendre. Quelques remontrances bien senties avaient été bien plus pro fitables que des cris ou des coups. Il s’était très vite habitué à sa nouvelle vie. Il y avait passé son enfance et, une fois devenu adolescent, avait accédé au statut de d omestique. Bon ouvrier, il était très apprécié. Tout aurait été pour le mieux si, à la Toussaint, il n’avait dû retourner dans sa famille pour l’hiver. Ce qui étai t une joie pour les autres domestiques se trouvait être un enfer pour lui.
Dès son arrivée, Boudif lui imposait plusieurs tâch es à faire. Il l’envoyait chercher du bois, dans les communaux, par n’importe quel temps et le battait s’il n’en ramenait pas ou trop peu. Il le lui faisait co uper et mettre en bûches. Quelquefois, l’un ou l’autre des voisins le prenait pour l’aider à un travail urgent. Ces jours-là, il était heureux de manger à sa faim et ne rentrait le soir qu’après la veillée, tard dans la nuit. Il se glissait dans la grange qui lui servait de chambre, heureux d’éviter les regards jaloux de Boudif. Il d evenait évident que ce dernier, malingre et gringalet, enviait la prestance et la h aute taille de son beau-fils et se vengeait en le battant et en l’humiliant en public. Depuis longtemps, sa mère ne lui était d’aucun seco urs et même, c’était elle qui lui prenait ses gages, ne lui laissant que quel ques sous pour fêter la fin des travaux, à la foire de Toussaint, avec tous les dom estiques de la vallée. Elle s’excusait disant qu’elle avait besoin de cet argen t pour nourrir ses frères; mais il savait bien que sa paye était destinée à un tout autre usage. Il y avait, dans la cave, deux gros tonneaux qui étaient toujours vides et qu’il fallait remplir pour le plaisir de Boudif et de sa mère aussi, hélas! Bref, la vie au pays était si triste que l’armée, m algré ce que racontaient les uns ou les autres, ne pouvait pas être pire. Il était donc resté à Mende, ce soir de foire de To ussaint, à faire la fête aux frais du sergent recruteur. Il ne se rappelait plus où il avait dormi, mais avait été réveillé, le lendemain matin, par une voix guttural e qui l’appelait: «Hé, toi, le nouveau, debout! On va attaquer la route!» Juste le temps de rentrer à l’auberge, d’avaler une soupe à l’ail, manger un croûton de pain et ce fut le départ vers Marseille. Il n’aurait pas voulu retourner au village; mais il avait bien fallu faire le détour car il n’avait pas vingt et un ans et était sous la tutelle de sa mère et de Boudif. Dans le froid matin de novembre, quand ils étaient arrivés devant la maison et que sa mère avait compris sa décision, elle s’était mise à pleurer, avait bondi sur lui et l’avait serré dans ses bras comme jamais ell e ne l’avait fait. C’était inattendu, inespéré, et il en avait été bou leversé. Un instant, il avait même regretté la croix qu’il avait déposée en guise de signature, en bas du papier du sergent… Ses yeux s’étaient mouillés quan d sa mère avait dit qu’elle ne donnerait jamais son autorisation; mais le serge nt avait sorti quelques pièces d’or et Boudif avait, tout de suite, donné son cons entement. Il était donc parti, le cœur gros des sanglots dont sa mère, impuissante, l’avait accompagné jusqu’au bout du chemin. Il s’était tout de même vengé de son beau-père en l ui lançant avec bravade: «Adieu, Boudif!» L’autre n’avait pas répondu mais une rage folle ava it envahi son visage et lui, il en avait été tout réjoui. Les sabots de bois n’étaient pas faits pour de si l ongs trajets. Il les noua donc avec une ficelle, les pendit à son épaule et contin ua la route nu-pieds. Ils étaient cinq à descendre vers le midi, la mer e t l’aventure. Les autres traînaient les pieds, regrettaient leur village et maudissaient leur mauvaise fortune et l’agent recruteur. Mais lui, après le va gue remords qu’il avait eu en voyant les larmes de sa mère, était, au fond assez content de lui. Il se réjouissait de voir d’autres pays que sa vallée. Lucien et Thom as pleuraient en reniflant, Clément ne parlait à personne et Victor paraissait un peu simplet… Mais lui, Isidore Moulin, il était le seul à s’être engagé en toute connaissance
de cause. Le sergent recruteur qui avait l’habitude de voir l es jeunes qu’il conduisait beaucoup plus souvent moroses et en pleurs que cont ents d’eux, s’approcha de lui. «Moulin, lui dit-il, tu es fier d’appartenir à l’arm ée française?» Isidore ne savait trop ce que voulait dire l’homme, il répondit: «Je ne sais pas ce que sera ma vie; mais je suis content d’en avoir changé.» La réponse plut à l’homme; il lui répliqua: «Je te le dis, si tu suis mes conseils, tu ne regre tteras pas ton engagement…» Et il ne l’avait pas regretté! Certes, la vie militaire était dure et la campagne du Tonkin avait été terrible; mais rien n’avait été pi re que ce qu’il avait connu, ici, dans cette vallée qu’il retrouvait quasiment inchan gée après sa longue absence… Il avait été habitué à obéir sans discuter et, à l’armée, on ne lui demandait pas autre chose. L’ordinaire valait autan t sinon plus que celui de la ferme où il avait été loué et était bien meilleur q ue la maigre pitance que lui octroyait Boudif. Bref, les années qu’il avait pass ées sur la terre d’Asie avaient fait de lui un homme toujours meurtri, mais en plei ne force, prêt à affronter la vie. Pourquoi, alors, ses pas l’avaient-ils porté, presq ue contre son gré, vers cette terre ingrate où il n’avait connu que la pauvreté, la faim et les brimades? Il se posait toujours la question mais ne savait comment y répondre: envie de revoir sa mère, ses frères, les compagnons de son enfance? Il ne savait; mais enfin, il était là, face à ce village qui l’avait vu naître, au pied de Balduc, la colline qui avait donné son nom au pays…
Assis au pied de son arbre, il sentait la fatigue l e gagner et ses yeux se fermaient malgré lui. Il serait doux de s’endormir face à cette campagne qui, aujourd’hui, lui paraissait bien plus belle que tou tes les rizières du monde et les baies profondes des rivages orientaux. Il allait su ccomber au sommeil quand il se secouat trouver un abri…: il n’allait pas dormir en pleine nature, il devai Il se rappela un vieux moulin abandonné qui servait , autrefois, de refuge aux amoureux des villages. Il ne devait pas être très l oin. Il fallait longer la rivière et la descendre sur quelques centaines de mètres pour y parvenir. Il se leva avec un soupir de regret, descendit la p ente raide qui menait vers le bas de la vallée et entendit, avant d’y arriver, le chuchotement de la Nize qui coulait indifférente entre ses deux rives bordées d e peupliers aux feuilles jaunies. Les pluies d’automne avaient gonflé ses eaux et ell e menaçait d’inonder les prés aux alentours mais c’était toujours la même ri vière calme qui voulait faire croire en sa méchanceté en mordant ses rives pendan t quelques jours. Il la suivit, reconnaissant, en passant certains prés où il avait émondé frênes et ormes au temps de sa jeunesse. Rien n’avait changé. Certains arbres tendaient vers le ciel des moignons noirs dépouillés par la hache des émondeurs… Alors, il re vit la saison des fagots comme il avait revu celle des moissons en traversan t les champs. «Mon Dieu, soupira-t-il, comme il est loin ce temps -là! J’avais oublié ces travaux…» Vaguement, il se reposa la question: mais que suis- je venu faire ici? Il n’eut pas le temps de s’attarder à ses rêves car, déjà, e ntre les arbres, il apercevait le
moulin qui semblait crouler sous le poids des ans. Son toit, dont les tuiles s’éclaircissaient par endroits, paraissait tout de guingois. Mais les murs avaient gardé l’aspect solide d’autrefois. La porte suintai t d’humidité et on ne voyait aucune fenêtre. Il se rappela qu’il y en avait une de l’autre côté face au couchant. Oh, elle n’était pas très grande, juste a ssez pour donner un peu de jour à l’ensemble. Il poussa la porte qui protesta lugubrement et entra dans l’unique pièce. Le crépuscule lui permit d’entrevoir l’immense chem inée où restaient encore quelques brandons noircis. Il y avait un grand trou au milieu de la pièce c’était tout ce qui restait du corps du moulin… Il leva les yeux vers un plancher qui servait de pl afond à la plus grande partie du moulin formant une sorte de débarras. On accédai t à la partie supérieure par une trappe. Il fouilla des yeux l’espace du moulin et aperçut une échelle délabrée couchée le long du mur d’en face. Il la posa contre la trappe et grimpa jusqu’en haut. D’un coup de pied, il repoussa l’échelle qui alla se ficher contre le mur comme si on l’y avait posée. «Ben, voilà, je suis tranquille pour la nuit.» Dans cet appentis il croyait trouver de la paille o u du foin comme dans ses souvenirs; mais le plancher était nu et, à travers le toit, on pouvait entendre le souffle du vent. Il posa son baluchon sur le sol, s e coucha la tête sur son sac et s’endormit tout de suite.
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