Mes inconnus chez eux
187 pages
Français

Mes inconnus chez eux , livre ebook

-

187 pages
Français

Description

Exemplaire à son époque, l'attitude de Lucie Cousturier envers les Noirs évolue d'un ouvrage à l'autre. Après "Des inconnus chez moi" (1920, réédité 2001 à l'Harmattan), nous découvrons avec "Mes inconnus chez eux " (ouvrage en 2 tomes) une observation pleine de finesse et de nuance, de la vie quotidienne indigène dans l'Afrique de l'Ouest (notamment en Guinée) à l'époque coloniale. un apport exceptionnel en matière de compréhension interraciale.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2003
Nombre de lectures 79
EAN13 9782296331891
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

MES INCONNUS CHEZ EUX
II
MON AMI SOUMARÉ, LAPTOT
suivid'un
Rapport sur le milieu familial
en Afrique occidentaleCOLLECfION
AUTREMENT MEMES
dirigée par Roger Little
Professeur émérite de Trinity College Dublin,
Chevalier dans l'ordre national du mérite, Prix de l'Académie française etc.
Cette collection présente en réédition des textes introuvables en
dehors des bibliothèques spécialisées, tombés dans le domaine
public et qui traitent, sous forme de roman, nouvelles, pièce de
théâtre, témoignage, essai, récit de voyage etc., rédigés par un
écrivain blanc, des Noirs ou, plus généralement, de l'Autre.
Exceptionnellement, avec le gracieux accord des ayants droit,
elle accueille des textes protégés par copyright, voire inédits.
Des textes étrangers traduits en français ne sont évidemment
pas exclus. Il s'agit donc de remettre à la disposition du public
un volet plutôt négligé du discours postcolonial (au sens large
de ce tenne : celui qui recouvre la période depuis l'installation
des établissements d'outre-mer). Le choix des textes se fait
d'abord selon les qualités intrinsèques et historiques de
l'ouvrage, mais tient compte aussi de l'importance à lui
accorder dans la perspective contemporaine. Chaque volume
est présenté par un spécialiste qui, tout en privilégiant une
optique libérale, met en valeur l'intérêt historique, sociologique,
psychologique et littéraire du texte.
« Tout se passe dedans, les autres, c'est notre dedans
extérieur, les autres, c'est la prolongation de notre intérieur. »
Sony Labou Tansi
Titres parus et en perspective:
voir en fin de volumeLucie COUSTURIER
MES INCONNUS CHEZ EUX
II
MON AMI SOUMARÉ, LAPTOT
suivi d'un
Rapport sur le milieu familial
en Afrique occidentale
Préface de René Maran
Présentation de
Roger LITTLE
L'Harmattan L'Harmattan Hongrie L'Harmattan Italia
5-7, rue de l'École-Polytechnique Hargita u. 3 Via Bava, 37
75005 Paris 1026Budapest 10214Torino
FRANCE HONGroE ITAUELe médaillon de la couverture
reprend un dessin de Lucie Cousturier
paru dans les Cahiers d 'aujourd 'hui
n.s., n012 (1923)
source de tous les autres dessins
qui ornent ce volume
@L'Hannatlan,2003
ISBN: 2-7475-4953-4SUR LE NIGER
23 janvier 1922.
Mamady, à qui j'ai donné un congé de convalescence s'est
embarqué hier pour Kouroussal avec sa femme. Je les
retrouverai à Kissidougou dans deux mois. Je vais naviguer à
mon tour en sens inverse, vers Bamako. J'occuperai seule avec
les quatre laptots et leur patron noir le chaland bâché à l'usage
des fonctionnaires en déplacement.
Un petit incident avant de partir. Le patron laptot et l'agent
français de la compagnie de navigation se disputent sur la
berge à côté de moi. Le noir, d'une cinquantaine d'années,
montre un visage dur et accidenté. Les doubles cavernes de ses
yeux et de ses narines, le fossé de sa bouche sont encore
prolongés par des rides horizontales. Maintenant que, sous
j'influence de la colère, ces plis se tassent dans un rictus,
l'homme est effrayant. Aux derniers mots qu'il a prononcés, il
s'est rejeté en arrière comme pour mieux foncer au besoin et
quand il regarde l'agent blanc, jeune et rose, plus petit que lui,
ce vieux loup du Niger semble prêt à le dévorer comme un
faible agneau.
Je n'ai pas compris deux mots du dialogue en malinké,
mais poliment le Français me l'explique.
- Croyez-vous, ce saligaud-là, il m'a presque insulté! Je
ne lui disais rien, absolument rien: «Tu tâcheras d'aller vite,
hein, lui ai-je dit, ou tu verras! » C'était tout naturel avec ces
flemmards. Et savez-vous ce qu'il m'a répondu? «Je ferai
mon service comme d'habitude, rien de plus! » Quel insolent!
Il a bien fallu après cela que je le remette à sa place.
1 La carte de l'itinéraire suivi par Mme Lucie Cousturier, pendant son
voyage en Afrique, a été publiée en tête du tome premier de Mes
inconnus chez eux. [On la retrouvera 1.1, p.2 dans la présente
réédition.]
5Je pense à la mienne au moral, à la place que je vais garder
pendant trois jours auprès du vieil homme qui déjà manœuvre
la barre rageusement. Tête enfoncée dans les épaules et gueule
oblique, il est pareil aux vieux gueniers des estampes
japonaises.
Mon chaland est semblable à une banale barque de pêche de
deux mètres de long, à fond plat, qui supporterait en son centre
un dais de zinc drapé d'une bâche très écourtée. De mon lit
que j'y abrite et où je m'étends même le jour, je vois bien,
outre leur patron, les quatre hommes d'équipage. Deux
manœuvrent à l'avant, deux à l'arrière, en courant le long des
planchers pour prendre chaque fois sur le fond de sable, du
bout de leurs longues perches, le maximum d'appui pour
lancer le bateau.
Ce qu'il y a d'imprévu d'abord, c'est justement ce bruit
rythmé du pas des hommes, trois pas lourds et précipités,
tandis qu'ils poussent, trois pas légers suivis d'un silence,
d'une syncope, tandis qu'ils retournent vers le relancement des
perches comme à un assaut. Tant de mouvement, de matérialité,
étonne dans le grand paysage abstrait.
Pas d'hippopotames, pas de crocodiles, pas de grands
arbres, pas de lourdes formes nulle part, pas de formes! Nous
avons l'air d'un monstre tombé d'une planète. Devant nous,
c'est la monotonie dans toute son horreur ou sa beauté. L'eau,
le sable, le ciel, la terre, la végétation ne cherchent pas à se
distinguer les uns des autres par des contours ou des couleurs:
nos sens les confondent. Il semble qu'on assiste à la
désagrégation de la terre et de l'eau en lumière et que bientôt il
ne restera plus rien qu'un grand ciel. Des échassiers, qui
s'éparpillent du sol vers le ciel, comme des jets de sable, ou en
retombent, ne font qu'aggraver cette idée de dissociation.
Le soir.
Je me suis habituée peu à peu au bruit de la manœuvre; il
m'a semblé qu'il comporte aussi, malgré les apparences,
quelque chose de l'immatérialité générale. Ces laptots presque
nus, en sueur, témoignent d'une précision, d'une régularité qui
les différencient des êtres vivants tels qu'on est habitué à les
6concevoir; car ce ne sont pas des ouvriers qui donnent un
effort d'un quart d'heure au plus, et se détendent, regardent
autour d'eux. Les laptots ne modifient pas une minute leur
allure pendant les douze heures qu'ils peinent entre leurs brefs
repas.
À la tombée du jour ma vue, lasse, ne distingue plus des
hommes, mais plutôt de grands rouages, des bielles d'acier
bruni de quelque machine céleste, peut-être, je ne sais plus...
car c'est moi qui me suis, par la contemplation du travail, le
plus fatiguée.
Le chaland est amarré pour son repos nocturne à un vague
buisson poussé dans une anse de sable. Les hommes d'abord
prennent leur repas. Trois d'entre eux, les plus jeunes,
s'accroupissent autour d'une calebasse de riz sur le pont
d'avant; le patron et un second mangent sur le pont d'arrière.
L'appréhension que j'avais eue le matin en m'embarquant
seule, sans connaître la langue indigène, sous le regard
malveillant du vieux pilote, s'est depuis longtemps dissipée. J'ai
appartenu depuis à tant d'autres pensées que, pour me rappeler
celle-là,il me faut un drame nouveau.
Ce soir, je m'amusais de la vitesse avec laquelle les trois
hommes du pont avant, à leur repas, roulaient entre leurs mains,
suivant l'usage, la boulette de riz, puis l'enfournaient tout droit
dans leur bouche, à la manière dont on masque un orifice avec
du mastic.
Tout à coup, sans que j'aie pu saisir un geste de menace ou
un accent suspect, je vois deux convives s'enlacer en silence,
tourbillonner, rouler par-dessus le bord du chaland dans l'eau
et le sable pendant que leurs deux poings martèlent leurs dos.
Il n'est certes, cet incident, pas vilain à voir; c'est même
plastiquement beau comme tous les matches de lutte. Faute de
mise en scène, cela ne donne même pas l'impression de conflit
ou de colère. Je me demanderais si je n'assiste pas à un sport,
à un jeu, - bien inopportun, il est vrai, aupr&#

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