Un grain sur le toit
430 pages
Français

Un grain sur le toit , livre ebook

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430 pages
Français

Description

Les anciens Kabyles disaient : "L'énigme est semblable à un papillon qui se pose sur une fleur au printemps". Pour expliquer les stratagèmes linguistiques et allégoriques utilisés dans l'énigme, il faut découvrir les nombreuses règles sur lesquelles s'appuient ces artifices linguistiques, notamment celles qui lient le son au sens dans la langue (berbère). A travers une classification scientifique, l'auteur nous fait entrer dans un imaginaire ludique et fécond.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2012
Nombre de lectures 97
EAN13 9782296488397
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

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Extrait

UN GRAIN SUR LE TOIT ENIGMES ET SAGESSES BERBERES DE KABYLIE
Présence berbère Collection dirigée par Larbi Rabdi Déjà parus Youcef ALLIOUI,Les archs, tribus berbères de Kabylie, 2006. Youcef ALLIOUI,Énigmes et joutes oratoires de Kabylie (édition bilingue berbère-français), 2005. André BASSET,La langue berbère. Morphologie. Le verbe. Étude de thèmes, (rééd.), 2004.
Youcef ALLIOUI UN GRAIN SUR LE TOIT AΣEQQA AF SSQEF
ENIGMES ET SAGESSES BERBERES DE KABYLIE TIMSAΣRAQ GER TISULA Edition bilingue Berbère-français L’Harmattan
Du même auteur Devinettes berbères, Conseil International de la langue française, sous la direction de Fernand Bentolila, Groupe d’Etudes et de Recherches Berbères de Paris V – Sorbonne, 1987. Timsal-Enigmes berbères de Kabylie, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 1990. Contes kabyles – Contes du cycle de l’ogre - Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2001. Contes kabyles – Contes du cycle de l’ogre - Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2001. Contes du cycle de l’ogre - Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2003. Enigmes et joutes oratoires de KabylieTimsaεraq – Timsal - Izlan– bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2005. Les Archs,tribus berbères de Kabylie –Histoire, résistance, culture et démocratie, L’Harmattan, 2006. L’ogresse et l’abeille – Contes kabyles -Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2007. La sagesse des oiseaux – Timsifag –Contes kabyles – Timucuha,bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2008.L’oiseau de l’orage – Afrux ubandu – Contes kabyles – Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2008. Sagesses de l’olivier – Timucuha n tzemmurt Contes kabyles – Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2009.Les chasseurs de lumière – Iseggaden n tafat – Contes et mythes kabyles – Timucuha d yizran, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2010. © L’HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96067-1 EAN : 9782296960671
A Fernand Bentolila, à qui la langue amazighe doit beaucoup… et notamment la méthode de présentation qui met en valeur ce genre littéraire. A la mémoire de mes parents, Tawes et Améziane Ouchivane. Aux enfants berbères-amazighs. « Que le Souverain Suprême Fasse que vous soyez comme le chêne aux glands doux : Ceux-d’en-bas seront la souche, Ceux-d’en-haut seront les fruits ; les racines vous uniront ! » - Extrait du mythe : « Le maître des montagnes ». « Akwen Ig Ugellid Ameqqwran am tafat tezdi ccetla : At Wadda d ljedra, At Ufella d l$ella i-kwen isduklen d-iéuran ! »-Tafôiqt n yizri : “Bab Idurar”:Enigme-comptine : Qu’appelle-t-on l’univers? Il est immense et plein de vers ! Qu’appelle-t-on la terre? C’est d’elle dont nous nous sommes égrenés, et elle pleine de mûres ! Qu’appelle-t-on le mot? C’est la langue kabyle que nous parlons! Tamsaâraqt-tahoenoentg_warrac : D-cu i wi-qqaren akkiw ? Meqqwer, yeççuô d-awekkiw ! D-acu i wi-Deg’s i dqqaren akal ? -nefruri, yerna iççuô p-pizwal ! D-acu i wi-qqaren awal ? P-paqbaylit is i-nessawal ! -----------------------------------------------------------------------------------------------------Toute ma gratitude et mes remerciements pour : - Mon épouse Hélène et Tassadit Préveraud-Bouraï pour le temps qu’elles ont consacré à relire le manuscrit qu’elles ont enrichi de leurs remarques. -Pour l’intérêt qu’ils portent au patrimoine et au monde berbères, les éditions L’Harmattan en les personnes de messieurs Deniset Xavier Pryen.
AVANT-PROPOS «L’énigme est semblable à un papillon qui se pose sur une fleur au printemps »(Tamsaâreqt tecba afeôîeîu irsen af ujeooig di tefsut).Mon père, Mohand Améziane Ouchivane(1898-1972). J’avais recueilli plusieurs milliers d’énigmes auprèsde mes parents et de mes 1 2 proches , des gens de mon village (Ibouziden ) et de ma confédération (Awzellaguen). Plus de la moitié me viennent directement de ma famille. Les énigmes sont sujettes à beaucoup de variations; ce que l’on appelle la mutabilité. D’un village à un autre, voire d’une famille à une autre, on peut trouver différentes versions d’une énigme, d’un conte, d’un mythe ou d’une sagesse, voire d’un proverbe. Par conséquent, ne figurent ici que les énigmes inédites recueillies dans la vallée de la Soummam et principalement auprès de mon père entre 1969 et 1972, notamment pendant la période de mon service 3 militaire . Ce sont donc pour la plupart des créations internes à ma famille. Je découvrais une fois de plus que mes parents étaient d’un «»niveau culturel difficilement descriptible. Pourtant, ni l’un ni l’autre n’avaient eu la chance 4 d’aller à l’école. Alors que ma mère ne connaissait que le kabyle; mon père parlait bien l’arabe et moyennement le français. Moi-même, je ne fus scolarisé qu’àl’âge de 11 ans. Ce qui explique en partie ma maîtrise de notre langue maternelle. Car jusque-là, mes seuls professeurs étaient mes parents et les Anciens de mon village. Mon père insistait beaucoup pour que nous parlions un kayle châtié. Sur ce point, il était assez peu conciliant, voire autoritaire ! Il n’admettait pas de notre part les «fautes langagières courantes » que commettaient pourtant tous les jeunes de notre âge. Et à chaque fois qu’il nous reprenait, il nous disait : « Donnez de la hauteur au mot ! »(Fkewt-as lqedd i 1 Pendant la guerre d’Algérie, après la destruction des villages de ma confédération (Ouzellaguen), mon père avait « recueilli » plusieurs veuves et leurs enfants. Ils ont ainsi fait partie de ma famille qu’ils ont enrichie de leurs liens et de leurs apports.2 Prononcer Ibouzidène : règle de formation du pluriel en berbère. 3 Une de ses lettres contenait 27 énigmes. Elle se terminait ainsi : «J’ai beaucoup amusé mon ami le docteur Ali Ouedjhane: il s’attendait à tout sauf à ce que je lui dise d’écrire pour toi des lettres de ce genre ! » Comme il ne savait pas écrire, mon père mettait donc à contribution ses vieux amis lettrés qui ne manquaient pas de s’étonner de cette relation épistolaire entre lui et moi! Mon père savait à quel point ses lettres me consolaient d’un casernement qui m’était insupportable! 4 C’est en pensant à ma mère qui voulait apprendre à écrire (à 74 ans!) que j’avais consacré plusieurs articlesà l’éducation extra-scolaire des kabyles monolingues et notamment des femmes. Je pensais que c’était un moyen essentiel qui pouvait redonner vie à notre langue menacée de disparition. A mon grand regret, je n’ai pas été suivi par les intellectuels et les universitaires kabyles. 7
wawal!)C’est sans doute pour cela qu’il accordait tant d’importance à la littérature orale kabyle(tisula)et notamment à l’énigme qu’il entourait de cette métaphore : « Elle ouvre la porte sans la cléL’énigme»(Tpelli taggurt mebla tasarupTamsaHreqt).5 Mon père avait joué aux énigmes avec moi jusqu’à sa mort. Il était parti en emportant un grand nombre de créations qu’il tenait des Anciens qu’il appelait : « Les sages des lumières »(Im$aren n tafat). Ce fut ma mère qui reprit le flambeau. J’ai cru comprendre que c’est par amour et par fidélité qu’elle s’était mise à m’enseigner les choses avec des règles parfois empruntées à mon père. Elle savait ce que je ressentais : je ne venais pas seulement de perdre un père et un professeur-savant, poète-philosophe et écologiste dans l’âme, mais également et surtout un grand sage qui était mon meilleur ami et 6 confident. C’était cette gentillesse qui me mettait dans l’embarras vis-à-vis de mon père, « ce mendiant superbe », comme je l’avais surnommé. Sa déférence à mon égard m’obligeait à lui rendre la pareille en suivant à la lettre tous ses conseils et ses enseignements. A partir de juin 1965, mois où j’acceptais enfin de me rendre à son idée d’écrire en kabyle ce qu’il m’enseignait et ce que j’apprenais de ma mère et des Ancien(ne)s de ma confédération, je constatais que je n’étais plus le même à ses yeux. Il avait une telle considération pour moi que cela devenait parfois gênant ! Il me demandait mon avis sur tout. Quand nous conversions tous les deux, il aimait que nous nous mettions dans un endroit « caché» de peur que quelqu’un nous dérange. J’aimais sa façon de s’excuser quand il me racontait les épisodes les plus noirs de sa vie. Quand mon grand-père mourut, mon père n’avait que quatre ans. C’était sans doute pour cela qu’il nous vouait une affection extraordinaire. Et que dire du respect et de l’amour dont il entourait notre mère! Il nous disait souvent : « Je peux accepter toutes les bêtises que vous voulez, mais si jamais votre mère venait à se plaindre de vous, je ne vous le pardonnerai pas ! » J’aimais beaucoup la façon dont mes parents s’interpellaient en se «donnant » du « fils de noble » et « de la fille de noble ». Quand mon père me racontait de façon récurrente, un événement de l’histoire de la Kabylie, un conte ou une sagesse quelconque, ma mère le taquinait : « Mais, fils de noble, tu lui as déjà 5 Dans le courrier qu’il m’adressât en novembre 1972 –quelques jours avant sa mortalors que je faisais encore mon service militaire, il y mentionna plusieurs énigmes. L’une d’elle était prémonitoire, puisqu’elle parlait de la vie : « Plus et de la mort elle augmente plus elle diminueLa vie »(Akken i tepzid i-tneqqesTudert). 6 Mes amis et les gens de mon village ouvraient de grands yeux quand ils entendaient la façon déférente dont mon père me saluait : « Paix et lumière soient sur vous, ô mon grand ami ! »(Lehna tafat fell-ak, ay amddakwel ameqqwran !)8
raconté ça plusieurs fois ! » Et mon père de lui répondre : « Permettez, fille de noble, que je raconte les choses autant de fois que je veux à mes enfants ! » Et nous rions du ton solennel qu’ils prenaient pendant cet échange. Je crois que c’était leur façon, réservée et pudique, de se déclarer leur amour mutuel en notre présence. Ils étaient d’ailleurs souvent en «concurrence» dès qu’il s’agissait de nous transmettre la culture orale kabyle. Quand ma mère disait un conte, mon père en racontait parfois une autre version ou apportait des commentaires au récit de ma mère. Mais il est vrai que ma mère se rendait souvent compte qu’il connaissait tellement de choses que « les autres hommes de sa génération ne connaissaient pas». Elle disait de mon père qu’il avait deux intelligences: celle de l’homme mais aussi celle de la femme. C’est ce qui faisait qu’il fût si exceptionnel! Mon père adorait mes sœurs ne supportant pas qu’on les juge ou qu’on leur dise quoi que ce soit qui pût les fâcher. Elles étaient tellement gâtées qu’il appelait ma sœur Malika «Pot-Pourri »(Mmerku).Quant à ma grande sœur Zahra, elle régnait sans partage sur la maison et nous menait une vie bien difficile ! Aux yeux de nos voisins, nous étions une famille peu ordinaire, où les filles « régnaient en maîtresses » sur les hommes ! Mais il y avait aussi un tel bonheur de vivre dans notre maison ! Ce bonheur était fort et retentissait dans la nuit quand nous jouions notamment au jeu des énigmes jusqu’au matin! Combien d’énigmes «visitions-nous» au cours d’une soirée qui durait jusqu’au bout de la nuit? Probablement plusieurs dizaines ! Et chaque soirée, nous étions tenus d’en créer de nouvelles. Je ressentais un bonheur infini quand mon père m’appelait dans sa chambre pour me dire à l’oreille une énigme. Je la proposais fièrement en sachant que mes frères et sœurs, mes cousins et cousines ainsique nos amis qui habitaient chez nous n’arriveraient pas à la résoudre! 7 «C’est dans le trèfle que j’ai trouvé son nom –L’hyène»(Deg iffis i-yufi$ isem-isIfis.Le lendemain, mon père m’en glissait quelques-unes unes à l’oreille pour « les tenir au chaud» jusqu’au jeu prochain. Je passais la journée «à les réciter» afin de les apprendre par cœur pour ne pas perdre mes moyens quand je les énoncerai avec gaillardise à l’ensemble des jouteurs. Ma mère savait que cela venait de mon père; c’était souvent elle qui me mettait en difficulté : devant le mutisme des autres joueurs, elle intervenait pour tirer le groupe de l’embarras en le dirigeant vers la solution par un ensemble d’indices.«aujourd’hui, elle espère en demain bien qu’elle demeureElle accompagne avec le passéLa vie »(Tpeddu d wassa, tessaram azekka, $as tep$ima d yivelliTudert).
7 Il suffit d’enlever un /f/ àIffis« trèfle » pour obtenirifisqui signifie « hyène » 9
Que dire de plus de ces séances de jeu? C’était des soirées féeriques dont le bonheur était infini que je suis encore incapable de traduire par les mots. Ces soirées autour des énigmes et des contes nous ont également permis d’affronter les moments tragiques de la guerre. Je sais maintenant pourquoi les Anciens disaient «L’énigme est une jarre de mots remplie de miel»(TamsaHraqt p-paxabit g_wawal yeççuôen p-pament).J’invite les lecteurs à goûter à ce miel contenu dans cette grande jarre qui s’emplissait de mots et de formules magiques autour du foyer à mesure que la nuit tissait sa longue toile comme une araignée. C’est tout le propos des deux énigmes suivantes que mon père m’avaient révélées en 1970, alors que je faisais 8 mon service militaire: « L’araignée créée par Dieu, son tissage n’a pas d’arantèle –La nuit »(Ti$irdemt yejna Öebbi, aéetta-s mebla imelniIv).9 « La couverture du Guergourqu’on étale quand la lune apparaît – La nuit » (Taxellalt Uggerggur tepwavlaq mi-d yeffe$ waggurIv).Une autre énigme qui me semble sortir droit de la mythologie kabyle, car la syntaxe (en prose) utilisée est insolite et inhabituelle : « Le Souverain suprême aime tellement le sage qu’il lui a donné une couverture merveilleuse qui se lave toute seule. Elle se range sans se plier et laisse fuser mille et une lumières que tous les sages de la terre peuvent admirer à travers le mondeLe ciel entre le jour et la nuit. »(Akken tedda leêmala is yefka Ugellid Ameqqwran i wmusnaw; yerna-yas axellal aHeûûam yessiriden iman-is. Yeppemyedr-as ur yepnefv-as ; yessgemmay di tifatin i pcihwan imusnawen di yal tamurt di ddunnitIgenni ger wass d yiv).Il m’arrive souvent, non sans tristesse, d’imaginer ce que mes parents –comme bien d’autres sages kabyles –auraient produit comme chefs-d’œuvre si une opportunité historique leur avait été donnée de disposer d’une langue qu’ils pouvaient écrire. Je revois encore leurs visages illuminés quand je leur relisais les récits, les poèmes et les énigmes qu’ils m’avaient transmis. Ils voyaient en l’écriture un instrument extraordinaire, magique –énigme dont ils une ignoraient la solutiondonnait enfin à leurs paroles une dimension qui universelle.
8 Mon père essayait ainsi de me « distraire » à travers de nombreux courriers où il était souvent question de culture au sens large du terme. Dans sa dernière lettre, il me disait : «Ce matin, j’ai découvert un papillon que je n’ai jamais vu chez nous auparavant. » Et il finissait la description du lépidoptère par une énigme qui le compare à « Une fleur emportée par le vent »(Ajeooig yeggwi wavu). 9 Le Guergour est une montagne kabyle qui regroupe un ensemble de confédérations où se pratique un kabyle très ancien, proche du parler chaoui, que certains philologues apparentent au libyque. 10
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